La formation continue des professeurs du premier degré, un enjeu majeur pour le progrès des élèves.

Intervention de Charles Torossian, directeur de l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation , lors du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » du mercredi 19 mai 2021

Merci, Monsieur le ministre, de nous accueillir autour de cette table.

Éric Charbonnier le rappelait, lorsqu’on regarde les systèmes éducatifs internationaux la question des pratiques les plus concluantes renvoie souvent à un ensemble de variables considérables : la valorisation des élèves et des professeurs, les programmes, les méthodes d’enseignement, les manuels, la formation professionnelle, ainsi que les ressources disponibles. Le tout constituant un système assez complexe.

Mon propos ici sera aussi d’indiquer quelques pistes sur les variables d’un bon système et leur prise en compte pour l’amélioration des apprentissages des élèves mais à condition de mener des politiques publiques dans l’espace, dans le temps et cohérentes sur le long terme.

Cependant avant d’aborder la question du pilotage de la formation continue qui est mon sujet du jour, je tiens à aborder la question de la valorisation des élèves que je pense être un préalable essentiel. Dans le rapport rendu avec Cédric Villani [1] dans le cadre de la mission qui m’avait été confiée sur l’enseignement des mathématiques, beaucoup d’observables et beaucoup d’observateurs nous ont dit que c’était un enjeu majeur. Les propos qui suivent sont en partie inspirés du rapport que nous avons remis au ministre.

I – La valorisation des élèves un préalable indispensable.

Si on veut une école plus efficace il faut aussi que « l’utilisateur » final et ultime à savoir l’élève, ne développe pas un sentiment de fatalité, ni une pensée de déresponsabilisation dans sa capacité à acquérir des connaissances, des compétences et des « savoir-faire. » Ce sentiment de fragilité, de désespoir, de décrochage provient souvent d’acquis fragiles sur les notions fondamentales. D’où la nécessité d’avoir une école solide qui construit l’avenir des enfants.

La question de la démotivation des élèves est un fléau qu’il faut prendre en compte de manière sérieuse, car la motivation et la concentration sont les premiers piliers pour que le cerveau puisse apprendre (avec l’essai-erreur et la consolidation par les allers-retours).

Or la démotivation est manifeste lorsque les élèves passent de l’école au collège. C’est un point essentiel qui fait perdre en efficacité l’ensemble du système éducatif alors que chaque heure d’enseignement est précieuse, comme la crise Covid nous l’a rappelé sans compter le coût annuel pour la collectivité (pour rappel dans un emploi du temps d’un élève de collège ou lycée chaque « case » représente 150 M€ annuel).

Quelles sont les causes principales de cette démotivation ?
– Une insuffisante prise en compte de l’évaluation mise en perspective avec les progrès des élèves ;
– Une construction des notions fondamentales trop rapide pour une appropriation pérenne ; c’est parfois un effet collatéral des programmes de cycle (qui en soi qui ne sont pas un souci, à condition que les équipes travaillent de concert et ne repoussent pas les chapitres difficiles à la fin du cycle) ;
– Des difficultés pour le professeur à repérer la cause des erreurs de l’élève. Il y a là une nécessité d’un travail didactique important à réaliser autour des apprentissages, notamment chez les étudiants.

Ici je voudrais ne pas créer de quiproquo. On a souvent caricaturé la situation par la valorisation des élèves sur les méthodes non expertes ou des productions d’invention au détriment de l’accompagnement vers l’acquisition de méthodes efficaces. Je vais donner un exemple pour me faire comprendre :
Lorsqu’on regarde des évaluations de fin de CM2 on trouve parfois un ancrage fort des élèves dans les méthodes ou les apprentissages de CP, voire de maternelle. Je pense par exemple à l’exercice qu’on retrouve toujours dans les évaluations : on a 169 œufs à mettre dans des boîtes de 6. Combien de boîtes faut-il (parfois ce sont des voitures à transporter dans des trains, ou des élèves à répartir dans des équipes pour un tournoi) ? On trouve des élèves qui dessinent (ou essaient de dessiner) encore 169 ronds et pour faire des paquets…Cette méthode est acceptable au niveau du CP, mais certainement pas au niveau du CM2. Ces élèves ont malheureusement été valorisés dans des méthodes peu efficaces.

En outre, les difficultés qui ont pu s’accumuler d’année en année sont parfois malaisées à surmonter, malgré les aides proposées. Il s’agit là d’un phénomène profond de notre système qui a un caractère fortement cumulatif.

Pour enrayer ce qui pourrait devenir une spirale négative, il est important de valoriser chaque année des réussites ciblées. Mais il ne s’agit pas de laisser l’élève dans une valorisation illusoire en l’éloignant des outils les plus efficaces. Je crois aussi qu’il faut surtout aller vers un enseignement de progrès au sens qu’il s’agit de valoriser ces réussites ciblées.

C’est pourquoi des paliers clairs, des repères de progression et un ensemble d’évaluations interne et externe est indispensable. Nous y reviendrons.

On pourrait aussi indiquer ici la nécessité de solidifier les acquis en prenant en compte les évaluations qui doivent être plus fréquentes, automatisées avec intégration de l’IA pour détecter les difficultés et proposer des parcours d’adaptation au sein de la classe. Prendre en compte les évaluations nationales et internationales pour créer ce qu’il manque à notre école, un esprit de Nation et de dynamisme collectif.

II- Le rôle des cadres – un point d’appui.

L’aspect cumulatif du système éducatif est un point central dans la réflexion à mener pour envisager sérieusement d’améliorer la formation. Elle présuppose une action très forte en termes de travail d’équipe, comme le préconisait Éric Charbonnier, y compris sur les inter-cycles pour aligner les synergies.

Insistons sur la division historique entre le premier degré et le second degré tant sur les statuts des enseignants qui, ces trente dernières années se sont rapprochés, qu’au niveau de l’encadrement.

Dans cette optique, ce bloc IEN/IPR/IEN-ET-EG et personnels de direction doit être l’objet de toutes les attentions dans l’espoir d’en faire un point d’appui de la mise en œuvre de la reconquête du niveau de nos élèves.

Les choses ne sont pas simples et les théories les plus généralistes viennent parfois jusque dans notre ministère autour des théories inter-catégorielles. Cette théorie de la formation des agents publics qui se veut globale sur le socle de formation, ne doit pas faire perdre de vue la spécificité unique de notre ministère : la transmission des savoirs, l’éducation et la formation d’enfants et de jeunes, sans compter que nos personnels sont en grand nombre des catégories A.

Il y a deux volets à comprendre pour prendre en compte la complexité sous-jacente :
– Le premier volet porte sur les statuts, les missions et le positionnement dans la hiérarchie organisationnelle de notre ministère : les IPR sont encore IA c’est-à-dire placés directement auprès du Recteur, tandis que les IEN sont placés sous la responsabilité des directeurs d’académie (Dasen) comme les Personnels de direction.
– Le second volet porte sur la capacité des acteurs cadres à travailler ensemble et à se faire confiance.

On a pu noter des progrès ces dernières années, notamment dans l’organisation par réseau ou territoire. Cependant l’organisation par « projets » comme on le trouve dans les entreprises n’est pas encore d’actualité et pas suffisamment développée. On le voit dans le pilotage REP+ où finalement les acteurs restent encore sur leur champ de compétence.

La vraie question en termes de pilotage est de se saisir de champs plus larges : je dirais « s’autoriser à … ». L’inspecteur de circonscription s’autorise-t-il à discuter avec l’IPR, avec un chef d’établissement dans un collège de secteur ? Le Personnel de direction s’autorise-t-il à aller sur le terrain de la pédagogie et du pilotage dans son établissement scolaire comme on veut le faire depuis trente années ? En fait, la notion de statut, la notion de pouvoir, dans notre organisation académique freine cet engagement à réaliser quelque chose. Je crois qu’il faut libérer les cadres et les « autoriser à… ».

On parle souvent de travail sur l’erreur de l’élève mais il s’agit ici d’élargir le champ sur l’acceptation de l’erreur dans l’acte d’enseignement, dans l’encadrement lui-même. C’est quelque chose qui n’est pas naturel pour le peuple français. Le rapport à l’erreur, à la perfection, à l’infaillibilité du maître reste en effet bien ancré.

Je plaide pour une organisation qui ne fustige par l’erreur des professeurs comme un acte définitif de condamnation comme on a pu le voir autrefois dans la relation inspecteurs/professeurs mais pour replacer le relationnel dans une dynamique de progrès.

Dans cette optique, un professeur mal à l’aise en début de carrière, qui s’interroge parfois sur sa légitimité, ne doit pas être regardé comme étant dans une situation professionnelle défaillante, mais doit être accompagné par ses pairs et son encadrement dans une dynamique de développement professionnel positif.

Cela me fait une transition naturelle pour évoquer rapidement un levier que représentent les personnels de direction. Je fonde de nombreux espoir sur ces cadres de première ligne, et leur formation à l’Institut des Hautes études de l’éducation et de la formation s’est largement enrichie et conceptualisée : création d’une assemblée scientifique pour l’écriture des maquettes où ces questions sont débattues et analysées.

J’ai été surpris d’apprendre récemment qu’il n’y avait pas de maquette de formation il y a encore trois ans pour la formation des cadres ! C’était un grave défaut. C’est le cas maintenant et nous créons en ce moment la maquette V2 pour les personnels de direction et les inspecteurs.

La question qui se pose c’est la nature de ces cadres et la définition de leur mission principale qui doit se centrer sur pilotage pédagogique – certes… mais nous avons besoin aussi de cadres pilotes didactiques, voire bien assis sur les savoirs scientifiques.

J’insiste ici sur le pilotage de l’encadrement et au-delà sur le rôle qu’on doit attendre des cadres. Il convient donc d’accompagner les enseignants dans les domaines didactiques et pédagogiques. Comment ?

En ne négligeant pas la mise en place d’un vaste plan de formation destinées aux cadres, sur ces questions (pour le premier degré c’est la formation des IEN) : c’est ce qu’on a fait ces trois dernières années en recevant à l’IH2EF et en partenariat avec les académies et l’IGésr l’ensemble des cadres du 1er degré. On a recentré la formation continue des cadres sur l’aspect pédagogique et moins sur l’aspect organisationnel.

Cependant on ne peut pas transformer tous nos cadres en des experts pluridisciplinaires. Il faut donc travailler aussi sur les viviers dans l’encadrement et s’assurer par exemple que le concours d’IEN recrute aussi des cadres solides sur les questions des fondamentaux.

Il est important que les cadres pédagogiques qui vont aller dans les classes puissent proposer aussi des éléments sur l’enseignement des mathématiques par exemple. Or nous avons pu déplorer dans le cadre de la mission que j’ai menée avec Cédric Villani qu’il n’y avait pas de conseillers pédagogiques en français et en mathématiques ! Pour pallier cette difficulté, il faut donc renforcer considérablement l’encadrement pédagogique au plus près du terrain, ici les circonscriptions. Ce renforcement passe par le recrutement de conseillers pédagogiques spécialisés sur les fondamentaux (mathématiques et français) ; les circonscriptions doivent ainsi avoir en fait 3 CPC en moyenne pour traiter les missions, alors que nous sommes plutôt à 2 en moyenne. C’est un coût évidemment, mais c’est une bonne dépense, car c’est une dépense d’investissement (environ 1500 personnes).

Recruter des CPC supplémentaires suppose cependant de prendre en compte une certaine valorisation (financière et métier) pour que cette fonction soit attractive et constitue un véritable vivier de cadres (le concours IEN recrute beaucoup sur les CPC).

Il faut par ailleurs recentrer la question de l’accompagnement didactique et pédagogique au cœur des missions des CPC qui sont souvent employés à autre chose.

Dans le plan mathématiques que nous avons mis en place, c’est un élément que nous avions repéré dès le début : il fallait multiplier par 5 le nombre de personnes compétentes en mathématiques, au sein de l’encadrement, dans les départements si nous voulons in fine remonter les résultats des élèves.

Ce n’est pas le tout d’avoir des personnes en nombre (certains départements ont déjà 4 conseillers pédagogiques par circonscription), encore faut-il qu’ils puissent accompagner les professeurs des écoles sur des méthodes pédagogiques efficaces et de manière efficiente. C’est pourquoi nous avons repensé la nature même de la formation continue des enseignants : plus proche des besoins et organisée en constellation. Tout l’art de l’encadrement sera d’optimiser ces groupes qui doivent non seulement travailler ensemble mais pouvoir s’observer et être observés.

J’insiste sur la difficulté pour le système de piloter et de mobiliser l’ensemble de la chaîne, c’est un point sur lequel je reviendrai en conclusion.

Malgré des instructions ministérielles claires une application dans les territoires n’est pas toujours d’égale ampleur. Je donne l’exemple du Plan mathématiques : avec une énergie importante, nous avons réussi à convaincre les recteurs, mais pas tous, les Dasen, mais pas tous, les IEN, mais pas tous, sur la nécessité du changement. Je note cependant qu’au bout de trois ans 20 % des départements ne sont pas dans les objectifs. Par ailleurs nous avions défini des indices de performance pour accompagner l’encadrement.
– Les moyens humains sont identifiés à 90 % (70 % en 2019)
– Les moyens en temps ne sont réalisés qu’à 50 % (35 % en 2019)
– Les moyens en formation effective sont à 60 % (34 % en 2019)

De cette expérience nous tirons la conclusion que pour une transformation en profondeur effective il faut cinq ans, mais qu’il faut aussi regarder les dynamiques enclenchées et ne pas s’arrêter uniquement à une vision annuelle de la performance.

III- Une formation continue repensée et de qualité

Nous voulons ici paraphraser Singapour « Une école qui pense, une nation qui apprend » et surtout nous voulons promouvoir d’un environnement qui promeut l’éducation tout au long de la vie.

Bien évidemment il y a des préalables, comme disposer de ressources de qualité, diffusées et comprises. Mais n’oublions pas que l’enseignement est une pratique et un art. C’est donc qu’il se passe des choses dans les classes. Il faut donc d’une part une confrontation entre les savoirs théoriques et le savoir pratique. C’est pourquoi l’accompagnement dans la classe est une nécessité. À ce titre, les éléments internationaux et tous les rapports pointent deux mesures faciles à mettre en place :
– Dynamiser les « lessons studies », qui permettent le travail collectif et la création d’une confiance profonde entre les professeurs des écoles. C’est toute raison gardée, une épreuve commune semblable à celles des soldats au combat et qui soude le groupe.
– Ouvrir les portes de classes et non pas déclarer qu’on travaille en cohérence mais surtout le faire concrètement sans que le regard de l’autre puisse paraitre comme un regard de jugement.

Cela renvoie à la culture historique de la société française : une domination de l’être par rapport à l’action. La qualité se définit encore par le diplôme, le rang, plutôt que par l’action et les résultats. Il s’agit d’un fait de culture qui nous dessert largement et qui place finalement le spectre d’analyse systématiquement sur les dimensions statiques – comme les variables sociales, les PCS, aujourd’hui les ethnies ou le genre – au lieu de placer la réflexion sur les variables dynamiques. C’est ce que les mathématiciens appellent la prise en compte des dynamiques. La crise du coronavirus nous l’aura appris finalement : ce qui est important ce n’est pas le nombre de cas infectés mais les tendances. Dans l’éducation c’est la même chose.

Apprendre de ses pairs, par l’échange et l’explicitation partagée de ses difficultés, rassure, renforce les ambitions, et fait disparaître certains complexes.

C’est ainsi que les réussites observées viennent en général d’un travail collaboratif : l’intégration d’enseignants (notamment novices) au sein d’une équipe compréhensive, conciliante et composée de collègues aux expériences et compétences variées, apporte la confiance nécessaire à un exercice serein de la profession.

Cette dimension collaborative est donc essentielle pour le bien-être enseignant, je dirais le ré- enchantement du métier au quotidien. Cependant il faut développer davantage d’échanges au sein des équipes, autour de questions pédagogiques, didactiques mais surtout disciplinaires.

Il serait un peu illusoire de penser qu’on puisse sur le long terme améliorer les résultats des élèves avec des enseignants dont les savoirs seraient chancelants. Donnons un exemple dans le domaine des mathématiques :
Il est difficile d’enseigner les décimaux si on n’a pas une idée assez claire de la nature de cette virgule, car les élèves ne manqueront pas de vous poser la question : par exemple il est préférable d’aligner les virgules si on veut faire une addition, mais cela n’est pas nécessaire pour une multiplication.

Ceci suppose un lieu où ces échanges puissent se faire, un lieu de formation qui leur permette de réfléchir et d’expérimenter les matériaux didactiques et les méthodes, qui ne manquent pas par ailleurs.

Enfin et c’est, je dirais, le point préalable, il faut disposer d’une formation pour un enseignement efficace et qui doit être au cœur de la réflexion nationale :
– Tout d’abord disposer d’une pédagogie explicite et systémique : l’élève est guidé de manière explicite mais non dirigiste dans son apprentissage.
– Avoir des étapes d’apprentissage bien identifiées et validées par la science. Notons ici le rôle de la verbalisation.
– Disposer de stratégies efficaces et transposables.
– Mettre en œuvre un développement professionnel du professeur, centré sur la didactique disciplinaire et relié à la pratique de classe. On va y revenir.
– Même si ce point est un peu éloigné de mon propos, il faut aussi disposer d’une formation initiale intensive, des programmes cohérents, cohérents sur une année, à l’intérieur d’une discipline, où on établit des liens vers divers domaines. J’ajouterai ici qu’il serait bien d’avoir des programmes concis : les programmes doivent aborder un nombre raisonnable de notions, sous réserve qu’elles soient étudiées de manière approfondies (surtout ne pas faire des programmes qui abordent un nombre important de notion traitées de manière superficielle dont l’étude s’étend sur de nombreuses années).

Notons ici qu’un programme n’est pas un carcan mais un espace de liberté. Il n’y a pas de contradiction fondamentale entre programme et liberté pédagogique. Cependant il est absolument nécessaire de comprendre que cette liberté pédagogique s’arrête là où le travail en équipe et interdisciplinaire ne devient plus possible.

Force est de constater que tous les chemins didactiques ne se valent pas et il faut partager et faire partager l’expérience acquise surtout quand elle est de qualité et transposable. Cette mutualisation de l’expérience est le rôle des inspecteurs et des chefs pilotes pédagogiques.

IV – La formation et le développement professionnel dans la confiance et en équipe

Le constat est sévère sur la formation initiale des professeurs des écoles, mais pas uniquement.

On le sait dans la formation initiale des professeurs des écoles, il n’y a pas assez de formation disciplinaire fondamentale, trop d’intervenants éloignés des réalités des classes, mais aussi – ce n’est pas toujours assez analysé – des licences qui ne préparent pas assez aux exigences disciplinaires plurielles et didactiques d’une mission complexe de professeur des écoles.

L’idée tentante et qui n’est pas à écarter, bien au contraire, car c’est la situation dans de nombreux pays, est la création d’écoles spécialisées ou de licences spécialisées. L’expérience des classes préparatoires à l’enseignement va dans le bon sens.

Il y a cependant des mesures faciles à mettre en œuvre comme l’adaptation dans les Master MEEF de mineures/majeures pour accompagner les étudiants qui auraient des lacunes disciplinaires ou des ajouts de modules d’enseignement en Licence (UE de mathématiques en LSH ou de français dans les licences scientifiques). Pour cette dernière mesure, je la chiffre à quelques centaines de postes de PRAG.

Je voudrais maintenant me concentrer sur des éléments d’atténuation de l’effet de la Formation initiale en analysant les leviers de la formation continue comme enjeu majeur de la formation des professeurs des écoles.

Actuellement les enseignants disposent de 2,5 jours en moyenne de formation qu’il faut indubitablement passer à 5 jours par an. C’est ce que nous avons commencé à faire, dans le cadre du plan mathématiques et français, en l’espace de 2 ans, en permettant à 1/3 des professeurs des écoles de bénéficier d’une formation intensive de 10 demi-journées par an sur les fondamentaux.

L’objectif de cette formation, au plus près du terrain, est de relier savoirs scientifiques et savoirs pratiques. L’enseignement est une pratique au même titre que la médecine ou la menuiserie. Il faut une formation ancrée dans les pratiques de classes qui ne se concentre pas uniquement sur les aspects pédagogiques mais aussi didactiques, voire disciplinaires. Il faut donc créer des situations de coopération pour :
– Apprendre de sa propre expérience ;
– Chercher l’origine des difficultés que le professeur observe ;
– Interroger ses évaluations, ses observations, ses représentations ;
– Se référer à des théories, à des travaux de recherche ;
– Débattre dans un climat de confiance entre professionnels.

On sait, comme l’a rappelé Éric Charbonnier dans son exposé, qu’il y a une relation de cause à effet entre les communautés professionnelles et l’amélioration de la réussite des élèves (Asie), qui ont un effet sur la qualité du travail des enseignants, leur moral et le développement de leurs compétences comme de leurs pratiques.

Un inspecteur me disait qu’il avait rencontré un enseignant motivé et content de la formation continue par constellation … mais que ce même enseignant avait été « mauvais » lors de la visite de classe. Je dis ici qu’il faut penser à la dynamique et avoir confiance dans la capacité des cadres à accompagner ce professeur dans sa capacité à s’améliorer dans la classe.

Ces expériences de formation collaborative montrent l’impact du travail en équipe sur l’efficacité de la formation continue des enseignants, à condition que ceux-ci se fassent mutuellement confiance. Une première étape pour construire cette confiance est d’ouvrir les portes des classes comme je l’ai déjà dit.

Mettre en place la percolation sur les territoires :

Il n’est pas nécessaire que toutes les compétences professionnelles soient acquises par tous les professeurs d’une équipe mais il faut faire en sorte qu’elles soient réparties, à l’échelle d’un établissement ou d’un bassin ou d’un territoire, avec des personnes ressources identifiées et valorisées dans leurs compétences.

C’est pourquoi il vaut mieux faire travailler les groupes sur des sujets différents pour augmenter rapidement les compétences disponibles sur le territoire sur un spectre large et mettre en place des processus de percolation rapide.

C’est le principe des circonscriptions apprenantes et des établissements apprenants.

Mais pour que cela fonctionne que ce soit au niveau des EPLE (dans les laboratoires par exemple) ou des circonscriptions des invariants sont bien identifiés :
– Pilotage par les cadres
– Adaptation de l’emploi du temps à la formation
– Ne plus mettre en conflit formation et élève. Choix cornélien funeste.
– Valoriser financièrement les actions de formation intensive des professeurs soit un coût de démarrage de 100 M€/an (120€/j, soit 600€ par an minimum), afin d’assurer rapidement une formation intensive rémunérée tous les 5 ans.

V- Conclusion : la nécessité d’un alignement de la chaine pédagogique

Au fond, le point le plus important – et que je reprends du rapport Villani-Torossian – est l’alignement de la chaine pédagogique et le rôle des cadres :
Le premier et principal niveau est celui de la classe. Il est essentiel qu’à ce niveau-là s’établisse un climat de confiance et de dialogue entre professionnels partageant des valeurs communes. Cette ambition nécessite de poursuivre la rénovation des relations de travail entre les professeurs et les personnels d’encadrement (inspection et direction) pour développer des formes de direction et de coopération qui conjuguent liberté, responsabilité et autonomie.

Le deuxième niveau est celui des écoles et des établissements. Cette dimension importante et reconnue par la recherche internationale conduit à considérer l’évaluation des écoles et des établissements comme une opportunité d’avenir, ce que le récent CEE (Conseil de l’Évaluation de l’École) met en place avec succès pour les établissements.

L’objectif est que toutes les écoles puissent à terme être évaluées en tant qu’établissements, par l’autoévaluation (y compris l’évaluation entre pairs), le regard externe (par des équipes d’inspecteurs territoriaux mais pas uniquement), et qu’il soit mis en place un dialogue stratégique qui soit conduit au niveau des départements, des circonscriptions, des établissements.

Enfin le troisième niveau est celui de l’encadrement. Pour obtenir des résultats durables, il est nécessaire de mobiliser les personnels qui pilotent la mise en œuvre, notamment pour créer les conditions de la confiance et de l’accompagnement des professeurs afin de relier l’évaluation, le développement professionnel et l’organisation scolaire.

Cette théorie que nous développons depuis des années doit être intégrée pleinement dans les politiques publiques.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, M. Torossian. Voilà beaucoup de propositions, de mesures, de projets après les appels à la recherche de Mme Campion.

Je me tourne vers M. Kerrero. Passons aux travaux pratiques. Imaginons que M. Blanquer n’ait pas de problème budgétaire. Quelles seraient vos propositions ?

—–

[1] Jean-Michel Blanquer a confié une mission sur les mathématiques à une équipe menée par Cédric Villani, député de l’Essonne, et Charles Torossian, inspecteur général de l’éducation nationale. Le rapport sur l’enseignement des mathématiques en France a été remis au ministre de l’Éducation nationale le lundi 12 février 2018. La mission était chargée d’établir un bilan des forces et des faiblesses actuelles, de préciser les points de blocage et les leviers potentiels avant de formuler des propositions concrètes en s’inspirant des pratiques les plus concluantes et à la lumière des études internationales. (NDLR)

Le cahier imprimé du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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