Débat final, lors du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » du mercredi 19 mai 2021

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur le recteur, pour cet exposé remarquable, en tout cas aussi remarquable qu’on peut le concevoir dans le paysage actuel tel que l’ont fait apparaître les trois remarquables interventions précédentes qui ont décrit la situation et les difficultés auxquelles nous sommes exposés.

Soyons clairs, la situation est absolument dramatique. Je renvoie aux chiffres Pisa et à beaucoup d’autres signes qui ne trompent pas. Cette situation est grave. Un enfoncement de l’Éducation nationale est perceptible depuis plusieurs décennies et ne peut que s’accentuer si des mesures radicales ne sont pas prises. La construction des Écoles Normales a pris près d’un siècle. Il a fallu beaucoup de courage. Nous sommes en présence d’une situation dégradée qui n’est que la traduction d’une somme de petites lâchetés et d’abandons au courant des idées toutes faites (je n’oserai pas dire des idées dominantes) et de la facilité.

M. Kerrero a défini ce que devrait être un master adapté au métier de professeur des écoles, à l’évidence un master polyvalent. Qu’il comporte par ailleurs un volet recherche est tout à fait souhaitable mais ce master doit être polyvalent et nous tirer du mauvais pas dans lequel nous nous enfonçons aujourd’hui.

Une deuxième question, que vous n’avez abordée qu’avec beaucoup de précautions, est celle de savoir si la formation des enseignants peut être retirée aux universités, qui sont autonomes, pour être confiée à l’Éducation nationale elle-même, ce qui serait évidemment une révolution. Mais il faut avoir le courage de dire les choses telles qu’elles sont. N’ayant plus de responsabilités je ne peux pas me mettre à la place de ceux qui exercent de leur mieux. Je pense à ce que fait M. Blanquer dans de nombreux domaines. Mais il n’est pas en situation de proposer ce rattachement. Seul un candidat à l’élection présidentielle, seul le président de la République peut dire que si on veut mettre un terme au lent déclin de l’École il faut saisir le taureau par les cornes et prendre ces mesures de salut public.

Évidemment, ça fera du bruit dans Landerneau ! Et n’ayant plus de responsabilités j’ai beaucoup de facilité à exprimer ce point de vue. Mais je le fais parce que je pense qu’il répond à l’intérêt public et que seul ce rattachement nous permettrait de remonter la pente. Je n’ai rien contre les universités mais nous connaissons bien le système, nous savons comment il fonctionne. Il est absolument indispensable qu’une impulsion venue de haut nous permette d’interrompre ce déclin mortifère dont nous serons tous responsables devant la jeunesse et devant l’avenir. Ce n’est que mon point de vue mais je l’exprime en conscience devant vous parce que je crois que c’est la conclusion logique des tableaux plus ou moins pointillistes mais réalistes que vous avez dressés. Vos exposés s’emboîtaient logiquement et vous vous exprimiez avec la mesure qui sied aux responsabilités qui sont les vôtres. Maintenant il faut passer à une étape nouvelle. J’espère que cet appel sera entendu, qu’il pourra l’être, en tout cas qu’il fera son chemin dans les esprits.

Marie-Françoise Bechtel

En vous écoutant j’en suis arrivée à la conclusion qui vient d’être magistralement exprimée par Jean-Pierre Chevènement. C’est qu’il y avait une suite logique dans les interventions qui ont débouché pour finir sur cette sorte de conclusion heureuse que serait le retour au ministère de l’Éducation nationale de la formation des maîtres. Vous avez montré que ce retour est nécessaire.

Toutefois, il y a manifestement, et cela aussi découle des exposés, deux obstacles.

Le premier obstacle est au fond technique. Par la masterisation on a donné aux universités le soin de définir et de délivrer le diplôme qui permet d’entrer dans l’enseignement primaire. Il ne sera pas possible de revenir là-dessus, pour les raisons qui ont été très clairement exposées par le Recteur Kerrero.

Et puis il y a un obstacle culturel qui tient à la puissance des syndicats à l’Éducation nationale. Appelons les choses par leur nom. Puisque j’ai la liberté de le faire, je le fais. Lorsque récemment on a annoncé que, pour remédier à la masterisation monodisciplinaire, on allait revoir la formation des professeurs des écoles en revenant aux apprentissages fondamentaux, on a assisté à une levée de boucliers des syndicats – particulièrement ceux qui se disent « progressistes » dénonçant bruyamment une atteinte à la liberté pédagogique ! Quand un pays en est là, quand une évolution en faveur d’une meilleure égalité de tous se heurte à de tels obstacles, il y a un vrai sujet.

Dans ces conditions comment pourrions-nous arriver tout de même à transformer l’essai, à contourner cet obstacle d’abord syndical mais aussi, il ne faut guère en douter, médiatique ? Ne pourrions-nous le contourner en avançant un « grand objectif », en menant une campagne en faveur de l’élévation du niveau culturel de la nation, dont on sait que c’est un défi pour toutes les nations modernes ? Emmanuel Todd a très bien montré comment l’avance des États-Unis, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, tenait à la massification de l’éducation et finalement à sa qualité. Alors, ne peut-on tenter d’ériger l’élévation du niveau culturel de la nation en cause nationale, en un grand impératif national qui, assorti peut-être des incitations financières dont vous avez également parlé – parfaitement légitimes s’agissant des professeurs des écoles – pourrait peut-être retourner l’opinion et tous les intermédiaires entre l’opinion et les acteurs politiques pour les amener par un grand élan vers une modification structurelle de ce sujet fondamental qui est celui de la formation des maîtres ? Je ne crois pas que les études de l’OCDE puissent démentir le diagnostic sur lequel est fondé le colloque d’aujourd’hui, à savoir que la formation des maîtres est au cœur de la question des inégalités scolaires et de l’insuffisante performance du système éducatif français.

Pouvons-nous transformer l’essai positivement et créer un grand mouvement national en faveur de cet objectif nouveau, assorti d’une meilleure reconnaissance, peut-être juridique, certainement financière pour les professeurs des écoles ?

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Marie-Françoise Bechtel, de cette suggestion. Espérons que cette idée fera son chemin. En tout cas c’est un bon axe de lutte sur la durée. Car je sais que le temps est compté et ne permettra pas d’aller au but aussi rapidement que je le souhaiterais.

Alain Dejammet

Ma remarque est celle d’un absolu béotien. En effet, je ne connais absolument rien aux problèmes qui ont été abordés aujourd’hui.

On nous indique que l’enseignement c’est instruire, éduquer, transmettre. Mais je m’interroge quand même sur la possibilité pour les enseignants de transmettre avec une grande « confiance » quand en même temps on les invite à déconstruire toutes les références à notre histoire, même la référence à Jules Ferry. Transmettre quoi ?

Une question technique : avant Jules Ferry on parlait beaucoup de « l’enseignement mutuel « que l’on opposait à l’enseignement privé. En quoi consistait exactement ce mot « mutuel » qui était à l’époque célébré par des personnes comme Stendhal, comme Victor Hugo … ?

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur l’ambassadeur.

Le problème, il faut le rappeler, est le monopole de l’université dans la collation des grades qui fait que la délivrance d’un diplôme, d’un master, par exemple, n’appartient qu’à elle dans l’état actuel des textes juridiques. Considère-t-on qu’il s’agit un principe qui s’impose à l’action publique même quand elle est mue par le souci de l’intérêt général ? C’est la question qui est posée.

Charles Torossian

Mme Bechtel parlait des syndicats. Il y a dans la formation un point de tension qui est le fait d’opposer la formation des professeurs à l’intérêt des élèves. C’est une situation qui n’existe pas dans beaucoup de pays. Aujourd’hui les gens pensent que la formation doit se faire sur le temps de travail, selon un préalable de pensée d’organisation, un acquis de construction qui fait que le temps de travail des professeurs est souvent assimilé au temps passé devant les élèves. Si on réfléchit bien, cela revient à opposer la formation à l’investissement de long terme de la nation pour l’amélioration du niveau général à l’intérêt immédiat des élèves et des familles. Il faut sortir de ce choix cornélien funeste que je signalais dans mon intervention. Là aussi il faut avancer. Jean-Michel Blanquer avait été le devancier des pistes, notamment sur la formation rémunérée hors temps scolaire. Force est de constater que cette proposition de bon sens n’a pas eu un grand succès alors qu’elle est appliquée au Canada par exemple. Il est vrai que si l’on veut vraiment améliorer les choses et développer l’efficacité il faut aller creuser dans les structures de tensions et c’est un élément que l’on a bien identifié.

Marie-Danièle Campion

À contrario, lorsqu’on place les acteurs en situation d’établir un projet sur les fondamentaux et les difficultés, comme dans les Universités de Grenoble-Alpes, d’Aix-Marseille ou de Normandie et Hauts-de-France, on observe des alliances objectives entre tous ces acteurs des communautés apprenantes sous leurs diverses formes. Dans les Educlabs et tiers lieux pédagogiques (Académie de Normandie) avec des lieux de formation, on obtiendra d’ici trois ans des résultats tangibles avec l’élaboration de maquettes de formation précises pour réduire ces inégalités.

C’est donc peut-être en s’inspirant de ce qui est fait que l’on peut, comme vous l’évoquiez, Madame Bechtel, voir ce qu’il est possible de faire avec des universités pour bénéficier à la fois de la recherche de ce monopole de collation des grades mais aussi d’une centration sur le monde éducatif.

Peut-être y a-t-il un espace de respiration pour voir comment porter l’idée que vous avancez.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Mme Campion, de votre suggestion.

Encore une fois, nous échangeons dans un colloque d’une fondation qui a la prétention de servir l’intérêt public. Maintenant, il y a d’autres mécanismes qui doivent entrer en jeu.

Grâce à vous tous nous avons déjà beaucoup progressé. Je vous en suis très reconnaissant et vous en remercie très vivement.

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Le cahier imprimé du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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