Note de lecture de l’ouvrage de David Djaïz, « Slow Démocratie – Comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre destin en main ? » (Allary Editions, 2019), par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica.
Détournant la formule de Paul Valéry sur le devenir des civilisations, David Djaïz nous rappelle que « les démocraties sont mortelles ». Soutenue par l’Etat républicain, la nation démocratique, dont l’idée est à revitaliser mais dont les réalités restent bien visibles, semble la forme politique la plus capable de surmonter une triple crise sociale, territoriale et environnementale.
Le diagnostic est simple mais finalement assez peu enraciné dans les esprits, notamment parmi les élites politiques : les sociétés occidentales vivent toujours avec les cadres mentaux des Trente Glorieuses alors que la révolution mondiale – la mondialisation néolibérale – est passée par là. C’est l’histoire d’une course de vitesse entre le capitalisme et la démocratie qui constitue le point de départ du deuxième ouvrage de David Djaïz. Mais ce dernier ne se borne pas à un état des lieux, il tend à définir une nouvelle doctrine politique.
La nation démocratique renvoie à notre appartenance politique la plus profonde. Si elle est déstabilisée, d’autres formes politiques, archaïques, peuvent faire leur retour : par le haut avec l’Empire et sa puissance verticale et absolue ; par le bas avec la Tribu et ses solidarités exaltées, ses replis naturels. Or la nation, car elle permet « l’aménagement d’îlots de décélération face à l’accélération et à l’extension sans limite du domaine de la marchandise » (page 262), apparait en mesure d’abriter à la fois la démocratie, l’épanouissement des libertés individuelles, et enfin la cohésion sociale et territoriale. Ces trois « biens sociaux » fondent le ciment de nos valeurs communes mais se retrouvent menacés d’effacement.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Jusqu’au milieu des années 70, on peut dire qu’on a assisté à l’avènement du « capitalisme démocratique » (Wolfgang Streeck). Une forte croissance alimentait alors le progrès social piloté par des Etats-nations forts (sécurité sociale, hausse continue des salaires, etc.). Mais ensuite survient un désajustement : à la faveur de la libéralisation des mouvements de capitaux, le capitalisme se mondialise. Les chaines de valeur explosent et les circuits de production se dispersent aux quatre coins du monde. Les différents espaces économiques se trouvent plongés dans une concurrence très dure, tout comme les travailleurs. La démocratie, elle, reste nationale. Au début des années 2000, conséquence de la hausse des inégalités au sein des sociétés occidentales et de l’approfondissement des fractures territoriales, nous entrons dans une zone de turbulences et de frictions, moment en général propice au changement de cycle. Toutefois, le capitalisme s’étant largement affranchi des limites que la démocratie lui avait fixées, il semble difficile de les « réencastrer (Karl Polanyi). Il est aujourd’hui courant d’en appeler au « capitalisme responsable » pour répondre à la panne du progrès social, ce qui suppose que le capitalisme, dont le profit est le seul cap, s’autorégule. N’est-ce pas plutôt à la société de lui imposer ses règles, de l’encadrer ? Les peuples se tournent alors vers l’État pour résoudre les conflits de distribution et répondre au double défi de l’archipélisation (Jérôme Fourquet) et de la crise de la démocratie.
Réarmer l’Etat
En 1962, dans Capitalism and Freedom, Milton Friedman définit le néolibéralisme par un certain rapport entre l’Etat et l’économie : l’Etat choisit de « se concentrer sur le bon fonctionnement de l’ordre concurrentiel » (competitive order), une évolution très restrictive, fondée sur la norme, qui affecte profondément la nature de la démocratie (page 24). Or l’augmentation des inégalités à l’intérieur des nations et l’affaiblissement du sentiment de solidarité nationale ont des conséquences directes sur l’Etat-providence. David Djaïz complète : « De rouage concret de la démocratie nationale, il devient un simple maquis de prestations versées à des ‘ayants-droits’. Il ne repose plus sur un système d’obligations réciproques entre les concitoyens d’une nation et ressemble de plus en plus à un ‘guichet automatique’ distributeur de prestations sociales » (page 165). La population attend davantage de l’Etat, alors même qu’il est plus difficile de redistribuer une croissance molle et de faibles gains de productivité. C’est l’occasion pour l’auteur d’insister sur le souci de la cohésion sociale d’autant plus fort dans le contexte de la mondialisation et d’augmentation des inégalités. Il convient alors de réactiver les fondements civiques de l’État-providence en « mettant fin au séparatisme social par le renforcement d’un sentiment commun d’appartenance nationale et en faisant vivre le principe de réciprocité au fondement de la solidarité nationale » (page 177). David Djaïz propose de reconstruire l’idée de l’Etat autour de deux autres éléments qui sont aujourd’hui battus en brèche. Tout d’abord, l’Etat est le porteur du long terme, du continuum. C’est l’Etat qui possède non seulement la hauteur mais aussi la longueur de vue. Il est enfin le garant de la vie commune, de l’intérêt général, c’est l’Etat républicain.
La nécessaire réactivation de principes communs
Pour l’auteur de La Guerre civile n’aura pas lieu, le problème fondamental de notre vie démocratique est que les Français sont en désaccord sur l’essentiel, livrant l’espace public à des querelles souvent violentes sur les mœurs. La cible de « la conversation civique » n’est plus un cap politique, mais des moyens. Mais quels sont les termes d’un consensus français, de ce « ‘Nous’ national » (page 227) ? Quels sont « les fondements du pacte démocratique » de notre nation ? Les moments de crise sont propices à la « réactivation des moments fondateurs » (pages 108-109). Cela pourrait concerner le rôle de l’Etat et le périmètre de la démocratie.
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