L’École constitue l’épine dorsale du projet républicain

Intervention de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, en clôture de la première table ronde du colloque « Le moment républicain en France ? » du 11 décembre 2017.

Jean-Pierre Chevènement

Nous étions au terme de la première table ronde de ce colloque consacré au « moment républicain ». Nous traitions ce matin de la cohérence et de l’exigence du modèle républicain, où l’École occupe une place tout à fait centrale. La discussion s’était d’ailleurs engagée sur les questions relatives à l’École.

Nous sommes donc très désireux de vous écouter. Nous parlerons cet après-midi de la Nation, de l’Europe et de ce « moment républicain » que, face aux défis actuels, nous devons saisir, tel le kairos, quand il passe. Sans allonger davantage mon propos, je me tourne vers vous pour vous donner la parole.

Jean-Michel Blanquer
L’École constitue l’épine dorsale du projet républicain

Monsieur le ministre,
Mesdames,
Messieurs,

Merci de tout cœur pour cette invitation à laquelle j’attache beaucoup d’importance. Vous connaissez la très grande estime que je vous porte. Vous êtes une référence pour nous tous sur les questions de la République comme sur les questions de l’École. L’École et la République se nourrissent mutuellement. L’École constitue l’épine dorsale du projet républicain. Quand l’École ne porte plus ses valeurs, les valeurs républicaines, elle ne se porte plus elle-même. C’est donc pour moi un honneur de m’adresser à vous et au public que vous avez rassemblé aujourd’hui. Je suis convaincu que nous sommes dans un « moment républicain ».

Nous vivons une période caractérisée par de nombreux bouleversements, notamment la montée de l’individualisme, qui pourraient nous conduire à craindre pour la République. En effet, l’idée républicaine repose à mes yeux avant tout sur l’idée de Bien commun qui constitue notre horizon collectif. Précisément, avec un peu de discernement, nous voyons bien qu’en réalité, l’idée républicaine n’a jamais été aussi moderne, aussi nécessaire dans une période travaillée par une question philosophique et pratique : comment faire d’un monde de plus en plus technologique un monde de plus en plus humain ?

Le monde sera de plus en plus technologique, de même qu’il est de plus en plus scientifique, et l’esprit républicain ne peut que se réjouir de l’avancée des sciences et des technologies. C’est d’ailleurs l’un des domaines où vous vous êtes illustré en tant que ministre. Je me souviens aussi de votre cours à Science-po sur ces grands enjeux. Ce monde de plus en plus technologique est porteur du meilleur comme du pire et, à cette question planétaire, nous devons répondre par une philosophie de l’action et par une philosophie politique reposant sur le Bien commun.

Cette philosophie du Bien commun peut sortir renforcée ou affaiblie de la révolution technologique qui se présente à nous. L’un des grands défis de la transformation que nous initions est donc de faire en sorte que l’esprit collectif, l’esprit du Bien commun imprègne l’École. Il s’agit, à l’échelle du système comme à celle de chaque classe, « petite République » où se joue quelque chose de l’idéal républicain.

À la question « Qu’est-ce que la République ? », Jean Jaurès répondait « C’est un grand acte de confiance ». Au cœur même de la notion d’École, au cœur du projet pour l’École que je souhaite porter comme ministre, je place l’idée d’École de la confiance. La confiance me paraît être une notion clef sur le plan social comme sur le plan scolaire, le cœur même d’une philosophie du Bien commun.

La société française souffre aujourd’hui d’un manque de confiance. Depuis six mois, toutefois, je constate un regain de confiance chez nos concitoyens et, plus encore, dans le regard du monde sur la France. Si les forces du scepticisme sont toujours promptes à resurgir dans notre pays, comme il se doit dans un pays qui le cultive fortement, dès que l’on fait un pas hors de France, on est frappé par cette atmosphère de confiance envers la France. Dans un monde déstabilisé sur le plan géopolitique, la France apparaît de nouveau comme ayant quelque chose à dire, quelque chose à porter. Cela est dû aux dernières élections et au modèle républicain qui ne paraît pas si inadapté qu’on le dit parfois face aux défis de notre temps.

En parlant d’un « grand acte de confiance », Jaurès exprimait une vision de la société qui se reflète évidemment dans la vision scolaire. Les pays qui vont bien sur le plan scolaire – ce n’est malheureusement pas tout à fait notre cas aujourd’hui – sont des pays où la société a confiance en son École. Je l’avais réalisé très fortement en observant d’autres systèmes qui, sur le plan technique, ne différaient guère du nôtre mais s’en distinguaient par la place du professeur dans la société, la confiance accordée à l’institution scolaire, la confiance des professeurs eux-mêmes dans leur propre institution, le discours public sur l’École… En effet, la réussite de l’École exige que tous les acteurs se fassent confiance, afin que les élèves aient confiance en eux-mêmes.

La confiance permet en effet le dépassement des clivages qui ont trop longtemps paralysé notre pays. Disant cela je n’évoque pas seulement le clivage gauche-droite, je pense à toutes sortes de clivages que l’on crée ou que l’on recrée afin de servir des intérêts parfois douteux. Et c’est particulièrement significatif à l’École. Je suis frappé par le nombre de polémiques suscitées autour des questions scolaires. S’il est sain, démocratique et républicain que nous ayons des points de vue différents, nous pouvons légitimement nous demander si parfois ces différents points de vue font véritablement avancer la cause de l’École. Un ancien ministre de l’Éducation nationale me montrait un article de journal datant de quelques décennies où l’on pouvait déjà lire les polémiques qui nous agitent aujourd’hui, comme si rien n’avançait concernant l’École.

Le dépassement des clivages sera possible par notre capacité à objectiver les questions pédagogiques. Et c’est en cela que je disais que la République est plus que jamais pertinente car la République est une rationalité et l’Éducation nationale, par définition, une institution de science qui progresse par l’expérimentation et les progrès scientifiques. Or nous vivons une période de très grande révolution scientifique.

L’une d’entre elles, fondamentale, est la révolution des sciences cognitives grâce auxquelles nous connaissons beaucoup plus de choses sur l’homme qu’il y a encore quelques années. Il serait fou de rester à l’écart de ce qu’elles nous apprennent. À mes yeux, les sciences cognitives portent un message très optimiste sur l’homme – et, indirectement, sur la République – en renvoyant dos à dos l’approche rousseauiste, pour laquelle l’homme, né bon, est corrompu par la société, et l’approche hobbesienne, selon laquelle la société fait ce qu’elle peut pour compenser la méchanceté naturelle de l’homme.

Les sciences cognitives nous ouvrent une troisième voie : l’homme naît avec un potentiel exceptionnel et si la société lui permet, notamment par l’École, d’exprimer ce potentiel, alors l’homme peut beaucoup de choses, sur le plan des savoirs comme sur le plan des valeurs, car nous avons un potentiel d’empathie, de relation aux autres qui peut même renouveler l’idée de contrat social.

Les nombreux pays qui ont enregistré des progrès en matière scolaire ces dernières années l’ont fait en regardant les expériences menées chez leurs voisins. Non pas que l’École française doive importer tel quel un modèle qui aurait fait le succès d’un autre pays – chaque pays exprime son génie propre par son École – mais nous pouvons nous inspirer de ce qui marche. Bien des pays se sont souvent inspirés de nos pratiques et souvent nous admirons chez eux ce qui était admirable chez nous. Il y a donc dans l’ouverture vers le monde une perspective d’inspiration qui doit permettre à l’École de progresser et, surtout, à nos débats d’évoluer.

Transmettre les savoirs est la première mission de l’École parce qu’il n’existe pas de citoyenneté véritable sans une égalité dans la transmission des savoirs. La plus grande des inégalités, la première d’entre elles, qui apparaît dès le plus jeune âge, est l’inégalité au regard de la maîtrise de la langue. Dès l’école maternelle, les enfants sont en situation d’inégalité du fait de leurs circonstances familiales, de la richesse du langage à laquelle ils ont été exposés. C’est évidemment à l’École de la République, qui peut s’enorgueillir de la tradition de son école maternelle, de compenser ces inégalités C’est pourquoi une politique républicaine du Bien commun est d’abord une politique du langage commun, donc une politique de la langue.

Cette politique de la langue, la politique de la langue française, signifie que nous devons viser la meilleure maîtrise de la langue chez tous nos enfants. Les 20 % d’élèves qui sortent de l’école primaire sans bien maîtriser les savoirs fondamentaux éprouvaient déjà des difficultés à la maternelle. Il y a malheureusement une certaine prédictivité en la matière, notamment une prédictivité sociale, qui nous impose de réfléchir en profondeur les moyens de les contrecarrer. L’enquête Pirls (Progress in International Reading Literacy Study), une enquête internationale très complète qui paraît tous les cinq ans, a montré que notre situation s’était encore dégradée en la matière. Cette dégradation, loin de nous désespérer, doit au contraire nous stimuler. Elle doit indiquer le point du rebond de l’École de la République par la transmission des savoirs.

C’est le sens des mesures que j’ai annoncées. Tout le monde a retenu l’idée de la dictée quotidienne, dont je tiens à souligner qu’elle n’est qu’un des aspects de ce qui est proposé, parmi une bonne dizaine de mesures dans le détail desquelles je ne rentrerai pas aujourd’hui mais que je vous invite à regarder. Toutes ont en commun d’aller vers une politique de la langue, une politique de la richesse de la langue, une politique de la transmission de méthodes qui fonctionnent. C’est un point très important si nous voulons avoir une politique du Bien commun, une politique lucide.

Je prendrai un seul exemple : des études montrent que tous les manuels scolaires ne se valent pas, notamment les manuels de cours préparatoire et de CE1. Le ministre de l’Éducation nationale qui en est informé par des études robustes doit-il faire comme s’il ne le savait pas ? Doit-il, comme les trois singes de la figure célèbre, se cacher la bouche, les yeux et les oreilles pour feindre d’ignorer la réalité ? Doit-il se taire par peur des réactions ? Doit-il se taire en vertu de principes soi-disant sacro-saints qui vont à l’encontre de l’intérêt réel des élèves ? Bien entendu la réponse républicaine est « Non ! ». Parce que la République c’est aussi la lucidité éclairée par la science. Et, dès lors que nous connaissons les problèmes, nous devons nous en saisir, agir et les régler.

« Ma patrie, c’est la langue française », disait Albert Camus. Nous pourrions tous l’affirmer avec lui. La langue est notre Bien commun. Elle assure la cohésion sociale, garantit la concorde civile, établit le lien entre nos héritages et les générations futures. La langue est aussi le propre de l’homme ; elle exprime sa liberté, sa créativité ; elle est donc la substance de la République. Elle est un trésor que nous avons en partage et que nous avons mission d’enrichir en le transmettant. « Je serai vigilant pour qu’il n’y ait qu’une grammaire, comme il n’y a qu’une langue, une République », ai-je eu l’occasion de rappeler à l’Assemblée nationale le 15 novembre dernier. Non que je pense que la langue serait comme un bloc de granit éternel. La langue est un objet vivant et nous nous en félicitons. J’ai prononcé ces mots en étant parfaitement conscient qu’il y a plusieurs pratiques de la langue française dans l’ensemble des pays francophones. C’est un bonheur qu’il en soit ainsi car c’est un facteur d’enrichissement. Il n’en demeure pas moins qu’il y a une langue française qui s’enseigne à l’École, selon des règles grammaticales, syntaxiques et lexicales qui doivent se transmettre. D’aucuns pensent faire acte de progressisme et de modernité en niant cette évidence. Ils ne sont pas progressistes parce que le véritable progrès consiste à vouloir pour les élèves des milieux les plus défavorisés la plus grande richesse de la langue possible.

Derrière cela, il est un mot que je voudrais remettre à l’honneur, un mot très républicain, très philosophique aussi, qui nous renvoie à nos racines gréco-latines. Ce mot, qui constitue l’arrière-plan des savoirs fondamentaux et même de l’informatique et de la compétence de codage, c’est, en grec, le logos, en français, la logique, dans l’une des dimensions de ce mot. La logique est ce que nous devons aux élèves parce que nous avons besoin, dans le monde qui vient, d’une richesse du langage, d’une capacité d’appréhension du réel. Nous avons besoin aussi du raisonnement logique, ne serait-ce que pour faire face aux risques d’obscurantisme, l’une des caractéristiques de notre époque.

Le néo-obscurantisme n’est pas seulement le fait du fondamentalisme religieux. Nous savons bien sûr que nous avons un défi de ce côté-là. C’est pourquoi j’ai eu à m’exprimer très fortement sur la laïcité, notamment au cours des deux derniers jours, je vais y revenir. Nous sommes aussi confrontés à des formes de néo-obscurantisme qui, pour n’être pas nécessairement de nature religieuse, n’en sont pas moins inquiétantes. Je parle de la volonté de nier la science, de tordre le réel en fonction d’une idéologie ou de l’idée que l’on se fait du monde.

Nous avons à être conscients que l’École de la République doit lutter contre toutes les formes d’obscurantisme en transmettant aux élèves le sens logique mais aussi des valeurs, des références, et, bien entendu, le sens critique. L’École de la République, loin de chercher l’uniformité de la pensée, fait vivre l’esprit critique par tout ce qu’elle transmet : les savoirs fondamentaux, qui sont « l’accès à l’accès », la condition indispensable pour que tous les autres savoirs adviennent, mais aussi les valeurs de la République et la culture générale qui doit articuler les enjeux éternels avec les enjeux nouveaux.

Les enjeux éternels, ce sont les humanités classiques parce qu’il ne peut pas y avoir de République si nos élèves ne savent pas d’où ils viennent et quelles sont les racines de la langue qu’ils parlent, les racines de la civilisation dans laquelle ils vivent. Les enjeux nouveaux, ce sont les humanités numériques, projection dans l’avenir.

Si j’ai établi une parenté entre le codage, la grammaire et les mathématiques, c’est aussi pour établir une forme d’unité du savoir et de lien entre les humanités classiques et les humanités nouvelles. En effet, de nombreux esprits voudraient les opposer, voudraient en quelque sorte en finir avec les humanités classiques au nom des humanités nouvelles. Gardons-nous évidemment du réflexe inverse. Nous devons tenir l’un et l’autre ensemble en montrant qu’au fond c’est toujours le même défi humain et le même défi républicain auxquels nous répondons.

Fiers de contribuer à l’avancée de la science et des technologies sur des valeurs solides, nous devons plus que jamais servir une République des Lumières, une République qui, reposant sur les sciences, est à la fois pleinement consciente de l’imperfection permanente inhérente à la science et aux technologies et pleinement consciente du progrès qui en constitue l’horizon.

Cette République des savants fait écho à une autre République, celle des professeurs, qui font un métier difficile et ont besoin du soutien indéfectible de l’État pour mener à bien leur mission. C’est pourquoi, depuis ma nomination, je n’ai jamais hésité à dire que j’étais le ministre des professeurs. Je suis d’ailleurs aussi le ministre des personnels non-enseignants, qu’il ne faut jamais oublier.

L’École de la confiance est une école qui rend son prestige à cette fonction, non seulement par les éléments matériels qui doivent aller avec la fonction professorale mais aussi par tout ce qui fait la vie professionnelle du professeur et donc des élèves. Je veux bien sûr parler de la vie scolaire : un environnement serein et un environnement qui garantit le prestige de la fonction la plus importante qui soit dans une société. Nous devons réussir cette République des professeurs, non par un quelconque effet nostalgique de ce qu’a été la Troisième République, qui parfois se définissait ainsi, mais tout simplement parce que, dans le monde de demain, la transmission des savoirs, loin d’être un enjeu obsolète, sera l’enjeu majeur.

S’agissant des évolutions professionnelles futures, on entend souvent dire que la moitié des métiers vont disparaître tandis que d’autres métiers, dont la plupart ne sont même pas prévisibles, naîtront. C’est probablement exact et c’est un fait dont nous devons prendre la pleine mesure. Mais j’ai une certitude, une conviction, c’est que, dans ce contexte, la fonction de professeur fera partie de ces métiers qui, loin de disparaître, deviendront encore plus nécessaires.

Évoquant, en commençant, un monde de plus en plus technologique et, en même temps, de plus en plus humain, je parlais du défi qui a trait au couple homme-machine. En effet, nous avons le devoir d’assurer la capacité de l’homme à maîtriser la machine si nous voulons éviter que le processus inverse ne s’enclenche. Dans ce contexte, nous avons évidemment besoin du professeur. Le professeur ne disparaîtra pas au profit de l’ordinateur ; le professeur ne disparaîtra pas au profit des cours à distance ; le professeur ne disparaîtra pas au profit des robots. Certes, toutes ces réalités vont avancer de plus en plus dans l’École. Il y aura des robots – et c’est une bonne chose. Il y aura, il y a déjà des cours à distance – et c’est une bonne chose. Il y a et il y aura de l’interaction numérique – c’est une très bonne chose. Il y aura de l’intelligence artificielle, de l’usage de grandes quantités de données. Mais plus ces possibilités se développeront, plus on aura besoin d’humanités, plus on aura besoin de lieux pour incarner la transmission des savoirs, plus on aura besoin d’interprétation, de recul, de mise en perspective, plus on aura besoin de culture générale.

Autrement dit, l’utopie illusoire consistant à penser que tous les savoirs sont disponibles grâce à Internet, ce qui dispenserait de transmettre ces savoirs, est une idée fausse. Tout au contraire, plus les savoirs sont disponibles, plus on a besoin de professeurs qui permettent de les mettre dans le bon ordre, de les mettre en perspective et d’en faire le meilleur usage.

Nous vivons donc bel et bien un moment exaltant pour les idées républicaines car elles se précisent, s’enrichissent et se renforcent aux défis de la modernité. C’est pourquoi, il est si nécessaire à l’École de transmettre les valeurs républicaines.

C’est bien sûr l’égalité. Je l’ai dit en commençant, je voudrais y insister maintenant. L’action que nous avons pu mener depuis quelques mois est porteuse de messages d’égalité. Le premier d’entre eux aura été la division par deux des effectifs des classes préparatoires dans les réseaux d’éducation prioritaires, qui se poursuivra avec la division par deux des effectifs des classes de CE1 dans ces mêmes réseaux. C’est un message volontariste, un message au service de la transmission des savoirs au bénéfice des plus défavorisés et un message sur la priorité accordée à l’école primaire. Nous en avons décidé à la lumière d’études scientifiques qui montrent que ce taux d’encadrement exceptionnel a un impact sur ces élèves de milieux défavorisés qui représentent la grande majorité des élèves que l’on retrouve en grande difficulté à la fin de l’école primaire. Il s’agit donc, d’une certaine façon, de traiter les problèmes à la racine. C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous ferons encore plus avec une politique rénovée de l’école maternelle, avec une politique de l’accès à la culture renforcée. Ce matin même j’étais avec la ministre de la Culture dans un collège du 13ème arrondissement de Paris pour lancer notre « plan chorale » qui vise à assurer une systématicité des chorales tant à l’école primaire qu’au collège, de façon à ce que l’entrée par la musique soit aussi une entrée vers le langage et vers la culture générale dont nos élèves ont besoin. Nous avons voulu faire de cette mesure la pointe avancée d’une politique de l’école primaire.

Au collège, une première mesure a, elle aussi, donné le « la » : c’est la mesure intitulée « Devoirs faits » qui a permis de dépasser un clivage stérile entre ceux qui promeuvent les devoirs et ceux qui, avec raison aussi, craignent une accentuation des inégalités parce que tous les élèves ne bénéficient pas des mêmes conditions familiales pour les accomplir. La seule manière de résoudre la contradiction est de permettre que les devoirs puissent être faits gratuitement à l’école, dans les collèges, avec l’aide d’un véritable soutien scolaire. C’est ce que nous avons réalisé depuis la rentrée des vacances de la Toussaint dans les 7100 collèges de France.

Ce principe d’égalité est aussi ce qui nous a amenés à relancer la politique des internats qui a accompagné l’essor de l’École républicaine. Bien des enfants de paysans n’auraient pu faire des études prolongées s’il n’y avait pas eu des internats pour les accueillir. Cela a été consubstantiel à la dimension sociale de l’École de la République ; cela reste une réalité pour des raisons qui ont évolué mais qui demeurent fondamentales : certains élèves ne disposent pas chez eux des conditions pratiques pour bien réussir. Avec les internats de nouvelle génération, nous leur offrons une égalité nouvelle mais aussi une liberté nouvelle car l’accès à la culture, l’accès au sport, l’accès à la nature s’en trouveront renforcés. Cette politique sera aussi l’occasion de renforcer l’attractivité des territoires ruraux parce que nous revitaliserons les internats existants en milieu rural et nous en créerons de nouveaux avec les collectivités locales. Cette politique des internats est donc une politique de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Il ne s’agit pas de viser une uniformité qui n’est jamais souhaitable et qui, souvent artificielle, se traduit dans la vie concrète par une très grande hétérogénéité, mais il s’agit de viser l’égalité véritable qui peut s’atteindre par la liberté, c’est-à-dire par notre capacité à libérer l’énergie des acteurs. Libérer l’énergie des acteurs, c’est par exemple leur permettre de créer des classes bilangues, des sections européennes, des classes de latin-grec telles que nous les avons rétablies à cette rentrée.

Ce sont aussi tous les projets qui permettent aux établissements d’affirmer leur projet éducatif. Évidemment, tout ceci n’a de sens que si les établissements les plus en difficulté bénéficient de moyens supplémentaires qui leur permettent une offre scolaire attractive permettant une véritable mixité sociale.

L’École républicaine est au cœur de la cité et l’on pourrait dire, en est la matrice. C’est pour cette raison qu’elle doit se penser en lien avec les acteurs de la vie sociale et principalement de la vie des élèves, je veux bien sûr parler des parents. En effet, une École de la confiance suppose la confiance des familles dans l’École et de l’École dans la famille. Dans tous les systèmes scolaires, les deux principaux facteurs de réussite sont la formation des professeurs d’une part et le lien famille-école d’autre part. Sur ce deuxième point nous allons progresser en faisant en sorte que les valeurs de l’École soient, dans la mesure du possible, des valeurs partagées par la famille. Il vaut mieux pour un enfant avoir des parents qui ont peu de moyens, peu de passé scolaire, voire qui ne parlent pas la langue du pays, mais qui croient en l’École et lui disent que c’est par là qu’il va s’élever, plutôt que d’avoir des parents qui, dotés des caractéristiques inverses, lui tiennent aussi le discours inverse sur l’École. Cette question de la convergence des désirs et des valeurs entre la famille et l’École est fondamentale. Elle se recrée au travers du dialogue famille-École que nous favoriserons au travers du dispositif appelé « la mallette des parents », véritable boîte à outil destinée aux parents et aux professeurs pour jeter les bases d’un dialogue constructif.

Cette liberté, cette fraternité cette égalité existent dans le respect de la légalité républicaine. En effet, la question du respect d’autrui, que j’ai ajoutée au triptyque « lire-écrire-compter », est une question cruciale. Nous apprenons le respect aux enfants dès leur naissance. Ce respect suppose l’acceptation de règles de la vie en commun. C’est ce que nous devons faire à l’échelle de chaque école, de chaque établissement. C’est pourquoi en arrivant j’ai demandé que les conseils de discipline se réunissent réellement chaque fois que c’est nécessaire et que les règles soient rappelées. Trop souvent notre institution a été conduite, parfois par des malentendus ou de bonnes intentions, à consentir ce qu’on appelle des « accommodements », à développer une fausse bienveillance – en réalité une vraie démagogie – vis-à-vis des élèves. Car lorsque l’on ne fait pas respecter les règles du jeu, les principales victimes sont évidemment les plus faibles. Or, en République, la force doit toujours être du côté du droit.

La concorde, la sérénité et donc la liberté, l’égalité et la fraternité sont les valeurs fondamentales de la République. J’ajoute souvent la laïcité car elle est un trésor commun, une chance. Certains ont été tentés de décrier la laïcité française qui est originale, même si elle n’est pas unique. L’Uruguay par exemple a une conception de la laïcité qui va plus loin que la conception française. D’autres pays s’en inspirent pour répondre aux tensions qui traversent leurs sociétés. La laïcité bien pensée, bien conçue, est un modèle utile dans le monde tel qu’il vient où les populations, donc les religions, les croyances – ou les non croyances – se mêleront, se côtoieront de plus en plus. Nous avons donc besoin d’un modèle de contrat social qui fasse droit à la liberté de conscience de chacun et, en même temps, à la possibilité pour tous de vivre sans subir aucune pression des croyances d’autrui sur les siennes propres.

Cette laïcité, que la Loi de 1905 a instaurée, fonctionne parfaitement lorsqu’elle est bien expliquée et affirmée avec netteté. C’est pourquoi, j’ai annoncé la création d’équipes laïcité dans tous les rectorats pour traiter de ces questions et accompagner les établissements et les professeurs. Sur le sujet de la laïcité, la République doit être debout sur ses deux pieds, calme et sereine mais ferme sur ses principes, de façon à ce que, tout simplement, la loi soit respectée. J’étais, il y a deux jours, dans un lycée du Val de Marne pour, justement, installer l’équipe laïcité de l’académie de Créteil. J’y ai vu une session de travail animée par un très bon professeur d’histoire-géographie avec un groupe d’élèves de Première. Il fut question de la loi de 1905, de ses implications. Ce fut expliqué nettement, pédagogiquement et sereinement. Les élèves étaient très satisfaits car on avait apporté des réponses à leurs questions bien légitimes.

Tous les êtres humains, tous les enfants et adolescents sont en quête de sens, qu’ils aient une foi ou qu’ils n’en aient pas. En tout cas, ils se posent des questions métaphysiques ou des questions politiques. Il est tout à fait normal qu’ils puissent se sentir à l’aise avec ces questions et avoir le sentiment que l’École de la République ne les occulte pas. Il est tout à fait normal aussi que ces sujets soient traités à l’abri d’une règle du jeu qui vise à éviter tout prosélytisme, tout signe ostentatoire, toute pression tendant à imposer à l’autre des règles émanant de ses propres convictions. Cela semble très naturel à tout le monde, y compris aux enfants et aux adolescents, quelles que soient leurs origines et leur famille. C’est donc un véritable pragmatisme qui doit nous conduire à affirmer cette laïcité moderne, cette laïcité sereine, cette laïcité en faveur du bon contrat social, du Bien commun et des libertés.

L’École de la République est donc le substrat de notre contrat social. Elle suppose de concilier ce qui permet à la République d’avancer dialectiquement : la tradition et la modernité, la liberté et la responsabilité, l’effort et le plaisir, l’exigence et la bienveillance, une certaine vaillance et une certaine concentration, en somme, tous ces éléments qui sont présents dans la vie scolaire et que, parfois, on cherche à opposer alors qu’ils vont ensemble. C’est cela l’École de la République. C’est ce que nous devons transmettre à nos élèves.

Cela fait-il du projet républicain un projet moderne ? Ma réponse est oui.
Cela fait-il du projet républicain un projet qui dépasse nos propres vies individuelles ? Ma réponse est oui.
S’agit-il d’un projet d’adhésion, d’un projet qui fait envie, qui permet de satisfaire le besoin d’aller au-delà de soi-même, que tout enfant et tout adolescent éprouve ? Ma réponse est oui.

Le « Serment des Horaces », tableau peint par David en 1785, montre des combattants qui sacrifient leur intérêt personnel, leurs attaches familiales, pour défendre le Bien commun. Il y a dans cette scène quelque chose du message révolutionnaire français, de sa façon de revisiter l’histoire grecque et latine. C’est un message qui ne vieillit pas car, comme l’ont dit nos grands prédécesseurs, la France n’est elle-même que quand elle cherche à se dépasser, quand elle va au-delà d’elle-même.

Ce qui est vrai pour la France est vrai pour chacun de ses citoyens. Nous éprouvons tous le besoin d’aller au-delà de nous-mêmes, au-delà de la trivialité de nos vies. Et, à une époque où certain contexte accentue la trivialité, nous avons besoin de pousser l’idéal de nos enfants. Ils nous en seront reconnaissants. En leur transmettant les savoirs fondamentaux et la culture générale, nous leur donnons le plus précieux des trésors, qui vaut tous les dépassements.

Je vous remercie.

Jean-Pierre Chevènement
Monsieur le ministre, l’accueil qui vous est fait témoigne de la parfaite adhésion que suscitent vos propos dans notre fondation et ce qu’elle représente, la mouvance républicaine qu’elle agrège autour d’elle.

Au-delà de vos propos, ces applaudissements saluent votre action, telle que vous la menez depuis six mois, avec brio, cohérence et force, faisant à chaque occasion les rappels nécessaires pour que la République trouve dans son École le principe même de sa régénération.
Nous sommes très attachés à la notion d’intégration, à l’intégration de tous à la communauté des citoyens. Dans cette optique, la mesure que vous avez décidée : le dédoublement des grandes sections de maternelle, des cours préparatoires (CP) – et bientôt des CE1 – dans les réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP +) et, bientôt, dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP), va tout à fait au cœur des choses.

C’est aussi le cas des autres mesures que vous avez évoquées. Nous pourrions parler très longtemps de toutes ces questions car nous y sommes très attachés, nous y revenons très souvent. Nous parlons aussi du récit national sans lequel il n’est pas de démos solide qui puisse constituer la base même de la République.

Nous sommes très conscients de l’effort que vous faites et, je le dis pour ce qui me concerne, nous sommes très désireux d’avoir la démarche la plus constructive possible, la plus efficace du point de vue du soutien dont vous avez besoin dans toute la population, dans toutes les sensibilités politiques, de la part des parents, vous l’avez dit, et de la part des professeurs dont il faut revaloriser le statut et la considération dont ils bénéficient.
En tout cas, j’ose vous remercier au nom de toute l’assistance des propos que vous venez de tenir. Sachez que nous suivons votre action avec beaucoup d’attention, beaucoup de sympathie.

Merci, Monsieur le ministre.

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Le cahier imprimé du colloque « Le moment républicain en France ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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