Le Lycée Le Corbusier à l’école de l’enquête
Intervention de Catherine Robert, professeur de philosophie au lycée Le Corbusier, initiatrice et membre de l’« Anthropologie pour tous », au colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » du 27 novembre 2017.
1. Le lycée Le Corbusier en chiffres.
En 2017, 89 % des élèves passant le baccalauréat au lycée Le Corbusier l’ont obtenu (la moyenne nationale est de 87,9 %). La situation est inattendue dans la mesure où les indicateurs sociaux laissent espérer un taux moins élevé. Deux traits caractérisent cette population scolaire : d’abord l’immense diversité des origines géographiques (11% des élèves sont nés de deux parents eux-mêmes nés en France, quand les parents des autres lycéens viennent d’au moins soixante-douze pays différents, et même davantage si l’on tient compte des pays d’origine du père, de la mère et des quatre grands-parents) ; ensuite, l’homogénéité sociale fait que la modestie, sinon la précarité, constituent le décor social du lycée. En 2015 (dernières statistiques académiques à disposition), 49,8 % des élèves étaient issus de familles de catégories sociales défavorisées et seulement 13,7 % de familles de catégories sociales favorisées.
La population d’Aubervilliers, très mouvante et très mêlée, a évolué au fil du temps : présence de l’immigration espagnole dans le quartier de la Petite Espagne, immigration nord-africaine, puis immigration chinoise depuis que le secteur de vente en gros du sud de la ville constitue la plus grande zone d’import-export d’Europe, immigration kurde du refuge politique, etc. Un recensement effectué sur les inscrits au lycée en 2010-2011 à partir des noms des élèves compte environ 80 % de noms à consonance étrangère, contre 20 % à consonance française. De même, les territoires dont proviennent les élèves inscrits en 2016 au projet Thélème ou leurs parents, sont, par ordre alphabétique : Algérie, Bangladesh, Brésil, Bulgarie, Cambodge, Cameroun, Chine (surtout du sud-ouest, région de Wenzhou), Comores, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Égypte, France, Guyane, Haïti, Île Maurice, Inde, Jordanie, Kazakhstan, Kurdistan, Madagascar, Mali, Maroc, Martinique-Guadeloupe, Mayotte, Pakistan, Palestine, Portugal, Réunion, Roumanie, Russie, Sénégal, Serbie, Soudan, Sri Lanka, Syrie, Tunisie, Turquie. Cette liste est à peu près la même lorsque l’on demande, en 2017, quels sont les pays où vit la famille proche des élèves.
Cette pluralité des origines géographiques engendre une immense diversité culturelle au sein de notre établissement, laquelle se traduit aussi par une grande diversité des croyances et des représentations. On ne saurait la réduire à une conception unifiée. Les cultes chinois sont polythéistes ou panthéistes. Le taoïsme, le bouddhisme, le culte des ancêtres, le confucianisme sont autant de formes de croyance possibles pour les élèves d’origine chinoise. Ajoutons à cela des athées, des agnostiques, des représentants de l’hindouisme, des coptes orthodoxes, des Ethiopiens orthodoxes, des protestants évangélistes, des pratiquants du Vaudou, des Témoins de Jéhovah, des adeptes du kémitisme panafricain, des juifs, des chrétiens, des alévis, des animistes, etc.
Cette liste, qui ne saurait être exhaustive (la loi française interdit de relever ces données), oblige néanmoins à rompre avec la représentation dominante qui fait de l’islam la référence religieuse unique en banlieue, à supposer d’ailleurs que l’islam soit un système unifié de pratiques, ce qui n’est absolument pas le cas. Là encore, les élèves l’illustrent : rien de commun entre l’islam de Mayotte, celui des Pakistanais, celui des descendants des paysannes des Aurès qui racontent le pouvoir des djinns à leurs petits-enfants, celui des Maliens, etc. Cette situation diffère profondément du contexte de la Troisième République, où existait, en France, quasi exclusivement une seule religion dominante (et particulièrement active dans le champ scolaire), le catholicisme. L’État ne se trouve plus aujourd’hui face à une seule religion, mais à plusieurs ; de plus, il n’a pas seulement à composer avec des religions, mais aussi avec des systèmes de représentations qui ne sont pas religieux et tiennent parfois les récits messianiques, la linéarité eschatologique et la conception occidentale de l’Histoire pour des délires plaisants.
Le lycée Le Corbusier n’est pas une exception. Une grande enquête réalisée par l’Insee et l’Ined sur les trajectoires et les origines des personnes venues en France au fil des sept grandes vagues d’émigration de la seconde moitié du vingtième siècle (enquête TeO) montre que près d’un tiers de la population française est aujourd’hui issue d’une immigration, soit de première, soit de seconde génération. Cette proportion augmente considérablement (beaucoup plus de la moitié) si l’on prend en compte les immigrations des grands-parents et ascendants : Italiens, Polonais, Espagnols, Russes, etc.
Conséquence de la diversité des origines géographiques, la situation linguistique des élèves est particulière. Lors d’une enquête menée en 2016, 24 % des répondants déclarent parler à la maison le français et le français seulement, 48 % déclarent parler le français et d’autres langues, 28 % déclarent parler d’autres langues sans mentionner le français. Concernant les langues parlées par les grands-parents, les écarts se creusent : le français seulement, 8 % ; le français et d’autres langues, 20 % ; d’autres langues que le français, 72 %. Les bilinguismes les plus fréquents – hors langues enseignées au lycée – sont franco-arabe et franco-chinois. En outre, pour l’ensemble des langues déclarées, plus d’un quart des élèves parle des langues non-indo-européennes : certains élèves parlent des langues sans distinction de genre, d’autres avec deux trois, cinq, six, sept, onze, voire douze genres. La proportion des élèves parlant différents types de langues en fonction de l’ordre SVO (Sujet, Verbe, Objet) est la suivante : SVO 77 %, VSO 12 %, SOV 10 %. Au moins douze systèmes d’écriture sont attestés pour les langues représentées (latin, arabe, han, tamoul, tifinagh, devanagari, cyrillique, khmer, bengali, grec, balinais, thaï).
2. De l’observation à la réflexion.
Ces observations entraînent quelques pistes de réflexion. L’apprentissage du français gagnerait au comparatisme. Ainsi, le féminin est généralement marqué par un E final en français, alors qu’il est en T initial et final en berbère. Réexpliquer les règles de morphologie permettrait peut-être aux élèves d’en saisir le caractère relatif, et de moins considérer la règle comme un dogme arbitraire. Par ailleurs, comprendre le lien entre les mots et les représentations est indispensable autant pour les élèves que pour les enseignants. La complexité de la désignation des genres, la subtilité des manières de dire l’être, etc. constituent autant d’obstacles épistémologiques à élucider pour une présentation plus claire de ce qui peut apparaître comme une évidence à un enseignant locuteur français, familier des catégories intellectuelles et conceptuelles propres à la culture occidentale. Il est impératif d’insister sur l’apprentissage du lexique (davantage à cause de l’origine sociale plutôt que culturelle des élèves). Si la langue parlée à la maison n’est pas le français, dans la majorité des cas, elle est une langue dont le lexique est celui du quotidien, peu encline à l’abstraction et à la richesse du vocabulaire savant.
3. De la réflexion à la pratique.
Ajouter du lexique est nécessaire mais pas suffisant. Il est évident que les enfants doivent savoir lire, écrire et compter. Mais faire cours en français n’est pas seulement faire des cours de français. La notion de maîtrise de la langue est extrêmement confuse. Sa mesure est très difficile. Pour déterminer le niveau de maîtrise des élèves en français ou d’autres langues, il faudrait connaître précisément le lexique qu’ils y possèdent et pouvoir mesurer leur capacité à tenir une conversation simple, lire le journal, comprendre les dialogues d’un film, suivre un cours, etc. Le nombre de mots en français est de l’ordre du million si on compte toutes les formes conjuguées ou accordées ainsi que les variantes orthographiques. En éliminant ces redondances, on tombe à quelques centaines de milliers de mots, dont beaucoup sont archaïques ou très techniques. Le Grand Robert de la langue française affirme comporter 100 000 entrées sur son site officiel. En se concentrant sur les termes les plus courants, on tourne autour de plusieurs dizaines de milliers. Mais, en français, quelques centaines de mots suffisent pour s’exprimer (le Journal en français facile, diffusé sur RFI, fait usage de 300 mots pour éclairer l’actualité). La plupart des Français utiliseraient environ 5 000 mots dans leur vie quotidienne, dont 600 de manière très récurrente. Environ 10 % de la population française compose avec un vocabulaire courant d’environ 500 mots.
Les notes qu’obtiennent les élèves du lycée Le Corbusier aux épreuves orales et écrites de français, à l’issue de la classe de première, ne marquent pas d’écart par rapport aux moyennes du département et de l’académie. Cela dit, l’homogénéité sociale des élèves du lycée Le Corbusier, qui appartiennent quasi tous à des milieux populaires, incline à considérer leur rapport à la langue selon la distinction posée par Bernard Lahire entre le rapport « scriptural-scolaire » et le rapport « oral-pratique » au langage. La pédagogie repose sur une objectivation écrite des savoirs et suppose la maîtrise d’un rapport métalinguistique à la production du sens. L’écriture et la grammaire, remarque Bernard Lahire, « sont au centre de la constitution historique d’un rapport plus distancé au langage ». Voilà le rapport au langage qu’il faut tâcher d’élucider et de maîtriser avant d’en venir à l’apprentissage des listes de vocabulaire.
Il s’agit donc de prendre la langue comme objet. Exploiter la plasticité linguistique des élèves et les connaissances, même partielles, qu’ils possèdent autrement qu’en français, pourrait être le moyen de renforcer leur maîtrise de la langue en renforçant leur usage objectif du langage. Si la langue peut être prise comme objet, et pas seulement comme outil, il en va de même pour la culture, autant dans le domaine scientifique que dans celui des humanités. Il faudrait donc que tous (enseignants et élèves) apprennent ce qu’il en est du rapport scriptural-scolaire au savoir, et se l’approprient : il est très difficile, voire impossible, quand on est familier d’un seul de ces types de rapport à la langue, et plus généralement à la culture, de deviner seul qu’il en existe un autre.
Pour ce faire, il faut nécessairement en passer par l’anthropologie sociale (comme méthode et pas seulement comme but). Comme La Main à la pâte dans le domaine des sciences et des technologies, L’Anthropologie pour tous propose un laboratoire d’initiation aux sciences humaines. Cela permet de comprendre ce qui fonde les représentations et les comportements, qui, bien souvent, relèvent d’invariants communs sous une apparente diversité.
Tout travail en groupe suppose solidarité, écoute et attention à l’autre. Le travail d’enquête auquel s’emploie le projet Thélème (atelier culturel hebdomadaire) correspond à ce que nous savons être pédagogiquement profitable, et pourrait être mené dans n’importe quel établissement scolaire. Il réunit des enquêteurs qui ignorent a priori les caractéristiques de leur objet. Élèves, enseignants et savants qui participent à l’enquête n’ont évidemment pas tous les mêmes connaissances théoriques, et le savoir des uns éclaire les autres. Tous les élèves, quelles que soient leurs performances académiques, sont donc sollicités pour faire preuve d’intelligence, et tous en sont capables. Égalité et modestie sont de mise au cours des phases d’élaboration d’un questionnaire, puisque tous les participants ignorent les futurs résultats de l’enquête. Le rapport magistral habituel est ainsi réaménagé. On cherche ensemble, parce que personne ne pourra trouver tout seul, pas même le professeur ni le sociologue ou l’anthropologue. Parce que la théorie est utile à l’analyse, on apprend quand on a besoin du savoir pour comprendre des situations concrètes. Une littérature scientifique existe sur les objets d’étude choisis : sa découverte et sa lecture deviennent nécessaire quand elle permet de répondre aux questions qu’on se pose ensemble. Le professeur peut alors indiquer des pistes bibliographiques : les élèves se découvrent lecteurs des travaux de sciences sociales qui ont traité avant eux de leur objet d’enquête. Plus généralement, ils éprouvent la nécessité d’ouvrir des livres et développent le goût de l’étude. Pour être efficace, le questionnaire doit être réalisé avec les pairs des enquêtés : il faut trouver le vocabulaire adéquat et trouver les bonnes questions, ce que seul un travail collectif permet de faire.
S’intéresser, entre autres, aux représentations des cultures d’origine des élèves rompt avec cette hiérarchie des normes et renouvelle les perspectives d’apprentissage. Cette démarche est souvent mal comprise : il ne s’agit pas d’offrir les élèves en sacrifice aux fantasmagories identitaires. Les cultures d’origine sont intéressantes en elles-mêmes, pour les élèves autant que pour leurs professeurs qui bien souvent les ignorent. Et si elles intéressent les professeurs, ce n’est pas seulement parce que leur connaissance aurait des vertus psychologiques ou empathiques. Demander aux élèves de raconter les histoires et les mythes que rapportent leurs aïeux a un intérêt d’abord et avant tout scientifique : les grands-parents et les parents savent des choses qu’on ne pourrait pas connaître sans les interroger. Il ne s’agit pas d’enquêter pour panser, il s’agit d’enquêter pour penser. Le projet intellectuel des sciences sociales n’est pas de transformer les représentations en drapeau communautaire. De même que l’Histoire ne vise pas à constituer le mémorial du pathos, l’enquête anthropologique et sociologique n’a pas pour but la revendication d’une identité exclusive. Elle vise plutôt à établir combien ces identités sont plurielles, diverses et hétérogènes. Les jeunes ayant grandi en banlieue empruntent des éléments parfois disparates pour se « bricoler » une identité mouvante, comme l’est celle de tout être social. Et il y a fort à parier qu’il en va à Guéret comme à Aubervilliers… Les sciences sociales constituent, pour tous et pour chacun, un outil stratégique permettant de progresser en se réappropriant le monde à sa manière, dans le respect de l’autre, en comprenant ce qui fonde ses représentations et ses comportements, et en trouvant bien souvent du commun derrière la diversité. Comme dans un organisme vivant, les composantes du corps social peuvent être de nature différente : cela ne les empêche pas de fonctionner ensemble.
4. L’anthropologie pour tous.
La prise de conscience du rapport que chacun entretient au savoir ne peut être opérée que par lui-même. Il ne s’agit pas de faire des cours de sociologie en plus mais de faire des enquêtes ensemble. S’emparer des représentations comme objets étudiables : voilà ce que font les sciences humaines et voilà pourquoi elles sont les outils indispensables d’une mise à distance critique. On ne peut pas considérer le savoir autrement qu’on a l’habitude de le faire, tant qu’on n’a pas compris que d’autres manières de le considérer sont possibles. Pareillement, on peine à enseigner à ceux qui ne considèrent pas le savoir comme on a soi-même l’habitude de le faire, tant qu’on n’a pas compris que leur manière de le considérer est autre, mais pas nécessairement hostile.
Nous empruntons à Barbara Cassin ses analyses sur le « géométral des différences », les « intraduisibles du patrimoine » et la nécessité d’une « déterritorialisation » que l’on peut appliquer à l’enseignement des cultures : « c’est depuis ailleurs que l’on voit sa langue, sa culture, comme une, entre autres, et non comme le vecteur de l’universel – il faut au moins deux langues pour savoir qu’on en parle une. Du coup, son horizon est un relativisme conséquent, non pas subjectiviste (…), ni communautariste (avec menace de replis identitaires) ». Chaque culture, y compris la culture scolaire, qui bien souvent s’autoproclame « culture générale », tire toujours bénéfice de la rencontre avec un autre système de représentations.
Tous les éléments de la culture scolaire pourraient être présentés comme des objets relevant d’un système particulier, intéressant en soi, mais incapable de valoir universellement. Une visite au Louvre, dès lors, n’est plus le pèlerinage dans le temple qui regroupe ce qu’il faut connaître pour être cultivé, mais une aventure exploratoire, qui permet d’aller de monde en monde, des Antiques aux peintres de la Renaissance italienne, des collections des maîtres du Nord à celles de l’Égypte pharaonique. On découvre à chaque fois des cultures, des ontologies, des façons de considérer le monde et l’homme, et l’on se fait anthropologue, comme on peut aussi le devenir en circulant entre toutes les théories créées pour rendre compte de la condition humaine. Cela suppose évidemment de former les enseignants à l’épistémologie de la discipline qu’ils enseignent (ce qui est encore trop rare). Cette démarche est intellectuellement plus profitable que de considérer que certaines intelligences demeurent incapables d’investir tel ou tel domaine, au prétexte qu’elles n’y sont pas destinées.
Soucieux de familiariser les élèves avec les éléments d’un capital culturel qu’ils savent socialement discriminant, les enseignants – toujours bienveillants – mènent les élèves vers les œuvres en les présentant comme esthétiquement et socialement légitimes. Si cette légitimité est présentée de façon dogmatique, elle risque d’humilier ceux qui ne connaissaient pas ces œuvres et pensent se le voir reprocher. Notre propos n’est pas de disqualifier la culture classique mais de dépasser le rapport de domination dans lequel elle s’inscrit habituellement. Considérer tout objet intellectuel ou culturel comme objet d’enquête possible ouvre la curiosité à tous les systèmes de représentation, à ceux dont les élèves ont l’habitude comme à ceux auxquels ils sont étrangers.
Ce « relativisme conséquent » évite les égarements de la sectorisation des enseignements, autant que ceux du sectarisme des valeurs. Il est un universel méthodique qui n’entre pas en conflit avec les valeurs de l’École républicaine. S’intéresser aux différences et les connaître n’interdit pas que l’on discute de la meilleure façon de vivre ensemble, sans pour autant imposer une manière d’être plutôt qu’une autre, ou confondre le particulier avec l’universel. L’explication ne fonde pas l’excuse. Le comparatisme informé et antidogmatique n’est pas un relativisme culturel, encore moins le ferment multiculturel de la juxtaposition des ghettos. Certains usages, même si on les comprend, ne sauraient être permis dans le cadre d’une société fondée sur des principes de vie commune. La fermeté sur les principes républicains demeure indéfectible.
Quitter le point de vue limité que nous avons du monde dans lequel nous vivons, apprendre le travail citoyen d’écoute de l’autre, de délibération, de réflexion et d’esprit critique, conditionne mais ne remplace pas la réflexion sur le vivre-ensemble. À chaque fois, il s’agit d’aller de la pratique à la théorie qui l’éclaire. Bien des ignorances tombent alors, et avec elles, bien des incompréhensions. On peut débattre à l’infini sur la comparaison entre les pratiques, mais on peut réussir à faire cesser le conflit quand on élucide les raisons de ces pratiques. De même que l’on pourrait débattre à l’infini sur les différences entre les croyances, que seule la raison permet d’exposer sereinement. Les comparer permet de les replacer dans le statut d’adhésion qui est le leur : improuvable mais explicable.
Pour ces raisons, aborder l’immense variété du répertoire des mythes (c’est-à-dire des manières dont l’humanité représente et explique le monde et la condition humaine) est la seule manière de rendre effectif un enseignement laïque des cultures. Choisir, comme proposé par les programmes, d’enseigner le « fait religieux » reviendrait au contraire à réduire la diversité mythologique aux seuls trois monothéismes, en ignorant, du fait d’un ethnocentrisme dommageable, que toute explication mythique n’est pas nécessairement religieuse. Si la République française « respecte toutes les croyances », comme l’indique l’article premier de sa Constitution, il est évident qu’elle ne peut pas réduire l’enseignement de ces croyances à celui des trois monothéismes. Comment décemment admettre que l’enseignement du « fait religieux » puisse rendre compte de la diversité culturelle, notamment pour les cultures dans lesquelles la religion n’est pas un fait ? Croire que les hommes ne croient pas, au prétexte qu’ils n’ont pas de religion, serait commettre une erreur intellectuelle en même temps qu’une faute morale fondée sur le mépris et la méconnaissance. L’exploration de la terra incognita culturelle suppose des explorateurs sans œillères…
Aborder les mythes en adoptant la position comparatiste, ni subjectiviste, ni communautariste, est la condition sine qua non d’une laïcité en acte. Sa conséquence est une tolérance identitaire : comment admettre en effet qu’on puisse construire une identité universelle sur une seule interprétation du monde ? Nos élèves le savent, puisqu’ils croisent des cultures et des identités différentes en leurs représentations et leurs actions ; et tous gagneraient à l’apprendre : c’est depuis l’autre qu’on se connaît mieux soi-même. L’intégration républicaine est donc possible par deux biais : la solidarité, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un véritable travail collectif, et le dialogue né du comparatisme anthropologique [1].
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[1] Pour plus d’informations, voir www.anthropologiepourtous.com ainsi que les Carnets et Analytiques de L’Anthropologie pour tous, à retrouver sur le site.
Le cahier imprimé du colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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