École et transcendance : liberté, égalité, fraternité, laïcité

Intervention d’Édouard Geffray, maître des requêtes au Conseil d’État, ex secrétaire général de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), directeur général des Ressources humaines aux ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, au colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » du 27 novembre 2017.

Je suis heureux de m’exprimer parmi vous en tant que serviteur de l’État. C’est par la voie des concours que je suis devenu maître des requêtes au Conseil d’État et je vis depuis quarante ans en banlieue parisienne. En tant que serviteur de l’État, je crois à l’École républicaine, je sais ce qu’on lui doit et je crois au projet d’intégration républicaine qui a été fort bien décrit par tous les orateurs.

Je me contenterai d’en faire la synthèse en présentant ce projet comme l’expérience quotidienne de la construction d’une destinée partagée. Cette construction est un défi précisément parce qu’elle est une expérience quotidienne et qu’à chaque génération, au gré des circonstances, des environnements, des évolutions de population, on découvre des fragilités éventuelles mais aussi et surtout des espaces de respiration nouveaux. Elle apparaît ainsi comme un projet constamment réactualisé, dans la fidélité à des valeurs atemporelles.

L’École est au cœur de ce projet d’intégration républicaine.

D’abord parce qu’elle est indissociable de l’histoire de la République en cela qu’elle institue le contrat social (Natacha Polony disait justement que l’École est une institution). J’appréciais le mot « instituteur », non par une pseudo-nostalgie, mais parce que, sémantiquement, il exprimait parfaitement cette fonction consistant à « instituer » les savoirs, les personnes et une certaine relation à l’autre qui définit notre contrat social.

Outre le fait qu’elle institue, l’École est un lieu où se vit effectivement l’expérience du creuset et de l’intégration.

C’est la raison pour laquelle le projet républicain est fondamentalement transcendant. La transcendance est en effet le dépassement de soi. Or le projet républicain propose un double dépassement de soi : le dépassement de soi par l’individu et le dépassement d’elle-même d’une société, d’une collectivité qui accepte, sans les renier, de considérer comme seconds ses autres critères de définition, de division, d’identification, au bénéfice d’un critère premier qui est la volonté d’avoir une destinée partagée avec un autre dont on est par ailleurs potentiellement extrêmement différent.

C’est à ce dépassement de soi que forme l’École.

Elle forme un individu autonome, en capacité d’accéder à la liberté.

Elle forme des individus qui vont détenir une égale part de souveraineté. C’est ce qu’on appelle l’égalité.

Et elle leur fait vivre, par le biais des « classes » correspondant à des classes d’âge, cet embryon de la fraternité qu’est la camaraderie.

Tout cela est possible parce qu’il y a, notamment, un dénominateur commun, la laïcité. Bien qu’elle soit aujourd’hui souvent mal comprise, la laïcité est simplement le refus d’assujettissement du politique au religieux et du religieux au politique.

Chacun connaît ses conséquences juridiques mais il n’est pas mauvais de les rappeler :

La première est la neutralité de l’État à l’égard des cultes ; la seconde est l’interdiction faite à quiconque d’opposer une norme religieuse pour se dédouaner ou fragiliser la norme civile. Le contrat est clair et doit être clairement expliqué, notamment aux jeunes gens. Et, pour avoir accessoirement travaillé dans l’égalité des chances, je peux témoigner que des étoiles s’allument dans les yeux de ceux qui vous écoutent, quelle que soit leur confession, quand vous leur dites que :

1°) La laïcité est un principe de liberté dont l’objet est de garantir la liberté individuelle, c’est-à-dire la liberté de croire, de ne pas croire et de changer de religion. Il ne s’agit pas de s’opposer à la croyance, il s’agit de la rendre pleinement possible, et libre, sans interférence de l’État et dans le respect de celle d’autrui.

2°) La laïcité est un principe d’inclusion qui garantit à chacun que, dans son rapport avec l’État, jamais sa confession ne sera regardée comme majoritaire ou minoritaire, « bonne » ou « mauvaise », elle sera tout simplement « non regardée ». C’est ce qu’exige le principe de neutralité.

3°) La laïcité est un principe de respect qui justifie que soit interdit à l’École le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Pourquoi ? Parce que l’École accueille des enfants mineurs, c’est-à-dire des êtres en construction. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dit d’ailleurs clairement que la transmission de la foi ou de l’absence de foi, donc d’une relation à un certain absolu divin – qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas – relève principalement de la sphère familiale. C’est d’abord cette transmission que respecte l’École. Elle crée ainsi les conditions du respect de ce rapport personnel à une transcendance et ouvre en même temps une autre transcendance, civile celle-là, non pas concurrente mais qui fonde le respect de la transcendance religieuse. Vous le voyez, la liberté, l’égalité et la fraternité impliquent et sont en même temps reprises par le principe de laïcité.

Quand on est animé par la conviction que suppose ce projet d’intégration républicaine, on comprend l’extraordinaire modernité de la République dans une société de plus en plus plurielle.

C’est pourquoi je ne fais pas partie des gens qui s’auto-flagellent en permanence sur le thème : « C’en est fini de l’intégration ! On ne sait plus faire !… ». Bien sûr qu’on sait faire ! Et je peux vous garantir que je sais de quoi je parle : j’habite à deux kilomètres de Sarcelles depuis trente-neuf ans et mes enfants vont à l’école dans la ville où j’étais moi-même scolarisé. Le paysage a changé, la diversité s’est accrue. Mais peut-on en conclure que l’École républicaine n’intégrerait plus ? Bien sûr que non. En revanche, la société et son École doivent verbaliser de nouveau, positivement et sereinement, les valeurs et les termes de notre contrat social. Le problème est qu’aujourd’hui tout cela est parfois relégué dans un vague imaginaire implicite. Or le projet républicain n’est pas un projet implicite. C’est un projet volontariste, ouvert, fondé sur des valeurs partagées, et qui doit donc s’exprimer !

À cet égard, en tant que DGRH de l’Education nationale, je crois que nous avons aujourd’hui un enjeu majeur avec la formation des enseignants. On entend déplorer une contraction des viviers, qui serait aggravée par la difficulté de la masterisation… Or l’Education nationale attire aujourd’hui plus 150 000 candidats par an, soit une personne sur sept dans une génération (800 000 personnes) ! Je ne connais pas d’autre métier qui attire aujourd’hui une personne sur sept de chaque génération.

Pourquoi un tel attrait ? Nos enseignants aspirent à rejoindre l’École parce qu’ils croient à son sens, à ses missions, à ses valeurs. Ils veulent profondément transmettre, promouvoir et former des jeunes, en construisant leur autonomie et leur esprit critique. Ils arrivent empreints de cet imaginaire collectif implicite dont je parlais. Mais ils ne sont pas toujours formés à l’expliciter. Il est donc impératif, par une formation adaptée, de renforcer leur capacité à s’imprégner du modèle républicain, à le verbaliser et à le porter au quotidien. De même que le français n’est pas l’affaire du seul professeur de Lettres, il n’y a pas un professeur de projet républicain. Il y a des figures républicaines auxquelles nous avons tous cru. Je pense, disant cela, à certains de mes professeurs qui, sans forcément parler de la République, l’incarnaient ! Encore faut-il, pour incarner la République, savoir de temps en temps la verbaliser et être en capacité de répondre à ses éventuelles mises en cause.

Natacha Polony citait le cas d’une enseignante qui, au lendemain des attentats de Charlie hebdo, à une question sur le projet de « charte de la laïcité », répondait qu’elle ne voyait pas très bien comment elle pourrait enseigner la laïcité à ses élèves parce qu’elle-même « ne voyait pas ce que c’était ». Ceci illustre la nécessité de donner à chacun, quelle que soit sa discipline, le « bagage », historique notamment, qui lui permette de comprendre, connaître, et expliquer les valeurs de la République. C’est la condition de notre capacité collective à faire vivre ce projet qu’on appelle la République, qui respecte les convictions de chacun de ses enfants, et qui n’en laisse aucun sur le bord du chemin. Nos enseignants y croient, c’est le projet qu’ils servent, ce sont ces valeurs que nous voulons leur donner les moyens d’expliquer et de transmettre.

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Le cahier imprimé du colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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