Débat de clôture de la première table ronde lors du colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » du 27 novembre 2017.

Dans la salle
Vos interventions, toutes passionnantes, donnent à voir l’affrontement entre deux visions du modèle républicain, d’une part celle de M. Thibaud et de Mme Robert, d’autre part celle de Mme Polony, de M. Chevènement et peut-être un peu de M. Chanet qui était un peu plus théorique.

Quand on parle de « modèle républicain », il faut préciser qu’il est question du modèle républicain français. Si on parle de modèle républicain tout court, ce que disent M. Thibaud et Mme Robert est assez cohérent. Mais dans cette vision le modèle français devient un parmi d’autres, c’est-à-dire qu’on se rapproche de la vision d’un vivre ensemble à l’américaine.

Ma question concerne le modèle français : Mme Polony parlait de transmettre un vieux monde aux enfants. Mais ne faut-il pas que les enfants soient déjà préparés à aimer ce monde ? L’École n’arrive-t-elle pas un peu trop tard ? Ne faut-il pas que les enfants soient déjà préparés à voir ce monde comme nous aimerions qu’ils le voient, à entendre dans les discours des professeurs, même formés comme vous le souhaiteriez, ce qu’on aimerait qu’ils entendent ? Ne serait-ce pas le rôle de la famille, de la société, de quelque chose qui viendrait avant l’École ?

Catherine Robert
Je ne crois pas qu’enseigner consiste à imposer aux élèves une certaine vision du monde mais plutôt à leur apprendre à regarder.

Dans la salle
Enseigner, transmettre un savoir et former des citoyens républicains français, ce n’est peut-être pas tout à fait le même chose. Il y a des gens qui connaissent par cœur l’histoire de France et citent Rimbaud et qui détestent ce pays, qui préfèrent vivre aux États-Unis, tandis que de simples ouvriers ou des agriculteurs sont profondément français, très attachés à la langue, au patrimoine et même à une histoire qu’ils connaissent comme un roman national très vague sans maîtriser précisément les dates ni tous les détails de cette histoire.

Catherine Robert
Je rappelle que Metternich fut le seul à ne pas commettre de fautes d’orthographe à la dictée de Mérimée [1] …

Jean-Pierre Chevènement
Il faut donc bien transmettre, malgré tout. C’est la fonction essentielle de l’École.

Natacha Polony
Il me semble que différentes choses se mêlent dans votre question.

Le rôle de la famille est essentiel. Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier le rôle de la famille en rapport avec l’École. Vous avez raison, la façon dont la famille va introduire l’enfant dans le monde varie beaucoup. Et il faut en effet une volonté d’ouvrir le regard de l’enfant et, sans lui faire « aimer » ce pays, ne pas lui transmettre les blessures qu’on a pu recevoir soi-même.

Différentes études montrent que la réussite scolaire d’un enfant est déterminée moins par la capacité qu’a sa famille de l’aider que par l’image que les parents ont de l’École et de son rôle. Cela change énormément de choses et il faut en tenir compte.

Le rôle d’un professeur n’est pas d’imposer une vision mais de transmettre d’abord des savoirs considérés comme universels mais aussi une culture pour que chaque enfant puisse comprendre dans quelle société il vit, quel est le monde qui l’a amené là où il est. Il en fera ce qu’il veut ensuite. Cela nécessite bien sûr une vision commune de cette culture.

Le problème, me semble-t-il, est d’avoir pensé pendant des décennies que l’École doit être axiologiquement neutre, ne pas porter de valeurs, rester dans la pureté rationnelle et scientifique. On le voit par exemple dans l’enseignement de la littérature où on a abouti à une vision extrêmement technique de l’analyse littéraire qui vide les textes de leur substance et ne permet pas de transmettre l’amour du beau. Il y a des moments où le professeur doit être celui qui fait aimer, qui donne à voir la beauté du monde, en particulier dans le rapport à la littérature. Malheureusement, par réaction contre les vieux discours du « Lagarde et Michard » sur les héros et les valeurs qu’ils doivent porter et transmettre, on est tombé dans l’excès inverse. Il me semble que nous avons perdu une forme de juste milieu qui aurait permis d’éviter l’endoctrinement tout en apportant l’élan qui est nécessaire pour, ensuite, apprécier la culture dans laquelle on grandit.

Jean-Pierre Chevènement
Voici une bonne conclusion pour cette première table-ronde.

—–
[1] La dictée faisait partie des passe-temps de la cour de l’empereur Napoléon III. Mythe ou réalité, la dictée attribuée à Mérimée a mis à l’épreuve les souverains ainsi que leurs invités. Napoléon III commit 75 fautes, l’impératrice Eugénie, 62, Alexandre Dumas fils, 24. Seul l’ambassadeur d’Autriche, le prince de Metternich, n’en fit que 3.

Le cahier imprimé du colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.