Max Gallo, un amoureux de la France

Intervention de Gilles Kepel, professeur à Sciences Po Paris, spécialiste du monde arabe et de l’islam, auteur de « Terreur dans l’hexagone : Genèse du djihad français » (Folio, février 2017) au colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » du 21 novembre 2017.

Mon cher Max,

Les amis de sa longue vie politique et intellectuelle rassemblés par Jean-Pierre Chevènement rendent hommage aujourd’hui au Grand Homme, au sens où cette expression figure au fronton du Panthéon qui fut ton voisinage tout au long des dernières décennies de ton existence terrestre. Je voudrais pour ma part évoquer l’Homme Grand – le colosse qui me prit dans ses bras à Nice quand j’étais encore un enfançon, « Aquel Magnan des pay di Gwo », ce gamin du village de Gorbio : ma petite taille te faisait paraître plus immense encore. Tu impressionnais les jeunes filles en fleurs, et parmi elles ma mère et ses amies lycéennes qui se piquaient de littérature : toi le technicien radio, issu d’une lignée de casseurs de pierres italiens qui avaient construit la Nice de la Belle Époque. C’est à leur contact, afin de les séduire et de leur en remontrer, que tu décidas, avec l’énergie faramineuse de ton élan vital, de devenir l’historien et l’écrivain que chacun connaît.

Quand tu choisis de venir vivre à Paris, où nous t’avions précédé, tu fréquentais à la maison, rue Boissonade à Montparnasse, où ma mère maintenait une ambiance et une cuisine niçoises. Tu nous éblouissais par tes récits de la vie parisienne, tel un Balzac qui aurait été son propre Rastignac. Tu es le premier écrivain que j’aie jamais rencontré, et encore écolier j’ai lu en cachette et scrupuleusement ton premier livre sur Mussolini, sans y comprendre grand-chose probablement. L’aveu que je t’en fis, à la stupéfaction parentale, lorsque tu revins diner, me valut ton affection amusée, et la dédicace du livre suivant, qui me remplit d’orgueil : « A Gilles, mon seul lecteur dans cette maison ! ».

Avec pareil parrainage, comment échapper à la vocation que tu m’avais aimablement tracée ? Tu fus toujours mon premier lecteur, décourageas d’emblée mes balbutiantes ambitions littéraires, mais me convainquis d’écrire des sciences humaines. Chez Gallimard, ces dernières années, on attendait « l’avis de Max » pour décider du tirage initial de mes livres – comme celui d’un augure de l’Antiquité, car tu avais découvert le secret que cherchent tous les écrivains mais qu’une infime minorité a trouvé : celui du succès. Tu ne l’as jamais révélé à personne, mais tu as écrit, fort de ce mystère, jusqu’à l’épuisement de tes capacités physiques.

Ces derniers temps, lorsque la maladie avait commencé à t’attaquer et que tu avais du mal à te déplacer, je venais chez toi partager un plat niçois, une ratatouille ou une omelette de blettes crues que je t’avais cuisinées, voire les produits du traiteur italien de la rue Saint-Jacques. L’écriture était devenue ta thérapie physique, sans illusion toutefois – je me rappelle ce constat dont tu avais fait ton motto : « J’ai une maladie qui est mortelle ». Ton Richelieu [1] – l’un des tout derniers de tes livres innombrables – est extraordinaire par la description minutieuse des maux qui accablaient le cardinal tandis qu’il gouvernait la France de sa litière, exacerbation de tes propres souffrances dans le corps de fiction d’un chef d’État d’antan.

Les chefs d’État de la France d’aujourd’hui ont apprécié ce Gallo-Romain qui s’était engagé dans l’édification passionnée du roman national. Porte-parole de François Mitterrand, tu avais embauché pour diriger ton cabinet le jeune François Hollande. Nicolas Sarkozy se réclamait de toi, et, pour l’anecdote, tu me confias lorsque nous parlions des arcanes d’une politique qui te fascinait, durant cette dernière campagne présidentielle, qu’Emmanuel Macron avait été répétiteur de latin de ton fils. Le Président de la République et son épouse m’ont personnellement dit leur chagrin et leur affection pour toi en apprenant ta mort.

C’est donc à un empereur romain ami des lettres et de la philosophie, et dont la première de tes consœurs, Marguerite Yourcenar, rédigea les Mémoires, que j’emprunte tout naturellement les quelques vers qui closent cette eulogie – non loin de la coupole de ce Panthéon dont tu avais suivi, fasciné, la réfaction depuis la fenêtre de ton bureau d’écrivain. Ces échafaudages d’acier autour de l’architecture à l’antique inspirée du monument romain parlaient sans doute au technicien que tu fus jadis, mais aussi tu m’avais montré le nom de l’entrepreneur parmi les tubulures. Comme toi, un Rital, un de ces métèques amoureux de la France, et non des moindres : Lazare Ponticelli, le dernier poilu de la guerre de 14-18, dont tu avais prononcé l’éloge funèbre aux Invalides. La Grande Histoire t’avait fait, à toi qui l’avais tutoyée, et jusque sous ta croisée, un clin d’œil de reconnaissance, avant ce Grand Voyage par où tu la rejoins désormais.

« Animula, vagula, blandula
Hospes Comesque Corporis
Quae nunc abibis in loca
Pallidula, rigida, nudula
Nec, ut soles, dabis iocos…
»

——
[1] Richelieu. La foi dans la France, Max Gallo, éd. XO, sept. 2015.

Le cahier imprimé du colloque « Max Gallo, la fierté d’être français » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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