La situation économique des États-Unis à l’aube des élections du 8 novembre 2016. Où en est-on aujourd’hui?

Intervention de Christine Rifflart, économiste senior au Département analyse et prévision de l’OFCE, professeur à Sciences Po, au colloque « Etats-Unis, horizon 2017 » du 18 avril 2016.

L’actuel président, Barack Obama, a pris ses fonctions en 2009, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, à un moment où l’économie américaine était en pleine déroute. Ces années de Grande Récession resteront liées au nom d’Obama. En effet, dès le début il a été pris dans la tourmente de cette crise et la reprise économique qui a suivi est en partie imputée à la politique économique qu’il a mise en œuvre.

Je ferai une présentation assez sommaire de la situation économique actuelle avec une rétrospective sur les années récentes.
Héritière de la Grande Récession (qui a failli tourner à la très grande dépression), la situation actuelle de l’économie américaine n’est pas celle qu’elle était avant la crise de 2008-2009.

En 2008, toutes les régions du monde avancé sont frappées par la crise et dès 2010 tous les pays connaissent une phase de reprise très soutenue. Mais la crise de la dette souveraine en 2010 dans la zone euro stoppe la croissance dans cette partie du monde et l’entraîne dans une période de longue stagnation dont elle peine à s’extraire.

Les États-Unis, qui ont échappé à cette tourmente de dette souveraine, ont poursuivi leur croissance à un rythme moyen au regard des performances passées de l’économie américaine (2,1 % par an depuis 2010).
Depuis la fin 2015, le Pib par tête est très supérieur (3,6 %) au niveau de début 2008, rattrapé dès 2014. C’est le seul pays avancé à avoir atteint cette performance (-2,2 % dans la zone euro par rapport à 2007).
Aujourd’hui, si les perspectives de croissance ne sont pas très élevées, elles sont néanmoins meilleures qu’en Europe : les prévisions tournent autour de 2 % pour 2016 et 2017 (1,9 % et 1,7 % pour nous et 2,4 % et 2,5 % pour le FMI).

L’économie américaine garde-t-elle des séquelles de la crise passée ?

La reprise s’est installée aux États-Unis à partir de 2009-2010 grâce à des politiques économiques offensives, à la hauteur de l’ampleur de la crise, et dont il s’agit aujourd’hui de sortir.

Les leçons des grandes crises financières passées, notamment de la crise des années 30, ont été retenues. On sait désormais qu’il faut intervenir rapidement, massivement et temporairement pour éviter qu’une crise financière ne se transforme en profonde dépression.

Dès 2008-2009 ont donc été mis en place des outils extrêmement offensifs, relevant tant de la politique budgétaire que de la politique monétaire. Du coté budgétaire, les autorités ont fait preuve d’un interventionnisme marqué, supérieur à ce qui a été mis en place dans la zone euro.

Dès 2008, le TARP (Troubled Asset Relief Program) s’est décliné en programmes d’achat de capital dans les institutions financières. En 2009 a été mis en place un plan de relance de 787 milliards de dollars sur 10 ans (soit 5 % du Pib américain). Ces énormes moyens mobilisés ont creusé le déficit (supérieur à 10 % du Pib pendant trois ans) et entraîné simultanément une hausse très rapide de la dette fédérale (+ 40 points de Pib en 5 ans). Mais ces programmes ont eu un impact positif sur la croissance (que les autorités américaines estiment entre 0,7-4,1 et 0,4-2,3 % de Pib sur 2008 et 2009) et évité une récession beaucoup plus violente.

À partir de 2010, les politiques deviennent restrictives (7 points de Pib d’ajustement structurel entre 2010 et 2015) pour réduire le déficit et stabiliser la dette, restée, depuis la crise du plafond de la dette de la fin 2013, légèrement supérieure à 100 % du Pib. Aujourd’hui, le déficit budgétaire est revenu à 4,3 % (2015). En 2016, la politique budgétaire sera légèrement expansionniste (on peut rattacher cela à un cycle électoral américain), entraînant un déficit un peu supérieur (autour de 4,5 % du Pib). Mais 2017 devrait connaître une nouvelle phase de consolidation budgétaire.

Simultanément à cette politique budgétaire active, la Réserve fédérale mène depuis 2008 une politique monétaire extrêmement accommodante. Le taux directeur cible est resté entre 0 et 0,25 % de 2008 à fin 2015. Et surtout elle a procédé à des injections massives de dollars dans l’économie (l’équivalent de 15 points de Pib) pour soutenir le système financier, faire baisser les taux d’intérêt et aider à la reprise économique.

La mission, pour la prochaine équipe, consistera à gérer la dette du gouvernement fédéral et, pour le gouverneur de la Fed, à réduire le bilan de la banque centrale en réduisant les liquidités dans l’économie. Les injections de liquidités se sont terminées fin 2014. En décembre 2015, la Réserve fédérale amorçait un nouveau cycle de resserrement des taux d’intérêt. Mais le resserrement devra être beaucoup plus graduel que lors des resserrements passés : la croissance reste fragile, les tensions inflationnistes modérées, le niveau du dollar est élevé et pèse sur les exportations alors que l’environnement extérieur (ralentissement chinois et des émergents) devrait peser sur la croissance, afin de se recréer des marges de manœuvre pour gérer à un horizon plus ou moins lointain le prochain cycle économique.

Ces politiques économiques ont été efficaces, la croissance est repartie.

Quelle est aujourd’hui la situation sur le marché du travail ?

Le taux de chômage très bas (5 %) masque un marché du travail dégradé :
– Le taux d’emploi (part de la population en emploi dans la population en âge de travailler) a baissé de 5 points pendant la crise et n’a progressé que de 1,5 % depuis la reprise de 2010, n’augmentant réellement que fin 2015, début 2016. Ces faibles créations d’emplois de l’économie américaine sont inquiétantes.
– Le deuxième facteur inquiétant est la baisse du taux d’activité : une partie de la population reste exclue du marché du travail
Les chômeurs de plus de six mois restent très nombreux. On peut commencer à parler d’un chômage structurel.

Cette situation induit une hausse des inégalités en termes de revenu et de patrimoine.

On observe une baisse du revenu réel médian depuis la crise. Et on note surtout une érosion du pouvoir d’achat des classes moyennes, et un éclatement de la catégorie des 20 % les plus riches : la moitié d’entre eux voient leurs revenus augmenter tandis que les autres 10 % subissent une baisse de revenus. Ceci renforce la concentration des revenus aux mains des 10 % les plus riches. Les Américains ont gagné moins en 2014 qu’en 2013 (-0,9 % entre juillet 2013 et juin 2014), sauf les 20 % les plus riches (+0,9 %). Ce sont les 20 % les plus pauvres qui ont connu la plus forte baisse (-3,5 %).

Cette augmentation très forte des inégalités est conjuguée à une augmentation du taux de pauvreté : 14,8 % de la population (46,7 millions) en 2014, soit un taux supérieur de 2,3 points à celui de 2007. De ce point de vue, le bilan d’Obama n’est pas glorieux : on constate une véritable paupérisation d’une partie de la population avec une progression très forte des avoirs des 10 % les plus riches.

Ceci se reflète sur la situation financière des ménages

Dopé par l’envolée des bourses, le patrimoine des ménages, notamment financier, n’a jamais été aussi élevé (6,5 fois le Revenu disponible brut – RDB – des ménages).

Le patrimoine immobilier est revenu sur sa tendance. Avec la fin de la crise immobilière, les prix sont revenus à leur niveau de 2008, les transactions sont élevées et le stock de logements invendus s’est résorbé. On est désormais dans un marché relativement équilibré.

Au-delà de cette situation, en dépit d’un chômage élevé et de l’effondrement des prix, on observe la fin de la contrainte de désendettement qui pesait sur les ménages. Le taux d’endettement des ménages est revenu à des niveaux corrects. Toutefois, malgré la faiblesse des taux d’intérêt, les ménages ne rentrent pas dans un nouveau cycle d’endettement.

Si la situation des salariés est plutôt contrainte, la situation des entreprises est très favorable.

Depuis la crise de 2008-2009, la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a fait que baisser tandis que la part des profits a augmenté, atteignant des niveaux historiques jusqu’à 2013-2014. En effet, malgré le faible taux de chômage, les salaires ne progressent que très modérément (pas d’inflation salariale). Cette situation très favorable se reflète par les cours élevés de la Bourse.

Ces taux de profits très élevés, qui reflètent un ajustement sur le salaire, s’accompagnent d’une rupture de la tendance de la productivité aux États-Unis.

C’est une évolution qu’on a encore du mal à expliquer. Sur le long terme la productivité américaine progressait assez régulièrement jusqu’en 2009. Depuis, la stagnation de la productivité du travail pose problème parce que cela pose question sur la croissance future de moyen terme. Les salaires réels stagnent, la productivité stagne, donc la part de profits dans la valeur ajoutée reste élevée mais c’est un équilibre qui est quand même peu dynamique. On est dans une espèce de dégradation des fondamentaux de l’économie américaine dont une partie est probablement transitoire mais qui pose la question des raisons de cette rupture au moment de la reprise économique.

Les effets de la crise sur l’appareil productif.

La désindustrialisation de l’économie américaine se poursuit :

L’industrie manufacturière a été très frappée pendant la crise. Sa part dans le Pib continue de baisser : 12,1 % en 2015 sur données réelles.

La construction avait chuté (5 % avant la crise, point bas en 2012 à 3,5 %) et voit sa part dans le Pib augmenter de nouveau (4 % en 2015).

Le secteur des hydrocarbures avait soutenu la croissance et l’emploi jusqu’en 2013 (de 1 % du PIB en 2003, hausse progressive jusqu’à 2,6 % en 2013). Seul secteur créateur d’emploi pendant la crise (200 000 emplois entre 2007 et 2013), il dégageait beaucoup de profits et alimentait la bourse, avec effet de richesse en retour. Depuis la baisse des prix du pétrole en 2014, cette industrie perd en rentabilité avec des effets très rapides sur l’investissement (le nombre de forages a chuté) et la production. Depuis la fin 2014, 185 000 emplois ont été détruits. Le cours des actions du secteur des hydrocarbures a chuté. Le secteur des biens d’équipement est en baisse,

En conclusion,
Depuis six années, on assiste à un cycle de croissance mou aux États-Unis. Les ressorts de la croissance ne sont pas tous au rendez-vous :
Du côté de la demande domestique, les ménages ne sont pas rentrés dans un cycle d’endettement comme ils le faisaient lors de chaque reprise de cycle.
Les salaires réels ne progressent que lentement. Malgré un taux de chômage inférieur à 5 %, on n’observe pas de tension sur les salaires nominaux. Le taux d’investissement s’est déjà retourné.
Parallèlement, la croissance américaine subit en 2016 le ralentissement de l’environnement international dans les émergents (notamment la Chine).
Le dollar, très élevé, a des effets très pénalisants et pèse sur la compétitivité américaine.

Dans ce cadre les perspectives pour 2016-2017 sont relativement modestes. Les prévisions de croissance du FMI sont à 2,4 %. Je ne partage pas cet optimisme et table plutôt sur 1,9 % en 2016 et 1,7 % en 2017, sachant que l’économie américaine ne pourra plus profiter de l’effet positif sur les ménages de la baisse des prix du pétrole et va payer assez chèrement le prix d’un dollar très élevé.

La situation du marché du travail est duale, avec une paupérisation d’une partie de la population. Cette tendance va-t-elle se prolonger ? Ou l’économie américaine sera-t-elle capable de se redynamiser et de créer des emplois pour ramener une partie de cette population, active ou inactive, sur le marché de l’emploi ?

La baisse de productivité pourrait être inquiétante si elle était amenée à se prolonger parce qu’elle affaiblit durablement le potentiel de croissance de l’économie. En effet, le potentiel de l’économie repose sur la main d’œuvre potentielle et la productivité totale des facteurs de production. Or si le vieillissement de la population pèse sur la croissance de la population active, et si la productivité vient à ralentir durablement les perspectives de cette croissance potentielle seront affaiblies, au moins à court terme. Cela pose le problème du dynamisme de l’économie américaine dans les prochaines années, sachant que le défi de la prochaine administration sera de stimuler la croissance en dynamisant l’emploi et l’investissement, notamment dans des secteurs à fort gain de productivité, et sachant que le soutien du secteur public est contraint par cette dette publique élevée que démocrates ou républicains devront réduire.

Loïc Hennekinne
Merci, Madame, pour cette présentation très complète et très éclairante des problèmes qui se posent actuellement à l’économie américaine mais surtout aux agents actifs de cette situation économique.
Ce taux d’emploi faible, l’accroissement des inégalités que vous décrivez, les problèmes des classes moyennes, ont-ils un effet sur l’évolution de la société américaine ? Peuvent-ils expliquer les résultats surprenants des premières élections primaires dans chaque camp ?

Ces questions m’amènent à me tourner vers le professeur Kaspi, le plus grand spécialiste français des États-Unis. Il a enseigné pendant dix-huit ans à Paris I et a exercé des responsabilités au sein du CNRS. Il a notamment écrit un ouvrage sur les présidents américains, depuis Roosevelt jusqu’à Obama (1) en passant par Kennedy.
Il va nous parler de la situation actuelle de la société américaine et se livrer à une prospective sur les prochaines élections.

——–
1) « Barack Obama. La Grande Désillusion », André Kaspi, éd.Plon, 2012.

Le cahier imprimé du colloque « Etats-Unis, horizon 2017 » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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