Tour de table conduit par M. Jean-Pierre Chevènement
Tour de table conduit par M. Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation Res Publica, au colloque « Quel modèle de la réindustrialisation pour la France ? » du 1er juin 2015.
Je voudrais mettre mon grain de sel mais surtout réagir aux discours qui ont été prononcés.
La distinction fort cartésienne que fait Louis Gallois entre la compétition par les prix et la compétition par la qualité, l’innovation, est pertinente mais peut-être un peu trop cartésienne.
Néanmoins ce n’est pas le point sur lequel je voudrais introduire le débat. Il y a une sorte de question préalable. Louis Gallois a cité à l’appui de sa démonstration le luxe, l’aéronautique et l’espace, les vins français et un certain nombre d’entreprises déterminées qui ont démontré leur capacité à s’installer dans une compétition par la qualité et l’innovation. La question que je pose est celle de la masse critique. En effet, toutes les questions économiques, qu’elles soient à caractère conjoncturel ou structurel, peuvent se traiter en termes de masse critique.
Avons-nous encore la masse critique d’entreprises et d’industries suffisante pour qu’un mouvement de reconquête se fasse à partir des éléments les plus brillants et les plus dynamiques ?
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question car je ne suis pas un industriel.
Louis Gallois a fort bien fait d’évoquer la voie espagnole, dite de la dévaluation interne. Les Français ne comprennent rien à cette façon de présenter les choses, en apparence très technique. Quand on dévalue la monnaie c’est en réalité pour dévaluer le travail par le biais de la monnaie. Mais on peut dévaluer le travail directement en abaissant les salaires, ce qu’ont fait nos amis espagnols, sans état d’âme et de façon importante. Ils n’ont pas été les seuls : les Portugais, les Grecs, sans aucun profit, et même les Irlandais, qui pourtant n’ont pas de problème de commerce extérieur, l’ont également fait.
Savez-vous comment Mariano Rajoy a traité la recherche publique quand il est arrivé au pouvoir ? Il a décidé que pour dix chercheurs publics quittant leur poste de travail on en remplacerait un ! Moyennant quoi, la recherche se faisant le plus souvent dans le cadre d’équipes, ces chercheurs prennent maintenant le chemin de l’Amérique du nord et de l’Europe du nord. Ce sont de mauvaises solutions.
La dévaluation interne a produit ses effets. Mais la conséquence est que l’Espagne ne peut pas revenir à une politique de majoration des salaires pendant au moins cinq ou six ans. Il faut qu’elle conserve à tout prix cet avantage salarial et même qu’elle le poursuive dans l’avenir, ce qui signifie qu’elle n’a pas pour l’instant de politique de rechange.
Louis Gallois avait fait un rapport préalable à l’adoption du CICE, préconisant de mettre le curseur plus haut que prévu initialement, de façon à ce que l’industrie et les métiers qualifiés bénéficient de cet allègement des charges sociales. Le problème est évidemment de nouveau à l’ordre du jour. Mais de M. Chirac, M. Fillon, M. Sarkozy, M. Juppé à droite à M. Jospin, Mme Aubry, M. Hollande à gauche, on ne voit personne qui soit capable de briser le tabou des charges sociales sur le travail qualifié. Dans un article qui doit paraître début juillet je cite le dernier rapport de la Cour des comptes qui donne le chiffre de l’allègement des charges sur les bas salaires : 20,64 milliards d’euros en 2014, c’est-à-dire un point de PIB, somme considérable qui touche essentiellement des métiers qui ne sont pas concernés par la compétition internationale ! Mais surtout, par un effet pervers, beaucoup d’employeurs désinvoltes sont incités à remplacer des gens de métier par des personnels non qualifiés pour bénéficier du double avantage des bas salaires et de l’allègement de charges. Il faudrait donc effectivement tenter de substituer un allègement de charges sociales à somme constante mais bénéficiant à des métiers plus qualifiés.
Laurent Burelle nous a apporté le code du travail. Quand j’ai quitté le Conseil national du patronat français il y a dix ans il n’était pas tout à fait aussi développé qu’il l’est aujourd’hui. Il se trouve qu’en 1986, à la veille de l’installation programmée d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale, au moment où il fallait proposer des choses au nouveau ministre, j’avais suggéré à mes collègues du patronat une recodification du Code du travail. Une recodification permet de ramener un code de 1 200 pages aux alentours de 150 ou 200 pages. Par exemple, l’article initial du Code du travail (L 431), qui, déjà à l’époque, faisait entre 15 et 20 pages, peut être ramené à peu de chose sans pour autant attenter à la protection des salariés. C’est un travail très simple, c’est un problème de méthode. Il y a des objectifs qui paraissent légitimes auxquels tout le monde peut se rallier mais il y a aussi un problème de méthode. Je propose donc qu’on recodifie ce code (et peut-être d’autres à l’occasion).
La fiscalité est un problème extrêmement compliqué. On a vu comment la taxe professionnelle, initialement faite pour charger l’industrie et les professions libérales, a finalement été remplacée par une usine à gaz qu’on appelle la cotisation foncière. On ne sait pas traiter ces problèmes. Les politiques ne savent pas s’y prendre. Néanmoins, derrière la fiscalité il y a le problème de la dépense. On vote d’abord la partie recettes de la Loi de finances avant de voter la partie dépenses (il faut que l’article d’équilibre soit voté pour passer à la deuxième partie). Pour l’instant les politiques français ne savent traiter que les dépenses dites de l’État régalien : la défense, la justice, la police, la diplomatie, l’action culturelle à l’étranger. Il y a un domaine tabou, je m’en excuse auprès des bonnes consciences ici présentes, c’est le budget social, un budget énorme sur lequel il faudrait simplement porter le regard pour savoir ce qui est vraiment nécessaire et ce qui ne l’est pas. Je propose d’ouvrir le dossier du budget social de la France dont vous savez qu’il est, et de très loin, le premier budget de la France.
M. Gallois a parlé de confiance. En tant qu’économiste, je pense que la confiance est l’état normal de l’économie tandis que la défiance et l’optimisme sont des états anormaux, depuis toujours. Mais ceci est une conversation d’économistes…
Les jeunes Français qualifiés et entreprenants sont de plus en plus tentés de quitter le territoire national. Je connais des personnes diplômées qui ont ouvert des pâtisseries à San Francisco ou à Montréal, un ingénieur de Centrale qui s’expatrie… Ce mouvement va en s’accélérant. Selon un sondage, entre 2012, date de l’installation du nouveau pouvoir exécutif, et l’automne 2014, le nombre des jeunes Français tentés par un départ à l’étranger a doublé (on est passé de 13 % à 27 %). Cela témoigne d’un problème de confiance qui n’est pas celui des entreprises en tant que telles mais des Français qui ont une capacité économique, à la fois par leurs qualités professionnelles et leur capacité à entreprendre. Il y a là un problème de fond et c’est peut-être le chantier que je serais tenté d’ouvrir si j’étais un homme politique.
Marie-Françoise Bechtel
Je remercie à mon tour les intervenants. Ce chœur à deux et trois voix était passionnant. En écoutant vos propos et vos différences, j’essayais de les confronter à ma petite expérience de législateur national, élue d’une circonscription très atteinte par ce que j’ose appeler la désindustrialisation, qui est l’Aisne, le Soissonnais plus spécifiquement.
Je ne comprends pas très bien la critique sur le mot « réindustrialisation » qui répond à la « désindustrialisation ». Quand des pans entiers de l’industrie se sont effondrés on peut bien parler de désindustrialisation. Quand l’industrie est passée de 30 % dans la valeur ajoutée du pays à 12,8 % aujourd’hui, je ne sais pas quel autre mot on peut utiliser. Je suis plutôt sensible à ce thème que je ne crois pas passéiste et je suis convaincue que c’est par la montée en gamme, quelles que soient les difficultés, mais aussi par les petites entreprises innovantes, qu’on arrivera peut-être à s’en sortir.
Le législateur, auquel vous avez fait allusion plusieurs fois, se sent très désarmé dans ces domaines et il est sensible à deux ou trois points que j’évoquerai ici.
Tout d’abord la question du CICE a créé de véritables disputes d’année en année au sein de l’Assemblée nationale. J’ai été sensible à l’argument de Louis Gallois selon lequel arrêter le CICE maintenant, au motif qu’il n’a pas été bien distribué, signifierait qu’on a perdu de l’argent. Vous aviez proposé, Louis Gallois, de fixer un niveau de salaire supérieur, nous avons retenu 2,5 SMIC parce que ce chiffre amenait à 20 % l’aide portant sur l’industrie. Nous avons été amenés, par l’effet de la généralité de la loi, à l’attribuer à la grande distribution ainsi qu’à un certain nombre de professions notamment les professions réglementées. Le gouvernement a manqué de courage car nous aurions pu le rendre plus sélectif mais on n’a pas voulu consulter la Commission de Bruxelles qui a compétence pour dire comment on interprète l’article du traité qui dit que certaines aides doivent être attribuées de manière non sélective [1]. Étendre le CICE, y compris aux professions libérales, ne relevait pas de l’évidence. J’ai moi-même demandé à deux reprises que la Commission européenne soit saisie. On s’y est engagé, on ne l’a pas fait… C’est donc un thème qui intéresse beaucoup le législateur depuis l’origine, avec des protestations à chaque examen de la loi de finances, tout comme l’allègement des charges ou cotisations qui nourrit aussi des débats récurrents.
Le deuxième thème auquel il est très sensible est la question des normes. Je voudrais dire à M. Burelle que la question de l’excès de règles a aujourd’hui pénétré les esprits dans tous les partis politiques. On a vu le thème monter depuis une dizaine d’années ; le sénateur Doligé [2] avait d’ailleurs proposé une sorte de grande loi de simplification des normes qui n’était pas très bien faite, mais tout cela est aujourd’hui repris et remouliné.
Quand nous arrivons dans nos circonscriptions, nous entendons des représentants du patronat nous dire que le compte pénibilité est une horreur. Il est vrai que le compte pénibilité, voté sous le quinquennat précédent, a été difficilement mis en musique sous l’actuel quinquennat et des correctifs doivent être apportés. Je dis cela pour montrer que l’excès de normes résulte aussi d’un entassement de décisions dans le temps qui fait que, au moment où l’on rend les normes applicables, on ne sait plus très bien qui avait pris la décision.
Ceci m’amène à une dernière remarque à propos du dialogue social. Je fais partie des membres de la majorité qui pensent que le dialogue social était bien parti en 2012-2013. J’ai approuvé sans états d’âme la première loi, la loi Sapin – très critiquée par certains syndicats, approuvée par d’autres – qui, selon moi, allait dans le bon sens. Mais j’ai constaté aussi cette perte de confiance dont a parlé Louis Gallois. Je n’étais pas avec les négociateurs, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il est clair qu’une rupture s’est produite à un certain moment entre les représentants syndicaux et les représentants du patronat. Pour ma part, j’ai quand même été frappée par les très fortes réticences, sur fond de ressentiment, du président actuel du patronat (qui, peut-être, ne se seraient pas manifestées sous la présidence précédente).
Dans l’Aisne, qui dit MEDEF dit plutôt CG PME et qui dit PME-CGPME dit plutôt TPE. Toutefois je sens des tensions entre les PME et le MEDEF. En témoigne cette remarque que m’adressait un dirigeant de PME : « Nous savons très bien que c’est le MEDEF qui a accepté le compte pénibilité et c’est nous ensuite qui avons du mal à le mettre en musique ! ».
Le gouvernement peut-il sortir par le haut de tout cela, reconstituer du dialogue entre les syndicats patronaux et ouvriers mais aussi peut-être au sein d’une masse patronale qui ne semble pas homogène ? Je n’en sais rien mais je crois, comme Louis Gallois, que le dialogue social est essentiel. Une entreprise qui marche est aussi celle qui considère ses salariés, qui sait dialoguer avec eux. Là est la piste de la confiance sans laquelle on n’y arrivera pas. Mais je reconnais que c’est difficile dans la culture française.
Dominique Garabiol
Merci pour vos éclairages et le débat animé qui était très intéressant.
En matière de financement, je rassure Louis Gallois (c’est peut-être la seule note positive que je donnerai ce soir), le rééquilibrage vers le financement des entreprises par les marchés est déjà une réalité. Depuis trois ans nous sommes calés sur le modèle anglo-saxon en matière de financement des dettes des entreprises. En novembre dernier, sur douze mois glissants, 80 % de la production nouvelle de financement venaient des marchés, le reste venant des banques. Il faut du temps pour que cela se traduise dans les encours mais la production est alignée sur la production anglo-saxonne depuis trois ans. Seuls les crédits à l’habitat restent encore dans les banques françaises. Si nous décidions de les vendre, plus rien ne nous distinguerait du modèle anglo-saxon. Mais du point de vue des entreprises, nous sommes déjà alignés sur le modèle anglo-saxon en matière de financement des dettes.
Restent les problèmes de capital-risque, de fonds propres et de marges qui restent pendants et sur lesquels nous ne sommes pas du tout au niveau.
Au vu des dégâts subis par l’industrie française, avons-nous vraiment intérêt à un euro faible ?
J’ai bien compris que son nouveau cours permettait de vendre plus d’Airbus mais nous avons perdu Lafarge et cette perte est liée au changement de parité avec le franc Suisse qui fait que les capitalisations françaises sont plus attractives pour les étrangers.
« Les entreprises du CAC40 se portent bien », dites-vous. C’est très relatif. En effet, alors que le CAC40 et le DAX (Deutscher AktienindeX) étaient à parité en 2002, le CAC40 vaut aujourd’hui 45 % du DAX. Il en est de même avec le Dow Jones, un peu moins avec le S&P 500 (SPX). Les seuls qui ne sont pas très loin sont les Anglais.
Les grands groupes français ont vraiment décroché par rapport aux grands groupes européens. J’ai du mal à comprendre que cela n’inquiète pas le patronat. Nous sommes en effet dans la course mondiale et il me semble que, si nous avons un problème de positionnement du territoire français dans la chaîne de valeurs, les entreprises françaises ont aussi un problème ! Je m’étonne que ce problème soit évacué.
Pouvons-nous vraiment profiter d’une dévaluation de l’euro ?
Un allègement du code du travail et une fiscalité plus raisonnable suffiraient-ils pour relancer l’investissement en France ?
Laurent Burelle
Essayez donc et vous verrez ! On ne l’a pas essayé depuis 1936. Sortons de la théologie et voyons si ce que je dis est vrai ou faux. Ce n’est pas très compliqué. Il faut simplement avoir la volonté de le faire.
M. Gréau parle de masse critique. Pour ma part, je crois à la créativité de notre pays ; je crois à son éducation, certes insuffisamment intégratrice vers le bas mais excellentissime vers le haut (je pense à notre école de mathématiques théoriques et appliquées) ; je crois à sa capacité de recherche de très haut niveau, telle notre recherche électromagnétique et nucléaire ; je crois à notre CEA et à son ouverture par les fonds participatifs… L’histoire de notre pays montre que nous sommes des travailleurs, durs à la tâche. Je crois que si nous libérons toutes ces énergies, nous pourrons avancer.
Mais il faudrait arrêter de nous perfuser avec des drogues blanches en intraveineuses régulières et récurrentes, comme le Crédit impôt recherche. Ferais-je de la recherche uniquement parce que je reçois 9,133 millions d’euros par an … ? Je ferais exactement la même recherche si je ne les recevais pas ! Je demande simplement qu’on ne me prenne pas 18 millions en amont pour me rendre 9 millions en aval. Ne donnez surtout pas de l’argent à un industriel qui ne fait de la recherche que pour toucher le CIR ! C’est de l’argent gâché !
Faut-il faire de la prime d’aménagement du territoire pour créer des emplois ? La réponse est non !
Je fais partie des rares en France à faire un acte d’autorité dans mon entreprise : j’ai interdit qu’on remplisse les papiers du CICE. J’ai refusé quelques 6,7 millions d’euros.
Qu’est-ce que le CICE ? Ce sont des papiers à remplir, qu’il faut aller escompter chez un banquier, lequel va nous donner de l’argent qu’on touchera l’année suivante… Et on parle de « cadeau » aux entreprises ! « ça ne marche pas ! » déplore le gouvernement. Évidemment ! Les entreprises renâclent à remplir les papiers, elles ne s’y résolvent que si elles sont très malades. Car ce « cadeau » est assorti de conditions : ne pas augmenter le salaire des dirigeants, cela m’ennuie beaucoup ; ne pas augmenter les dividendes versés aux actionnaires, cela m’ennuie aussi. Donc je refuse le CICE. D’autres le refusent pour des raisons différentes.
J’ai entendu vos critiques à l’égard des choix opérés par l’Espagne.
En 2014 l’Angleterre a créé 610 000 emplois, l’Espagne 433 000 et l’Allemagne 384 000. L’Espagne crée donc aujourd’hui plus d’emplois que l’Allemagne. Présenter l’Espagne comme la petite Cosette chez les Thénardier ne correspond pas à la réalité. J’ai cinq usines en Espagne qui fournissent votre usine de Vigo [3], M. Gallois, la plus grosse et la plus profitable de votre groupe. Je vais m’y rendre la semaine prochaine, j’ai deux usines dans la région. Le pluri-emploi est pratiqué en Espagne et les ouvriers espagnols prennent en compte la concurrence marocaine et polonaise pour garder une base industrielle forte : les syndicats espagnols, de leur propre initiative, sont venus me voir pour négocier une modération salariale contre une garantie de l’emploi ! Ils nous ont donné une belle leçon ce jour-là.
On a parlé des normes fiscales. Je constate aujourd’hui que des ordres sont donnés au niveau de l’administration centrale qui manifestent une véritable agressivité vis-à-vis des entreprises, je ne crois pas que cela soit bon pour l’embauche…
Quant au compte pénibilité… Je vous réponds, Madame, que c’est une des mille piqûres que l’on nous inflige tous les jours ! Je ne vois pas l’avantage politique qu’il y a à vouloir nous faire peur sans arrêt, d’autant plus qu’au bout de six mois, le plus souvent, il ne reste plus grand-chose des mesures douloureuses annoncées. Mais l’effet psychologique demeure.
Merci.
Louis Gallois
Je suis d’accord avec M. Burelle sur un point pour avoir occupé le poste formidable de commissaire général à l’investissement d’où on ne voit que ce qui marche bien en France : la recherche, les laboratoires de pointe, les meilleures universités, celles qui se rayonnent, les entreprises qui font de l’innovation à partir de la recherche, le CEA et autres entités de ce type et une myriade de start up, notamment dans le numérique, qu’on ignore souvent (plus de cent entreprises numériques sont installées dans le Faubourg Poissonnière !). Le problème va être de trouver le moyen de les faire grandir. Mais cela montre qu’il y a en France une grande capacité de créativité, d’innovation et beaucoup de créateurs d’entreprises.
Je ne suis pas alarmé par le fait qu’un jeune, à un moment de sa carrière, ait envie d’aller à l’étranger. Je pense d’ailleurs que c’est formateur pour lui. Mais il faut qu’il revienne et pour cela la France doit être un pays accueillant. J’ai moi-même passé au Japon deux années extrêmement formatrices. On ignore souvent qu’il y a plus d’Anglais expatriés que de Français expatriés. Donc il ne faut pas en faire un drame. Je m’inquiète davantage quand je vois les start up rachetées par les entreprises étrangères.
Je ne désespère pas de la simplification. Il me semble que Thierry Mandon [4] fait plutôt un assez bon travail. Un article publié cet après-midi dans Le Monde [5] répertorie les différentes mesures décidées. Malheureusement, la mise en œuvre sera extrêmement longue. Or si on veut créer un « choc de simplification », pour employer l’expression du Président de la République, un effet immédiat est nécessaire pour que les gens s’aperçoivent du changement. Je note un changement absolument fondamental, que je crois salutaire : le principe de non-rétroactivité de l’impôt a été retenu.
Moi aussi je suis allé à Vigo. J’y ai apprécié l’esprit d’équipe entre la région (la Galice), la ville et l’entreprise et des syndicats extrêmement ouverts, comme vous l’avez indiqué. Mais il n’en reste pas moins que ce pays ne garde pas sa matière grise. C’est un vrai problème. Je suis très frappé par le nombre de chercheurs espagnols (et italiens) qui travaillent dans tous les laboratoires français actuellement.
Laurent Burelle
Il n’y a jamais eu de recherche en Espagne, c’est une grande faiblesse structurelle de ce pays. Ils ont toujours été biberonnés par l’Allemagne.
Louis Gallois
Mais ils ont perdu le peu de recherche qu’ils avaient et il leur faudra du temps pour la remettre en place.
Je suis d’accord avec ce qu’a dit Jean-Luc Gréau sur la masse critique.
Mas je ne partage pas l’avis de M. Burelle sur le crédit impôt recherche (CIR). J’ai été à la tête d’une entreprise qui était implantée dans quatre pays : la France, l’Espagne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne. Nous avons décidé de maintenir les capacités de recherche en France à cause du crédit impôt recherche. Nous n’avons pas fait plus de recherche à cause du crédit impôt recherche mais nous avons localisé en France de la recherche que nous aurions dû localiser dans d’autres pays qui nous déroulaient le tapis rouge, les Anglais en particulier, et nous offraient des aides massives. Le CIR est un atout fort pour permettre à la France de maintenir des capacités de recherche sur son territoire dans une compétition internationale farouche sur les implantations de ces capacités.
Vous évoquez à demi-mot les contrôles que risqueraient les entreprises qui bénéficieraient du CICE. Toutes les entreprises y ont droit, y compris les experts comptables, les commissaires aux comptes… Il est impossible de contrôler tout le monde. Il y a eu des contrôles sur les entreprises bénéficiant du crédit impôt recherche, ce qui est un peu normal concernant un abattement fiscal (tout le monde veut contrôler les chômeurs mais on n’accepte pas de se faire contrôler lorsqu’on reçoit des aides !). Mais le crédit impôt compétitivité emploi ne peut pas générer plus de contrôles qu’il n’y en a actuellement parce qu’il concerne toutes les entreprises.
D’autre part je ne suis pas sûr que le CICE soit si compliqué que vous le dites. Il n’est pas plus compliqué que l’URSSAF (Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales), l’imprimé utilisé pour le CICE est d’ailleurs la duplication de celui de l’URSSAF. Ce qui ne veut pas dire que c’est simple…
Je constate que le CICE a un double impact : le coût horaire du travail en France (37,5 €) est redescendu légèrement en-dessous du coût du travail allemand (38,4 €) et les marges des entreprises se sont redressées pour la première fois depuis quatre ou cinq ans au second semestre 2014, au moment où le crédit impôt compétitivité emploi a été versé (il a commencé à être versé en juin et surtout en septembre 2014).
Ce n’est pas ce que j’avais proposé, j’avais proposé un allègement de charges sociales portant sur des salaires plus élevés. C’est tellement vrai que j’ai compris que le gouvernement s’était engagé à transformer le CICE en allègement de charges sociales en 2017… Pourquoi pas plus tôt ? J’étais favorable à un allègement de charges sociales parce que j’estime qu’une partie des charges sociales couvrent des risques qui sont ceux de la solidarité nationale et n’ont pas à être supportés par le salariat parce que cela pénalise l’emploi. Mais je ne voudrais pas non plus qu’on jette le bébé avec l’eau du bain. Le CICE existe, je suggère qu’on n’y touche pas pour le moment.
L’actuelle dévaluation de l’euro par rapport au dollar donne une bouffée d’oxygène. On peut donc penser qu’une dévaluation du franc par rapport au Deutsche Mark créerait un deuxième ballon d’oxygène. Je constate néanmoins que, comme notre appareil industriel ne répond pas correctement à la demande, la relance de la consommation se traduit à l’heure actuelle par une croissance forte des importations. Et, comme nous paierions nos importations beaucoup plus cher, nous aurions un déficit commercial. Nous devons donc être conscients que la dévaluation conduirait dans un premier temps à accroître considérablement le coût des importations. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas y réfléchir, si tant est qu’on puisse s’engager dans cette voie. Je pense que nous ne pourrions pas le faire seuls. Il faudrait une grande réorganisation de l’euro car nous ne pouvons pas nous payer le risque gigantesque d’une sortie de l’euro de la seule France.
En fait, il faudrait que l’Allemagne sorte de l’euro car c’est elle qui déséquilibre l’euro par son hyper-compétitivité et par l’excédent fabuleux de sa balance commerciale qui constitue d’ailleurs un problème mondial. Un pays qui dégage 8 % de son PIB en excédent commercial mérite autant d’être sanctionné qu’un pays déficitaire car il aspire de la ressource sur l’ensemble du monde. L’Allemagne a un excédent commercial qui n’est pas en relation avec le taux de croissance de l’économie. Un taux de croissance de 3 % à 4 % permettrait de stabiliser sa balance commerciale à un niveau acceptable. Mais la ponction qu’elle réalise en faisant 220 milliards d’excédent commercial sur l’ensemble de l’économie mondiale est un problème majeur que les Américains ont d’ailleurs stigmatisé à plusieurs reprises.
Laurent Burelle
Automatisons par l’investissement !
Je suis chevènementiste, je veux une France forte grâce à un investissement extrêmement productif qui puisse combattre l’industrie allemande avec des produits de qualité en haut de gamme… et non pas en demandant au meilleur élève de la classe d’arrêter d’apprendre ses leçons ! Je veux que l’avant-dernier de la classe apprenne ses leçons afin de devenir extrêmement compétitif au niveau de sa défense nationale et de son industrie.
Louis Gallois
Je veux seulement dire que l’Allemagne pourrait supporter un certain nombre de fardeaux, notamment en matière de défense, qu’elle ne supporte pas actuellement. Étant données les énormes capacités dont elle dispose, l’Allemagne pourrait faire plus en matière de relance de l’activité économique en Europe.
Jean-Pierre Chevènement
Je vois que M. Burelle se réclame d’un courant de pensée très répandu aujourd’hui, le « chevènementisme », dont il n’y a pas d’appellation contrôlée, sauf celle que je pourrais donner le cas échéant.
L’Allemagne est évidemment un pays mercantiliste qui dégage un excédent commercial de plus de 200 milliards d’euros chaque année. Mais elle a une structure démographique vieillissante et veut préparer l’avenir de ses retraités.
Mme Merkel a dit en 2005 : « Mettre l’Allemagne au sommet de l’Europe, voilà mon programme ». Cette politique qui, en fait, avait été initiée par Gerhardt Schröder porte ses fruits. Elle s’appuie naturellement sur des avantages comparatifs très anciens (l’Allemagne a creusé l’écart sur le plan industriel depuis longtemps) mais n’en pose pas moins un problème à toute l’Europe. En effet, l’orientation globale de la politique économique européenne est déterminée par le choix du cadre moyen supérieur allemand vieillissant qui veut faire cracher des dividendes aux entreprises alimentant les fonds de pension qui lui verseront sa retraite. C’est devenu le paradigme qui, en quelque sorte, surdétermine ce que je n’ose pas appeler la croissance européenne mais le développement économique de l’Europe. L’animal sacré, c’est ce cadre presque sexagénaire qui entend vivre bien les trente années de vie qui lui restent devant lui. Je ne dis pas cela pour critiquer l’Allemagne – après tout c’est une logique – mais cela mériterait qu’on en débatte au niveau européen parce que d’autres logiques doivent s’appliquer à des pays comme la France où il y a au minimum 3,5 millions de chômeurs (c’est le nombre de ceux qui sont recensés à temps plein) et une jeunesse nombreuse qui a le sentiment que l’avenir est peut-être ailleurs, ce qui est un vrai problème pour une France qui veut « rebondir », car c’est bien de cela qu’il s’agit.
La réflexion de Louis Gallois à propos de l’euro mérite d’être approfondie. Il a longtemps critiqué l’euro fort, à juste titre du point de vue d’EADS. Mais on se rend compte aujourd’hui que l’appareil industriel français est tellement affaibli que l’offre intérieure ne répond plus. Cela mérite d’être vérifié parce qu’il ne faut pas se fier à des idées toutes faites et trop simples. Peut-être cela peut-il se corriger avec un temps de retard.
Je faisais remarquer au Président de la République, la dernière fois que je l’ai rencontré, que notre compétitivité manufacturière continue à se dégrader puisque le solde manufacturier en 2014, solde négatif malheureusement, est supérieur de 2 milliards d’euros à ce qu’il était en 2013. De fait nous avons un déficit commercial de 54 milliards d’euros en 2014, un peu moins élevé que l’année précédente à cause de la baisse du prix du pétrole. Sur ces 54 milliards, 35 milliards seraient imputables au déficit commercial franco-allemand. Quand j’étais ministre de l’Industrie, au début des années 1980, nous avions 28 milliards de francs de déficit. Après conversion en euros, introduction de l’inflation, des intérêts composés…, on constate que notre déficit commercial vis-à-vis de l’Allemagne a été quadruplé ou quintuplé en l’espace d’une trentaine d’années. Cette dégradation, si elle est vérifiée, est préoccupante.
Je dirai à Dominique Garabiol que l’euro est aussi – et peut-être même d’abord – un problème interne.
Je suis tout à fait d’accord avec l’idée qu’asseoir les charges sociales sur les salaires est une erreur.
Mais alors sur quoi les faire peser?
On peut comprimer le budget social – et peut-être d’autres – jusqu’à un certain point.
Peut-on faire peser ces charges sociales sur le revenu ? Ouille ! ça crie déjà très fort.
Sur le capital ? Aïe ! ça fait très mal.
Il ne reste plus que le chiffre d’affaires et le relèvement de la TVA auquel j’ai toujours été favorable et qui, selon moi, a été fait dans une proportion beaucoup trop faible. Un gouvernement courageux aurait dû, dès le départ, relever d’au moins trois points le taux de la TVA, comme l’ont fait en 2007 les Allemands, qui n’en avaient pas besoin. Cette mesure ferait hurler dans les chaumières mais je pense que, du point de vue des travailleurs, il est beaucoup plus juste de relever le taux de la TVA, qui donne lieu à des remboursements aux exportateurs et à la pénalisation des importateurs, plutôt que de baisser des salaires par la voie de la dévaluation interne.
Nous n’avons que le choix des inconvénients mais choisir est le propre du politique.
Christian Pierret
Comme Madame la députée, j’ai l’expérience d’une région en déprise industrielle, les Vosges, troisième département industriel de France (secteur automobile, textile, habillement etc.). Surtout, je suis actuellement co-animateur de petites entreprises très innovantes : Carmat [6], qui a beaucoup travaillé avec EADS, Deinove [7], qui produit des biotechnologies, et Pharnext [8], dans le domaine de la pharmacie. Je suis par ailleurs avocat à la Cour d’appel de Paris… et je suis bénéficiaire du CICE (je remercie beaucoup le gouvernement de m’accorder ces 345 euros par an de CICE qui complètent heureusement mes revenus).
Je regrette un peu que, dans un club de cette qualité, on se croie obligé de sacrifier à la critique systématique des politiques. On a les politiques qu’on mérite. La politique, aujourd’hui, consisterait précisément, comme vous l’avez tous dit, à redonner confiance dans notre économie, dans notre industrie, sa capacité, ses fortes infrastructures, ses cinq ou six secteurs d’ampleur mondiale… Cela consisterait à ne pas avoir peur de notre ombre, c’est-à-dire à reconnaître que le succès de l’industrie nucléaire française, qui diffuse dans tous les secteurs, est une force qu’il faut encourager au lieu d’en avoir honte, comme de tout ce qui réussit. Nous pouvons reconquérir nos places, j’en suis tout à fait convaincu, dans des secteurs comme l’automobile ou la pharmacie, où nous avons de très belles réussites. On pourrait citer les transports terrestres, l’aéronautique… Quatre ou cinq secteurs font tourner des dizaines de milliers de PME/PMI. Une réelle volonté politique consisterait à mettre en avant nos points forts plutôt que de tergiverser perpétuellement pour trouver des mesures artificielles pour l’emploi.
Il ne faut pas vouloir traiter l’emploi pour l’emploi mais à travers la restauration d’une puissance économique, industrielle notamment. Vous avez eu raison, Madame la députée, de citer la perte d’environ un point par an de la part de l’industrie dans le PIB : en effet, on est passé de 22 % ou 23 % d’industrie quand j’étais ministre (entre 1997 et 2002) à 11 % ou 12 % aujourd’hui. C’est un véritable scandale qui exige une volonté politique de s’intéresser à l’industrie. Or la place qu’on lui accorde depuis quelques années dans le discours public, dans la conception de la politique, n’est pas à la hauteur de cette nécessité.
Le retour de la confiance viendra de l’entreprenariat industriel, de la petite entreprise innovante. Jean-Pierre Chevènement a été un ministre de la Recherche exceptionnel en 1981-1982. Mais, au-delà de la recherche, il faut développer beaucoup plus l’innovation (ce qui est en aval du « D » de « R&D »). Dans ce domaine, nous n’avons pas les forces qui correspondent à notre tradition industrielle. Dans certains services de Bercy et chez une minorité de députés socialistes on note une hostilité contre le crédit impôt recherche. Or ce sont de tels dispositifs qui, comme la jeune entreprise innovante [9] ou les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) [10], placent la France en tête dans le monde. Il faut donc les encourager.
Enfin, je vous remercie, Monsieur, d’avoir repris une idée que j’avais lancée il y a quelques années, à savoir qu’à la baisse très coûteuse des charges sociales sur les bas salaires (25 milliards d’euros), il faut préférer une baisse des charges portant sur les catégories de salariés qui apportent une forte valeur ajoutée à l’entreprise, c’est-à-dire les chercheurs, les ingénieurs, les gens qui ont un bagage à valoriser dans la petite entreprise.
Petite entreprise innovante, esprit d’entreprise, volonté politique, affirmation de notre capacité de restaurer une croissance plus forte si nous en manifestons la volonté : le peuple français est prêt à entendre cela, comme il l’a entendu du temps du Général de Gaulle avec de grands projets. C’est dans ce sens-là qu’il faut prendre le problème de l’emploi.
À propos de la fiscalité, je réitère ce que je disais dès 1982. À cette date, dans un rapport sur le budget (j’étais à l’époque Rapporteur général sur le budget), j’avais écrit qu’ « un bon impôt est un vieil impôt ». La stabilité fiscale permet de donner des perspectives. Un bon impôt est un impôt simple (j’approuve ce qui a été dit très heureusement sur la simplification). Enfin, un bon impôt est un impôt à base large et à taux faible. Or, aujourd’hui, l’impôt sur le revenu ne rapporte que 11 % de la totalité des ressources fiscales directes (contre 17 % ou 18 % en Allemagne). Moins d’un Français sur deux s’acquitte de l’impôt sur le revenu et 2 % des contribuables à l’IR s’acquittent de 50 % de l’impôt. Ce n’est pas un impôt mobilisateur pour les chefs d’entreprise, pour les entreprenants au sens large. C’est un impôt qui décourage la création en France.
Par conséquent, si nous voulons être efficaces, il faut ajouter une réforme fiscale simple, globale, pertinente, qui encouragera l’innovation et l’entrepreneuriat.
Louis Gallois
Nous avons en France une fiscalité qui avantage la rente par rapport à la prise de risque. Les produits d’épargne sont d’autant plus défiscalisés qu’ils sont moins exposés tandis que les plus risqués sont les plus imposés. Je pense que nous avons un véritable problème de fiscalité vis-à-vis de la prise de risque.
J’évoquerai une expérience vécue : Il se trouve que je m’intéresse à une petite entreprise de nano-satellites sur un concept qui intéresse tout le monde. Nous avons cherché du capital-risque auprès de 17 fonds en France. Aucun n’a répondu positivement. Cette entreprise ira peut-être chercher son argent aux États-Unis.
Christian Pierret
De même, faute de trouver en France les moyens de financer son développement, nous sommes obligés de coter au NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotations) une entreprise qui détient de nombreux brevets de propriété intellectuelle (élément décisif de la bataille mondiale). C’est là qu’est le problème français : l’innovation ne peut pas être financée en France. Souvent, des entrepreneurs qui s’affirment patriotes partent parce qu’ils ne trouvent pas en France les moyens de financer leur innovation et leur développement, cela en raison d’une timidité des investisseurs d’une fiscalité décourageante sur la plus-value réalisée. Celui qui investit et risque son argent dans une petite entreprise qui invente quelque chose n’a pas envie de s’en voir ponctionner 60 % dans les deux ans, même si c’est décroissant ensuite.
Jean-Pierre Chevènement
Les observations de Christian Pierret seraient-elles susceptibles de nuancer l’opinion exprimée par Louis Gallois qui préconisait de transférer le financement de l’économie des banques vers les marchés ? S’il est si difficile de se procurer de l’argent sur les marchés et s’il faut pour cela aller aux États-Unis, avec tous les inconvénients qui en résultent pour nos entreprises, tétanisées par les risques de sanctions (on connaît l’expérience de BNP Paribas et d’Alstom notamment), ne vaudrait-il pas mieux, compte tenu des rigidités, donner des impulsions à la bpifrance (banque publique d’investissement) pour qu’elle prête à ces petites entreprises qui en ont besoin ? Cela les dispenserait de chercher des financements, avec une lanterne, comme Soubise [11], sur un marché qui, très souvent, leur échappe parce que trop éloigné d’elles.
Louis Gallois
Je me suis mal exprimé. Je regrette vivement l’évolution qui consiste à empêcher les banques de prêter aux entreprises à cause d’une réglementation prudentielle probablement excessive. Il est extraordinairement difficile pour des PME qui ont des projets mais n’ont pas d’actifs à présenter face aux banquiers d’obtenir des financements bancaires. Les prêts aux PME sont très mal considérés en termes de ratios, il en résulte une fuite du secteur bancaire vis-à-vis du risque industriel, chez les PME.
Le second problème est celui des fonds propres. Nous avions avant la crise un marché de capital-investissement, de private equity assez volumineux. D’environ 12 milliards de levée de fonds par an, il est descendu brutalement à 5 milliards et commence à peine à se redresser à 7 ou 8 milliards. Il manque énormément de capacités de capital-risque en France. J’ajoute – c’est un des points d’accord que j’ai avec M. Burelle – que la fiscalité sur la prise de risque est très excessive par rapport à la fiscalité appliquée à la rente, qui bénéficie en France de tous les avantages fiscaux. Je pense qu’il y a là-dessus un rétablissement à effectuer.
Dominique Garabiol
Je partage votre avis : on n’est pas capable en France de financer l’immatériel qui, dans la tradition bancaire est autofinancé. Cela pose des problèmes de capital-risque. En Europe, les réglementations internationales des banques et des assurances pénalisent très fortement les participations indirectes ou directes en capital. Les banques et les assurances ne peuvent quasiment plus investir dans le capital-développement, dans le capital-risque. Nous avons, en particulier en France, un problème majeur de capital-risque et, en règle générale, de financement de l’immatériel.
Bien que n’étant pas spécialiste de l’innovation et de la R&D j’ai compris que nous avons une définition assez restrictive de l’innovation. Comme l’a dit Monsieur le ministre, l’innovation s’arrête pour nous à la R&D alors que les définitions internationales vont jusqu’à la mise sur le marché. En effet, à travers les dossiers que je vois, je constate qu’à un moment donné se produit une rupture du développement. C’est ainsi que nous avons beaucoup de mal à garder Dailymotion et que Priceminister, une plateforme d’échanges marchands ouverte aux ménages, a été vendue à des Asiatiques [12]. Cela montre que nous sommes incapables de passer de la start up innovante à la véritable entreprise en développement.
Jean-Pierre Cossin
La fiscalité française apparaît beaucoup plus lourde qu’elle ne l’est en réalité et il conviendrait de faire un effort de simplification afin de montrer la réalité telle qu’elle est. Vous avez évoqué, M. Burelle, les avantages liés au « Pacte Dutreil ». Les chefs d’entreprise ne peuvent pas comprendre ces dispositifs très compliqués s’ils sont seuls face aux taux apparents et ne connaissent pas les mécanismes qui, en réalité, les diminuent par quatre, cinq, voire dix. Et il y a parfois des exonérations qu’ils ne connaissent pas.
Vous dites refuser le CICE. Permettez-moi de vous dire que c’est une erreur car il n’y a aucun risque de contrôle. L’administration fiscale a indiqué notamment que les contraintes indiquées dans la loi, telles que la non distribution des dividendes ou la non augmentation des rémunérations, ne conditionnent pas l’octroi du CICE et ne peuvent pas le remettre en cause. Aucun contrôle n’est donc prévu sur ce sujet.
Le crédit impôt recherche (CIR) était une façon de réduire l’impôt sur les sociétés des entreprises qui faisaient des efforts de recherche sans le dire. S’est posé ensuite le problème du ciblage des mesures fiscales, dans la crainte paralysante de Bruxelles. J’ai eu l’occasion de participer à une discussion à l’Assemblée nationale où, de peur que le CIR ne soit remis en cause, les parlementaires ont refusé d’exclure les banques des bénéficiaires. Certes elles n’en recevaient pas un montant important mais les banques n’ont aucun besoin de crédit impôt recherche ! Mais, sous prétexte qu’une mesure doit être générale, personne n’a osé modifier ni cibler ce dispositif. Je pourrais vous citer maints exemples du même type.
Je suis d’accord avec Jean-Pierre Chevènement sur la question de la TVA. Il serait bon qu’un jour, de manière un peu consensuelle, on sorte de l’idée simple selon laquelle la TVA est une mesure qui pénalise les revenus les plus faibles. La situation est un peu différente de ce qui se passait il y a trente ou quarante ans car la redistribution sociale passe aujourd’hui moins par l’impôt que par les allocations sociales.
Jean-Pierre Chevènement
Christian Pierret a dit qu’un bon impôt est un vieil impôt. Je rappelle que le crédit impôt recherche figurait dans la loi de finances que nous avions préparée en 1983.
Jean-Michel Naulot
Au début de son exposé, Louis Gallois laissait entendre que le financement de l’économie se faisait mal en raison des nouvelles normes réglementaires prudentielles imposées aux banques. Et à l’instant il vient de préciser que c’est en fait le financement des PME qui pose problème. Je voudrais préciser que les normes réglementaires qui ont été définies depuis deux ou trois ans pour les banques sont une simple remise à niveau par rapport à la situation antérieure. On est même très en-dessous de ce qui se faisait il y a dix ou quinze ans. Quand on parle du ratio de 8 %, 8,5 %, 9 % de fonds propres imposés aux banques – qui sont effectivement les ratios d’il y a vingt ans – il ne faut pas oublier que ces ratios sont calculés avec une pondération des actifs. Les multinationales n’ont aujourd’hui aucun problème pour se financer, une allocation leur est faite à des conditions tout à fait séduisantes. En revanche, la pondération des actifs fait qu’il y a des écarts très importants, même entre une entreprise du CAC40 très bien notée et une entreprise du CAC40 moins bien notée. Quand une multinationale très bien notée emprunte 100 millions, le banquier va déclarer 12 ou 15 millions et lorsque ce banquier prête à une entreprise un peu moins bien notée il va déclarer 70 ou 80 millions. Ces écarts très importants posent le problème de l’allocation des ressources. Ce problème, qui me paraît très sérieux depuis une dizaine d’années, n’est pas traité actuellement.
Les solutions proposées dans ce débat, rétablir la confiance, réconcilier les Français avec l’entreprise… s’inscrivent malheureusement dans le très long terme. Mme Bechtel et Jean-Pierre Chevènement ont cité des chiffres sur la place de la production industrielle dans la valeur ajoutée. J’aimerais les compléter. Les Échos publiaient il y a quelques semaines un article sur l’évolution de la production industrielle au sein de la zone euro depuis 2000 : -12 % pour la France, -20 % pour l’Italie et… + 34 % pour l’Allemagne ! On peut certes incriminer la dérive de nos coûts de production mais surtout, me semble-t-il, il faut constater qu’il y a un biais inégalitaire dû à la monnaie unique, annoncé il y a vingt ans par les économistes. Nous sommes vraiment dans l’urgence. Ne faut-il pas commencer à évoquer publiquement ce que vous avez dit tout à l’heure sur le fonctionnement de la zone euro ? En effet, pour l’instant, ce sont toujours un peu les mêmes qui parlent.
Louis Gallois
Je parlais évidemment des PME quand j’évoquais les difficultés de financement de l’industrie. Les grandes entreprises n’ont aucun problème de financement, elles trouvent de l’argent en abondance directement sur les marchés, sans même recourir aux banques auprès desquelles elles ont des lignes de crédit qu’elles ne tirent pas, pour l’essentiel.
Il est vrai que la zone euro a créé entre les différents pays une situation de fausse symétrie qui ne reflétait pas les différents niveaux de compétitivité. L’euro a été créé à un niveau qui, s’il était adapté à la situation française, équivalait à une formidable dévaluation pour l’Allemagne. Par la suite, sept ans d’euro fort ont laminé l’industrie française. Comme je l’avais dit dans mon rapport, l’euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles. Et l’Allemagne a été le grand bénéficiaire de cette période. Maintenant l’euro est revenu à un niveau plus acceptable mais il ne réduit pas les effets d’asymétrie entre la France et l’Allemagne que Jean-Pierre Chevènement évoquait. Je me demande si notre appareil industriel est encore capable de répondre à une dévaluation vis-à-vis de l’Allemagne de telle manière que notre déficit commercial avec l’Allemagne s’en trouve réduit et non aggravé. Au début il risque de s’accroître mais il ne faudrait pas que ça dure.
Jean-Pierre Chevènement
Autrement dit, le malade est-il encore en mesure de supporter le traitement ? Je crains que nous ne soyons déjà au stade des soins palliatifs…
Louis Gallois a évoqué deux problèmes : la valeur de l’euro par rapport au dollar et le problème interne à la zone euro. Selon un économiste canadien, Robert Mundell, dans une zone monétaire dite « non optimale », où cohabitent des régions riches, productives, et des régions sous-productives et pauvres, un mécanisme cumulatif s’exerce qui enrichit les zones riches et appauvrit les zones pauvres.
Dans l’Italie du XIXe siècle, le Mezzogiorno avait été le résultat de l’unité italienne parce que la lire du Nord avait plongé le Sud dans une récession de très longue durée, alors que Naples fut un temps la ville la plus peuplée d’Europe, à l’égal de Paris si ce n’est davantage. Cette expérience historique est particulièrement intéressante car elle montre qu’au XIXe siècle le centre italien n’avait pas fait les efforts nécessaires pour mettre le Sud à la hauteur. Je ne m’étends pas sur cette histoire comparée mais nous sommes en présence, aujourd’hui, en Europe, de mécanismes cumulatifs du même type : les pays du Sud, dits « périphériques » s’appauvrissent, se recroquevillent, tandis que ceux du Nord tirent bénéfice du cours de l’euro qui les avantage vis-à-vis de l’extérieur comme de l’intérieur.
Comment sortir de la nasse ? Peut-être la solution viendra-t-elle de secousses extérieures – que nous n’avions pas voulues mais qui frappent à la porte – qui pourraient faire progresser chez nos amis allemands une réflexion dont ils ont fait très largement l’économie jusqu’à présent. Je sais qu’en Allemagne, à gauche comme à droite, quelques-uns pensent qu’un pays doit avoir une monnaie qui convienne à son économie et qu’on ne peut pas construire durablement l’Europe sur la base d’une monnaie qui n’est pas viable à long terme. L’ancien président du patronat [13] l’a dit, Oskar Lafontaine [14] l’a dit. Beaucoup de gens le disent mais on ne les entend pas beaucoup parce qu’il y a une sorte de tabou de la monnaie unique. On ne peut pas évoquer ce sujet sans être aussitôt suspect… suspect de quoi ? Je vous le laisse à penser.
Jacques Warin
On a beaucoup parlé du CICE ce soir. Louis Gallois a évoqué ses effets extrêmement positifs, des effets mécaniques qui ne supposent pas la moindre contrepartie. Or la principale critique que j’entends à gauche, et pas seulement de la part de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’il s’agit d’un « cadeau aux entreprises » portant sur des dizaines de milliards d’euros et qu’on ne connaît pas l’usage qu’en font les entreprises. Certes on pourra répondre que ce dispositif est en gestation et que les premiers effets ne se font pas encore sentir. Ma question s’adresse à Louis Gallois, qui a été directeur général de l’Industrie il y a une trentaine d’années. Ne pourrait-on pas recréer les contrats de plan qu’il se plaisait à signer à l’époque et qui permettaient d’orienter chaque entreprise, chaque branche, dans un domaine donné ? Est-ce totalement irréaliste dans une société devenue ultralibérale ?
Jean-Pierre Chevènement vient de parler d’une secousse extérieure qui pourrait créer la solution. Louis Gallois a dit qu’on ne peut pas attendre des hommes politiques, totalement dévalorisés, une solution pour la réindustrialisation de la France. Cette solution pourrait-elle venir de la société civile, dont on attend beaucoup aujourd’hui ? On voit, notamment dans les pays méditerranéens (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), le monde politique progressivement bouleversé par des initiatives de la société civile.
Louis Gallois
Lorsque j’ai proposé l’allègement des charges sociales – et non pas le CICE, je le précise – j’ai eu un débat avec Arnaud Montebourg sur le sujet des contreparties. Je lui ai dit que la mise en place de contreparties serait extrêmement complexe et ferait perdre tout l’impact de la mesure. D’autre part nous serions incapables de vérifier que ces contreparties ont été effectivement réalisées.
Il en va un peu différemment du pacte de responsabilité parce qu’à ce pacte sont associées des négociations de branches sur lesquelles on peut avoir une certaine évaluation. Certaines branches ont bien négocié et ont obtenu de véritables résultats qui me paraissent bons pour les entreprises, pour les salariés des entreprises et pour l’activité économique. Un tiers des branches, représentant un tiers des salariés, n’ont toujours pas négocié. Je me demande s’il ne doit pas y avoir un certain ajustement de l’effort qui est réalisé à leur égard, faute de quoi on pourrait considérer que les branches qui ont mené ces négociations ont fait des efforts qui n’ont pas eu de contrepartie et que d’autres branches n’ont pas eu à en faire. Je n’aime pas l’expression « cadeau aux entreprises ». Je vais faire hurler M. Burelle en disant que les entreprises n’appartiennent à personne. Si le capital appartient aux actionnaires, l’entreprise est une collectivité humaine et, depuis la fin du servage, aucune collectivité humaine n’appartient à qui que ce soit. L’entreprise a des parties prenantes dont l’une s’appelle le capital et a son rôle à jouer. L’actionnaire doit faire en sorte que la stratégie de l’entreprise protège l’argent qu’il y a investi et lui procure les revenus qu’il juge pouvoir en tirer. Les salariés sont une autre partie prenante. Aucune entreprise ne peut se passer de l’engagement de ses salariés. Quand on aide les entreprises, on aide aussi bien le capital que les salariés. Et il faudra bien un jour que l’on comprenne que l’entreprise est un actif pour le pays, créateur de richesses, et que lui apporter de l’argent (sous forme de baisses d’impôts, de baisses de charges sociales etc.), dès lors qu’on ne le lui apporte pas dans des conditions absurdes et faciliter le fonctionnement des entreprises, est bon pour toutes les parties prenantes de l’entreprise et pour l’ensemble de l’économie.
La fiscalité touchant d’une part les salariés, d’autre part ceux qui touchent des revenus du capital de l’entreprise est un autre débat qui me différencierait peut-être de M. Burelle. Mais je n’aime décidément pas l’expression « cadeau aux entreprises », parce que les entreprises constituent de fait un patrimoine commun.
Laurent Burelle
Notre appareil industriel est-il encore capable de répondre à une dévaluation vis-à-vis de l’Allemagne ? se demandait Louis Gallois. Est-il trop tard ? Pouvons-nous encore y arriver ?
Bien que germanophile et germanophone, j’ai une position extrêmement critique et défiante à l’égard de notre « meilleur ami ». Je ne suis d’ailleurs pas sûr que notre voisin allemand soit tout à fait convaincu d’être notre meilleur ami. Quand je vais dans les familles allemandes, quand je rencontre mes homologues allemands, je remarque souvent une très grande – et très ancienne – hostilité vis-à-vis de la France. Cette hostilité se manifeste surtout quand nous réussissons.
Nous pouvons battre les Allemands à la course de vitesse, je le fais tous les jours ! Dans mes métiers, je suis fournisseur exclusif de BMW et de Mercedes aux États-Unis. Je fournis massivement des constructeurs allemands, en Allemagne, avec de la technologie française.
Vous présidez, cher Louis Gallois, le cénacle France-Corée. J’aimerais citer Reagan : « Which debt ? ». De 1960 à 1990, les Coréens ont endetté leur pays et leurs entreprises à 400 %. Vous et moi pensions que le groupe Hyundai, qui avait osé s’endetter à 400 % de ses fonds propres, était virtuellement en faillite. Aujourd’hui Hyundai est une entreprise conquérante dans votre métier et, dans mon métier, un des meilleurs du monde grâce une hyper-automatisation, une R&D très forte, une qualité remarquable, qui vient de l’automatisation, et grâce au design qu’ils ont acheté ici et là.
Je crois qu’il n’y a pas de fatalité mais il faut faire une politique très différente. Si on fait une politique comptable du type ratio de dette sur fonds propres on ne peut pas y arriver. Il faut dépasser ces critères et nous gagnerons la course parce que notre créativité, que les Allemands nous dénient mais nous envient, est supérieure à la leur. Nous pouvons faire des produits de meilleure qualité et moins chers que les leurs. Comme l’a dit Louis Gallois, c’est le renoncement de la France à monter en gamme, pendant vingt-cinq ans, qui nous a tués. Les pays qui ont réussi sont ceux qui ont monté en gamme plus que les Allemands.
Il est donc impératif que nous remontions en gamme par l’investissement.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le président. J’approuve tout à fait vos propos. Je pense que c’est cela qu’il faut faire.
S’agissant de l’épargne française, qui reste encore élevée, il faut la convertir à long terme. On ne se dispensera pas d’un biais public pour assurer cette transformation de l’épargne car les gens veulent être sûrs de rentrer dans leur argent. Mais il faut aider les entreprises à avoir l’audace de s’endetter pour promouvoir ce que nous appelions la productique, c’est-à-dire l’automatisation et le numérique, ce qui n’a jamais été réellement fait. Il faut dire que le ministère de l’Industrie, aujourd’hui, est réduit à presque rien, un petit service au sein de la Direction Générale des Entreprises (DGE), elle-même placée sous l’autorité du ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Il n’y a plus de ministère de l’Industrie au sens où je l’ai connu, avec Louis Gallois au poste de directeur général de l’Industrie, des grandes directions, des ingénieurs compétents, des gens quand même capables de faire un diagnostic rapide.
Louis Gallois
Jacques Warin m’a demandé si la réindustrialisation de la France peut venir de la société civile.
En parlant d’une classe politique dévalorisée, j’ai pu paraître exagérément critique sur les hommes politiques pour lesquels j’ai beaucoup de respect et d’admiration. Je voulais dire que l’opinion publique ne croit plus au politique, ce dont témoignent les sondages. C’est un servage moderne que d’être homme politique et cet état procure peu de grandes satisfactions. C’est pourquoi je trouve assez courageux de s’engager dans la politique. Je pense qu’il faut réhabiliter la politique aux yeux de l’opinion.
Jean-Pierre Chevènement
Dans un État vraiment républicain la société civile n’existe pas. Je souhaiterais que Jacques Warin m’en donne une définition.
Louis Gallois
On ne reconstituera pas le passé mais je crois effectivement qu’il est très important de rétablir un État qui soit respecté. Il faut que les enseignants soient respectés, il faut que les fonctionnaires des impôts soient respectés, il faut que les militaires soient respectés. Lorsque nous retrouverons un État respecté, les hommes politiques le seront également. Nous devons y travailler tous les jours.
Jean de Gliniasty
J’ai trouvé ce débat absolument passionnant. Mais je constate que, depuis presque vingt ans, nos hommes politiques n’ont jamais transformé ce discours qui, je suis prêt à le reconnaître, a aujourd’hui un impact beaucoup plus fort qu’avant.
M. Burelle a cité l’ISF. Tout le monde savait, à gauche comme à droite, dès le premier jour de la création de l’ISF qu’il entraînerait, bon an mal an, la fuite de 1 à 2 milliards de dollars hors de France. Et cela dure depuis vingt-cinq ans. Tout le monde le sait, personne n’a rien fait parce que politiquement ce n’était pas supportable.
La prise de conscience, évidente pour toutes les élites depuis plus de vingt ans, est-elle passée au niveau politique ? Le politique est-il prêt aujourd’hui à agir ? Aura-t-il le courage, quasiment suicidaire dans certains cas, de prendre les mesures qu’à juste titre vous évoquez comme bénéfiques ?
Louis Gallois
Il y a une prise de conscience dans le pays. J’ai été frappé de l’écho provoqué par mon rapport, qui n’était pas dû à sa pertinence ou à sa qualité (peu de gens l’ont vraiment lu !) mais à la date de sa parution, à un moment où montait dans le pays une grande interrogation sur sa capacité à faire face à la mondialisation et à la compétition internationale. Je pense que l’idée est passée que la compétitivité était devenue un enjeu absolument essentiel pour la croissance du pays, son développement et le bien-être des Français. On n’a pas suffisamment exploité cette prise de conscience. Ce n’est pas facile quand on a 20 % d’opinions favorables en deuxième partie du quinquennat.
Jean-Pierre Chevènement
C’est justement quand on a 20 % d’opinions favorables qu’il faut oser traduire en actes une politique de compétitivité. L’opinion a peut-être pris conscience de la nécessité d’une reconquête de la compétitivité mais si la traduction en est seulement le CICE, distribution généralisée de dragées, y compris à des entreprises qui n’ont rien à voir avec l’industrie, alors que, par définition, nous exportons exclusivement des biens industriels, c’est que quelque chose ne va pas !
C’est ce sur quoi il faut faire porter l’effort.
Patrick Quinqueton
Notre code du travail serait épouvantable, donc à revoir de fond en comble, ai-je entendu.
Je ne suis pas un défenseur du code du travail, même si je fais partie de ceux qui l’ont recodifié il y a quelques années, mais il me semble que les choses seraient plus simples si on disait un peu plus clairement ce qu’on veut y changer.
Les règles relatives à la sécurité au travail, qui représentent la moitié des pages de ce code, sont les mêmes dans tous les pays européens : elles ne sont ni d’une nature différente ni d’un énoncé différent.
La différenciation des règles applicables selon la taille de l’entreprise est généralement une idée qui passe pour juste. Bien évidemment, on ne peut pas appliquer les mêmes règles à des firmes multinationales et à des artisans, même si tout cela peut se moduler. Mais bien sûr, en adaptant les dispositions aux types d’entreprises concernées, on augmente le volume du code.
Le problème de la taille du code du travail est un faux problème.
Où est donc le vrai problème ?
Il me semble qu’il réside dans l’articulation entre les sources de règles : les règles régaliennes, les règles fixées par la négociation dans les branches et les règles déterminées dans les entreprises. C’est sur ce sujet-là, un peu plus complexe que les diatribes très globales sur le code du travail et son nombre de pages, que nous devrions réfléchir si nous voulons avancer.
Je peux faire la démonstration que le code du travail n’est pas plus volumineux en France qu’il n’est en Allemagne ou en Italie, il est simplement construit différemment. Par contre il y a des vrais problèmes qui méritent d’être étudiés, comme celui de l’élaboration des règles applicables.
Laurent Burelle
Je n’ai pas peur de la dette, je n’ai pas peur des emprunts, je n’ai pas peur de l’innovation, je n’ai pas peur du porte-à-faux… j’ai peur, en France, de la négociation sociale qui ne se passe pas bien. Je me sens plus rassuré dans les pays où elle est plus facile. Est-ce par manque de courage que j’ai tendance à aller embaucher dans ces pays ?
Louis Gallois
C’est la crainte de la négociation sociale en France qui conduit les acteurs à considérer que c’est à l’État de régler ce problème. Chaque fois que les partenaires sociaux n’arrivent pas à s’entendre, on se retourne vers l’État. Je répète que nous avons raté une occasion historique d’établir un dialogue social plus serein tout en contribuant à éviter la désindustrialisation.
En Allemagne, le dialogue social n’est pas facile : chez Airbus, quand j’affrontais une grève, j’avais 98 % de grévistes, car ils obéissent au doigt et à l’œil aux syndicats. On le constate dans les chemins de fer allemands, actuellement en grève. Ce sont des syndicats qui se défendent mais le niveau d’acceptation du dialogue est absolument extraordinaire. Sachez que l’actuel président du conseil de surveillance de Volkswagen est le représentant des salariés, l’ancien patron du syndicat IG Metall (Industriegewerkschaft Metall), M. Huber. C’est un peu comme si, en France, M. Martinez (secrétaire général de la CGT) était Président du Conseil d’Administration de Renault !
Jean-Pierre Chevènement
Je remercie très chaleureusement Louis Gallois, Monsieur le président Burelle et les divers intervenants. Vous avez dégagé quelques pistes qui rendent optimiste pour le sursaut à venir. Toutefois, pour passer du déclin au renouveau, nous n’éviterons sans doute pas un moment difficile. Mais, au moins, des idées ont été semées. Peut-être germeront-elles.
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[1] Le principe de base du droit des aides d’État, énoncé à l’article 107 paragraphe 1 TFUE, est que les aides accordées par les États membres sont, sauf dérogation, incompatibles avec le marché intérieur (et donc interdites), si elles affectent le commerce entre États membres et faussent la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. La Commission européenne a compétence exclusive pour accorder des dérogations.
[2] Sénat : Proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales.
Texte n° 779 (2010-2011) de M. Éric DOLIGÉ, déposé au Sénat le 4 août 2011
[3] L’usine de Vigo, en Galice, plus grand centre du groupe PSA dans le monde, tant au niveau de la production, que des effectifs, et première entreprise de la région, comprend des unités d’emboutissage, de ferrage, de peinture et de montage.
[4] Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de la Réforme de l’État et de la Simplification dans le gouvernement de Manuel Valls (à la date du colloque).
[5] « Quatre-vingt-douze nouvelles mesures pour un « grand choc » de simplification » (Le Monde du 01.06.2015. Par Patrick Roger).
[6] La société CARMAT, qui développe des bioprothèses, notamment un cœur artificiel, a été fondée dans les années 1990 par le professeur Alain Carpentier et Jean-Luc Lagardère (alors président de la société Matra Défense).
[7] La société Deinove conçoit, développe et commercialise une nouvelle génération de procédés industriels fondée sur des bactéries.
[8] La société biopharmaceutique Pharnext, spécialisée dans le développement de traitements innovants pour les maladies neurologiques graves, a été fondée en 2007 par une équipe menée par le Professeur Daniel Cohen.
[9] Le statut de jeune entreprise innovante (JEI) permet aux PME qui engagent des dépenses de recherche-développement de bénéficier d’avantages fiscaux et sociaux. (‘article 44 sexies-0 A du Code général des impôts.
[10] Le dispositif des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), prévu à l’article 163 bis G du code général des impôts (CGI), a été institué par l’article 76 de la loi de finances pour 1998 n° 97-1269 du 30 décembre 1997 afin de permettre aux jeunes sociétés de s’attacher, par le biais d’un intéressement à leur capital, le concours de salariés qu’elles ne peuvent s’offrir compte tenu de leur faible surface financière.
[11] Après la défaite de l’armée franco-impériale à Rossbach, en 1757, contre Frédéric II de Prusse, un petit poème brocardant le commandant vaincu (le prince de Soubise) courut les rues de Paris :
« Soubise dit, la lanterne à la main :
J’ai beau chercher, où diable est mon armée ?
Elle était là pourtant hier matin.
Me l’a-t-on prise ou l’aurais-je égarée ?
Prodige heureux ! La voilà, la voilà !
Ô ciel ! Que mon âme est ravie !
Mais non, qu’est-ce donc que cela ?
Ma foi, c’est l’armée ennemie. »
[12] En 2010, PriceMinister a été racheté par le leader du commerce électronique japonais Rakuten pour 200 millions d’euros !
[13] Hans-Olaf Henkel, ancien président du patronat allemand, plaide, dans son livre « Sauvez notre argent, l’Allemagne est bradée » (« Rettet unser Geld – Deutschland wird ausverkauft »), publié en 2010, pour que son pays sorte de l’euro et crée une nouvelle union avec les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche et la Finlande.
[14] Oskar Lafontaine (l’un des fondateurs du parti de gauche allemand, Die Linke, ancien président du SPD, ministre des Finances de 1998 à 1999), écrit dans un texte du 30 avril 2013 qu’il faut abandonner la monnaie unique, revenir aux monnaies nationales et créer un nouveau Système monétaire européen.
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Le cahier imprimé du colloque « Quel modèle de réindustrialisation pour la France ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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