Intervention de Alain Arnaud, Président de la Mutualité Fonction Publique (MFP), au colloque « Organiser et prendre en charge la santé des français » du 7 février 2011

Sans traiter tous les aspects du rôle des complémentaires, j’exprimerai la vision de la mutualité sur un système de santé auquel les complémentaires au sens large, mais surtout la mutualité, sont appelés à contribuer de plus en plus.

Je rejoins les intervenants qui m’ont précédé pour constater que notre système de santé est aujourd’hui au bord du précipice … ou face au mur (expression peut-être plus optimiste).

J’insisterai sur les raisons du déséquilibre de ce système de santé et sur sa permissivité, notamment quant aux libertés qui viennent d’être évoquées par Christian Saout. En effet, nous n’avons pas suffisamment conscience, les uns et les autres, des libertés qu’autorise ce système socialisé, mutualisé : liberté de choix du médecin par le patient, liberté d’installation pour le médecin, liberté de prescription, liberté tarifaire etc.

J’aborderai aussi un aspect qui n’a pas été évoqué jusqu’ici : l’absence de véritable culture de prévention et d’éducation à la santé (d’autres pays sont beaucoup plus avancés dans ce domaine) et une médecine essentiellement curative contribuent très vraisemblablement au développement des dépenses.

On ne peut pas parler de l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaire sans parler de l’assurance maladie obligatoire.

Quelles sont les réponses possibles ? Devons-nous envisager un scénario de rupture ou un scénario d’évolution ? Le pessimisme (le réalisme ?) de Jean de Kervasdoué est justifié et nous stimule. Toutefois, je pense que nous avons quelques voies et moyens de faire évoluer notre système, pour peu que tout le monde s’y mette.

Il faut d’abord arrêter d’empiler les lois. Notre arsenal juridique est suffisant pour conduire dans ce pays des politiques de santé efficientes :

1993, la loi Teulade (1) a mis en place pour la première fois la maîtrise médicalisée des dépenses et a conféré à l’assurance maladie un autre rôle que celui de caisse payeuse. Mais les décrets d’application n’ont pas tous été publiés, cette loi est donc restée un peu lettre morte.

J’ai relu la loi de 2004 (2) il y a peu. Elle recèle beaucoup de possibilités : des mesures qui visent à mieux coordonner les soins, des outils de pilotage, la Haute autorité de santé, l’Institut des données de santé. Le dossier médical personnel est resté longtemps un serpent de mer. Il semble vouloir ressortir maintenant, je ne sais pas ce qu’il faut en penser. Il reste que nous disposons de ces outils, et des incitations à faire parler ensemble les acteurs : les caisses des régimes de base dans une Union nationale des caisses d’assurance maladie, les complémentaires réunies dans une Union nationale des organismes complémentaires et les professionnels de santé censés être réunis dans une Union nationale des professions de santé créée récemment, pour discuter avec les médecins, pour discuter des conventions.

Sur la loi HPST (2009), nous n’avons peut-être pas encore le recul suffisant. Les ARS ont été mises en place depuis moins d’un an.
Mais je considère que nous avons aujourd’hui le cadre juridique qui permet d’avancer, en particulier pour essayer de rendre la politique de santé plus efficiente, notamment dans la fixation des objectifs, cela a été dit.

Dans le domaine de la politique de santé comme dans l’ensemble des politiques publiques, il serait nécessaire d’apprendre, dans ce pays, à gérer les conflits entre le court terme et le long terme.

En ce qui concerne les objectifs en matière de qualité des soins et de sécurité sanitaire, le problème des autorisations et de la relation avec les industries médicales mériterait d’être traité. L’exemple du Mediator interpelle tout le monde, mais il avait été précédé d’affaires moins médiatisées.

S’agissant de l’accès aux soins, nous constatons aujourd’hui son caractère inégalitaire, à la fois pour des raisons financières et aussi pour des questions géographiques, et même au regard de la qualité des soins dans certains établissements.

À mon tour, je répéterai que l’organisation de ce système de santé est à améliorer. Il faut en particulier trouver la bonne articulation entre les ARS et l’assurance maladie obligatoire, deux institutions qui dans certains cas apparaissent plus concurrentes que partenaires, mais qui sont condamnées à travailler ensemble.

Enfin, je rejoindrai Christian Saout : il n’y a pas de bonne réforme, de bonne loi, si elle n’est pas appropriée par les différents acteurs : les citoyens qui financent, les patients, les médecins. Ces acteurs doivent se parler. Or, il n’y a pas de véritable débat. Pourtant, c’est un vrai sujet de société qui aurait sa place au cœur des discussions et de la campagne pour l’élection présidentielle.

La structure de financement du système n’a pas été évoquée. Nous sommes toujours fondamentalement dans un système de financement de l’assurance maladie basé sur le facteur travail, certes le plus important dans l’appareil de production. Mais cette référence au facteur travail met les ressources de l’assurance maladie dans un état de très grande dépendance à la conjoncture économique, à l’emploi, à l’évolution des rémunérations. Il est donc nécessaire de réfléchir à un élargissement de l’assiette et des cotisations, ce qui, pour la mutualité, signifie élargissement à la valeur ajoutée (et non la TVA sociale). C’est pour nous une des pistes pour réviser la structure de financement.

Ma conviction, partagée par nombre de mes amis mutualistes, est que la santé est un droit et qu’elle ne peut pas alimenter un marché. Il est vrai que le régime obligatoire doit être du plus haut niveau possible. L’augmentation du « reste à charge » a généré un marché concurrentiel sur lequel interviennent aujourd’hui des assureurs, des bancassureurs, des institutions de prévoyance qui relèvent de législations différentes (le code de la mutualité, le code des assurances, le code de la sécurité sociale … et même le code rural), ce qui fait qu’aujourd’hui tout le monde peut venir sur ce marché de la complémentaire santé mais avec des conceptions différentes. Fondamentalement, c’est la façon de mutualiser les risques qui différencie la mutualité des assureurs classiques, traditionnels.

Nous ne parlons pas assez, en France, de cette problématique de mutualisation ou d’individualisation. Aujourd’hui, les politiques penchent vers l’individualisation, stimulés d’ailleurs en cela par la vague de fond anglo-saxonne qui promeut l’association du marché, de la concurrence et du consumérisme. Même si le risque est mutualisé chez les assureurs, il l’est par classes d’équivalence, ce qui n’a rien à voir avec une mutualisation globale au sens de l’assurance maladie obligatoire ou de la mutualité. La couverture individuelle, donc la gestion individuelle des risques comporte un danger de renforcement des inégalités dans un système déjà inégalitaire.

La tentation des pouvoirs publics, face aux difficultés du régime d’assurance maladie obligatoire, est d’organiser des transferts de charges et, si possible, un partage entre le régime obligatoire et le régime complémentaire.

Les déremboursements sont un moindre mal car lorsque l’assurance maladie ne rembourse plus un médicament, les complémentaires n’ont pas de raison de le rembourser. Mais on assiste à des baisses de remboursements. Quand le taux de remboursement d’un médicament tombe à 15%, le « reste à charge » est énorme. Nous nous opposons (sans succès pour l’instant mais avec détermination) à ces baisses absurdes : ou un médicament a une efficacité thérapeutique et il doit être remboursé à un bon niveau, ou il n’en a pas et il ne doit pas être remboursé du tout. Cet élément nous paraît essentiel.

De même, en ce qui concerne les ALD, la tentation est grande d’organiser un transfert sur les complémentaires. Un projet en gestation, sur lequel ont été consultées les instances des caisses de l’assurance maladie et de l’UNOCAM (Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire) prévoit la sortie des ALD de l’hypertension artérielle isolée. Cela signifie qu’un hypertendu artériel n’aura plus droit au remboursement à 100% pour cette affection. Mais la limite entre l’hypertension artérielle facteur de risque et l’hypertension artérielle maladie est extrêmement ténue, on a donc là un exemple de transfert de charges sur les ménages et sur les complémentaires.

Je passe sur toutes les facturations et tarifs divers en matière d’hébergement en établissements de soins, en court séjour comme en long séjour.

Cette évolution ne nous paraît pas la bonne solution, pas plus que nous n’approuvons la distinction entre gros risque et petit risque. C’est une tentation ancienne, à laquelle nous avons toujours résisté jusqu’ici, qui redevient d’actualité depuis quelques mois. Nous estimons que la santé doit être prise dans sa globalité. Un petit « bobo » peut recéler des maladies plus graves, en particulier dans le domaine dentaire où le renoncement aux soins dentaires peut conduire à des cardiopathies assez sévères. La population ne le sait pas suffisamment.

De plus, cette évolution conduit progressivement à la privatisation du fait des transferts de charges. Quand le secteur assurantiel lucratif sera devenu incontournable, il sera difficile d’échapper à des transferts massifs. En effet, les assureurs y voient un marché alors que la mutualité est favorable à une sécurité sociale du plus haut niveau et à une politique partenariale.

La mutualité a pris des engagements vis-à-vis de l’assurance maladie et du gouvernement pour participer à une bonne politique de santé publique. Nous ne sommes pas toujours entendus par l’assurance maladie mais nous pèserons de notre poids pour qu’il en soit ainsi. C’est le rôle d’une mutualité qui est avant tout un mouvement social et pas simplement un assureur. Elle gère aussi des établissements de santé et fait de l’accompagnement social.

Pour toutes ces raisons, nous nous tenons prêts à participer à une politique partenariale qui n’est pas tout à fait le partage public-privé imaginé par ceux qui y voient une source de profits.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Arnaud.
Nous ne sortons pas tout à fait de la difficulté de résoudre le problème qu’a posé M. de Kervasdoué. Mais celui-ci, dans un de ses ouvrages, nous rappelle que les Anciens, dans leur panthéon, distinguaient Esculape, dieu de la médecine et Hygie, déesse de la santé. Cela pour montrer que les Anciens faisaient très bien la différence entre la santé, qui dépend de nombreux facteurs, et la médecine, qui résout certains problèmes mais qui n’est pas tout. Le Japon dépense assez peu pour sa santé, c’est pourtant le pays où l’espérance de vie est la plus longue. Inversement, les dépenses de santé, aux États-Unis atteignent 16% du PNB, bien plus encore qu’en France, mais l’espérance de vie y est plus courte.

Nous avons conscience d’aller « dans le mur ». Mais est-ce si grave ?

J’aimerais tenter une approche républicaine de ces problèmes de la santé. Où est l’intérêt public, s’agissant de la politique hospitalière, s’agissant de la médecine de ville, s’agissant de l’organisation du secteur médico-social ? Une approche républicaine permettrait d’aller vers des solutions plus rationnelles, dussent-elles passer par un certain rationnement. Un système où le financement public permet de soutenir un édifice qui repose très largement sur le privé, sur la concurrence (régulée), où il y a beaucoup de situations de monopole, est-il tenable à long terme? Il faut trouver chez les citoyens une prise de conscience qui permette aux politiques d’avoir des politiques courageuses car on ne peut pas demander aux hommes politiques d’être courageux tout seuls. Ceci suppose une éducation des citoyens. C’est un peu l’objet de travaux comme les nôtres : poser les problèmes de façon à pouvoir les résoudre.

On ne peut pas dissocier le social de l’économie. Vous avez évoqué un taux de croissance de 2,5% d’ici 2013 qui me paraît très optimiste, compte tenu des politiques mises en œuvre. Nous allons plutôt vers une croissance de 1% à 2% et on ne peut pas exclure une nouvelle récession. Nous arriverons donc « dans le mur » plus tôt que vous ne le supposez. C’est peut-être une bonne nouvelle si cela suscite l’effort nécessaire pour repenser le système. Un pays dont la base productive et plus précisément industrielle, se rétrécit constamment en proportion du PIB global depuis trente ans voit forcément son modèle social se fissurer. Ces évidences sont au cœur des préoccupations sur lesquelles travaille la Fondation Res Publica.

Un bon angle d’approche me paraît être l’approche comparative au plan international. C’est ce que va nous faire découvrir M. Quinqueton, conseiller d’État et membre du conseil scientifique de la Fondation.

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1/ Loi n° 93-8 du 4 janvier 1993 (dite Loi Teulade) relative aux relations entre les professions de santé et l’assurance maladie
2/ Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique

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Le cahier imprimé du colloque « Organiser et prendre en charge la santé des Français » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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