Une nécessaire refondation du pacte civique de santé

Intervention de Christian Saout, Président du Collectif Inter Associatif sur la Santé, au colloque « Organiser et prendre en charge la santé des français » du 7 février 2011

Je m’exprimerai du point de vue des associations regroupées dans le Collectif Inter Associatif sur la Santé : associations familiales, associations de personnes handicapées, de patients, de consommateurs et de personnes âgées. La spécificité française est l’absence de mouvement de patients organisé de façon autonome et distincte d’autres mouvements (personnes handicapées, familles etc.).

Présidant aux destinées de ce conglomérat très complexe, je vais néanmoins essayer de vous faire part de ce que les gens disent de leurs besoins de santé, de ce que les personnes malades observent dans la vie quotidienne et aussi peut-être des observations des militants associatifs.

Leur première observation est le désengagement de l’assurance maladie dans la prise en charge financière, à coups de forfaits qui ne cessent d’augmenter, à coups de franchises, à coups de déremboursement d’un certain nombre de médicaments. À l’évidence, le fameux RAC (1) (le « reste à charge ») ne cesse d’augmenter.

Les ménages rencontrent des difficultés croissantes pour assurer ce « reste à charge » en raison de l’augmentation régulière des complémentaires (+5%, 6%, 8% selon les années). Il faut savoir que 5 millions de personnes n’ont pas de complémentaire dans notre pays où le ticket modérateur s’élève à 30% (il est plus élevé que les tickets modérateurs anglo-saxons). L’aide à l’acquisition de la complémentaire santé a permis à 400 000 personnes de trouver une complémentaire sur un objectif initial de 2 millions.

Le « reste à charge » progresse considérablement aux dépens des patients, y compris de ceux qui sont en ALD (2). L’idée que l’ALD couvre à 100% est une fiction. De nombreux éléments doivent accompagner la prise en charge d’une maladie de longue durée qui ne sont ni des produits, ni des actes, ni des services pris en charge à 100%. La distribution du « reste à charge » pour les personnes en ALD varie en fonction de la maladie et des situations personnelles. On enregistre pourtant des progrès.

Les deux orateurs qui m’ont précédé ont parlé du désengagement de la médecine de proximité et de la sollicitation croissante des urgences qui, effectivement, deviennent la porte d’entrée du système de santé. À force d’avoir déstructuré la médecine de proximité, l’hôpital est devenu un peu l’homme à tout faire de ce système de santé. C’est particulièrement mal venu dans un contexte d’explosion de maladies chroniques qui – exception française – sont soignées à l’hôpital alors qu’elles devraient être prises en charge en ville pour laisser à l’hôpital l’exceptionnel. C’est un renversement quasi-total du système.

La coordination entre la ville et l’hôpital est inexistante. À l’époque lointaine où je portais encore les cheveux longs et des sabots suédois, on parlait déjà du « décloisonnement ville-hôpital » ou de la « coordination ville-hôpital », j’observe que rien n’a changé. Comme l’a dit Pierre-Louis Bras, le médecin hospitalier, devenant médecin de ville, se comporte comme un médecin de ville ; inversement, quand un médecin de ville va à l’hôpital, il se comporte comme tel, c’est-à-dire qu’il ne parle pas à « la ville ». Ce système absurde pèse terriblement sur les conditions de vie des personnes puisque, par construction, dans une maladie chronique, dans les poly-pathologies de l’âge, il est nécessaire de coordonner plusieurs intervenants médicaux ou sociaux.

À cette difficulté se rajoute l’absence de parcours de soins. En effet, si le « parcours de soins » figure dans la loi relative à l’assurance maladie, il désigne en réalité un parcours de tarifs (si vous n’êtes pas passé chez le généraliste, vous aurez une pénalité chez le spécialiste) qui n’a aucun aspect qualitatif, aucun aspect dynamique de la prise en charge. Il ne s’agit que de régulation financière. On a tenté de placer un Gatekeeper mais derrière la porte, il n’y a personne.

Notre pays souffre d’une très grande faiblesse de l’information sanitaire. Peut-être les personnes qui sont autour de cette table ont-elles un carnet d’adresse qui leur permet d’avoir accès au savoir mais beaucoup de gens ignorent tout à fait comment se faire prendre en charge dans le système de santé. Il n’existe pas de « GPS » du système de santé (sans doute le terme de « système » est-il d’ailleurs impropre, comme l’ont démontré les deux interventions précédentes). Il y a aussi une faiblesse de l’information médicale. Probablement l’affaire du Mediator eût-elle été évitée si cette information médicale avait été rendue transparente.

Au risque de passer pour la troisième Cassandre de cette table, j’ajouterai qu’on assiste aussi à des choses qu’on n’avait pas vues dans notre pays depuis longtemps, tels les refus de soins. 40% des bénéficiaires de la CMU ne peuvent pas accéder aux spécialistes. On les refuse, tout simplement parce qu’on ne peut pas, pour un patient à la CMU, faire un dépassement d’honoraires, ce qui en dit long sur la manière dont le système fonctionne. On observe aussi des renoncements aux soins, qui commencent à être un peu documentés, notamment chez ceux qui n’ont pas de complémentaire. La DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) estime à 17% les renoncements aux soins en l’absence de complémentaire.

Jean de Kervasdoué parlait d’une crise systémique, c’est aussi une crise pour des individus de plus en plus nombreux. Quelques soucis de sécurité des soins persistent – même si les décennies 80 et 90 ont permis de traiter ces sujets – notamment avec le développement de la chirurgie ambulatoire et les problèmes de distance entre le point de contact et le service de santé. À force de regrouper la réponse de santé dans des hôpitaux plus grands ou des cabinets médicaux regroupés, on éloigne la distance moyenne entre le citoyen et le point de contact avec le système de santé sans avoir réglé les questions d’aménagement du territoire, les questions de circulation des individus, les manières de se rendre dans ce système de santé.

Dernier constat avant de passer à quelques propositions.
La « démocratie sanitaire », expression malvenue que je me dois d’utiliser en tant qu’associatif, n’a pas non plus tenu ses promesses. En 2002, un article de la loi Kouchner (3), voté à l’unanimité, disposait que les usagers seraient représentés dans toutes les instances de santé. Ils sont présents à l’Institut de prévention d’éducation à la santé, à l’Institut de veille sanitaire, à l’Inserm, mais ni à la Haute autorité de santé ni à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Étonnez-vous, après cela, de l’affaire du Mediator.

Propositions et questions :

Les associations du Collectif Inter Associatif sur la Santé, sans vouloir recréer les mines de sel ni se prendre pour des organisateurs de kolkhozes, souhaitent un système de santé national plus intégré. Je ne sais pas si la solution anglaise est la bonne mais nous ne pouvons laisser durer cet état de désorganisation. Nous avons besoin d’un vrai système national de santé et non de la juxtaposition actuelle (ville et hôpital, spécialiste et généraliste, soins de suite et soins aigus…) caractérisée par le manque d’organisation et de coordination.

Un deuxième point important est la contrainte sur l’installation des médecins dans les zones désertifiées. Pierre-Louis Bras a dit qu’il n’y croyait pas beaucoup. Je n’y crois pas non plus. Le lobby médical est plus fort que le lobby des patients, ne serait-ce que parce que, siégeant à l’Assemblée et au Sénat, il vote les lois à sa main plutôt qu’à la main de l’opinion. Ce sont bien les parlementaires qui ont retiré le peu de contraintes qui existaient dans le projet de loi HPST. Nous allons au-devant d’une difficulté réelle. Compte-tenu de la démographie médicale, sauf à les y contraindre, les médecins n’iront pas s’installer dans les déserts médicaux, qu’ils soient ruraux ou urbains. Cela pose la question de l’organisation de notre système de santé. Devons-nous aller vers un système de santé normal pour les grandes villes et les rives côtières tandis que le reste de la France se contenterait de postes de santé avancés, avec des infirmières ou des « officiers de santé », aurait-on dit par le passé (comme en Guyane, sur le Maroni, à partir d’Apatou). Voulons-nous deux France, la France des grandes villes et des bords de mer où on trouve de la ressource médicale et la France des postes de santé avancés, de la télémédecine ? C’est une vraie question de société.
Peut s’en sortir par une plus grande mobilisation des collectivités locales qui ne cessent de déplorer que les transferts de compétences n’ont pas été accompagnés de transferts de ressources ?

Cela pose aussi la question de l’évolution des médecins généralistes qui, en général, ne savent pas poser à leurs patients les trois questions primordiales sur leur alimentation, leurs addictions, leur sexualité. Si les prescriptions excessives de médicaments peuvent trouver une explication dans le paiement à l’acte (symboliquement, quand on a payé quelqu’un pour un service, on espère repartir avec quelque chose), elles sont aussi imputables à la formation des médecins, aujourd’hui entièrement organisée et financée par l’industrie pharmaceutique.

Faut-il envisager des évolutions consistant à donner la main à la société civile plutôt qu’à la société médicale en créant des centres d’accompagnement à la maladie chronique ou à la dépendance ? Ce n’est pas le sujet de ce soir, mais on peut imaginer des formes associatives où nos concitoyens pourraient avoir des mandats d’intervention dans le domaine public pour accompagner, coordonner, soutenir les personnes en difficulté de santé.

On peut aussi parier sur le développement des technologies de l’information et de la communication appliquées à la santé. Ce n’est pas non plus sans risques. Il faut une culture de la performance et du management mais je ne crois pas plus que Pierre-Louis Bras aux vertus des conseils de surveillance des agences régionales de santé. J’ai vu fermer un hôpital public à Alès et il a rouvert par magie deux ans après… mais il est vrai qu’il était classé « haute qualité environnementale » ! La prise de décision a une vraie difficulté à se faire dans la raison.

Quelques points me paraissent importants en termes de débat de société :

L’identification d’une politique nationale de santé. Pierre-Louis Bras disait tout à l’heure que Les ARS sont là pour exécuter une politique nationale de santé. Mais il n’y a pas de politique nationale de santé. La loi de santé publique, qui nous servait de moignon, a disparu en 2009, puisqu’elle devait être renouvelée pour cinq ans. Nous n’avons pas de politique nationale de santé identifiée, nous n’avons pas de stratégie nationale, nous n’avons qu’une collection de plans qui tiennent avec quelques éléments de colle ou de rustine empruntées à Pierre-Gilles De Gennes.

Il est impossible de trouver en France un document précisant les priorités de la France. Il y a bien le document de 2004 mais « cent priorités », ça veut dire qu’il n’y a pas de priorité. En Angleterre, au contraire, quand des priorités sont fixées, elles sont l’objet de tous les efforts.

Un deuxième point me paraît important : l’informatisation du système de santé et les risques qu’il comporte pour les libertés individuelles et collectives. Dans notre pays, nous n’avons pas eu de débat sur l’informatisation de la société depuis les années 70, quand Simon Nora et Alain Minc avaient traversé la France pour rédiger le rapport qui déboucha sur la loi Informatique et liberté. Mais à l’époque, on parlait des données de chez Darty et du minitel. Aujourd’hui il est question de données personnelles de santé, d’internet. C’est le même saut d’échelle que lorsqu’on passe de l’armement conventionnel à l’armement atomique. Mais on feint d’ignorer ce problème. Je crains qu’un jour « la crêpe se retourne » et que nos concitoyens ne conçoivent une véritable défiance à l’égard de l’informatisation des systèmes de santé, alors que c’est probablement un des outils qui permettent de récupérer de la performance et de la pertinence.

Le troisième élément de débat est la question de la liberté dans le système de santé. Si ce système est coûteux, c’est aussi parce que nous pouvons en jouir les uns et les autres librement. C’est un vrai débat politique. Pouvons-nous accepter de nous gêner un peu pour que le système soit plus soutenable financièrement ? Dans quelques jours se tient un colloque sur la fraude dans le système de sécurité sociale mais, souvent alléguée, la fraude des patients est rarement démontrée. Les vraies fraudes sont bien ailleurs et montrent que certains usent et mésusent abondamment de ce système de santé. Mais il y a une vraie nécessité de transparence.

Le quatrième point concerne les ressources nouvelles dont nous aurons besoin. Les dépenses vont continuer à augmenter, même si on fait un travail de bouton de veste pour découvrir les trappes à dépenses et les résoudre. Les ressources nouvelles ne peuvent évidemment pas affecter l’emploi si nous ne voulons pas nuire à la compétitivité française. À la différence de Jean de Kervasdoué qui croit qu’on n’y arrivera que la tête dans le mur et le couteau sur l’os, je pense que ce peut être une question pour 2012 (en 2007 on n’avait abordé la santé qu’au travers de la maladie d’Alzheimer). Espérance ou naïveté ? Je me dis que les élections de 2012 peuvent être l’occasion d’un débat sur le système de santé afin d’essayer de trouver des solutions.

Voilà ce que je pouvais vous dire du point de vue des usagers du système de santé, de ce qui les inquiète, de la manière dont ils le pensent. Le « bouclier sanitaire », par exemple, a été présenté comme une solution – parfois revêtue d’aspects idéaux – pour traiter la question de la couverture maladie. Il comporte des avantages et des inconvénients. Mais nous tenons là un vrai sujet d’expression politique, dont le concept a été pensé, dont la faisabilité matérielle et économique a été réfléchie (on a demandé un rapport à Bertrand Fragonard et à Raoul Briet (4)) mais dont on n’a pas travaillé l’acceptabilité sociale. Or, l’acceptabilité sociale et la politique, c’est la même chose. Il est vrai, comme l’a dit Pierre-Louis Bras, qu’il faut parfois dix ou quinze ans pour qu’une question mâture et qu’on arrive à s’attaquer aux questions structurelles.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Saout, pour cet exposé très stimulant. Je me tourne vers Monsieur Arnaud, président de la Mutualité fonction publique, qui va nous parler de l’articulation entre l’assurance maladie et les caisses complémentaires.

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1/ Le reste à charge est comme son nom l’indique, ce qui reste à la charge de l’assuré, une fois reçus les remboursements de l’Assurance maladie et de sa complémentaire santé. À ne pas confondre avec le ticket modérateur qui lui est la différence entre les sommes engagées par l’assuré social et le remboursement de la sécurité sociale.
2/ L’ALD (Affection Longue durée), définie par l’article L 324 du Code de la Sécurité Sociale, donne droit à l’exonération du ticket modérateur.
3/ LOI no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
4/ Le président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), Bertrand Fragonard, et celui de la commission de périmètre des biens et services remboursables de la Haute autorité de santé (HAS), Raoul Briet, ont remis au gouvernement le 28 septembre 2007 le rapport sur la mise en œuvre d’un “bouclier sanitaire” qui leur avait été commandé afin de contrebalancer la charge, pour les assurés, résultant de la mise en place de nouvelles franchises médicales prévues dans le PLFSS 2008.

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Le cahier imprimé du colloque « Organiser et prendre en charge la santé des Français » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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