La Méditerranée, mythe mobilisateur et espérance

Intervention de Henri Guaino, Conseiller spécial du Président de la République, au colloque « Quelles perspectives pour la France en Méditerranée? » du 17 janvier 2011.

La Méditerranée, berceau de la démocratie comme l’a dit tout à l’heure Jean-Yves Autexier, oui, mais surtout la Méditerranée, berceau de la tragédie.

C’est la Méditerranée qui a enseigné que l’histoire est toujours tragique et que la plus grande liberté de l’homme est dans la volonté qu’il oppose au destin qui menace de l’écraser. C’est au seuil de la servitude que s’exprime la plus haute idée de la liberté humaine.

Et n’oublions pas cette autre dimension de la tragédie dont parlait Camus : « La tragédie c’est lorsque s’affrontent deux principes de légitimité entre lesquels il est impossible de choisir : Antigone a raison et Créon n’a pas tort ».

Comment dès lors ne pas parler du conflit israélo-palestinien ? Comment ce soir ne pas parler de la Tunisie ?

Un mot d’abord pour répondre à Hubert Védrine qui, pour une fois, se laisse aller à prendre la politique par le petit bout de la lorgnette.

La politique se bâtit sur les rêves des hommes.

La Méditerranée existe-t-elle dans les rêves des hommes ?
Existe-t-elle dans l’expérience historique ?
Existe-t-elle dans leur mémoire, dans leur conscience collective ? Dans leurs représentations ?

Y a-t-il un socle commun dans les civilisations ? Dans les multiples liens souterrains, secrets, intimes autant qu’économiques ou commerciaux ?

Il y a deux façons de regarder la Méditerranée : comme une frontière entre deux mondes étrangers, opposés l’un à l’autre, ou comme le centre d’un monde et le nom que nous donnons à une destinée commune. Car, de part et d’autre, nous sommes dépendants les uns des autres, imbriqués les uns dans les autres. Sur ces liens, sur ces ressemblances, sur ces intérêts communs nous pouvons (re)bâtir quelque chose.

L’Union pour la Méditerranée : une source de profit.
Mais l’économie, la culture, la société ne sont pas séparées de la politique.
La Méditerranée est le berceau de la tragédie et de la politique. Les deux sont liées par une même idée de la condition humaine. Dans l’aplatissement du monde contemporain, la Méditerranée émerge comme un besoin des hommes et, oserai-je dire, de l’Europe.

La Méditerranée est un mythe, au sens le plus profond du terme. Un mythe mobilisateur, un mythe qui exprime une vision du monde, un point de vue sur le monde et non une jolie histoire fausse.

Jamais je n’ai vu une ambition politique trouver un tel écho dans les sociétés civiles. Quand on se ressemble trop, on partage, on imagine, on travaille, on crée ensemble où l’on s’affronte. Dans ces conditions, se sentir prisonnier du statu quo, résigné à la fatalité du destin est pour moi l’exacte définition de la désespérance.

A quel idéal humain croyons-nous si nous ne sommes plus capables de dire « non », ni nous ne croyons plus à la force du « non » dans l’Histoire ? Seul l’esclave dit toujours « oui ».

Est-ce difficile d’y croire ? Oui. Mais enfin le 18 juin aussi c’était assez difficile…

Les obstacles sur notre route sont-ils immenses ? Oui. Mais le renoncement, quelle est son issue sinon plus tragique encore ?

Qu’avons-nous voulu faire avec l’Union pour la Méditerranée ?

D’abord réunir les pays riverains. Puis, à la demande de nos partenaires européens nous y avons inclus toute l’Europe en contrepartie de la remise à plat du processus de Barcelone. L’Union pour la Méditerranée c’est très différent du processus de Barcelone : c’est le partage des responsabilités, des décisions, c’est le co-investissement, le co-développement, la co-décision alors que Barcelone c’était l’Europe qui décidait seule. L’Union pour la Méditerranée ce n’est pas seulement le libre-échange, pas seulement le commercial comme dans Barcelone, mais c’est aussi la création, la production en commun.

Alors dérisoire la co-présidence ?
Dérisoire le secrétariat mixte ?

Non, ce sont au contraire des avancées décisives même si elles sont difficiles, lentes parce qu’elles heurtent les habitudes de pensée et de comportement. Mais faire travailler ensemble au sein du secrétariat un Palestinien et un Israélien, c’est une grande victoire morale.

Nous ne pouvons progresser que dans une relation fraternelle, je veux dire une relation de compréhension, de respect et de solidarité.

Le marché plus la démocratie pour tout le monde, le programme de la fin de l’histoire. Qui n’aboutit qu’à la redécouverte que l’histoire est toujours tragique. C’est insuffisant au regard des sentiments et des passions humaines. Et le temps des croisades est dépassé. Elles ont d’ailleurs échoué.

Il faut travailler avec les réalités, les plus profondes, les plus humaines. Le problème n’est pas seulement ce que nous pensons mais ce que pensent ceux avec lesquels on veut faire la paix et sur la valeur infinie du pardon.

Être conscient du passé ne signifie pas que l’on soit capable de tourner la page : De Gaulle, en 1945, mettant fin à l’épuration ; Mandela, après l’apartheid, choisissant la justice et la paix plutôt que la vengeance. Briser des liens ne sert à rien face à la tragédie. Et la vengeance perpétue indéfiniment la tragédie.

En Méditerranée, au Moyen Orient, nous avons besoin d’hommes de bonne volonté, non de bonnes consciences.

Les contempteurs de l’Union pour la Méditerranée qui lui reprochent de vouloir perpétuer, consolider, rendre supportable l’inacceptable le font au nom de la morale… Où est la morale qui fait payer deux fois ceux qui souffrent ? Une première fois, parce qu’ils sont victimes de l’oppression, de l’injustice. Une deuxième fois, parce qu’ils sont privés de soins, de nourriture, d’énergie, d’éducation, d’emplois. La politique est toujours impure, imparfaite. Mais où conduit la politique de la pureté sinon aux plus grands malheurs ?

Ce qui se passe en Tunisie est exemplaire. Le moralisateur a beau jeu de dénoncer les compromissions de la politique. Mais il ne fait rien, il n’essaye rien pour changer le monde. Le politique se salit les mains à vouloir prendre le réel à bras le corps. Le moraliste n’a pas à s’interroger sur les conséquences de ce qu’il dit. Le politique doit se préoccuper des conséquences de ce qu’il fait.

La France que j’aime, celle de Lyautey, de Mendès, de De Gaulle, a toujours œuvré pour l’émancipation des peuples. Elle prend l’utilisation qu’ils font de leur liberté comme un fait. Depuis 1956 fallait-il n’avoir aucun rapport, aucune relation avec la Tunisie ? Le peuple tunisien en aurait-il été plus heureux ou plus malheureux ?

Mais moi non plus je ne veux pas donner de leçon, juste rappeler que rien n’est simple et qu’il faut trouver son chemin dans la complexité du monde et que le cas de conscience est plus grand que la bonne conscience dès lors que l’on s’intéresse plus aux autres qu’à soi-même.

Et maintenant, si la jeunesse tunisienne, si les jeunesses arabes ne trouvent pas l’espérance, croyez-vous que la démocratie et la paix triompheront ?

Voilà notre devoir : donner une espérance à cette jeunesse. Voilà le programme de l’Union pour la Méditerranée.
Je vous remercie.

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Le cahier imprimé du colloque « Quelles perspectives pour la France en Méditerranée? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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