Intervention de Michel Fouquin, Directeur adjoint du CEPII, au colloque du 8 septembre 2008, L’Asie vue d’Europe.
Autre exemple de cette montée en puissance de l’Asie : le premier exportateur mondial, dès cette année ou l’année prochaine ne sera plus l’Allemagne, qui a dépassé les Etats-Unis, mais la Chine.
C’est, en quelques traits, rappeler une évidence qui, bien que connue depuis de nombreuses années, peine encore à se traduire dans l’action concrète.
Les relations entre l’Europe et l’Asie sont le missing link de l’économie internationale. Si on regarde le poids des échanges entre l’Amérique et l’Europe, l’Amérique et l’Asie, l’Asie et l’Europe, on décèle un maillon faible en termes de flux commerciaux et plus encore en termes de flux d’investissements. En effet, ce n’est que depuis trois ou quatre ans que la Commission européenne s’intéresse enfin sérieusement à l’Asie sur laquelle elle nous a commandé des études prospectives, notamment sur l’impact possible de la négociation d’accords commerciaux entre l’Union européenne et l’Asean, entre l’Union européenne et l’Inde (c’est en train de se négocier), entre l’Union européenne et la Chine.
Au niveau de la diplomatie économique de l’Union européenne, une priorité s’est affirmée très récemment dans l’activité de la direction des échanges de la Commission européenne. Il était temps, nous sommes très en retard, notamment par rapport à l’Amérique. Espérons que cette priorité nouvelle donnera des résultats dans les années à venir.
Je voudrais maintenant reprendre un mot de Valérie Niquet pour évoquer l’idée de « découplage ».
Nous sommes dans une crise financière qui apparaît chaque jour plus profonde que ce qu’on aurait imaginé. D’aucuns ont d’abord considéré que la crise des subprimes était américaine. Or cette crise est probablement encore plus grave pour l’Europe. Nous sommes au cœur de la tourmente et, chaque jour, les mauvaises nouvelles s’accumulent. On a tenté de se rassurer en escomptant que les pays émergents, notamment les pays d’Asie, seraient « découplés » et joueraient le rôle de moteur de l’économie mondiale.
Mon intervention vise à montrer les points forts et les points faibles de l’Asie à travers la crise actuelle. Quel sera l’impact sur les pays asiatiques de ce changement d’environnement international ?
Depuis quatre ou cinq ans, chaque fois que je devais introduire notre colloque annuel sur l’Asie, je ne pouvais que répéter, au risque de lasser mon auditoire, que la croissance asiatique était exceptionnelle et que tout laissait penser qu’elle allait continuer.
Aujourd’hui, nous avons de mauvaises nouvelles. Mais sont-elles vraiment alarmantes ?
Depuis août 2007, il est apparu de plus en plus clairement que la période d’expansion exceptionnelle de l’économie mondiale arrivait à une fin, pour ouvrir sur une période de forte instabilité et de remise en cause.
En effet depuis 2001, on a connu, une période exceptionnelle de forte croissance dans l’ensemble du monde de l’Asie à l’Amérique latine, marquée surtout par l’entrée en force de deux super poids lourds, la Chine et l’Inde, et le retour de la Russie et du Brésil. Cette période a été caractérisée par une faible inflation, on a même craint que les faibles prix des exportations chinoises ne provoquent une situation de déflation mondiale, et un nivellement par le bas des revenus salariaux, une sorte de « race to the bottom ». Par ailleurs, les excédents financiers des grands pays émergents, y compris au Brésil, signalaient un rééquilibrage de la puissance financière mondiale.
L’acquis majeur de cette période est l’irruption des grands pays émergents sur la scène économique mondiale. On a même pu penser jusqu’au mois de juin que ces pays ne subiraient pas les effets de la crise financière de l’Occident. D’où parfois la flambée des bourses de Delhi ou de Shanghai de fin 2007 à juillet 2008.
Un des effets du développement accéléré de la Chine et de l’Inde a été la montée des prix des produits primaires qui est venue aggraver l’effet de la crise des subprimes.
De fait, l’approfondissement et, surtout, la contagion à l’ensemble des systèmes financiers, provoquée par la crise des subprimes a des répercussions sur l’ensemble du monde, y compris l’Asie.
Cette transmission se manifeste par la montée générale de l’inflation qui, elle-même, résulte du déséquilibre des marchés pétroliers, de matières premières minérales et enfin et surtout des prix des produits agricoles et alimentaires.
Or, les économies asiatiques y sont particulièrement vulnérables : la Chine, l’Inde et bien d’autres pays d’Asie sont d’abord des économies agricoles (la majorité de leur population vit dans des zones rurales). La part de l’alimentation occupe encore une place majeure dans la consommation des ménages. La crainte de pénurie de certains pays d’Asie les a conduits à limiter ou même à interdire les exportations de produits alimentaires pour stabiliser les prix intérieurs.
Le Japon, la Corée et la Chine sont aussi très sensibles aux prix des matières premières minérales dans la mesure où ce sont des économies de transformation des matières premières en produits manufacturés.
A l’exportation, des pays d’Asie sont très dépendants des marchés américains et européens, or ceux-ci sont entrés en récession, ce qui entraîne un ralentissement brutal de leur demande d’importations. Ainsi par exemple, le Japon craint de voir ses énormes excédents commerciaux disparaître d’ici la fin de l’année 2008.
L’inflation se traduit par une baisse des revenus réels des ménages et par une inquiétude croissante qui, en fin de compte, pèse sur la consommation des ménages.
Dernièrement, la remontée du dollar a provoqué de nouvelles sources d’instabilités. Les monnaies d’Asie ne suivent pas la remontée du dollar. Jusqu’à la crise financière de 1998, les monnaies autres que le yen étaient ancrées au dollar, ce qui était une des causes de la crise. Cette fois, les monnaies se déprécient, ce qui accroît d’autant l’inflation importée.
Sur le plan du commerce, l’Inde, soutenue par la Chine, s’est opposée aux États-Unis sur les questions agricoles et sur l’ouverture des marchés de biens industriels. Cet événement masque aussi le rééquilibrage des pouvoirs entre pays émergents et pays développés, toujours sur les questions commerciales, les pays d’Asie multiplient les accords régionaux autour de l’ASEAN. La tentation d’un repli régional n’est peut-être pas le principal danger dans la mesure où le commerce intra-régional en Asie était relativement sous-développé et la dépendance vis-à-vis des pays développés trop forte.
Enfin, autre sujet, ces dernières années, on a assisté à la montée en puissance des investissements des pays d’Asie (mais aussi des pays pétroliers) avec des succès très inégaux.
Lorsque la Chine a investi dans les sociétés financières en difficulté, elle a sans doute sous-estimé les risques qu’elle prenait. De la même façon, certains de ces investissements industriels se sont révélés hasardeux. En revanche, les prises de participation dans les secteurs miniers paraissent correspondre à la sécurisation de ces approvisionnements.
L’Asie est donc frappée par la crise financière mondiale et la crise des matières premières (qui se sont combinées pour donner la crise actuelle), elle en subit un certain nombre de conséquences. Mais il faut éviter de tomber dans le pessimisme. Si le Vietnam, l’Inde connaissent des difficultés, si le Japon se trouve confronté à une récession, on peut prévoir, globalement, un simple ralentissement de la croissance : au lieu des 8% observés depuis quatre ou cinq ans, l’Asie va « tomber » à une croissance de 7%, peut-être 6%, guère moins.
L’Asie reste une zone dynamique de l’économie mondiale.
Je vous remercie de votre attention.
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Michel Fouquin est le co-auteur de l’ouvrage « Le développement économique de l’Asie orientale » par Eric Bouteiller et Michel Fouquin, éd. La Découverte, 2001
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