Intervention prononcée par François David, Président de la Coface, au colloque du 17 mars 2008, Le commerce extérieur allemand : l’Allemagne au sommet de l’Europe ?

Je dirige une entreprise, la Coface, qui emploie 7000 personnes. Elle couvre les exportateurs contre le risque de non-paiement : nous garantissons chaque année aux alentours de 500 milliards d’euros de transactions dans le monde. Nous sommes présents dans 64 pays.
Je vais aller complètement à contre-courant de ce qui vient d’être dit à cette table, veuillez m’en excuser.

Nous avons en France une tradition bien ancrée : celle de l’auto-flagellation et une habitude : celle de nous couvrir la tête de cendre en répétant : « Nous sommes mauvais, les autres sont meilleurs que nous ».
Ceci s’avère chaque mois à l’occasion de la publication du solde commercial français : « 150 milliards d’excédents en Allemagne, 40 milliards de déficit en France », nous serinent les journaux, sous-entendu : il y a les champions… et il y a les nuls !

Je vais vous dire mon sentiment sur ce sujet.
L’année dernière notre déficit s’élevait à 40 milliards d’euros. La presse française unanime a parlé de « déficit abyssal… On va dans le mur … C’est la preuve que notre compétitivité est en perte de vitesse ». Au même moment (Jean-Pierre Chevènement y a fait allusion), la Grande-Bretagne avait 120 milliards d’euros de déficit : pas une ligne dans le Financial Times ! Aucune conséquence sur la Livre sterling ! Le déficit espagnol était de 120 milliards : pas une ligne dans ABC ! Aucune conséquence économique ou financière notable ! Or ces deux pays ont un commerce extérieur bien inférieur au nôtre.

Pourquoi ?
Aujourd’hui la notion de déficit commercial n’a plus aucune signification économique :
Le déficit commercial mesure les importations qui dépendent de la croissance en France aux exportations qui dépendent de la croissance chez les autres : deux flux qui n’ont aucun rapport l’un avec l’autre. Le résultat, positif ou négatif, n’a pas de signification.
D’autre part, le déficit commercial exclut les services. Or la France est parmi les plus grands exportateurs de services du monde.
Il exclut aussi les investissements à l’étranger. Or, ceux parmi vous qui, comme moi, sont chefs d’entreprises savent bien qu’aujourd’hui l’exportation est un aspect mineur de la stratégie internationale des entreprises. Claude Le Gal y a fait allusion à l’instant en parlant de cet Allemand qui s’est progressivement implanté à l’étranger. Aujourd’hui, l’expansion internationale c’est l’investissement à l’étranger.
Donc, parler du déficit commercial, isoler cette donnée pour parler de la compétitivité d’une économie n’a plus aucun sens, d’autant plus que l’industrie en France ne représente que 20% du PNB. Tout ceci appartient au passé mais les journalistes français, un peu paresseux, mois après mois, reprennent la même antienne : « à nouveau un déficit abyssal », ajoutant : « au lieu de 27 Airbus, nous n’en avons exporté que 22 ». Je vous rappelle que les Airbus représentent 3% de nos exportations, c’est infinitésimal.
Le déficit commercial n’a donc plus de sens.

Imaginons que le déficit commercial ait un sens, imaginons que l’exportation soit significative. Sommes-nous de mauvais exportateurs ?
Pour mesurer notre performance à l’exportation par rapport à celle de nos concurrents, un seul chiffre est intéressant, c’est l’exportation par habitant qui gomme la différence entre grands et petits pays. Au regard des exportations par habitant, parmi les grands pays de l’OCDE, le premier est l’Allemagne, le deuxième est la France. Un Français exporte 60% de plus qu’un Américain, 40% de plus qu’un Japonais, 35% de plus qu’un Espagnol ou un Italien. Nous sommes de grands exportateurs.

On prétend que nous perdons des parts de marché à l’exportation. Pourquoi sommes-nous passés de 6% de parts de marché mondial à 4,5% ?
La Chine, en entrant dans l’OCDE, a pris des parts de marché à tout le monde. Tous les pays sauf la Chine ont perdu des parts de marché en dix ans.

Je reproche aux analystes d’isoler un seul pays, l’Allemagne, champion mondial de l’exportation et d’en faire l’unique point de comparaison. Pourquoi ne nous compare-t-on pas aux autres pays comparables ? Pourquoi ne dit-on pas que l’an dernier nous avons exporté plus que jamais ?
Nous sommes présents partout dans le monde, nous sommes bien meilleurs que l’Angleterre, l’Espagne, le Japon, les Etats-Unis… Or on ne parle que du fait que l’Allemagne est meilleure que nous ! J’ose une comparaison sportive : pendant de longues années on nous dit : « Gasquet est un nul, Nadal a gagné Roland Garros… » Mais Nadal est une exception, on ne dit pas que Gasquet bat tous les joueurs de son âge, on préfère le comparer au meilleur.
Cessons donc d’étalonner nos performances uniquement sur le meilleur.
C’est le premier point que je voulais développer, de manière peut-être un peu décapante

Tout cela serait dû au fait que « nous ne sommes pas compétitifs ».
Il faut bien regarder cette notion-clef qu’est la compétitivité.

Au regard de la compétitivité/prix, selon les statistiques de l’OCDE, depuis l’an 2000 jusqu’à maintenant, nous sommes exactement au même niveau que les Allemands. Notre compétitivité/prix ne s’est pas dégradée par rapport à l’Allemagne et nous sommes meilleurs que les Italiens ou les Espagnols.

La compétitivité hors prix dépend notamment de la qualité des produits. Notre collègue du CNRS a fait allusion à l’admirable haute technologie allemande. L’OCDE a calculé la technologie comparée de la France et de l’Allemagne en faisant quatre catégories : très haute technologie, haute, moyenne et basse technologies. Si on compare technologiquement les exportations françaises et les exportations allemandes, nous sommes meilleurs que les Allemands en très haute technologie, ils sont meilleurs que nous en moyenne technologie, nous sommes meilleurs qu’eux en basse technologie (la basse technologie n’a rien de honteux, c’est, par exemple, exporter du blé).
Dans dix ans, quand Jean-Pierre Chevènement nous réunira à nouveau ici, nous pourrons nous interroger sur l’avenir de la moyenne technologie allemande face à la concurrence chinoise. Les Allemands sont aujourd’hui les champions en matière de biens d’équipement, en machines-outils, en voitures. Mais les Coréens sont déjà arrivés sur le marché automobile, les Chinois seront là dans dix ans. En ce qui concerne la moyenne technologie (biens d’équipement, machines-outils), dans dix ans, qui peut dire comment se situera l’industrie allemande par rapport à l’industrie chinoise ?
En revanche, en très haute technologie, il faudra plus de dix ans. Les Russes fabriquent des avions depuis cinquante ans, ils n’ont jamais vendu un avion à une compagnie internationale. Les Chinois se disent prêts à fabriquer des avions. Pour le moment ils fabriquent des morceaux de portes de l’A320. Il leur faudra plus de trente ans pour arriver à ce niveau.
Puisque nous nous battons à technologies comparées, la meilleure stratégie, pour asseoir notre économie et pour garantir son avenir, c’est d’être les meilleurs en haute technologie.

Peut-on pour autant dire que tout va bien ?
Evidemment non. Je préfèrerais que nous ayons un excédent commercial, non pas pour des raisons de comparaison de compétitivité mais parce que le déficit commercial ampute la croissance de 0,1, 0,2 ou 0,3% de PNB. Donc, si la croissance souffre du déficit, en termes de comparaison de compétitivité, la notion de déficit commercial n’a plus de sens.

Comment transformer notre déficit en excédent ?
Claude Le Gal, et d’autres à cette table, l’ont très bien dit : nous avons de très grosses entreprises (CAC 40 élargi) qui exportent massivement et investissent à l’étranger. Mais nous avons un tissu de trop petites PME. Une PME de 50 personnes qui voudrait attaquer le marché chinois devrait pour cela distraire dix personnes pendant un an, c’est injouable. Une entreprise de 500 salariés peut distraire dix personnes pour attaquer le marché chinois. Il faut donc que nos PME grossissent. Or un certain nombre de PME ne souhaitent pas grossir, d’autres le veulent mais se heurtent à l’effet de seuil, aux effets de transmission de patrimoine, aux effets fiscaux, aux effets URSAFF etc. Tous nos efforts, aujourd’hui comme hier, doivent viser à permettre aux PME de grossir, c’est le vrai et seul sujet de l’économie française. Avec de grosses PME, plus de problèmes de chômage, plus de problème de commerce déficitaire.
Le vrai sujet est là. Mais une fois qu’on l’a identifié, encore faut-il trouver les solutions. Il faudrait un autre colloque pour en traiter.

Le message est : arrêtez de vous joindre aux lamentations des journalistes à propos de notre commerce extérieur « encore déficitaire » ! Le mois prochain, dans Les Echos, Claude Fouquet écrira : « Encore un déficit abyssal. » Cela n’a aucune importance, aucune signification.
En revanche, ce qui est sérieux et inquiétant c’est que ce déficit nous retire 0,1 ou 0,2 ou 0,3 points de croissance.
Veuillez m’excuser, Monsieur le ministre, d’avoir fait entendre une voix un peu discordante.

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