Crises financières, régulation et stabilité financière
Intervention prononcée lors du colloque du 17 octobre 2007, Crises financières à répétition : quelles explications ? quelles réponses ?
Puisque l’exposé de la situation actuelle que nous venons d’entendre évite d’y revenir, je voudrais essayer de me concentrer sur trois questions en prenant un peu de recul par rapport aux événements les plus récents.
1° Pouvons-nous concilier innovation et stabilité financière ? Là se situe le débat : doit-on lutter contre toutes les innovations sous prétexte qu’elles sont dangereuses ou y a-t-il un moyen de vivre avec les innovations, si elles apportent quelque chose, tout en maîtrisant les risques pour la stabilité financière ?
2° Dans cet effort, si on se fixe cet objectif de conciliation, quel est le rôle des banques centrales, des superviseurs ? Je me permettrai, sur cette question, de parler de ce que je connais un peu. Bien sûr, d’autres acteurs, à commencer par les Etats, ont un rôle crucial à jouer dans la régulation, je me contenterai d’effleurer ce sujet.
3° Voit-on des réformes dans la régulation, les réglementations, la façon dont est organisée la surveillance ? Celles-ci me paraissent évidentes, au moins dans le principe, même si on ne sait pas aujourd’hui en définir exactement le contenu, ce qui supposerait un peu de réflexion.
Sur le premier point, je crois que l’innovation financière n’est pas une nouveauté : depuis plus de trente ans, le système financier évolue plus rapidement, plus profondément qu’il ne l’a jamais fait. Ce mouvement est dû à des raisons extérieures, des changements structurels : le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le choix qui a été fait dans les années 1980 d’une certaine dose de désintermédiation et de déréglementation, enfin, un rythme d’innovations financières beaucoup plus soutenu qu’il ne l’était dans les années antérieures.
Ces innovations ont affecté toutes les dimensions de la sphère financière.
Les acteurs ont évolué. Les banques se sont transformées, de nouveaux organismes de crédit sont apparus. Les fonds d’investissement, les OPCVM, appréciés à juste titre par beaucoup d’épargnants, n’existaient pas il y a un demi siècle.
De nouveaux marchés sont apparus qui permettent parfois de répondre à des questions. Je prends l’exemple de Powernext, un marché qui permet de prendre des positions sur le prix de l’électricité ou de la tonne de CO2. On peut considérer que le marché de l’électricité n’aurait pas dû être déréglementé mais dès lors qu’il l’est, le fait, pour les acheteurs et les vendeurs, d’avoir un moyen de se couvrir est un progrès : il permet d’éviter des risques excessifs ou une incertitude sur la rentabilité des investissements réalisés par les industriels.
De nouveaux produits financiers apparaissent en permanence.
Ce n’est pas une simple constatation. Cette évolution présente d’indéniables avantages. Je ne voudrais pas être trop emphatique en les comparant aux progrès nés de la machine à vapeur ou du métier à tisser mais ces avantages sont réels. La titrisation, par exemple, marché à l’origine des perturbations financières de cet été, permet une meilleure répartition des risques dans l’économie, donc des prises de risques plus importantes. Or les prises de risques sont favorables à l’innovation et à l’investissement dans l’économie réelle. Si c’est bien conduit, la résistance du système financier et la capacité de l’économie à avoir une croissance plus forte en sont renforcées. Donc, fondamentalement, il ne faut pas penser l’innovation comme néfaste quand elle s’applique au système financier.
Il est vrai qu’elle est génératrice de risques, je ne reviens pas sur tout ce qui a été excellemment décrit. Il faut donc chercher des parades.
Je signale au passage qu’on n’a pas découvert ces problèmes cet été quand le marché s’est emballé. Je me suis amusé à regarder ce que nous-mêmes, à la Banque de France, avions écrit dans nos précédentes revues trimestrielles de stabilité financière. On peut y lire explicitement (on trouverait la même chose dans les publications internationales de la communauté des banquiers centraux et certainement chez les régulateurs des marchés financiers) que l’évaluation du risque de crédit était trop optimiste, que l’excès d’endettement devenait très préoccupant sur des opérations du type LBO (Leverage buy out : rachat par endettement), que les investisseurs, y compris ceux qui plaçaient la trésorerie, avaient un « appétit pour le risque » (comme nous le disons dans notre jargon) trop élevé.
Il faut bien voir qu’on était arrivé à une situation dans laquelle un certain nombre de trésoriers d’entreprises se voyaient enjoindre par leurs patrons de rentabiliser la trésorerie au maximum et d’augmenter le rendement. Face au marché monétaire, devant les taux « trop bas » pratiqués par les banques centrales (les trésoriers qui ont de la trésorerie à placer cherchent bien sûr les taux les plus élevés), ils cherchaient un moyen de « doper » leurs placements. C’est alors que des banquiers imaginatifs leur ont proposé des SICAV de trésorerie dits dynamiques, avec un peu de subprimes autour de la trésorerie, pour augmenter le rendement. Tout le monde s’est, peu ou prou, laissé entraîner dans cette direction mais nous savions que le marché hypothécaire à risques aux Etats-Unis avait des difficultés depuis l’hiver dernier.
En face d’une crise comme celle-là, quel rôle pour les banques centrales et les superviseurs ?
Le premier devoir d’une banque centrale est de faire en sorte que les perturbations du marché aient le moins possible d’impact sur l’économie réelle. Notre intention était parfaitement claire : à aucun moment nous n’avons voulu – pas plus la FED que la BCE – venir en aide à ceux qui avaient pris des risques excessifs ni aux spéculateurs. Il y a des pertes ; ces pertes devront être subies ; plus elles seront subies par les gens qui ont cherché à profiter indûment du système, mieux ce sera. Comme le disait mon collègue de la Banque d’Angleterre, il faut éviter que les mêmes comportements se reproduisent immédiatement après, préparant une prochaine crise plus grave encore que celle-ci. Nous avons donc cherché à faire en sorte que le marché se calme et que les financements recommencent à tourner le mieux possible. C’est pourquoi nous avons opéré des injections de liquidités et modifié nos opérations, cherchant notamment à procurer un peu de ressources à terme aux banques qui en manquaient.
Monsieur Garabiol est passé un peu vite sur la frénésie qui a pris tous les acteurs de chercher la liquidité la plus courte possible. Prenons l’exemple de nos SICAV de trésorerie en France (des SICAV monétaires habituelles ne présentant pas de risques excessifs) : Elles ont eu peur – et dans une toute petite mesure elles avaient raison – que les gens, pris d’inquiétude, retirent leurs fonds. Elles ont donc décidé de rester plus liquides que d’habitude. Or, dans une SICAV de trésorerie, on trouve un peu de dépôts à vue dans les banques et beaucoup de titres à un mois, deux mois, trois mois ou six mois : des certificats de dépôts des banques, des billets de trésorerie émis par les entreprises, par les collectivités locales et des bons du Trésor. Craignant de faire face à des retraits elles ont préféré ne pas renouveler tous les titres à trois mois qui venaient à échéance et augmenter la part détenue en dépôts à vue dans les banques. Le marché du trois mois s’est donc rétracté. Or, une entreprise ou une collectivité locale qui n’arrive plus à émettre autant de billets de trésorerie se retourne vers son banquier pour lui demander des financements à un mois, deux mois, trois mois ou davantage. La banque, elle, a des dépôts à vue. On a donc assisté à une course vers la liquidité qui a complètement déréglé le marché monétaire.
Donc, en Europe comme aux Etats-Unis, nous avons voulu rassurer les banques pour les encourager à prêter à trois mois afin de ne pas couper le crédit aux entreprises. Nous procurons la liquidité au jour le jour et essayons même, pour rassurer la gestion de trésorerie des banques, de procurer un peu plus de liquidités à terme. Il est évidemment très stressant pour les gestionnaires d’un établissement bancaire de devoir, chaque jour, équilibrer davantage de milliards de dépôts et de crédit. Nous avons doublé nos opérations à trois mois, inversant la proportion de nos financements qui était un tiers à trois mois, deux tiers à huit jours pour passer à deux tiers/un tiers.
La FED a adopté une autre technique : elle a utilisé son guichet d’escompte (dans son cas un guichet de facilité de financement marginal) ; n’ayant pas d’opérations à trois mois, elle a allongé la durée de ses financements à un mois et abaissé le taux de l’escompte pour le rapprocher d’un taux normal à un mois ou à trois mois.
Mais la grande question qui se pose est celle de l’impact sur l’économie réelle.
La FED a baissé ses taux parce qu’elle a considéré qu’elle observait déjà les signes d’un certain impact sur la consommation américaine, impact mesuré mais qu’elle devait contrer immédiatement. On sait, comme le disait Monsieur Garabiol, que la consommation a été dopée par un très fort endettement des ménages, gagé par des actifs immobiliers. Dès lors que surgit un problème sérieux sur le marché de l’immobilier, il peut évidemment avoir un impact sur la consommation. C’est cet impact sur l’économie réelle que la FED a voulu contrer. Elle n’a pas dit qu’elle continuerait mais qu’elle observerait l’évolution de l’économie réelle.
La BCE, quant à elle, s’est mise en attente. En l’absence d’effets immédiatement observables sur l’économie réelle, elle attend les premières indications pour évaluer la situation et décider d’une éventuelle réaction et des formes qu’elle prendrait.
Voilà ce qui a été fait, pour le moment, du côté des banquiers centraux.
Nous avions encore un système de supervision bancaire trop traditionnel, issu de « Bâle 1 », nous sommes sur le point de mettre en application un système fondé sur l’appréciation du risque. Je ne pense pas que ce système soit plus favorable au crédit aux particuliers qu’au crédit aux entreprises. Par exemple, le crédit aux PME, réparti entre un très grand nombre d’acteurs, est considéré comme statistiquement moins risqué ou aussi peu risqué que le crédit aux particuliers.
Ce changement de régulation va nous permettre, entre autres choses, de prendre en compte les lignes de liquidités que les banques donnaient aux véhicules de titrisation. Monsieur Garabiol l’a décrit : Les crédits étaient sortis par les banques, mis dans des véhicules conduits (pour reprendre le terme anglo-saxon) qui étaient des quasi-banques, sans réglementation, faisant une transformation importante entre un refinancement à court terme des billets de trésorerie gagés par ses actifs et les financements à l’actif à long terme. Sans capital, sans réglementation, sans supervision, ces instruments étaient dangereux. Cela n’est pas possible en Europe car ni les directives européennes ni la législation française ne le permettraient. C’est possible dans un certain nombre d’endroits, notamment aux Etats-Unis, et cela a constitué facteur de risques. Dans le cadre des accords de « Bâle 2 » les promesses de financement que les banques font à ces instruments seraient prises en compte et requerraient du capital. A partir du 1er janvier 2008 en Europe et je ne sais pas quand aux Etats-Unis, les banques devraient donc être beaucoup plus prudentes, contraintes par la réglementation à intégrer ces promesses de financement dans leurs crédits.
Je dirai quelques mots à propos des adaptations de la réglementation.
J’ai un petit désaccord avec Monsieur Garabiol sur l’idée de crises à répétition si elle sous-tend qu’il s’agit de crises du même type qui reviennent.
Nous avons connu de longues périodes de croissance mondiale forte sans crises financières, ou avec des crises financières très courtes, très vite résorbées et sans impact sérieux sur l’économie mondiale. Je voudrais dissiper l’impression que nous vivons dans un monde où l’on va de crise en crise, mettant en grand danger l’économie mondiale. Pour l’instant je crois que nous avons réussi à trouver des parades.
Mais il est vrai que toutes ces innovations créent des risques et des crises différentes les unes des autres.
La crise asiatique a montré que l’architecture internationale avait besoin d’être améliorée. Le Fonds monétaire international a changé ses façons d’analyser, de surveiller les risques des économies, de travailler avec les pays. Les pays eux-mêmes ont changé leurs pratiques, ont augmenté la transparence de leurs comptes publics, de leurs politiques économiques ; ils ont cherché à s’expliquer devant le marché ; ils ont tenté de vivre avec une balance des paiements plus équilibrée. Ils en retirent les fruits : Si la crise actuelle n’a pas d’impact sérieux sur la plupart des pays émergents, c’est parce que l’architecture internationale a été heureusement améliorée dans l’intervalle.
La crise ENRON nous a révélé que la gouvernance d’entreprise n’était pas au point. On a modifié la gouvernance d’entreprise. Tout n’a pas été fait mais on s’est attaqué au problème et des progrès importants, me semble-t-il, ont été réalisés.
Nous connaissons cette crise de liquidités qui pose le problème de ces véhicules de titrisation non réglementés et le problème de la valorisation des produits :
Comment valorisaient-ils leurs actifs pour vendre leur passif ?
Y a-t-il des règles ? S’il existe des règles pour les banques, il n’y en a pas pour eux.
Expliquaient-ils à leurs clients quelle était la nature exacte des actifs ou celle des risques qu’ils prenaient ? Pas toujours…
C’est ce qu’on appelle le problème de transparence. Il faut, quand on achète quelque chose, savoir quel risque on prend. Quand vous achetez une SICAV d’actions CAC 40, vous connaissez à peu près le risque que vous prenez en cas de krach boursier. Si vous prenez un fonds commun de placement innovation, vous acceptez le risque parce que vous pensez que, globalement, l’innovation est porteuse de rendement, vous avez un horizon à très long terme et vous êtes prêt à subir des variations plus fortes des valeurs.
Quand on la décline dans le détail, la transparence est évidemment compliquée mais c’est un vrai problème d’État, un problème international que nous devons traiter ensemble, sérieusement et à fond, en trouvant le bon forum, le G7, le FMI ou un autre.
Il y a des points de réglementation bancaire qu’il faut encore traiter. Si on a relativement bien traité le problème de la solvabilité – même si notre nouvelle réglementation est arrivée un peu tard – on n’a pas traité, sur le plan international, la question de la liquidité. Nous avons une réglementation en France. Souvent nos banques se plaignent du fait que les réglementations sont différentes dans tous les pays européens et n’existent pas dans certains pays. On voit aujourd’hui que la liquidité est un problème sérieux que nous devons traiter en essayant d’adapter les règles internationales aux risques, en imaginant les situations de difficulté.
Enfin je crois que nous devons traiter la question des véhicules de titrisation et, plus généralement, des opérateurs qui font du crédit sans être soumis à des réglementations ni à une surveillance. Ce n’est pas le choix que nous avons fait en Europe, c’est pourquoi nous sommes plus protégés. Nous avons, par exemple, en France une réglementation plus stricte que celle qui est en vigueur au Royaume Uni. Des divergences existent donc au sein même de l’Europe mais aux États-Unis comme dans d’autres zones, il reste d’importantes plages de non réglementation. L’absence de réglementation connaît d’ailleurs une grande vogue : « Il ne faut pas tout réglementer, tout surveiller… ». Dans certains cas, elle a de graves inconvénients. Or la réglementation bancaire est née, très largement, des problèmes que nous avons connus dans les années 1930. Les États, conscients de l’utilité des banques, ont alors réalisé que la crise ne devait pas entraîner leur disparition mais qu’elles devaient être réglementées et surveillées.
Merci, Monsieur le Président.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le Gouverneur, je vais peut-être excéder un peu le rôle du président totalement neutre que je devrais être, profitant de ce que vous êtes parmi nous pour vous poser une question à laquelle il me semble que vous n’avez pas entièrement répondu.
Monsieur Garabiol a dit qu’il était difficile de poursuivre plusieurs objectifs à la fois : la lutte contre l’inflation des biens réels, la lutte contre l’inflation des actifs financiers et, a-t- il ajouté, la politique du change.
Cela pose notamment la question de l’encadrement du crédit. Vous arrive-t-il de l’évoquer entre banquiers centraux ? (Il ne transparaît pas grand-chose de vos conversations et peut-être faut-il qu’il en soit ainsi.) Pourrait-on imaginer de poser cette question?
A propos du rôle de la FED, le Federal reserve board a baissé ses taux. Dans le passé, il a montré une grande plasticité, jusqu’à baisser à 1% les taux d’intérêt pendant deux ou trois ans consécutifs, c’est-à-dire avec des taux réels négatifs, ce que jamais la Banque centrale européenne n’a envisagé puisqu’elle prétend en visant un objectif atteindre tous les autres mais, visiblement, ce n’est pas le cas de la FED…
Excusez-moi de relancer ce petit débat. Je vous redonne la parole avant de la passer à Monsieur Gréau.
Christian Noyer
Merci beaucoup.
Il est vrai que nous considérons en général, pour de bonnes raisons théoriques, qu’avec un instrument on ne peut viser qu’un seul objectif. Comme dans la plupart des pays du monde, les États nous ont donné un mandat axé sur la stabilité des prix des biens et services, nous avons un instrument, nous avons un objectif… donc tout va bien.
Évidemment notre raisonnement va plus loin. Il n’y a pas de différence réelle, à notre sens, entre la FED et les autres banques centrales. Nous le vérifions quand nous discutons, tous les mois ou tous les deux mois, avec nos collègues de la Réserve fédérale. Il n’y a pas que la BCE qui ait un objectif de prix des biens et services, c’est même le modèle mondial le plus répandu. C’est vrai en Europe, en Angleterre, en Suisse , en Norvège (pour prendre quelques exemples de pays hors zone euro) mais aussi au Mexique, au Canada, au Chili, au Brésil ; c’est vrai en Asie, en Corée ; c’est vrai en Australie, en Nouvelle Zélande… C’est vraiment un modèle très répandu repris dans la plupart des banques centrales dont le mandat a été changé par le pouvoir politique souverain au cours des dix ou vingt dernières années. Ce n’est pas le cas de la FED dont le mandat est beaucoup plus ancien. A travers la stabilité des prix, nous régulons, nous évitons les variations trop fortes de l’économie et nous permettons à l’économie d’être aussi proche que possible de son taux de croissance potentiel. Si nous faisons bien notre travail, nous atteignons le maximum de croissance moyenne qu’il est possible d’obtenir, pas forcément à six mois mais sur plusieurs années. Cela nous rassure, en quelque sorte : en cherchant l’objectif intermédiaire de la stabilité des prix, nous permettons d’obtenir le maximum de croissance et il n’y a pas à notre avis, de trade off (de choix à faire) entre un peu plus de croissance et d’inflation et un peu moins d’inflation et un peu moins de croissance.
Sur le prix des actifs financiers, c’est un peu plus compliqué. Tous les banquiers centraux, y compris ceux de la FED, se disent incapables de traiter directement le prix des actifs, qu’ils soient immobiliers ou financiers. En effet, cela supposerait que nous soyons en mesure d’analyser quel est le bon prix des actifs. Si certaines zones connaissent une augmentation de la population et un manque de terrain, une hausse du prix s’ensuit. C’est peut-être une mauvaise chose mais les décisions qui permettent de l’éviter relèvent des politiques publiques : inciter la population et les activités à s’installer dans des zones où il y a de l’espace ou faciliter la construction, mettre à disposition du foncier les réserves foncières. Si on utilisait la politique monétaire à cette fin, on risquerait, pour obtenir le résultat voulu (une inflation faible dans le domaine des prix immobiliers par exemple) de casser complètement la croissance économique et éventuellement d’aboutir à une déflation des prix des biens et services. Nous ne remplirions pas notre mandat, c’est tout à fait clair.
Toutefois nous avons la faiblesse de penser à la BCE que nous avons un petit avantage en utilisant la monnaie et le crédit comme un des instruments qui permettent d’évaluer les risques d’inflation ou de déflation à moyen terme (deux ou trois ans). Les autres banques centrales l’utilisent moins que nous, certaines y reviennent, comme la Banque d’Angleterre. Il nous semble que cela permet d’intégrer également en partie les dérives de prix d’actifs. Si un crédit et une monnaie se développent de façon anormale par rapport à l’activité réelle, c’est que des bulles se forment quelque part. Ces bulles peuvent éclater dans quelques années et créer une dépression, un risque de récession ou de déflation. En intégrant cela, on intègre aussi en partie les dérives sur les prix des actifs.
Sur la réactivité de la FED, certains sont aujourd’hui très critiques sur le fait que la FED a gardé des taux d’intérêt trop bas trop longtemps, estimant que c’est une des origines possibles de ce qui vient de se passer (bulles et éclatement d’une bulle). Je ne veux pas m’engager sur ce terrain-là mais je voudrais dire que des observateurs, des économistes extérieurs ont essayé de modéliser la fonction de réaction, c’est-à-dire de voir ce qui faisait réagir et comment on pouvait expliquer la réaction de la FED d’un côté, de la BCE de l’autre, pour essayer ensuite de transposer la politique de l’une à l’autre. Le conseil de la BCE, confronté à l’économie américaine et au mandat américain, aurait-il fait la même chose ou aurait-il aurait réagi différemment ? Même question pour le conseil de la FED confronté à l’économie européenne. Ces économistes privés concluent en général que les fonctions de réaction apparaissent très proches. Selon eux, si Monsieur Greenspan et ses collègues avaient été en charge de l’économie européenne, ils auraient probablement fait à peu près ce qu’a fait la BCE. Si Monsieur Duisenberg, Monsieur Trichet et leurs collègues avaient été en charge de l’économie américaine, ils auraient probablement réagi comme la FED. En effet, l’économie américaine est très réactive, elle accélère très vite, elle ralentit très vite ; on passe très vite d’une situation de surchauffe à une situation de récession, avec des variations de tension sur les prix très considérables. La politique monétaire doit donc s’adapter et bouger assez vite à la hausse comme à la baisse. Elle est descendue à 1% mais elle est aussi montée à 5,5%, ce que nous n’avons pas fait. En revanche l’économie européenne réagit moins vite. Telle un camion, elle monte moins vite mais elle descend aussi moins vite, la politique monétaire a donc, très logiquement, des plages de variation plus faibles et agit plus lentement.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le Gouverneur. Monsieur Greenspan raconte qu’il prenait un petit déjeuner toutes les semaines avec Nicolas Brady, le secrétaire d’Etat au Trésor, c’est-à-dire le responsable politique, le ministre compétent, ce qui illustre une proximité qu’on ne trouverait pas en Europe.
Christian Noyer
J’ai souvent dit au ministre français que mon collègue des Pays-Bas déjeune toutes les semaines, dans un restaurant, avec le ministre des finances. Institutionnellement, il a été précisé dans le traité que le président de l’Eurogroupe peut venir tous les quinze jours à la BCE, participer à la réunion – ce qui n’est pas possible dans les statuts de la FED – et le président de la BCE se rend tous les mois à la réunion de l’Eurogroupe, à l’invitation des ministres des finances. Donc les contacts existent. Ils pourraient être plus nombreux. Je suis persuadé que le dialogue est indispensable et qu’il doit être constant, il existe d’ailleurs beaucoup plus qu’on ne le dit et il ne tient qu’à nous (c’est un « nous » collectif) de le renforcer. J’y suis en tout cas très favorable.
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