Crise de l’été 2007 : un krach du crédit à court terme

Intervention prononcée lors du colloque du 17 octobre 2007, Crises financières à répétition : quelles explications ? quelles réponses ?

Merci Monsieur le Ministre. Vous avez le chic de m’inviter pour parler de sujets faciles et aisément maîtrisables (je parle par antiphrase, bien entendu), je vous en remercie.
Je vais essayer, pour ne pas dévorer le temps des autres intervenants, de présenter aussi vite que possible l’exposé que j’ai préparé.

Il y a des leçons instantanées de la crise.
Il y a des leçons de l’expérience durable, de ce qu’on a appelé la transformation financière.
Et il y a la question : Que faire ?

Les leçons instantanées de la crise.

Trois décalages m’ont sauté aux yeux :
Décalage spatial entre le débat interne national et la réalité économique et financière internationale. Le Premier ministre de la France, homme instruit, avisé, expérimenté a aventuré la phrase : « La France est en faillite » quelques semaines après une crise du marché du crédit à court terme qu’on n’avait pas connue depuis la guerre. J’en déduis, puisque cette personnalité est représentative, que nous ne savons pas nous extraire de nos propres problèmes, pourtant réels et qui doivent être traités, pour envisager la sphère économique et financière internationale dont nous sommes dépendants. C’est le premier décalage. Je souligne au passage que les taux d’intérêt de la dette publique française, comme ceux de la dette américaine, anglaise, allemande, italienne, belge, néerlandaise… sont relativement bas. Cela signale que les prêteurs de l’Etat français croient en sa solvabilité. Les taux seraient encore plus bas si ceux de la Banque centrale, au lieu d’être à 4%, étaient à 2% ou 3%. En tout cas, à tort ou à raison, les prêteurs de l’Etat français lui font confiance. En revanche nous assistons à des faillites accélérées des ménages américains.

Deuxième décalage, chronologique, entre la réalité des faits et leur perception par les opérateurs financiers. Cela fait deux années exactement que le repli du marché de la construction, des marchés immobiliers et du marché hypothécaire américains a commencé. Le premier indice négatif est tombé au mois d’octobre 2005, il concernait les mises en chantiers. Depuis cette date et de façon quasiment ininterrompue, mise en chantier, permis de construire, stocks de logements invendus dans le neuf et dans l’ancien, taux de défaillances sur le marché hypothécaire ont montré l’ampleur de la crise américaine dans ce secteur. Or les marchés financiers ont fermé les yeux sur cette situation préoccupante qui n’a pas engendré pour l’instant (Monsieur le Gouverneur a raison) de risque systémique pour l’économie mondiale puisque la croissance mondiale semble se poursuivre à l’heure qu’il est. Néanmoins ce qui s’est passé cet été témoigne d’un retard à l’allumage considérable. Les faillites de ménages américains se sont accrues brutalement à partir de l’automne 2006. C’est donc trois trimestres après cette croissance brutale que les marchés réagissent et, comme toujours, ils le font dans le désordre.

Décalage spatial, décalage chronologique, décalage intellectuel entre les schémas économiques du discours dominant et les processus économiques véritables. Les ménages américains sont endettés, les ménages anglais sont endettés, les ménages espagnols sont endettés, comme les Néerlandais, les Australiens…Cet endettement, un surendettement, a joué un rôle déterminant dans les chiffres de croissance favorables qui ont été enregistrés dans ces pays. Notre Président de la République et notre Premier ministre sont à la poursuite d’un point de croissance supplémentaire. Les autorités politiques des pays que je viens de mentionner n’ont pas eu à se creuser les méninges pour obtenir ce point de croissance supplémentaire, ils ont obtenu un point, un point et demi, deux points de croissance supplémentaire du fait d’une consommation débridée par l’endettement des ménages correspondants. Ce sont les Anglais qui détiennent la palme : sachez que cette année, pour la première fois, le montant de la dette des ménages anglais va dépasser la valeur du PIB du Royaume-Uni. Cet endettement des ménages a donc été fondamental et c’est d’autant plus remarquable que beaucoup d’économistes vantent les bienfaits de l’économie de l’offre, de l’innovation, de la concurrence aux Etats-Unis, en Angleterre et dans d’autres pays. Et nous nous apercevons que, sans nier du tout les percées technologiques qui ont eu lieu, en particulier dans l’informatique, aux Etats-Unis, ce phénomène très trivial d’endettement des ménages consommateurs, des agents de la demande interne, a été déterminant dans la croissance. Monsieur Patrick Artus se livre dans son dernier ouvrage à une estimation que je ne ferais pas moi-même de cet apport, de ce booster qu’est la consommation et l’endettement des ménages. Il avance l’idée que, sans cela, la croissance du Royaume-Uni aurait été négative. Je crois qu’il exagère mais, quand même, il y a là un point à souligner. Quand Monsieur Gordon Brown ne pourra plus compter sur un endettement supplémentaire des ménages anglais, que restera-t-il de la croissance anglaise ?

Je pose tout de suite les conclusions de l’observation de ces trois décalages :
L’économie dite de l’offre repose en fait aussi sur une demande stimulée, plus ou moins artificiellement, plus ou moins légitimement, par un crédit aux agents consommateurs de la demande interne.
La deuxième conclusion va m’amener à diverger quelque peu de la position de Monsieur le Gouverneur. Il est acquis que la part du travail dans la valeur ajoutée à l’échelon mondial (cela est dit dans un rapport de la Banque des règlements internationaux) décline progressivement au fur et à mesure que se libèrent les échanges mondiaux. C’est-à-dire que le travail, de plus en plus productif, a tendance à être payé plutôt moins cher qu’auparavant. Cela contredit les propos de notre président de la République : « Travailler plus pour gagner plus » puisqu’on peut travailler plus, ou autant, pour gagner moins, mais à l’échelon mondial. Or nous comprenons très bien que la déflation salariale qui découle de ce libre échange a été contrariée ou équilibrée par l’endettement des ménages à l’échelon des grands pays consommateurs comme les Etats-Unis. Autrement dit, nous avons bénéficié d’une béquille financière, constituée par cet endettement, qui vacille en ce moment. Va-t-elle tomber ? Je l’ignore.

Les leçons durables

Il y a eu cinq crises :
• Octobre 1987, sans conséquence, un accident informatique en réalité.
• 1992-1993 : la crise du SME qui a explosé et a entraîné le passage au système de l’euro.
• 1997-1998-1999 : crise asiatique, crise russe, crise brésilienne…
Monsieur le Gouverneur a dit très justement que nous sommes sortis de ce passage très difficile où les pays émergents étaient voués à une faillite inopinée à tout moment. Je voudrais souligner un facteur déterminant de la consolidation de ces pays : la formidable augmentation du prix des matières premières. Depuis cinq ans, les prix de toutes les matières premières, depuis le pétrole jusqu’à l’huile de palme en passant par le coton, le nickel, le cuivre, le zinc, le tourteau de soja… tous ces prix ont augmenté de 100% à 400%.. Nous en subissons les conséquences dans notre solde commercial français puisque nous importons toutes ces matières premières. Ce facteur favorable joue donc pour l’instant, il faut espérer pour ces pays que les prix vont se maintenir à un niveau convenable et ne pas se retourner, auquel cas leur situation deviendrait fragile.
• 2001-2002 : la crise des valeurs d’Internet.
Cette crise est révélatrice de l’incapacité des opérateurs financiers à apprécier l’importance des risques et la valeur des entreprises cotées. Cette crise a été surmontée, comme l’a très bien dit Paul Krugman ; Dominique Garabiol a repris la formule : « Aux Etats-Unis, on a surmonté la crise financière en créant une bulle immobilière » Paul Krugman l’a dit il y a trois ans et nous le vérifions en ce moment.
• La crise de l’été 2007.
Je ne vais pas m’y attarder mais je vais insister sur un point : Comme les crises que j’ai évoquées auparavant, c’est un krach, ce n’est pas du credit crunch. Madame Lagarde a dit : « Il n’y a pas de krach », elle a voulu dire qu’il n’y a pas de krach boursier. Elle a tout à fait raison, les variations de la Bourse ont été tout à fait négligeables. Mais il y a bien eu un krach du crédit à court terme sur le marché interbancaire, sans quoi la Banque centrale européenne n’aurait pas eu à intervenir. Les banques centrales interviennent à date fixe pour des opérations de refinancement périodique des banques qui leur présentent des demandes, c’est leur mode de fonctionnement naturel. Or, aussi bien la Banque centrale européenne que la Banque centrale américaine, la Banque centrale du Canada, d’Australie et, en fin de compte, malgré les propos de Monsieur Mervyn King, la Banque centrale d’Angleterre, sont intervenues directement sur le marché en substituts des prêteurs défaillants.

Qu’est-ce qu’un krach ?
Un krach immobilier signifie que vous n’avez plus d’acquéreur pour la maison que vous proposez à la vente, un krach boursier que personne ne veut de vos actions (sauf réduction de 50%, 60% ou 80% de leur valeur). Le krach du crédit c’est la même chose : personne ne veut de vos titres de créance. La Banque centrale européenne est intervenue normalement parce que le marché était bloqué, elle est venue se substituer aux prêteurs défaillants de ce marché.
Je suis profondément d’accord avec ce qu’a dit Dominique Garabiol sur ce serpent du crédit qui se mord la queue. On a voulu titriser, c’est-à-dire faire en sorte que les banques se défaussent du crédit en transférant ses risques vers des investisseurs spécialisés. On s’aperçoit que quand la conjoncture devient défavorable, lorsque la confiance disparaît, les risques reviennent vers les banques par l’intermédiaire du marché du crédit et du marché du crédit interbancaire, c’est comme un système de siphon bouché qui fait remonter les créances vers le marché du crédit interbancaire.
En ce moment, une contraction du crédit bancaire s’opère mais, en tant que telle, la contraction du crédit n’est pas une tragédie économique, elle ne devient dramatique que si elle se poursuit durant des années.

Le problème des faillites.
IKB, Northern Rock, la Banque régionale allemande de Leipzig… En quelques heures, des banques qui paraissaient solvables déposent leur bilan ou doivent être sauvées en catastrophe. Countrywide financial, le plus grand prêteur des marchés hypothécaires américains est sauvé en catastrophe par quarante banques dans le monde (en Amérique, en Europe, en Asie), dûment obligées par la Banque fédérale américaine. C’est un peu l’effet de la titrisation. Quand des créances sont titrisées, on est obligé de comptabiliser ces créances à leur valeur du marché : ce qui est entré à 100 dans vos comptes à une période déterminée, quelques mois auparavant, brutalement n’est plus coté que 60 ou 70 sur le marché correspondant. Le prêteur est obligé de tenir compte de la nouvelle valeur de la créance et de répercuter la moins value dans ses comptes trimestriels. L’organisme concerné passe du noir au rouge et doit donc être sauvé en catastrophe.
Que va-t-il se passer maintenant ? Je l’ignore. Sachez cependant que la crise de l’immobilier américain s’aggrave Aujourd’hui (17/10/2007) est tombé l’indice du climat des affaires chez les promoteurs immobiliers américains : en octobre, il a cassé son plus bas historique de janvier 1991. Pour l’instant l’économie américaine tient parce que les ménages aisés et riches, qui représentent un tiers de la population américaine, consomment comme des ogres et parce que l’industrie américaine réussit de bonnes performances à l’exportation. Mais il ne faudrait pas que la crise immobilière américaine se poursuive et s’aggrave comme elle le fait actuellement.

L’exception suédoise.
Avant de proposer des réponses, je voudrais évoquer un pays extraordinaire dont on parle très souvent à Bruxelles, mais à tort : la Suède. On dit que la Suède a absorbé la mondialisation. Quand on regarde son commerce extérieur, on s’aperçoit qu’elle développe son commerce avec l’Allemagne, les Etats-Unis, la Norvège et la Russie, ses partenaires traditionnels. En revanche ce pays est « anormal » de trois points de vue :
l’actionnariat de ses entreprises est parmi les plus stables du monde, sinon le plus stable. Ce n’est pas un actionnariat de marché qui recherche la valorisation instantanée, l’actionnariat familial est très développé.
Les banques suédoises n’ont pas titrisé. Lars Nyberg, Gouverneur adjoint de la Banque centrale suédoise déclarait il y a quelques jours : « Les banques suédoises n’ont pas transféré un montant significatif de prêts de leurs comptes vers d’autres institutions telles que les banques d’investissement, ce qui signifie qu’elles ne courent pas le risque de voir de larges volumes revenir vers elles comme ça a été le cas dans les autres pays »…pas de titrisation en Suède !
La Suède a dédaigné l’euro, elle conserve une politique monétaire nationale avec sept millions d’habitants !
Si on prend ces trois traits spécifiques, on s’aperçoit que ce pays a manqué le train de la transformation financière qui est notre lot et notre loi depuis vingt-cinq ans alors que la France croit être une exception. Et ce petit dinosaure se porte bien.
Retenons l’exception suédoise, elle est très importante pour l’avenir.

High risk, high reward.
C’est la grande formule ! Si vous prenez de hauts risques, vous devez être fortement rémunéré.
Quand on réfléchit à ce qui s’est passé depuis vingt-cinq ans, avec les Junk bonds, obligations de pacotille, les prêts aux pays émergents fragiles, l’affaire des crédits hypothécaires surtout dans le subprime rate qui a été organisée spécifiquement et les LBO (extrêmement dangereux), nous vérifions l’inverse : High reward, high risk ! Pour avoir le haut rendement, on organise le risque élevé. J’insiste tout spécialement sur le LBO dont on parle peu. Tout le monde connaît maintenant la question du marché hypothécaire américain, sachez que les économistes de la Banque d’Espagne et leurs homologues de la Banque d’Angleterre ont froidement annoncé un krach immobilier dans les deux pays correspondants.

Que faire ?

Je crois à trois choses

la responsabilité du prêteur.
Qu’il s’agisse d’une banque classique, commerciale ou d’un fonds d’investissement spécialisés, il faut que les prêts restent dans les comptes et qu’ils soient suivis. L’emprunt ne disparaît pas, un prêt à trente ans au ménage américain ne disparaît pas parce qu’on l’a titrisé, parce qu’on l’a mis sur le marché ou qu’il a été repris par quelqu’un, il va durer trente ans, sauf défaillance de l’emprunteur entre temps. Il faut donc que les crédits restent dans les comptes des prêteurs, du moins tant que ceux-ci sont en bonne forme financière. C’est une façon de les responsabiliser. La plus grande innovation de ces quarante dernières années, c’est la concentration de l’épargne dans des fonds d’investissement spécialisés : SICAV, fonds de pension, fonds spéculatifs, gérés par des professionnels. Le drame, c’est que plus on professionnalise et moins ça marche.

Le cantonnement du risque.
Contrairement à une idée fausse, une idée reçue, l’économie que l’on a baptisée le capitalisme s’est développée quand on a su cantonner, réduire, le risque économique. Des pays comme la Hollande et l’Angleterre qui ont connu les premiers une véritable croissance continue, avaient réussi, précisément, à réduire les risques économiques. Il faut les cantonner.
Comment les cantonner ?
Deux propositions très simples :
Vous avez remarqué que, dans la crise actuelle du marché hypothécaire américain, les prêts accordés aux ménages qui avaient été garantis par des organismes fédéraux (Freddie Mac et Fanny Mae) n’ont pas été touchés. La garantie a donc opéré un effet salutaire. La garantie ne peut pas être universelle, les Etats, les banques centrales, ne peuvent pas garantir l’intégralité des prêts qui ont été accordés. Mais si l’on veut que certains ménages et certaines entreprises fragiles accèdent à certains moyens financiers, il faut un système de garantie collectif.
Il faut aussi une réglementation : je ne dis pas ‘régulation’ mais ‘réglementation’. Il est anormal que l’on puisse accorder des prêts à cinquante ans, comme on le fait aujourd’hui en Espagne pour acquérir des biens immobiliers. Il est anormal que 40% des ménages américains qui acquièrent un logement neuf ou ancien le fassent avec un prêt qui couvre la totalité du montant de l’opération. Il est anormal qu’un fonds déterminé puisse racheter une entreprise à la Bourse ou hors de la Bourse en empruntant la totalité du capital de l’entreprise concernée.
Il faut connaître le mécanisme du LBO : Le capital est dans les comptes du fonds de placement, c’est de l’épargne. Pour valoriser cette épargne, le fonds emprunte. Il y a deux échelons : l’échelon capitalistique proprement dit que l’on valorise. Sachez que les Fonds de « private equity » atteignent des rendements sur capitaux propres entre 20% et 30% l’an, il dépasse de loin la norme de 15% dont on nous a parlé.
Il faut donc une réglementation : par exemple qui veut racheter le capital d’une entreprise ne devrait pouvoir emprunter qu’un quart ou un tiers de la somme correspondante.

S’agissant de la politique monétaire, une question de fond a été posée par Monsieur le Gouverneur : On ne peut pas suivre la valeur des actifs financiers comme on peut suivre l’inflation des biens courants. Sachez cependant que cette question est très ancienne. Irving Fischer, auteur de « La théorie quantitative », disait il y a un siècle de cela qu’il faudrait que la politique monétaire tienne compte à la fois de l’évolution des prix des biens courants et des prix des actifs financiers. Je n’ai pas de solution à cet égard. Je me contente de constater que la politique monétaire des grandes banques centrales, surtout de la Banque centrale américaine, depuis quinze ans, a consisté à protéger la valeur des actifs financiers.
Je vous remercie de votre attention.

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