Réseaux haut débit et compétitivité des territoires

Intervention prononcée lors du colloque Entreprises et territoires du 25 septembre 2006

Il est délicat, après toutes ces interventions, de venir vous parler de quelque chose d’aussi peu tangible et d’aussi peu visible que les technologies de l’information et de la communication (TIC). Je vais quand même essayer de vous montrer en quoi les réseaux de communication, et notamment les réseaux haut débit, sont stratégiques pour la compétitivité des territoires et la localisation des entreprises.

C’est vrai, Jean-Pierre Duport l’a rappelé – puisque nous avons eu le plaisir de porter ensemble sur les fonds baptismaux quelque chose qui s’appelle d’un nom très « franglais » : « Invest in France » – que la présence des réseaux de communication était loin d’être il y a encore quelques années le premier facteur d’implantation des entreprises et je ne vous ferai pas l’injure de dire que c’est un élément dirimant.
On l’a rappelé, la position centrale de la France en Europe (un atout essentiel), la qualité de sa main d’œuvre, de sa recherche , la fiscalité étaient des facteurs beaucoup plus importants. A l’époque les différences de tarif de la téléphonie essentiellement – puisque les communications concernaient essentiellement la voix et les liaisons louées de data – ne faisaient pas une grande différence entre une localisation en France et en Irlande par exemple. La perception de l’influence des réseaux de communication sur les territoires a depuis changé avec l’arrivée d’Internet et du haut débit.

Aujourd’hui le lien est très fort entre TIC et compétitivité et, par voie de conséquence, entre TIC, territoires et localisation des entreprises.
L’influence des TIC sur la croissance et la productivité des entreprises n’est plus à prouver. De nombreuses études montrent qu’il y a corrélation entre la croissance, les gains de productivité et degré de diffusion des TIC. Des rapports récents de l’OCDE montrent une différence sensible entre les pays où la diffusion des TIC dans les entreprises est plus importante et les autres au niveau de la croissance des entreprises : les USA, le Canada, les pays d’Europe du Nord, la Grande-Bretagne ont longtemps eu des taux de diffusion des TIC dans les entreprises supérieurs à ceux de la France et cette situation avait un lien avec une croissance constatée supérieure des entreprises.
Pour ce faire, l’OCDE mesurait trois facteurs :
• La hausse de la productivité au travail due aux TIC : les TIC ont ainsi compté pour 0,8 points de croissance du PIB par habitant aux USA entre 1995 et 2001.
• Les TIC sont un secteur qui tire la croissance et où se créent plus d’entreprises et plus d’emplois que dans d’autres.
• Enfin, les performances des entreprises sont améliorées par l’utilisation des TIC. Elles permettent un fonctionnement en réseau, et un abaissement du coût des transactions. Aux USA, les entreprises qui ont le plus investi dans les TIC ont enregistré la croissance la plus rapide.

Quels sont les facteurs qui influent sur les investissements et sur la diffusion des TIC?
Il y a d’abord la disponibilité de personnel qualifié, sachant utiliser ces techniques ; il y a le coût des TIC, c’est un élément important ; il y a la qualité, la sécurité des transactions et enfin, l’OCDE le souligne, l’intensité plus ou moins grande de la concurrence. En effet, la concurrence facilite la diffusion parce qu’elle a une influence sur les tarifs et sur la qualité et le développement des usages.

Où en est notre pays ?
Le haut débit est devenu aujourd’hui un pré requis à l’implantation d’une entreprise. Un territoire privé de haut débit a peu de chances d’attirer des PME. Bien sûr, certains secteurs sont plus sensibles que d’autres mais peu y échappent. Le moindre sous-traitant, le moindre garage a besoin d’échanger, d’avoir des communications haut débit et l’absence de haut débit – on verra de quel type de haut débit : 512 kilobits, 20 voire à 100 mégabits dans Paris – est rédhibitoire.

Les besoins croissent très vite : ils font plus que doubler chaque année. Il y a trois ans, les entreprises se contentaient de 512, voire 256 kilobits. Avant-hier, c’était 8 mégabits, aujourd’hui, c’est 25 mégabits et demain, Free annonce 100 mégabits symétriques. Les réseaux se remplissent très vite ; il y a deux ou trois ans, ils étaient tirés par les entreprises, aujourd’hui ils sont tirés par le grand public à tel point que les élus des communes qui n’ont pas le haut débit sont harcelés par leurs administrés et même menacés par certaines PME de délocaliser. Et pour cela, les infrastructures sont essentielles.

La France était indéniablement en retard il y a trois ou quatre ans. Quand on mesurait par un certain nombre d’indicateurs la proportion d’entreprises qui utilisaient Internet pour leurs achats et leurs ventes en 2001, elle se révélait inférieure à la moyenne européenne. Si l’on considérait le nombre de serveurs par habitant la France n’était pas en tête.
Il y a eu un bouleversement en deux ou trois ans et aujourd’hui :
• Le taux de pénétration du haut débit dans la population talonne celui des Etats-Unis, avec 35% des ménages équipés.
• La France est le second pays en nombre absolu de connexions DSL (technologies par le cuivre) en Europe, le troisième pays en utilisation de la voix sur Internet (la voix sur IP) ce qui pose un problème aux opérateurs historiques parce que ces communications coûtent moins cher et rapportent moins.
• En temps d’utilisation par habitant d’Internet, la France est quasiment en tête en Europe alors que nous étions largement devancés par les pays d’Europe du nord.

Que s’est-il produit macro-économiquement ?
Quelle est la réalité de cette perception sur le territoire ?
France Télécom offrait l’ADSL depuis 1998-1999, mais les taux de pénétration plafonnaient jusqu’à ce que l’apparition d’une concurrence efficace permette une baisse des tarifs et une diffusion rapide du haut débit dans la population. Cette concurrence s’appuie sur un accès garanti par la régulation à la boucle locale en cuivre de France Telecom, cette boucle locale étant considérée comme une infrastructure essentielle non duplicable. Toutefois, cet accès n’est aujourd’hui véritablement effectif que pour 55% de la population. En effet encore faut-il que les opérateurs puissent atteindre cette boucle locale sur laquelle s’exerce la régulation et c’est là que la présence de réseaux de fibres optiques vers ce qu’on appelle les « répartiteurs » c’est –à-dire les nœuds du réseau de France Télécom est cruciale. Il ne suffisait pas d’ouvrir cette boucle locale mais de la rendre accessible ce qui est rendu difficile par la faible densité du territoire français.

Ainsi, une nouvelle fracture se dessine aujourd’hui (chaque nouvelle technologie TIC engendre sa propre fracture numérique) entre les zones dégroupables où existe la possibilité de choix entre plusieurs opérateurs et les zones où n’est possible que la revente de l’offre de l’opérateur historique.

En 1996, quand on a ouvert à la concurrence, on n’a pas fait le choix de créer un RTE ou RFF dans les télécoms, bien que la question ait été évoquée. Toutefois, aucun opérateur européen ne l’avait fait à l’époque .Depuis les Anglais ont fait une séparation fonctionnelle de British Telecom, les Italiens songent à en faire une avec Telecom Italia. Pourtant l’entourage du ministre en charge lui indiquait qu’il serait terriblement difficile de concurrencer cet opérateur à qui l’on transférait l’ensemble des réseaux, et même l’ensemble des fourreaux, dans le sous-sol, construits avec l’argent du monopole. Effectivement, pendant dix ans la concurrence s’est doucement et un peu timidement développée dans la téléphonie, et ce n’est véritablement qu’avec l’arrivée du dégroupage et avec la construction de réseaux de fibres optiques neutres et mutualisables par les collectivités locales depuis trois ou quatre ans que, la concurrence a pu produire son plein effet. Il y a eu une prise de conscience que l’intérêt du champion national ne se confondait plus tout à fait avec l’intérêt général car seule une partie du territoire bénéficiait de cette concurrence et des innovations (la voix sur IP, la TV sur ADSL, les tarifs différenciés). L’effet sur les entreprises n’est pas tout à fait négligeable : les 45% des entreprises qui n’ont pas accès à des concurrents disposant de leurs propres réseaux, maîtrisant pleinement leur offre ont des tarifs sensiblement différents. La différence est de l’ordre de 40% selon une étude de l’Aforst (association des opérateurs nouveaux entrants), ce qui se ressent très fortement sur la compétitivité des PME.

Les collectivités locales ont été pendant des années l’objet de débats houleux : il s’agissait de leur permettre de construire des réseaux neutres et mutualisables. On avait noté le manque de fibres optiques. FranceTélécom n’avait pas partout les réseaux annoncés.

Un certain nombre d’élus courageux, précurseurs, dont le président du conseil général du Tarn Thierry Carcenac, celui de la Manche Jean-François Legrand, de la Moselle Philippe Leroy , mais aussi quelques agglomérations comme la communauté urbaine de Nancy ont pris des initiatives et après quelques débats difficiles ont réussi à faire changer la loi et à faire en sorte que les collectivités puissent au moins jouer le rôle d’assembleurs du passif sur leur territoire et mettre à disposition ces réseaux neutres et mutualisables.
Un des premiers projets a été celui du SIPPEREC où un préfet avisé, comprenant l’apport que cela constituait, n’a pas bloqué le contrôle de légalité. Ce réseau de fibres noires – autour de Paris – a véritablement lancé le dégroupage en France. Immédiatement loué par sept opérateurs, il s’est révélé rapidement rentable et a permis, en tache d’huile d’étendre la concurrence.

Ce n’était pas nouveau, les pays d’Europe du nord avaient pris des initiatives publiques locales depuis beaucoup plus longtemps que nous. Toutefois, il a très longtemps été compliqué pour les élus de comprendre que l’intérêt général ne se confondait pas avec celui de l’opérateur en charge du « service universel » et que ces réseaux neutres et mutualisables, pouvaient véritablement être qualifiés de services d’intérêt économique général (ils l’ont d’ailleurs été comme tels par la Commission quand ils lui ont été notifiés).
Aujourd’hui soixante projets de ce type existent grâce à l’action conjuguée du régulateur sur la boucle finale, des collectivités sur le reste du réseau et de la Caisse des dépôts qui a initié et soutenu ce mouvement, estimant qu’il entrait dans sa mission d’investir dans ces réseaux neutres et mutualisables au profit de l’ensemble des opérateurs.

Les premiers bilans sont déjà perceptibles, les territoires qui ont engagé de tels projets ont, comme le disent certains opérateurs « le paysage numérique qu’ils méritent» et affichent des taux de dégroupage de la population, donc de présence d’opérateurs alternatifs de 80 % quand la moyenne nationale est de 55% et qu’elle tombe à 20% dans certains départements. C’est ainsi que dans la Manche les habitants d’Avranches et Coutances ont le triple play, c’est –à-dire le choix de plusieurs offres combinant Voix sur internet, haut débit et TV sur le fil de cuivre ; les PME ont le choix de plusieurs opérateurs, des débits souvent supérieurs et des tarifs nettement moindres. La qualité du haut débit n’est donc pas la même partout.

On a donc le plaisir de voir, dans ces territoires qui ont amené, grâce à ces réseaux neutres et mutualisables, une vraie diversité concurrentielle, et c’est d’ailleurs là où France Télécom avance le plus vite (et ce n’est que le jeu normal de la concurrence]. De plus, c’est dans ces zones que l’on constate le plus de créations d’opérateurs locaux dédiés aux entreprises, aux PME locales , comme Intermédia sud, dans le Tarn, RNI Informatique à Nancy, Cornu Informatique dans la Loire. Ils viennent du monde de l’informatique, ils connaissent bien le tissu et les besoins des PME locales et ont donc souvent une part de marché supérieure à celle des « nouveaux entrants »opérateurs nationaux. Par exemple le plus gros alternatif national, Neuf, emploie dans sa direction régionale Aquitaine moins de vingt personnes. On voit la difficulté de rendre lisible un territoire et c’est bien là un rôle utile de la collectivité locale : la « mise au soleil » de son territoire pour les opérateurs.

Notons encore la naissance d’opérateurs locaux pour les zones blanches du haut débit qui ne demandent aucune subvention à aucune collectivité : Numéo né en Rhône-Alpes, Nomotech né dans la Manche deviennent multidépartementaux. Ces opérateurs locaux naissent grâce à ces réseaux neutres et mutualisables qui ont permis une égalité concurrentielle sur les territoires.

J’espère vous avoir fait toucher du doigt le lien entre réseaux, notamment de haut débit et territoires. Le rôle de la puissance publique est d’abaisser les barrières à l’entrée, et de mettre en lumière ces territoires.
J’ai été à bonne école à la Datar et les territoires m’ont habitée pendant toute une partie de ma carrière, je peux vous dire que d’un côté l’aménagement du numérique devient un souci croissant des collectivités locales (ce qu’il n’était pas du tout tant qu ‘il leur était interdit d’agir), mais aussi que les territoires sont aujourd’hui une préoccupation quotidienne du régulateur des télécoms l’ARCEP. Ainsi au moment du récent appel à candidature Wimax, plusieurs régions se sont portées candidates et six ont obtenu une licence, non pas pour l’exploiter elles-mêmes, mais parce qu’en tant que puissance publique, elles se disent que le droit d’utiliser la fréquence – qui est une ressource rare – et de la déléguer au mieux à celui qui sera le plus compétent sur leur territoire leur revient. L’ARCEP leur a reconnu ce droit. N’est ce pas le rôle de la puissance publique, des collectivités locales ou de l’Etat d’être l’aménageur du passif des territoires afin de les rendre plus accessibles et plus compétitifs en permettant à la concurrence de s’exercer pleinement ?

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