La LOLF et la maîtrise des finances publiques

Intervention prononcée lors du colloque du 24 avril 2006 Finances publiques et pérennité de l’Etat

Je voudrais rappeler très brièvement le diagnostic pour introduire cette présentation.
On peut ne pas partager cette analyse mais je dirai que nous sommes dans une situation de crise des finances publiques d’une gravité sans précédent, non pas tant en raison du montant même de la dette que de la nature et de la durée du déficit qui génère la dette.
Depuis environ vingt-cinq ans, chaque année, nos dépenses excèdent les recettes de l’Etat de 15% à 20%. Nous sommes donc dans la situation d’un déficit continu qui a généré la dette dont nous avons parlé et oblige maintenant à s’endetter pour payer les intérêts de cette dette, tout ceci sans l’excuse d’une situation exceptionnelle (pas de guerre…) ni même d’investissements particuliers pour l’avenir : on note que les dépenses de recherche, d’investissement au sens large (infrastructures…) ne sont pas mieux traitées. Ce sont donc les dépenses courantes qui ont généré ce phénomène, il s’agit d’une perte de maîtrise de la dépense publique.

Face à cette situation, je voudrais d’abord montrer rapidement qu’il y a des impasses ou des solutions trop partielles et que si on en reste là, on va se trouver dans une situation où la décision politique va se trouver très contrainte, on perdra ce que je pourrais appeler l’autonomie du politique.
Je voudrais ensuite regarder comment la situation pourrait être maîtrisée sur la base de la LOLF mais en insistant sur les limites de ce que représente la LOLF. Ceci sera éclairé ensuite par l’intervention de Michel Bouvier, notamment sur les circonstances et la genèse de la LOLF.

Comme on l’a dit dans l’introduction, deux solutions paraissent être des impasses : la poursuite des errements actuels et l’inflation ou la sortie de l’euro.
La poursuite de la facilité a été calculée par la commission Pébereau : elle conduit, sans remontée des taux, à une dette de 100% du PIB dès 2015, 200% en 2031… Avec une remontée des taux, ces échéances se rapprochent. Il s’ensuivrait une situation de perte de confiance des prêteurs, une difficulté à assurer le service des intérêts et toutes les conséquences qui pourraient en résulter.
L’inflation, on l’a dit dans l’introduction « n’est pas à notre portée » dans la zone euro. Ceci mériterait d’ailleurs une réflexion spécifique : au fond, les contraintes de la zone euro ne sont-elles pas une trop grande facilité pour nous dans la situation actuelle ? En effet, limiter le déficit à 3% du PIB, c’est avoir un déficit de 15% à 20% de nos recettes, ce n’est pas du tout maîtriser nos finances publiques.
La dette est libellée en euros… Si la sortie de l’euro nous amenait à reprendre un Franc que nous dévaluerions, nous aurions encore plus de peine à rembourser, avec les mêmes conséquences que la solution précédente.

Deux paramètres, souvent mis en avant, me paraissent tout à fait insuffisants pour régler la situation :
C’est d’abord la croissance. Bien sûr, si on prévoit une croissance durable de 3% par an, on arrive à régler bien des problèmes. D’ailleurs, les engagements actuels du gouvernement, avec réduction des dépenses inférieure à l’inflation d’un point en 2007, puis de 1,25 en 2008, 2,25 en 2009 et sur une croissance de 3% par an … arrivent, à moyen terme, à maîtriser le problème. Mais je crois qu’on ne peut pas compter uniquement sur ce paramètre : la croissance varie, il y a des hauts et des bas…
D’aucuns mettent en avant la réforme de l’Etat. Le raisonnement est le suivant : pour maîtriser les finances publiques, supprimer notre déficit, il faut réformer l’Etat… donc réduire les effectifs de fonctionnaires. Il est certain que si dans certains domaines administratifs il est possible de faire des gains de productivité, il faut les faire et, éventuellement, les restituer pour diminuer les dépenses. Mais cela ne porte que sur une petite partie des fonctionnaires, dans d’autres domaines les effectifs sont notoirement insuffisants par rapport aux politiques publiques à mener et, dans ces domaines, réduire les effectifs de fonctionnaires veut dire abandonner ou diminuer nos ambitions, c’est-à-dire réexaminer les politiques publiques, ce n’est pas simplement diminuer les frais généraux de l’Etat compensés par des gains de productivité.
Je conclus sur ce point en disant qu’il faut faire ce qu’il est possible de faire dans ce domaine, mais que ça peut à peine contribuer à compenser – et en partie seulement – la hausse mécanique des dépenses de retraites et de salaires dans le budget de l’Etat. Nous savons que ces charges représentent 40% du budget.
Par ailleurs, avec des prélèvements obligatoires de 43% ou 45%, la marge de manœuvre dans le domaine des recettes est très limitée, surtout dans un contexte de concurrence fiscale mais Jean-Pierre Cossin, je crois, reviendra sur cette question.

Donc, avec ces impasses ou ces solutions insuffisantes, on peut repousser un peu l’échéance – avec les solutions insuffisantes – mais l’échéance reste pendante.
Quelle échéance ? Une situation dans laquelle l’Etat français serait conduit à payer les intérêts de sa dette avec des fonctionnaires qu’il ne pourrait pas licencier et des engagements passifs. En effet, une grande partie de nos dépenses publiques consistent à payer les passifs, notamment dans le domaine des régimes sociaux particuliers… et il en reste à prendre en compte devant nous.
Il n’y aura donc plus de marge de manœuvre pour la décision politique, c’est presque la situation que connaît l’Italie.

Comment peut-on maîtriser les finances publiques par un processus politique ?
En effet, à mon sens, il ne s’agit pas un problème technique mais d’un problème politique qui nécessite un réexamen des politiques publiques.
Il existe un outil qui peut aider mais qui a des limites importantes dans ce domaine, c’est la LOLF.

La structure actuelle du budget ne permet de véritable marge de manœuvre qu’au niveau des dépenses d’intervention qui représentent à peu près 30% du budget. Ces dépenses d’intervention sont souvent des compensations d’exonérations de charges sociales. Je crois qu’on est obligé, si l’on veut mettre en place un processus qui maîtrise mieux les dépenses publiques de pratiquer un réexamen des politiques publiques, de leur utilité et des leviers d’action de leur efficacité, de leur nécessité.

Que peut apporter la LOLF dans ce domaine ?

Je dirai tout d’abord qu’elle ne prend pas le problème frontalement. La LOLF organise le « dépenser mieux », elle permet d’avoir de meilleurs résultats avec l’argent que l’on met face à une politique publique. Elle peut permettre de faire des gains de productivité, en donnant des marges de manœuvre accrues aux responsables de programmes, aux responsables opérationnels, c’est, pour être très cursif, une libération des intelligences au sein de l’administration et un pilotage par les résultats des structures administratives mais avec la possibilité pour les responsables de redéployer ces gains de productivité sur d’autres dépenses. Il n’y a donc aucune obligation de dépenser moins.

Pour aller plus loin, il faut compléter la LOLF par un dispositif d’évaluation et de revue des programmes. La LOLF fournit pour cela un cadre, une assise :

D’abord, elle identifie les politiques publiques : on a maintenant une liste des politiques publiques, ce sont les programmes. Le budget de l’Etat est structuré en programmes (plus d’une centaine) et chaque programme est une politique publique, avec une stratégie, des objectifs, des indicateurs pour mesurer le progrès sur ces objectifs et une enveloppe de moyens très globale, très fongible, confiée à un responsable de programme. Identifiant les politiques, on peut mieux les examiner. Auparavant, le budget était complètement incompréhensible : on avait des dépenses par nature et non pas par destination et on ne savait donc pas ce que coûtaient les politiques publiques.

Non seulement la LOLF permet d’identifier les politiques mais elle permet de donner une lecture de leur coût, soit en lecture directe, avec le coût des programmes, soit en lecture enrichie, dans ce qu’on appelle l’analyse des coûts qui reventile dans les programmes de politiques les programmes-soutiens, plus transversaux, et qui donne donc des coûts complets.

Elle positionne des éléments d’évaluation des impacts de ces politiques publiques. On a fait l’effort de réfléchir : Que l’on recherche-t-on ? Quels sont les objectifs ? Comment ? Avec quels leviers ? On mesure les résultats à travers les indicateurs.
Un des moyens de reprendre la maîtrise des dépenses publiques est certainement de mettre en place un processus d’expertise et de réévaluation des politiques publiques sur le moyen terme – on ne peut pas tout faire rapidement – avec une composante technique : les corps de contrôle, les universitaires… mais au service d’un processus de décision politique pour en tirer des conséquences sur un train de moyen terme.

Quel serait l’objectif ?
Il ne faut pas vouloir tuer le malade par une potion trop sévère administrée trop rapidement.
Il y aurait donc une zone dans laquelle il faudrait se maintenir, avec une trajectoire minimum minimorum, c’est celle qui a été évoquée en introduction d’un mot, c’est à dire de maintenir le poids de la dette en pourcentage du PIB, ne pas dépasser le pourcentage du PIB qu’on a atteint. Des calculs permettent de déterminer ce qu’on appelle le solde primaire stabilisant et de manipuler certains paramètres pour savoir chaque année ce qu’il faut faire pour y aboutir.
Une trajectoire plus ambitieuse conduirait à terme à retrouver l’équilibre, mais il faudrait trouver 40 milliards d’euros d’économies, diminués éventuellement des excédents de recettes dus à la croissance et il faudrait piloter à l’intérieur de cette zone.

On peut très vite écarter le genre de propos que je viens de tenir en dénonçant la rigueur d’une vision purement comptable des choses. Je crois fondamentalement qu’il ne s’agit pas de rigueur mais de choix politique. Il ne s’agit pas simplement d’économiser des dépenses, mais aussi de redéployer, de retrouver la capacité de remettre de l’argent sur des politiques publiques qui le nécessitent, d’en mettre plus, notamment, sur les investissements qui conditionnent l’avenir. C’est véritablement refonder les choix politiques à travers un processus de ce genre sur lequel il me paraît donc important de réfléchir.

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