Introduction de Jean-Pierre Chevènement

Intervention prononcée lors du colloque du 24 avril 2006 Finances publiques et pérennité de l’Etat

Le colloque qui nous réunit aujourd’hui s’intitule « Finances publiques et pérennité de l’Etat ». On sait que de tous temps, l’Etat, en France – et sans doute ailleurs – s’est trouvé confronté au spectre de la banqueroute. C’était le cas notamment à la fin de l’Ancien régime puisque ce fut le prétexte de la convocation des Etats généraux. En général, la solution était obtenue par l’émission de monnaie et l’inflation qui s’ensuivait. J’ai pris l’exemple de la Révolution : les assignats, gagés sur les biens nationaux, anciennement biens du clergé, ont rapidement beaucoup perdu de leur valeur, ce qui a permis à ceux qui ont acheté des terres, notamment avec des assignats, de s’enrichir et de réaliser la fameuse « accumulation primitive du capital ». D’autres exemples pourraient être fournis : avec le naufrage du Franc-or pendant la Première guerre mondiale, puis du Franc Poincaré, pendant la Seconde guerre mondiale, avec une certaine vulgate keynésienne (je n’impute pas du tout à John Maynard Keynes la responsabilité de ces théories) on s’est accoutumé à l’inflation. On pourrait, sans remonter très loin, sous le septennat de Monsieur Giscard d’Estaing, trouver une période comparable où l’inflation atteignait couramment 10% voire plus par an, ce qui était une manière d’éteindre les dettes et de procéder à l’euthanasie plus ou moins rapide des rentiers. J’aurais pu remonter plus loin dans le passé : Law, par exemple, au début du XVIIIe siècle.
Cette méthode s’est révélée commode en période de crise majeure : la Révolution, deux guerres mondiales sont des événements considérables … le septennat de M. Giscard d’Estaing ne mérite peut-être pas d’être élevé au rang de catastrophe nationale. En dehors de ces grandes circonstances, le Franc était stable et l’Etat n’était pas trop impécunieux.
Les choses ont beaucoup changé puisque la dette publique, qui était d’un peu moins de 20% du PIB au début des années 80 (et, à l’époque, tous les jours on menaçait de traîner la France devant le FMI), est passée à 66,8%, selon les derniers chiffres dont je dispose, ce qui est évidemment considérable. Cette dette publique cumule la dette de l’Etat, celle des collectivités locales et celle des régimes sociaux. Il est difficile de penser que l’inflation pourra en venir à bout. En effet, l’inflation est à peine de 2% (1,8% d’après la loi de finances). De plus, dans le système de l’euro, la lutte contre l’inflation est le seul objectif assigné à la Banque centrale européenne qui pratique des politiques monétaires en conséquence, et qui considère qu’au-dessus de 2% il y a péril en la demeure. Certains vous expliqueront mieux que moi la théorie compliquée du NAIRU (taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation) : c’est en fonction de cette théorie que la Banque centrale européenne considère que l’inflation ne doit pas dépasser 2% et qu’il faut proportionner le taux de croissance en conséquence.
En même temps, notre dette est maintenant entièrement libellée en euros, depuis la conversion du Franc en euro, ce qui fait que même si la France devait un jour se trouver en dehors de la zone euro, si l’euro devait être balayé, notre dette resterait libellée dans une monnaie qui, jusqu’à nouvel ordre, est une monnaie forte.
C’est de cette situation que Monsieur Pébereau a été invité à prendre la mesure. Le rapport qu’il a rendu il y a quelques mois met l’accent sur le caractère insoutenable de cet endettement croissant. D’après les chiffres que j’ai pu consulter, le déficit public ne doit pas dépasser 2,6% du PIB pour maintenir le ratio d’endettement … Mais il ne reste pas le même et ne cesse de croître parce que l’endettement est supérieur à ce chiffre de 2,6% qui est en même temps le poids du service de la dette : chaque année il faut payer l’équivalent de 2,6% du PIB pour le service de la dette.

On s’est donc interrogé sur cet endettement, sur l’urgence, la nécessité, la possibilité, l’opportunité de le juguler. Vous savez que le rapport Pébereau aboutit à des recommandations nombreuses mais en particulier à une préconisation extrêmement vigoureuse qui est de faire passer, en l’espace de cinq ans, le taux d’endettement de la France de 66% à 60% du PIB. Il semble qu’une telle préconisation soit quelque peu aventurée car elle aurait des effets très importants sur la croissance. Certains économistes, tel Monsieur Vespérini, considèrent que la réduction d’un point de l’endettement de la France se traduirait par une baisse du taux de croissance d’un point, toutes choses étant égales par ailleurs. Ceci l’amène à considérer que le rapport Pébereau a raison de souligner qu’il ne faut pas poursuivre dans la voie de l’endettement mais qu’il a tort de préconiser une baisse aussi rapide qui serait récessionniste.

Je ne suis pas un spécialiste des finances publiques. Cette question est extrêmement importante si on reste attaché à la capacité d’intervention de l’Etat et on ne peut que se demander de quelle marge de manœuvre on dispose aujourd’hui.
En effet, la contrainte fiscale existe également : nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons. L’environnement international est très contraignant : les règles posées par la Commission et par la Cour de justice des communautés européennes font que la marge de manœuvre est très étroite.
Pour répondre aux questions : L’Etat a-t-il encore un avenir ? Peut-il intervenir ? Jusqu’où ? Comment ? Nous avons réuni d’éminents experts à qui je vais confier la parole dans un instant :
D’abord André Barilari, Inspecteur général des finances, puis Michel Bouvier, professeur des universités. Tous deux ont écrit un petit livre : « La nouvelle gouvernance financière de l’Etat », une explication de ce qu’est la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances), mais aussi une réflexion sur le bon usage de cette LOLF, ce qu’on peut en attendre et ce qu’on ne peut pas en attendre. Ensuite, Jean-Pierre Cossin, Conseiller-maître à la Cour des Comptes, nous donnera une vue européenne de la question, notamment fiscale. Puis Jean-Luc Gréau, économiste, qui est déjà intervenu dans un de nos colloques sur la mondialisation régulée des échanges, donnera un point de vue un peu plus large.
Je n’ose pas dire que je conclurai, je vous donnerai la parole.
Il n’est pas douteux que nous touchons là à un problème de fond.
Etait-il opportun de le soulever ? Certainement.
Les préconisations du rapport Pébereau sont elles soutenables ?
Y a-t-il d’autres voies ?
C’est une problématique que nous ne pouvons pas éviter. Je vais donner tout de suite la parole à Monsieur Barilari pour la première intervention.

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