Introduction

Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque "L'avenir de la relation franco-polonaise" du mercredi 24 janvier 2024.

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Président fondateur,

Messieurs les intervenants,

Chers amis,

Ce colloque s’inscrit dans la liste d’autres colloques ou séminaires d’étude que nous consacrons à intervalles réguliers à l’auscultation d’un pays particulier et à la relation que ce pays entretient avec la France. Nous avons ainsi consacré il y a quelques mois une soirée débat à l’Italie et aux défis actuels de la relation franco-italienne[1].

C’est dans cette ligne que nous nous proposons d’interroger ce soir le cas de la Pologne et de la relation franco-polonaise.

Nous entendrons d’abord Max-Erwann Gastineau, essayiste, diplômé en histoire et en relations internationales, auteur du Nouveau procès de l’Est (Cerf, 2019) et de L’ère de l’affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation (Cerf, 2023). Ce photographe de la société polonaise d’aujourd’hui, avec ses contradictions, ses évolutions et éventuellement ses aspirations, nous parlera aussi de l’idée de nation, si présente dans ce pays, et du besoin de dialogue mutuel avec les débouchés possibles.

Interviendra ensuite Pierre Ménat, diplomate, qui fut ambassadeur de France en Pologne de 2004 à 2007, auteur de L’Union européenne et la guerre (L’Harmattan, 2023). M. Ménat voudra bien nous dire comment il voit l’avenir de la relation franco-polonaise puisqu’il est aux premières loges pour en parler, à la lueur de son expérience de diplomate.

Pour finir, last but not least, Jan Emeryk Rościszewski, ambassadeur de Pologne en France, nous parlera de la manière dont il voit la relation franco-polonaise pour aujourd’hui et pour demain, tant au niveau bilatéral qu’au niveau européen, et, au-delà, du rôle que la Pologne joue déjà vis-à-vis de l’Ukraine et de celui qu’elle souhaite jouer dans l’Union européenne à la lumière de son élargissement éventuel et futur.

La France et la Pologne entretiennent une relation millénaire, souvent active, que ce soit à travers la politique mais aussi les guerres, les migrations et bien sûr la culture. Une relation parfois heurtée, surtout après le XIXème siècle qui fut, faut-il le rappeler, le siècle du Grand-Duché de Varsovie mais aussi, après le Congrès de Vienne, celui de l’effondrement de la Pologne et de la grande émigration, notamment vers notre pays. Par contraste nous avons la Deuxième guerre mondiale à travers laquelle on a du mal à qualifier la relation franco-polonaise tant ont été douloureux et difficiles les débuts de cette guerre à partir de l’invasion de la Pologne mais peut-être aussi avant, avec l’impossible négociation d’un traité qui n’a pas débouché, avec les conséquences terribles que l’on sait.

Et puis nous en arrivons, au XXIème siècle, à l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne en 2004. Depuis lors, malgré le « triangle de Weimar » fondé entre l’Allemagne, la Pologne et la France – et dont le dialogue régulier a été relancé depuis le début de la guerre d’Ukraine – nul n’ignore que le lien profond que la Pologne entretient avec l’Amérique a plutôt contribué à un certain éloignement de nos deux pays. Nous pourrons, je pense, aborder ensemble franchement cette question de manière à avancer.

Le passage de l’effort d’armement de la Pologne – dont j’ai noté qu’elle entendait passer de 2 % à 4 % du PIB consacrés à la défense, sans savoir si les choses sont véritablement actées ou si c’est plutôt une annonce – remet à l’ordre du jour l’éternelle question de notre lien … de notre « non-lien » militaire, devrais-je dire puisqu’on sait que la politique d’acquisition par la Pologne d’armements – qu’il s’agisse de chars, de missiles ou d’avions – est tournée en priorité vers les États-Unis et, à un moindre égard, le Royaume-Uni. J’ai vu que l’an dernier un marché avait été passé avec la Corée du Sud. Ce qui en dit long sur l’absence de la France dans ce type de relations sous l’angle du marché.

J’achèverai mon propos par un constat et une question qui peuvent être éventuellement discutés.

Le constat c’est que nos deux pays ont un point commun tout à fait remarquable : la force du sentiment patriotique qui, je crois, rapproche beaucoup la France de la Pologne. Si nous regardons l’ensemble des pays de l’Union européenne, nous sommes sans doute les deux pays chez qui la fibre patriotique est la plus intense (elle est certes également très forte au Royaume-Uni). En Allemagne, la fibre patriotique ne revêt pas cet aspect vibrant qui, venant quasiment du fond de l’histoire, caractérise chacun de nos deux pays. Mais en même temps il faut bien remarquer – et c’est paradoxal – que cet imaginaire national très fort qui porte un sentiment patriotique très constitué dans nos deux pays est fondé sur une relation tout à fait différente à ce qu’est justement le fondement de cet imaginaire. Si on voulait caricaturer on pourrait voir en la Pologne un chevalier chrétien aux marches de l’Occident et des pays slaves, la France se définissant au contraire comme un pays à message universel sur la base des Lumières. Cela dessine une différence fondamentale dans le contenu de nos imaginaires, de nos identités nationales.

Une question : pourrons-nous dans le futur trouver assez d’intérêts communs pour coopérer dans une vision partagée de l’avenir de l’Europe ?

Je ne parle pas ici vraiment des liens économiques entre nos deux pays qui ne sont pas considérables. J’ai noté que la France est le 4ème investisseur en Pologne. Le premier est l’Allemagne, sans surprise, mais entre l’Allemagne et la France il y a il est vrai le Luxembourg et les Pays-Bas, dont la présence s’explique par le fait que, pour des raisons légales et fiscales, de nombreuses sociétés s’enregistrent dans ces deux pays avant de pénétrer le marché polonais. La structure des investissements étrangers directs change cependant lorsqu’on l’analyse en prenant en compte le siège de l’entité qui domine dans le groupe. Parmi les pays investissant directement en Pologne dominent alors l’Allemagne puis la France.

Avec 13,7 milliards d’euros d’exportations de produits français en Pologne, la France était le 8ème fournisseur de la Pologne en 2022 tandis que la Pologne était le 10ème client de la France, représentant 2,3 % de nos exportations en 2022, soit une baisse de 0,2 point de pourcentage en glissement annuel : la part de marché de la France parmi les fournisseurs de la Pologne se réduit d’année en année.

Un facteur d’espoir tout de même : la France et la Pologne figurent parmi les douze pays signataires de la lettre adressée à la Commission européenne demandant la création d’une « alliance industrielle à l’échelle de l’Union européenne » afin de « stimuler les investissements dans les capacités SMR (petits réacteurs) européennes ». La France comme la Pologne sont donc attachées à ce que le nucléaire puisse trouver une place légitime dans la fourniture d’énergie en Europe. Il y a là une véritable initiative concrète sur une question à laquelle la Fondation Res Publica attache la plus grande importance et qui nous semble très liée à l’avenir de l’Europe.

Il reste bien sûr la grande question : les conséquences de la guerre d’Ukraine – ou en Ukraine, puisque l’un ou l’autre se dit, avec un sens peut-être un peu différent -. Nous savons tous que la Pologne a été extrêmement marchante dans l’aide à l’Ukraine, qu’il s’agisse de l’aide civile ou de l’aide militaire, surtout si on la rapporte à son PIB.

Je me permettrai une question impertinente : au-delà de cette guerre (qui finira bien un jour), on peut s’interroger sur l’intérêt réel que trouverait la Pologne à l’élargissement – dans un délai que nous ne pouvons d’ailleurs pas définir – de l’Union européenne à l’Ukraine, pays plus grand et plus peuplé, alors que la Pologne est aux marches de l’Est le plus grand pays de l’Europe de l’Est. La Pologne a-t-elle vraiment intérêt à l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine ? C’est une question qui méritait d’être posée, quelle que soit la réponse qu’elle appellera. Je passe la parole à Max-Erwann Gastineau.


[1] « Où va l’Italie ? », séminaire organisé par la Fondation Res Publica, le 21 mars 2023.

Le cahier imprimé du colloque « L’avenir de la relation franco-polonaise » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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