Introduction

Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque "La France et ses élites" du mardi 20 juin 2023.

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Nous aurions pu tenir le colloque de ce soir à un autre moment : ce n’est en effet pas une actualité quelconque qui nous inspire ce sujet.

Nous sommes toutefois attachés dans cette fondation à mesurer à intervalles réguliers le poids des sujets qui sans être dans une actualité directe constituent le soubassement de nombreuses analyses que nous produisons par ailleurs. C’est un peu la question du tissu et de la trame. Nous touchons ici plutôt à la trame par l’analyse que nous allons essayer de produire à partir d’une interrogation explicite. En effet, si l’interrogation sur le rôle des élites est souvent sous-jacente à ce que nous disons c’est aujourd’hui une interrogation ouverte sur le rôle des élites que nous allons mener.

Car depuis le célèbre ouvrage de Marc Bloch[1] le risque existe que l’interrogation soit ou sous-traitée ou sur-traitée. Nous ne pensons pas l’avoir sur-traitée à la Fondation Res Publica.

Autre risque, c’est celui que l’interrogation publique se transforme en un procès sommaire qui manquerait la complexité du réel. Je ne confonds pas le mot « sommaire » avec le mot « sévère ». Le constat peut être sévère. A l’inverse d’ailleurs, le risque existe de produire des analyses finalement lénifiantes pour le motif qu’une forme de dénonciation des élites marque aujourd’hui le discours politique de l’extrême-droite. L’idée serait peut-être pour certains de tenter de se dédouaner du phénomène lui-même par rapport à son poids véritable. Il n’est certes pas si facile de se dévêtir des préjugés mais l’effort qui va en ce sens doit toujours être la pierre angulaire sans laquelle on ne saurait rien construire de solide autour de notre République. Dit en d’autres termes, nous n’avons pas à Res Publica pour habitude de hurler avec les loups. Nous préférons toujours l’analyse froide et, s’il se peut, dépassionnée qui évite les raccourcis peut-être fulgurants mais par là même souvent caricaturaux. En même temps il nous semble toujours utile de faire le point sur des questions fondamentales sans y mettre de complaisance.

Concernant l’intitulé chaque intervenant pourra préciser quel sens il donne au mot « élite(s) ». Nous pouvons je crois au départ nous entendre sur le sens wébérien c’est-à-dire le « groupe de statut » qui est la définition de Max Weber. L’élite n’est pas juste l’appartenance à des classes aisées, c’est le fait d’être en situation d’agir sur le pouvoir économique, politique, éventuellement financier, culturel.

Nous vous proposons donc ce soir de réfléchir devant vous sur le point de savoir jusqu’où va aujourd’hui le rôle des élites dans le façonnage du bâtiment France, dans ses abandons passés et ses espoirs d’avenir. Nous rencontrons en effet trop souvent sur notre chemin la question de l’intérêt national (comme dans le récent colloque sur le relèvement de l’industrie[2]), pour ne pas chercher de temps en temps à nous demander à voix haute d’où vient l’abandon progressif de cet intérêt national, avec ses sursauts et ses péripéties, sur fond de lente dégradation de la croyance générale dans l’avenir de la France.

Je ne voudrais pas pour autant donner à ce propos introductif une tonalité trop noire et je vais me tourner vers les intervenants que nous avons sollicités. Ils ont en commun le savoir et la lucidité, deux vertus que nous respectons particulièrement ici. Jean-Pierre Chevènement exprimera quant à lui la vision de l’homme d’État qui a vécu, subi et n’a jamais cessé d’analyser les revers de l’idée républicaine et, chose inséparable, les chances de la France en cherchant toujours le cap au plus noir de la tempête.

J’interviendrai aussi – exceptionnellement je ne me contente pas de présider – sur le sujet de l’École Nationale d’Administration (ENA) qui a focalisé tant de passions, nourri tant d’analyses, parfois erronées me semble-t-il, tant de commentaires mais pour lequel la question fondamentale reste bien celui de l’état d’esprit de la nation.

Nous commencerons par entendre Éric Anceau, Historien, professeur à l’Université de Lorraine, auteur, notamment, de Les élites françaises : des Lumières au grand confinement (Passés Composés, 2020). Nous comptons sur lui pour nous éclairer sur la dimension historique selon laquelle se pose la question des élites et de la France.

Vous avez la parole.


[1] Si, contrairement à ce que l’on croit parfois l’idée de « trahison des élites » ne figure pas explicitement dans « L’étrange défaite », Marc Bloch élargissant son analyse à l’ensemble de la société, des intérêts et des forces politiques et sociales, les éléments à charge qu’il retient contre l’administration, l’armée, les détenteurs du pouvoir politique et économique apportent de séreux éléments sur la question. C’est en tout cas le Général de Gaulle qui, dans son discours du Royal Albert Hall le 11 novembre 1942, a prononcé cette phrase : « les élites ont trahi ».

[2] Le défi du redressement, colloque organisé par la Fondation Res Publica le 31 janvier 2023, avec la participation de Louis Gallois, Philippe Aghion et Jean-Pierre Chevènement.

Le cahier imprimé du séminaire « La France et ses élites » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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