L’ère de l’affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation

Note de lecture de l’ouvrage de Max-Erwann Gastineau, L’ère de l’affirmation – Répondre au défi de la désoccidentalisation (Éditions du Cerf, 2023), par Jean-Yves Autexier, vice-président de la Fondation Res Publica.

C’est à une riche lecture du tournant du monde que nous convie cet ouvrage. Une bibliographie très nourrie rend compte du nombre et de la qualité des sources auxquelles puise notre jeune auteur. Sous sa plume, les éléments du puzzle s’assemblent : ce qu’on nomme l’occident a cessé de régner sur le monde. Sa puissance, ses valeurs, ont cessé d’hypnotiser les peuples de la planète. De ce constat, à présent mieux admis, l’auteur tire une première leçon : chercher à mesurer comment nous étions devenus, spécialement en Europe, l’espace du progrès et de la démocratie. Une nature avantageuse – et ici un éloge bienvenu de la géographie, trop oubliée aujourd’hui dans la formation des élites -, un élan spirituel dès l’Antiquité, des facteurs sociologiques et politiques : cette domination est le fruit d’un enracinement.

Toutes les nations ne peuvent en dire autant : c’est le cas des pays « divisés » ou « déchirés » selon le classement d’Huntington. Mais on lit aussi avec curiosité les lignes consacrées au complexe caribéen : ces pays composites, « archipéliques » sans groupe culturel dominant, dont l’histoire est faite par les apports extérieurs. Max-Erwann Gastineau tente ainsi un rapprochement inattendu entre la créolisation chère à Édouard Glissant, et le patriotisme constitutionnel d’Habermas : les deux concepts sont hors-sol, le premier voulant tirer parti d’une histoire venue d’ailleurs et peu partagée, le second essayant d’oublier une histoire traumatique. Pour l’école habermassienne, le contenu substantiel, charnel de l’Etat-nation est alors rejeté, nié, relégué. On connait les retombées de cette vulgate dans la production historique française. Et l’horizon des eurocrates est bien celui-là : dépasser les nations. C’est aussi celui qui irrigue les discours du chancelier Olaf Scholz.

Mais notre auteur n’est pas dupe : le retour des conflits de haute intensité en Europe, la crise du modèle allemand rebattent les cartes, « les peuples européens veulent rester des nations, pas devenir des nationalités ». Bien-sûr, la question des migrations, de la diversité nouvelle des populations, amène à la nation politique, au demos et non à l’ethnos, et cette question n’est pas ignorée dans ce livre. Pour l’auteur, l’Europe doit d’urgence réapprendre à aimer ses nations. Répondre au défi de la désoccidentalisation, pour l’Europe, c’est vouloir exister par elle-même. S’affirmer, comme toute son histoire l’y invite : non plus par la colonisation et la domination, mais en acceptant un monde multipolaire « où l’occident serait obligé de partager le pouvoir avec d’autres puissances ».  L’expérience de la découverte d’autres cultures lui est familière depuis 1492, quand elle découvrait qu’elle n’était plus le centre du monde. L’Europe peut donc s’interroger à nouveaux frais sur ce qui fait son identité, une fois débarrassée des scories : à savoir la liberté individuelle et la liberté de conscience, le primat de l’homme sur la nature, l’esprit d’entreprise et d’innovation, le goût du travail… On peut se demander si l’occident est capable d’une telle révolution intérieure. Mais la France ? Jean-Pierre Chevènement invitait à voir son avenir comme un « carrefour de civilisations », capable de connaître les cultures d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine. En filiation avec la pensée du général de Gaulle qui refusait l’emploi du mot « occident ». « Même quand nous sommes sincèrement européens, écrit Gastineau, n’oublions pas que pour les autres nous restons d’abord français. Acceptons-le ! Réapprenons à vivre avec la dimension nationale de notre être (…) Entreprenons la découverte heureuse de notre histoire, une défense plus prosaïque de nos intérêts. Elle nous le sera moins reprochée que la prétention à guider l’humanité. »

Si l’on passe outre les renvois aux textes de René Girard dont l’on peut ne pas suivre les retombées dans l’ordre international, il est à noter que les références à Lévi-Strauss sur la préservation de la diversité du monde, à Huntington, relu correctement et hors des simplismes, ou à Kundera soutiennent le « plaidoyer pour un post occidentalisme » de l’auteur. L’ère de l’affirmation, titre du livre, s’impose car le monde non européen ne nous attend pas et n’a que faire de nos leçons et sanctions. Cette affirmation reposera sur un retour à nos propres sources et sur une curiosité renouvelée de la diversité du monde. C’est la leçon de Montaigne, citée en conclusion : en voyageant, explorant, Montaigne découvre la patrie la plus proche et la plus inaccessible : soi-même. Voilà donc un travail nourri, ouvrant de multiples aperçus sur les réalités d’aujourd’hui, et invitant le lecteur à une réflexion prospective.

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