Le financement des mosquées en France : état des lieux

Intervention prononcée lors du colloque du 14 février 2005 Islam de France : où en est-on ?

Merci, Monsieur le ministre, bonsoir à tous.
Cet état des lieux sera assez rapide puisqu’on me demande de le traiter en quelques minutes.
Comme vous l’avez rappelé, nous sommes face à une communauté assez pauvre au plan financier, en ce qui concerne les populations maghrébines.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous dire quelques mots au sujet des informations que je vais vous donner.
Ces informations proviennent d’un diagnostic des lieux de culte musulman effectué dans le Nord Pas-de-Calais il y a quatre ans. Il s’agissait d’un diagnostic exhaustif : les cent dix lieux de culte du Nord Pas-de-Calais ont été visités, photographiés, une cartographie a été élaborée, les mètres carrés ont été estimés ainsi que les besoins inhérents à la pratique du culte musulman et nous avons essayé de voir quelle était l’articulation entre lieux de culte musulman et politique de la ville.
Les informations proviennent également d’un programme de recherche-action européen intitulé « Cultes et cohésion sociale » auquel j’ai participé en tant que sociologue. Il s’agissait de voir comment les musulmans négocient leur visibilité à l’échelle locale. Nous avons étudié la question des mosquées, de la nourriture et des sépultures musulmanes.

Que dire au sujet du financement des lieux de culte musulman en France ?

Je commencerai mon propos en évoquant deux images :
Quand on parle du financement des lieux de culte, on n’évite pas ce fantasme, très alimenté au plan médiatique, qui consiste à présenter le financement des mosquées comme un processus assez occulte : une nébuleuse financière, avec une manne provenant en général des pays du Golfe, serait distillée à travers les différents pays européens et plus particulièrement en France.
Cette première image véhiculée s’apparente plus à un fantasme qu’à autre chose dans la mesure où, lorsqu’on s’intéresse à la réalité du financement et des projets de lieux de culte musulman à l’échelle locale, on constate que les associations musulmanes ont d’énormes difficultés à conduire leurs projets et à les faire aboutir. En général, on a pu voir sur le terrain que les projets de lieux de culte musulmans aboutissent à une échéance de cinq à dix ans, plutôt proche de dix ans que de cinq ans. On est sur une échéance de moyen terme voire de long terme.
A cela plusieurs raisons :
Tout d’abord, nous sommes face à une population ouvrière dont la capacité financière est assez restreinte. Je fais allusion ici plus particulièrement aux populations du Maghreb, Algériens et Marocains, sachant qu’en France la majorité des lieux de culte sont gérés par des responsables d’origine marocaine. Ce n’est pas exactement le cas pour les populations turques, par exemple, où il y a une articulation plus importante entre le tissu associatif et le tissu financier, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle pour les populations maghrébines. Cela ne signifie pas que la capacité financière n’est pas présente : il y a aujourd’hui une évolution de ces populations en termes d’insertion sociale et professionnelle. Nous avons des populations ouvrières dont les nouvelles générations accèdent aujourd’hui aux classes moyennes, voire classes moyennes supérieures. Mais on constate encore un manque d’articulation entre le tissu financier, la capacité financière en train de se développer et des associations encore gérées majoritairement par des primo-migrants qui n’ont pas une capacité financière très étendue.
C’est un premier point qu’il convient de mentionner.

Le second point relatif au problème de financement des lieux de culte vient justement, comme vous l’avez signalé, de l’absence de patrimoine.
Lorsqu’on parle d’Islam, on fait référence à deux choses :
Il s’agit d’une présence historique, une réalité sur le long terme puisque lorsqu’on parle de présence d’islam en France à travers des lieux de culte, à travers la présence de musulmans sur le territoire français, on peut remonter loin dans le temps.
Par contre, en terme de présence massive, l’islam procède encore de la dimension migratoire et nous n’avons pas en France un patrimoine très étendu en termes d’infrastructures immobilières ou d’infrastructures financières pouvant pallier les carences inhérentes à la construction de lieux de culte à l’heure actuelle.
On peut mentionner une autre raison qui marque la différence entre les projets de mosquées ou de lieux de culte existant en France et ceux existant dans l’univers anglo-saxon : une majorité d’associations musulmanes refusent le prêt bancaire, elles considèrent que cela contrevient à la loi islamique. Aussi, lorsqu’une municipalité ou une collectivité locale propose ou peut proposer une garantie d’emprunt, de façon générale les associations musulmanes la refusent car elles considèrent que cela n’est pas licite au plan religieux.
Nous constatons de façon générale un manque financier très visible sur le terrain à l’échelle locale mais – c’est là que je focaliserai mon attention quelques instants – il faut articuler ce manque financier avec l’ampleur des projets.
Ce que j’ai pu constater à travers mes recherches, confirmées par d’autres collègues, se traduit par cette boutade, que j’ai exprimée à plusieurs reprises dans mes interventions : « on est en train de passer de l’islam des caves à l’islam des usines désaffectées » dans ce sens où beaucoup de projets actuels de lieux de culte musulmans peuvent apparaître assez démesurés au regard des besoins réels des populations locales.
Par exemple, on peut observer dans le Nord de la France – mais c’est le cas également dans d’autres régions – que des associations assez modestes gérant des lieux de culte de quelques dizaines de m2 se lancent dans l’achat de friches industrielles, alors qu’elles n’ont pas réellement de projet adéquat en rapport avec la surface achetée. Si bien qu’elles décident l’achat assez lourd d’une friche qui devra être rasée ou réhabilitée et le projet aboutit à grand peine.
C’est le cas de plusieurs lieux de culte dans le Nord de la France installés dans d’anciens magasins d’électroménager d’une superficie assez importante achetés par des associations musulmanes et réhabilités au fur et à mesure. Il y a ici à voir l’articulation entre des besoins réels d’une population et des projets où on assiste à une surenchère au m2 notamment de la salle qui va être dédiée à l’exercice du culte. Très peu de projets de lieux de culte musulman à l’heure actuelle en France ont une réelle ergonomie dans le sens où on ne pense pas le caractère modulable des espaces. On veut une salle de prière assez importante qui va être remplie à certains moments de l’année – puisque la fréquentation des lieux de culte, au plan sociologique, est assez cyclique – et durant une majorité de l’année, les lieux de culte sont assez peu fréquentés. L’entretien d’une salle relativement désaffectée la majorité du temps est coûteux alors que les espaces pourraient être pensés différemment.

Actuellement, différentes sources financent les lieux de culte musulman en France.
La première source de financement provient des dons des fidèles du lieu de culte.
La seconde source provient des collectes effectuées à l’échelle de la localité ou à l’échelle régionale. On voit couramment aujourd’hui beaucoup de responsables associatifs circuler en France et dans les pays limitrophes dans un sens comme dans l’autre. Une circulation des responsables associatifs musulmans s’effectue de la Hollande vers la France en passant par la Belgique, de l’Allemagne vers la France, de l’Allemagne vers la Hollande et la Belgique. Nous constatons une circulation financière entre ces différents pays avec un jeu de dons et contre-dons, si je peux employer cette expression de Marcel Mauss. On accueille un responsable associatif de la localité, de la région, de France ou d’un autre pays qui fait une collecte dans le lieu de culte ; et ensuite les gens de ce lieu de culte vont faire une collecte dans le lieu qui est venu les visiter pour financer un projet de construction ou de réhabilitation de la mosquée.
Une source de financement, que je pourrais qualifier d’extra européenne, doit être cernée de façon exacte.
L’expression : « financement en provenance du Golfe » fait référence à une source très précise de financement, à savoir des donateurs – en général des gens qui ont fait fortune dans le Golfe ou des émirs – qui, de leur propre initiative, versent de l’argent à des responsables associatifs se trouvant en Europe, ou plus particulièrement en France, afin de financer des lieux de culte.
Il faut savoir que la majorité de ces dons représentent des sommes très modiques et il est très rare de voir une mosquée construite avec un don provenant majoritairement d’un pays extra européen, d’un pays du Golfe par exemple.
Ce type de don concerne des financements non gouvernementaux. C’est de façon tout à fait impropre qu’on parle de financement des Etats du Golfe, puisque ces Etats ne financent pas directement de lieu de culte. A ma connaissance, aucune mosquée n’est financée directement par un Etat.
La Grande Mosquée de Lyon avait été construite sous l’égide de l’Etat français à travers un ministre et grâce à un don personnel du roi Fahd d’Arabie saoudite.
Mis à part ces cas très précis, en France, une structure, antenne de la Ligue islamique mondiale, organisation caritative musulmane entretient des liens très étroits avec le gouvernement saoudien. Mais il faut savoir que la Ligue islamique mondiale finance très peu de lieux de culte, moins d’une dizaine en France. Lorsqu’elle le fait, elle prend en charge, outre le financement, l’entretien de la mosquée. Mais elle y met une condition : l’association bénéficiant des dons doit stipuler dans ses statuts qu’en cas de dissolution ou de changement de l’association, le patrimoine reviendrait dans l’escarcelle de la Ligue islamique mondiale.
Mis à part ce type de financement, il n’existe pas de réseau de financement où des millions d’euros transiteraient pour que les musulmans puissent construire leurs mosquées en France. Je pense que les pouvoirs publics français sont parfaitement au courant de cela.
Par contre, dans les médias, on alimente encore largement les fantasmes sur des capacités de financement qui seraient largement supérieures à ce que l’on a pu constater sur le terrain.

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