Dette publique : protéger les dépenses de long terme
Intervention prononcée lors du colloque du 24 avril 2006 Finances publiques et pérennité de l’Etat
Je suis un partisan de toujours de l’équilibre des finances publiques. De ce point de vue, je ne crains pas d’apparaître comme quelque peu archaïque, du moins au regard des critères keynésiens. Cependant je vais évoquer devant vous une situation dont je tirerai une conclusion : c’est qu’il n’est pas possible pour la France – et sans doute aussi pour d’autres grands pays industriels dans le monde – de résorber rapidement et sans casse économique son déficit et sa dette publique. Par conséquent il nous faudra sans doute envisager des pistes hétérodoxes de sortie de cette situation très difficile.
Le rapport Pébereau, que je viens de lire très attentivement, dit des choses de la plus haute importance quelles que soient les divergences d’appréciation que je porte sur certains passages. Ce rapport a été établi par Monsieur Pébereau avec des personnes très remarquables, Monsieur de la Rosière, Monsieur Camdessus qui ont représenté les plus hautes institutions financières nationales et internationales.
Comme le rappelait Jean-Pierre Chevènement en entrée, ce rapport dit donc que la dette publique française est devenue insoutenable et je crains que cette conclusion ne soit vraie : il y a un excès de la dette et il faut maintenant essayer d’attaquer le problème.
La chose la plus importante que dit ce rapport a trait au passé : nous avons connu – pendant les « Trente piteuses » dénoncées peut-être avec excès par Nicolas Baverez- en vingt-cinq ans, une croissance moyenne de 2% supérieure à la moyenne européenne. Dans ces conditions, sachant que nous ne sommes pas en temps de guerre et qu’aucun séisme n’a affecté ce pays, comment se fait-il qu’on ait pu voir monter la dette publique en pourcentage du PIB de 21% à 66% ou 67% aujourd’hui, avec une perspective d’augmentation continuelle ? Normalement, c’est inexplicable. Remarquons tout de même que la majorité des Etats industriels dans le monde ont connu une évolution comparable à divers degrés.
Comment en est-on arrivé là ? C’est le point qu’il faut d’abord développer.
Deuxième point : Le déficit est-il maîtrisable ?
Réponse : oui, en ce moment, grâce aux très, très, très bas taux d’intérêts du refinancement de la dette publique, les plus bas que nous ayons connus depuis la guerre, en France, en Europe et dans le monde. Autrement dit : nous n’avons pas d’effet « boule de neige ». Sans cela, nous ne pourrions pas endiguer la croissance de la dette publique, tant bien que mal, comme nous le faisons actuellement.
Troisième question : Faut-il résorber la dette publique ? [Je ne dis pas : Comment la résorber ?]
Réponse : normalement oui. Mais, dans les conditions actuelles, au niveau qu’elle a atteint désormais, il y aurait sans doute un vrai risque de stagnation et de récession économique en cas de mouvement fort du côté des dépenses ou du côté des impôts.
Quatrième question : Y a-t-il une autre réponse que la réponse classique consistant à dire : nous allons maîtriser notre dépense publique par un effort patient, tenace, méthodique, tel que l’a envisagé Monsieur Bouvier tout à l’heure, ou par un effort de maîtrise des dépenses associé à des augmentations ponctuelles d’impôts tel que Jean-Pierre Cossin l’a évoqué à l’instant devant vous ?
Je crains fort que la situation soit telle, compte tenu des nouvelles contraintes qui vont apparaître dans les années prochaines, que nous ne puissions pas y répondre par les moyens classiques.
J’évoquerai donc in fine une hypothèse économiquement tout à fait incorrecte.
Comment en est-on arrivé là ?
Nous avons connu les « Trente piteuses » de la gestion de la dette publique : trente-trois exercices budgétaires de l’Etat déficitaires d’affilée ! Ce n’était pas arrivé depuis longtemps !
Il y a eu quatre erreurs, quatre mauvaises appréciations successives.
La première, pendant le septennat de M. Giscard d’Estaing : on a attendu le retour de la grande croissance de l’après-guerre. Pendant vingt-cinq années (de 1948 à 1973), nous avions connu 4,8% de croissance moyenne, près de 4% de productivité moyenne et, en même temps, des recettes publiques qui augmentaient à une vitesse impressionnante. On a attendu le retour de cette croissance ! Seul Raymond Barre a fait un petit effort d’infléchissement de la dépense publique de telle sorte que le déficit, tel qu’il était comptabilisé en 1981 au moment de la passation de pouvoir entre Monsieur Giscard d’Estaing et Monsieur Mitterrand, était encore relativement modeste et que la dette publique n’excédait pas 21% du PIB.
Nous ne serions pas là aujourd’hui si la dette publique était égale à 21% du PIB … nous aurions probablement choisi un autre thème de débat…
Tout le monde connaît la deuxième erreur [sur laquelle je vais porter une appréciation nuancée… non pas seulement en raison de la présence de Jean-Pierre Chevènement à ma gauche, ce n’est pas seulement la courtoisie qui me conduit à porter cette appréciation…].
L’échec de la violente politique de relance budgétaire de 1981 a coûté au budget de l’Etat. Cette erreur a été lourde, d’autant plus qu’elle s’est accompagnée d’une politique monétaire menée à contresens. Pendant qu’on relançait par le budget, on cassait la machine par la monnaie. En conséquence, cette relance ne pouvait pas opérer de véritable essor de l’économie française et, très vite – la date (16 avril 1982) est très connue – lorsque le patronat a rencontré le gouvernement (Pierre Mauroy et ses collaborateurs), on a passé la marche arrière et on a freiné des quatre fers dès le printemps 1982, ce qui fait que, très heureusement, la dépense publique n’a pas explosé sauf sur une période d’une petite année. Cela est très peu connu parce que tout le monde pense que pendant toute la période (de 1981 au moins jusqu’au plan Delors, en 1983-84) il y a eu une véritable gabegie financière. Ca n’a pas été le cas.
En même temps je crois pouvoir dire que l’effort de freinage des dépenses publiques opéré entre 1982 et 1986 a été le plus important de toute la période concernée. On n’a jamais fait autant d’efforts depuis lors.
Sachons aussi qu’à cette époque, nous payions des taux d’intérêt fort élevés, nous devions refinancer la dette publique française avec des taux extrêmement élevés qui seront d’autant plus élevés par la suite que l’inflation va baisser brutalement. La réussite de la politique anti-inflationniste opérée à partir du 1983 a fait que les taux d’intérêt nominaux élevés au départ sont devenus des taux d’intérêts réels très élevés à l’arrivée. Cela a gonflé mécaniquement notre dette publique.
Néanmoins, les 10 et 11 décembre 1991, lorsque, sous l’impulsion de la France – car c’est la France qui est responsable de l’union monétaire -, le traité de Maastricht est conclu, la France a une dette publique égale à 36% de son PIB. Cette dette est la plus faible de tous les pays qui entrent dans l’union monétaire [à l’exception du Luxembourg, un cas de figure qu’on ne peut pas prendre en considération]. Il est donc tout à fait normal que nous nous engagions dans l’union monétaire, nous étions les meilleurs, les premiers de la classe.
Que s’est-il passé ? Entre 1991 et 1997 (cf. rapport Pébereau, pages 30 et 31) la dette publique est passée de 32% au début de 1991 à 58% du PIB. C’est pendant cette période de six années que se situe le grand dérapage. Le rapport Pébereau nous fournit une richesse unique, de ce point de vue, un élément d’analyse historique. L’ironie de l’histoire est amère : c’est le pays le mieux doté du point de vue de ses comptes publics pour entrer dans l’union monétaire qui, ensuite, va mettre en place des choix économiques – nécessités par l’union monétaire – qui vont casser à la fois l’économie et les comptes publics !
Nous avons accroché notre politique monétaire à celle de la Bundesbank, et (le rapport Pébereau le rappelle, ce n’est pas inutile) nous avons les taux d’intérêts les plus élevés de l’histoire monétaire de la France depuis que la Banque de France a été créée en 1800 par Bonaparte. Nous avons cassé la croissance française, détruit des milliers d’entreprises, des centaines de milliers d’emplois, restreint la capacité de nos finances publiques, subi la plus grande récession de l’après guerre, celle de 1992-1993 : -1,4% !
Nos finances publiques s’affaissent profondément et, peut-être, irrémédiablement.
Quatrième temps de l’opération, comme dans une sorte de moteur à implosion, la législature Jospin, une législature d’imprudence et de légèreté dans la conduite de nos finances publiques. Chaque année, il y a deux budgets : le budget préparé, voté et le budget exécuté. Pendant la législature Jospin, nous avons eu cinq budgets raisonnables dans leur préparation et dans leur vote et déraisonnables dans leur exécution. La conséquence a été la suivante : alors que nous avons connu – comme toute l’Europe, mais plus que la moyenne européenne – une forte croissance, supérieure à 3%, la création de plus d’un million deux cent mille emplois dans le secteur concurrentiel – ce qui n’avait plus été vu depuis le premier choc pétrolier – et quatre cent milliards, c’est-à-dire 4% du PIB, de recettes fiscales supplémentaires, Monsieur Jospin a légué à Monsieur Raffarin le même déficit budgétaire et une dette publique quelque peu aggravée, par rapport à la période précédente ! Pourquoi ? Trois cent milliards de dépenses supplémentaires et cent vingt milliards de francs d’allègements fiscaux ciblés en direction de l’électorat présumé du Parti socialiste ! Ainsi, ces opérations ont absorbé la croissance des recettes fiscales.
Au bénéfice de ces quatre erreurs successives, nous nous trouvons dans cette situation d’enlisement complet de nos finances publiques et, depuis, nous gérons la situation au jour le jour.
Le problème actuel concerne toute l’Europe, en ce sens que, pour la première fois depuis la guerre, l’ensemble de l’Europe – à l’exception purement apparente de l’Espagne et de la Grande-Bretagne qui croissent en endettant leurs ménages – n’a pas bénéficié de la croissance mondiale. Depuis 2002, la croissance mondiale est de 4%, 4,5%, 5% l’an et, en Europe, nous sommes à 1,5% en moyenne, en incluant l’Espagne et la Grande-Bretagne. Les Pays-Bas, qui étaient montrés en exemple il y a quelques années, ont enregistré au cours de ces cinq dernières années une croissance moyenne de 0,6%, comme l’Allemagne et l’Italie. Nous sommes dans une situation de marasme économique et même de bons impôts bien ajustés ne rapporteraient pas grand-chose.
Le rapport Pébereau fait un constat impeccable de la défaillance du contrôle démocratique : le Parlement élu pour contrôler la dépense publique ne la contrôle pas. Au contraire, il pousse discrètement à certaines dépenses supplémentaires. Les guichets sociaux se multiplient et, bien entendu, l’Etat sarkozyen (celui qui éteint les incendies et poursuit la délinquance) doit être maintenu et développé, compte tenu du contexte.
A cette défaillance du contrôle démocratique s’ajoute la défaillance du contrôle bruxellois. Les recommandations de Bruxelles sont inopérantes, non seulement sur la France mais sur les autres pays européens : Madame Merkel écarte déjà le contrôle de Bruxelles sur le budget allemand. A cet égard, je dois dire que j’ai été extraordinairement surpris lorsque nos partenaires nous ont imposé la présidence de Monsieur Juan Manuel Barroso à la tête de l’Union européenne ! Je venais de lire dans la presse que le Portugal, dont cette personnalité avait assumé la présidence du Conseil pendant quatre ou cinq ans, avait connu deux récessions et que Monsieur Barroso avait laissé le trésor public portugais avec un déficit public égal à près de 7% du PIB, c’est-à-dire une situation de quasi-faillite… qui, d’ailleurs pose bien des problèmes à ses successeurs. Comment se fait-il qu’on ait choisi comme vigile de la rigueur de la dépense en Europe quelqu’un qui avait failli aussi gravement dans les limites des frontières portugaises ? Ce sont d’autres considérations qui ont joué, nous le savons bien. Néanmoins, nous constatons la défaillance du contrôle bruxellois.
Mais la grande défaillance, pour un économiste, est celle des marchés financiers. En effet, la gouvernance des marchés financiers devait encadrer l’action des pouvoirs publics, comme elle devait encadrer l’action des entreprises (sauf dans le cas d’Enron ou autres turpitudes de ce genre). L’Italie a une dette publique de 109% du PIB, un déficit public supérieur à 4% du PIB, la dette publique belge est à 96%, les Pays-Bas sont plus endettés que nous, l’Allemagne est au moins à notre niveau. Comment se fait-il que des primes de risque ne soient pas apparues sur la dette publique des pays concernés pour inciter les Etats à faire l’effort de prudence financière qui s’imposait ? Comment se fait-il que les fameux fonds de placement internationaux n’aient pas opéré cette régulation ?
C’est un point fondamental. Monsieur Greenspan s’est prononcé sur le sujet, il a appelé cela un conundrum (en anglais : quelque chose qui est inexplicable). Normalement toutes les entités économiques dont la dette s’accroît de façon disproportionnée, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une collectivité publique, devraient subir une sanction sous forme d’un renchérissement des conditions de refinancement de leur dette… Ca n’a pas été le cas.
Constatons la défaillance des marchés financiers que Monsieur Pébereau et ses coéquipiers oublient… et pourtant ce sont de grands financiers !
C’est un problème de fond qui est au cœur de la mondialisation actuelle.
Ce qui permet de tenir actuellement, comme je l’ai dit, ce sont les taux d’intérêt extrêmement bas. Avec une inflation d’environ 2% nous payons 3,5% ou 4% de taux d’intérêt à dix ans, et à peine plus à cinquante ans puisque la France, imitée immédiatement par la Grande-Bretagne et l’Allemagne a, à partir de 2005, émis des obligations à cinquante ans, à très bas taux. Les bas taux et le fait de repousser la charge dans le futur, vers les générations les plus éloignées possible, nous permettent de tenir et les marchés ne réagissent pas.
Attention, si les marchés ne réagissent pas, c’est que le contexte économique et financier mondial reste favorable. Il suffirait de peu de chose : une crise d’un marché émergent, le ralentissement de l’économie américaine, un krach immobilier en Grande-Bretagne ou en Espagne, voire aux Etats-Unis… pour que les conditions d’emprunt merveilleusement favorables qui nous sont faites disparaissent et nous verrions immédiatement réapparaître les primes de risque et une aggravation des conditions de refinancement de la dette publique. L’effet boule de neige, dont je parlais d’entrée de jeu, nous empêcherait de maîtriser notre dette publique, même si nous faisions des efforts importants pour contrôler l’évolution du budget.
Deux considérations supplémentaires me laissent penser que les choses sont devenues très difficiles :
Nous sommes en situation de mondialisation commerciale, une partie de notre base industrielle, technologique, s’enfuit vers les zones de dépression salariale qu’offre la mondialisation. Ce phénomène est relativement lent, il s’accélère, il est progressif mais il est durable. La conséquence est que la base fiscale chère à Jean-Pierre Cossin, indépendamment de la concurrence fiscale telle qu’elle existe en Europe sur certains types d’impôts, est plutôt portée à la contraction qu’à l’expansion. Nous avons donc là une nouvelle contrainte.
N’oublions pas non plus l’impact financier du vieillissement démographique. Comment se fait-il que cette question soit occultée par l’ensemble des pays ? Nous n’allons pas pratiquer l’euthanasie du troisième ou du quatrième âge ! Les dépenses de retraites sont inéluctables, comme les dépenses de maladie et de dépendance supplémentaires. L’économiste basique que je suis en déduit qu’il faut faire des réductions de dépenses par ailleurs pour empêcher que la masse totale de la charge n’augmente. Ce serait déjà bien si nous parvenions à compenser cette dérive inévitable de la dépense par une contraction organisée, méthodique, patiente de nos dépenses telle que la souhaite Monsieur Bouvier.
Nous sommes actuellement dans une sorte de nasse pour le traitement de la dette publique.
Faut-il quand même réduire la dette publique ?
Il faudrait pouvoir le faire. Mais je suis, de ce point de vue, très attentif à ce qui s’est passé durant ces vingt-cinq dernières années. Une grande leçon de politique économique nous a été constamment répétée par les faits économiques et par l’histoire économique.
Les politiques économiques de relance ou de restriction ont des effets asymétriques.
Quand on relance l’économie par la voie budgétaire (je dis bien par la voie budgétaire et non par la voie monétaire), les effets stimulants sur l’économie sont apparemment faibles.
Deux exemples : ce qui s’est passé en 1981-1982 en France mais aussi ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec la politique de Monsieur Bush. Monsieur Bush a opéré des réductions d’impôts – qui vont étonner Jean-Pierre Cossin – égales à 6% du PIB américain, 600 milliards de dollars en l’espace de quatre ans ! Ce qui est frappant, c’est que l’économie américaine a mis trois années à se redresser. Ce n’est qu’en 2003 que le secteur privé américain a recommencé à créer des emplois, à la faveur de la politique monétaire de la Banque centrale la plus favorable que les Etats-Unis aient jamais connue dans leur histoire… et qui a été la véritable base du redressement. Pendant ce temps-là, les Etats-Unis sont passés d’un excédent budgétaire de 2% à un déficit budgétaire de 4% du PIB, c’est à dire que la baisse des impôts s’est répercutée dans l’équilibre – ou dans le déséquilibre – comptable.
Donc la relance budgétaire a un effet faiblement stimulant.
En revanche, d’une façon asymétrique, on constate l’effet souvent déprimant de la contraction brutale des dépenses ou de l’augmentation brutale des impôts. N’oublions pas la décision Juppé de l’été 1995 d’augmenter la TVA de deux points (c’est moins que ce que Madame Merkel veut faire en 2007 en Allemagne). Ce prélèvement supplémentaire a entraîné un ralentissement important de l’économie française alors que celle-ci sortait tout juste de la récession imposée par la politique monétaire.
De ce point de vue aussi, on voit une asymétrie : autant la relance n’est pas très productive de croissance, autant la restriction est productive de stagnation et de récession.
La seule politique qui vaille c’est de gérer prudemment les dépenses publiques en période de croissance. On engrange les recettes fiscales supplémentaires et l’équilibre se rétablit spontanément. C’est ce qu’on a oublié de faire entre 1997 et 2001 et, là, le rapport Pébereau est justifié dans ses conclusions. Janvier 1997-janvier 2001 : quatre années de forte croissance, quatre années de forte croissance des recettes fiscales… mais le résultat est celui que vous connaissez.
Je voudrais envisager un dernier point avant d’ouvrir le débat sur une question politiquement et économiquement incorrecte.
Indépendamment des dépenses de retraites, de dépendance, de maladie et des risques résultant de la mondialisation, nous devrions être attentifs à deux postes de la dépense qu’il faudrait plutôt augmenter que réduire :
D’abord les dépenses pour l’enseignement supérieur et la recherche. Tout le monde est d’accord, à droite comme à gauche, notre enseignement supérieur est en situation de « déglingue » globale. Il faut dépenser à la fois pour l’équipement et pour le fonctionnement, augmenter la dépense per capita dans l’enseignement supérieur.
Ensuite, et ce n’est pas non plus seulement pour faire plaisir à Jean-Pierre Chevènement, les dépenses de sécurité et les dépenses militaires. Nous entrons dans un monde de plus en plus dangereux, notre capacité militaire est sous dimensionnée au regard de ces dangers – qui ne se limitent pas au seul danger terroriste – et je ne vois pas comment nous allons pouvoir éviter d’accroître quelque peu notre effort militaire dans les années à venir. Il suffit de lire le journal, d’ouvrir les pages internationales… Tout va mal !
Compte tenu de cela, je pense que nous sommes dans une nasse financière.
Je ne crois pas – c’est la conviction intime d’un partisan de l’équilibre budgétaire – à la possibilité de revenir par étapes à une extinction ou à une résorption profonde de la dette publique, aux 21% de 1981 ni même aux 32% ou 36% de Maastricht. Je ne le crois pas, compte tenu de tout ce que je viens de vous dire.
Par conséquent, nous allons avoir à supporter des risques considérables.
Il existe cependant une échappatoire. Elle est bien connue et Jean-Pierre Chevènement m’a un peu devancé, c’est la monétisation de la dette publique (horresco referens) dont je ne suis pas partisan… en principe.
[Je précise au passage que le poids de la dette publique est d’autant plus important que les générations qui arrivent sur le marché du travail sont maigres : le poids de la dette publique allemande, égal en apparence à celui de la France, est en réalité plus lourd ; le poids de la dette publique italienne est encore beaucoup plus lourd que ce qu’on imagine ! Ce point n’apparaît pas non plus dans le rapport Pébereau. L’aspect démographique est pourtant essentiel puisque ce sont les générations futures qui vont supporter le fardeau de la dette, plus elles seront nombreuses et mieux cela ira, plus elles seront maigres et plus la situation sera difficile.]
Le Japon a une dette publique égale à 150% du PIB, il peut la monétiser, rembourser l’épargne privée japonaise, qui finance la dette publique, en créant de la monnaie.
La Banque centrale américaine le fait un peu : en 2002, par exemple, elle a racheté une partie de la dette publique en prétextant la menace d’une déflation.
Théoriquement, nous ne pouvons pas le faire : nous sommes en union monétaire, un système quasi-fédéral, c’est-à-dire que la Banque centrale ne peut agir, non seulement parce que l’orthodoxie monétaire qui y règne l’interdit – et parce que ses statuts l’interdisent – mais tout simplement parce qu’elle ne peut pas traiter également des dettes inégales. Si l’Espagne a une dette publique de 40% du PIB et l’Italie une dette publique de 110% du PIB, comment arriver à un moyen terme entre ces dettes inégales ? Techniquement, la BCE ne peut pas le faire.
Il y a là un obstacle énorme, qui a été oublié au moment où on a plaidé vigoureusement pour l’union monétaire. L’union monétaire présupposait une convergence des économies européennes sur tous les plans et en particulier sur le plan de leurs finances publiques… convergence qui n’a pas eu lieu.
J’évoque quand même cette hypothèse d’une monétisation partielle de la dette publique parce qu’il me semble – et là je rebondis sur les propos de Monsieur Bouvier – qu’indépendamment des dépenses de fonctionnement et d’investissement, l’Etat a deux durées pertinentes pour son action.
– D’abord l’urgence : la canicule, le SAMU, les pompiers, les policiers… la nécessité de se porter au secours du citoyen en danger.
– Puis le très long terme : construire des centrales nucléaires de nouvelle génération pour préparer la sécurité énergétique en 2025 ou en 2030, assumer des dépenses de recherche fondamentale, peut-être insuffisantes aujourd’hui, développer l’enseignement supérieur, maintenir une politique nataliste digne de ce nom, dont on a vu qu’elle avait été efficace dans ce pays.
Donc, la question que je pose in fine est la suivante.
Ne faudrait-il pas plaider, auprès de nos amis européens et auprès des experts économiques dans le sens suivant : toutes vos considérations sont belles et bonnes mais, objectivement, nous avons à faire face à une situation sans commune mesure avec celles que nous avons connues depuis très longtemps, peut-être depuis la Révolution française. Il nous faut protéger certaines dépenses vitales de très long terme. Celles-ci ne pourraient-elles pas être financées par une certaine dose de création monétaire qui se ferait très naturellement, par une acquisition à due concurrence, en contrepartie d’une émission de monnaie, d’une fraction des bons du Trésor et des obligations du Trésor émises par les Etats inclus dans l’union monétaire européenne ?
J’ai conscience, en émettant cette proposition, de franchir une ligne jaune. Néanmoins je crois très profondément que nous ne parviendrons pas à résorber notre dette rapidement et qu’au contraire, des dangers nouveaux et des contraintes nouvelles vont apparaître qui nous obligeront à envisager des solutions nouvelles.
Je dépose donc cette modeste proposition incorrecte devant vos consciences et je suis prêt à répondre à vos questions à ce sujet comme à ce qui a précédé.
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