Pas de sortie de crise sans résorption des déséquilibres des balances des paiements
Par Jean-Michel Quatrepoint, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, auteur de « Mourir pour le Yuan » (Bourin Editeur, 2011).
L’euro n’est pas sauvé. De sommet en sommet, les dirigeants européens ne font que gagner du temps. Et l’on peut craindre qu’il en soit de cet accord du 26 octobre, comme des précédents. Plus la crise s’aggrave, plus on cherche à la résoudre à travers des procédures financières aussi complexes qu’illisibles. Tout a été dit ou presque sur cette crise sans précédent, l’égoïsme allemand, l’irresponsabilité des pays du Sud, le rôle des banques et des agences de notation. Mais bien peu cependant se sont penchés sur la cause première de cette crise des dettes souveraines : les déséquilibres des
Premier constat : les additions ne tombent pas juste. Logiquement, la somme des balances des paiements (balance des biens et services, des revenus financiers plus solde des mouvements de capitaux) doit s’équilibrer. On en est loin. Chaque année, la divergence est plus grande. C’est le trou noir de la finance mondiale. Une fois éliminées les marges d’erreur, les différences de méthodes comptables, il reste encore un écart gigantesque que personne ne sait, ou plutôt ne veut, expliquer. Sans doute, parce qu’il faudrait se pencher en détail sur la réalité des statistiques chinoises, la comptabilité des grandes entreprises, le rôle des paradis fiscaux, l’argent des narcotrafiquants et du crime organisé. Mais de tout cela, ni l’OMC, ni le FMI, ni les banques centrales ne veulent en entendre parler. C’est l’omerta sur le trou noir.
Deuxième constat : en cinq ans, les déséquilibres entre les grandes zones et à l’intérieur de certaines zones, atteignent des sommes pharaoniques. Le sud-est asiatique a accumulé plus de 2 900 milliards de dollars d’excédents, dont environ 1 700 pour la Chine et 875 pour le Japon. Ils proviennent, pour plus des deux tiers, des soldes commerciaux. Une performance d’autant plus remarquable que ces pays sont tous importateurs de matières premières, notamment énergétiques.
Les autres champions de l’excédent sont précisément les pays pétroliers. Près de 700 milliards pour ceux du Golfe. Une centaine pour le Nigeria, 288 milliards pour la Norvège et 394 milliards pour la Russie. Au total, les grands pays pétroliers ont accumulé, sur cinq ans, 1 700 milliards de dollars d’excédents.
Troisième constat : Il ne suffit pas d’être un producteur de matières premières pour avoir des excédents. Surtout quand ces pays n’ont pas les bases industrielles nécessaires pour fabriquer localement. Ainsi, le Brésil a un déficit de 85 milliards de dollars, tout comme le Canada (51 milliards), l’Australie (222 milliards), le Mexique (42 milliards), et l’Afrique du Sud (75 milliards). Tous ces pays sont inondés de produits asiatiques qui pénalisent leurs producteurs locaux.
Tout comme l’Inde (116 milliards de déficits ) et même la Turquie (170 milliards)
Quatrième constat : Les Etats-Unis sont les champions des déficits : 2 600 milliards de dollars sur cinq ans. Il continue de se creuser, mois après mois, à l’égard de la Chine, du sud-est asiatique, des pays pétroliers et aussi de l’Allemagne. C’est la conséquence directe de la désindustrialisation américaine et de cette illusion que la finance et les nouvelles technologies compenseraient la délocalisation des industries manufacturières et des services. Si la reprise a avorté, si le chômage perdure, si la paupérisation gagne, c’est tout simplement parce que, depuis plus d’une décennie, les Etats-Unis dépensent plus qu’ils ne gagnent et que les hyper-profits de ses multinationales et de ses globocrates se sont, eux aussi, délocalisés.
L’explosion de la dette publique américaine n’est que la traduction des déficits de leur balance des paiements. Une dette largement financée par les excédents asiatiques et des pays pétroliers.
Et l’Europe ? Constatons d’abord qu’il y a deux Europe. Celle de l’euro et l’autre. Au sein de cette dernière, il y a des champions du déficit. Le Royaume-Uni, prompt à sermonner les continentaux, a accumulé sur cinq ans, 300 milliards de déficits de sa balance des paiements. Et ce, malgré la City. C’est dire que son modèle… n’en est pas un. Pourquoi alors le pays n’est-il pas sous la pression des marchés ? D’abord, parce qu’il laisse filer sa monnaie. Ensuite, parce que la Banque d’Angleterre fait fonctionner la planche à billets. Enfin, parce qu’il y a la City et qu’elle ne va pas se tirer une balle dans le pied. Elle préfère spéculer sur l’euro, plutôt que sur la livre. Dans cette Europe des Dix, tous les ex-pays de l’Est sont déficitaires (250 milliards de dollars au total). Seuls la Suède (185 milliards) et le Danemark (49 milliards) ont enregistré, en cinq ans, des excédents.
Reste la zone euro. Prise globalement, elle n’aurait pas dû poser de problèmes. C’est du moins ce que nos élites, experts et europhiles béats nous ont seriné depuis plus de quinze ans. Selon eux, les balances commerciales et des paiements, à l’heure de la mondialisation et dans une même zone monétaire, n’avaient plus aucun sens. S’ils avaient été dans le vrai, il n’y aurait pas eu de crise de la dette souveraine. De fait, la zone euro est globalement équilibrée et même excédentaire. Mais, en son sein, ce ne sont que déséquilibres.
D’un côté, il y a les excédentaires à commencer par l’Allemagne (1036 milliards de dollars sur cinq ans), et les Pays-Bas (250 milliards). La performance de ces derniers s’explique par le rôle de ses ports et la localisation des profits et des sièges sociaux d’un certain nombre de multinationales. Les Pays-Bas, comme le Luxembourg et l’Irlande, pratiquent le dumping fiscal, à l’intérieur même de l’Europe. Mais, de cela aussi, il est interdit de parler.
De l’autre, il y a les déficitaires. En tête, l’Espagne avec 550 milliards de dollars, suivie par l’Italie (280 milliards) la Grèce (190 milliards), le Portugal (125 milliards) et la France, qui a accumulé, ces cinq dernières années, 175 milliards de dollars de solde négatif de ses paiements courants. On remarquera que jusqu’en 2003, notre balance était excédentaire. C’est à partir de cette date que l’on bascule dans le rouge. Et depuis, le trou ne cesse de se creuser. On ne réglera pas la crise de l’euro tant que l’on n’aura pas résolu ces déséquilibres entre les balances des pays membres. On ne sortira pas de la crise et de la dépression, tant que l’on n’aura pas rééquilibré les échanges entre les grandes zones excédentaires et les pays déficitaires.
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