Le G20, l’illusion française et les ambitions nationales

Une tribune de Julien Landfried, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, répondant à la question « Que faut-il attendre du sommet du G20 ? » du panel LeMonde.fr, jeudi 3 novembre 2011. Depuis la crise de 2008, les sommets du G20 se suivent et se ressemblent. Derrière les apparences trompeuses d’un certain multilatéralisme et les exhortations à réguler le capitalisme financier, des ambitions et des réalités nationales s’affrontent. Le G20 de Cannes n’y échappera pas davantage que les précédents.

L’euro, d’abord. La solution de la monétisation de la dette publique des pays les plus fragiles, et bientôt du cœur de la zone euro, apparaît comme la seule possible pour éviter, à court terme, l’explosion de la monnaie unique. Les rodomontades qui ont suivi le sommet européen du 26 octobre ne sont déjà qu’un souvenir. La solution des « eurobonds », présentée comme une innovation, est elle aussi caduque. Les statuts de la Banque centrale européenne devraient inclure la croissance et l’emploi, autoriser les politiques de « quantitative easing » (c’est-à-dire faire fonctionner la planche à billets) et tenir un objectif de taux de change compétitif. La France doit profiter de l’ébranlement de la zone euro pour faire avancer cette solution ; les Allemands ont intérêt à l’accepter pour préserver leur excédent commercial qui se réalise à 60% sur la zone. La poursuite du statu quo signifierait pour la France : accélération de la désindustrialisation, déficit public accru, politique commerciale agressive de la Chine sous couvert de « soutien » financier. A moyen terme, il faut d’ores et déjà plancher sur un plan B de passage concerté de la monnaie unique à une monnaie commune en cas de « nein » allemand. Ce SME renforcé préserverait le principe d’une coordination monétaire en Europe.

La Chine, ensuite. Pékin fait la sourde oreille aux demandes de réévaluation du yuan, qui pose un problème de compétitivité insurmontable aux Etats-Unis et à l’Europe. Plus de 20% des exportations chinoises sont absorbées par l’Europe. Une occasion pour celle-ci de demander un rééquilibrage des « termes de l’échange » ? En vérité, la Chine, entrée sans contrepartie à l’OMC en 2001, peut contempler le chemin parcouru avec satisfaction. En octobre 2011, elle a mis un pied dans la « forteresse » euro qui devait protéger les Européens et faire de l’Europe un acteur géostratégique de premier plan. La Chine a les cartes en main et ne se préoccupe guère des règles que les Occidentaux font semblant de lui demander de respecter. Elle peut s’appuyer pour cela sur une alliance objective avec l’Allemagne, dont la politique mercantiliste conduit à des déséquilibres continentaux majeurs. Se rappelle-t-on du temps où les Chinois étaient regardés avec condescendance (« A nous les industries de l’intelligence, à eux les industries à faible valeur ajoutée ») ? C’était il y a à peine dix ans…

Les déséquilibres commerciaux, à l’origine de la crise. Les excédents commerciaux démesurés de la Chine et de l’Allemagne sont la traduction de leur compétitivité industrielle, mais aussi de la pression qu’ils exercent sur leur demande intérieure et de leur stratégie préparant le choc à venir du vieillissement de leur population. Le rééquilibrage du monde passe par une relance de la consommation intérieure de ces deux pays. Y sont-ils prêts ? Sinon, la sortie de l’euro et des politiques de protections commerciales contre la Chine seront les seules politiques raisonnables pour rééquilibrer les « termes de l’échange ». Aucun pays ne peut assister impuissant à la destruction de son appareil productif. Du moins si ses « élites » sont davantage attachées aux intérêts de sa population qu’à ceux des multinationales et de la nouvelle oligarchie mondiale.

La finance, enfin. Tout se passe comme s’il était impensable de neutraliser la prédation du système financier sur l’économie. Le président Obama a déçu ses partisans les plus sincères aux Etats-Unis par ses concessions aux lobbies financiers. Les institutions financières mènent le bal et tiennent la plume, pour l’essentiel, des plans de sauvetage bancaires déjà réalisés et de ceux à venir. Elles ont non seulement échappé au coût de la crise, mais elles ont aussi pris l’ascendant sur les Etats grâce à la crise des dettes publiques, qui trouve pourtant son origine dans celle des dettes privées. Rien ne sera possible tant qu’un démantèlement du « complexe financier » ne sera pas engagé. Gageons qu’un gouvernement qui trouverait les ressources morales de s’opposer à la finance retrouverait non seulement sa dignité mais aussi l’estime des peuples.

Et la France dans tout cela ? Elle tient souvent des discours justes. Mais elle semble inconsciente des rapports de force réels qui sont à l’œuvre. Elle croit agir dans un cadre exclusivement « européen » ou « multilatéral » quand les autres agissent en fonction de leur intérêt national. Notre pays paye aujourd’hui le prix de sa naïveté et du concept chimérique d’« Europe puissance », auquel nous sommes les derniers à croire. Impuissante à penser national et mondial, la France laisse également s’échapper le seul projet géopolitique qui vaille, celui d’une « Europe européenne » qui était celui du Général de Gaulle.

Pour elle, l’heure des choix difficiles est venue.

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Voir le texte sur le site du Monde, ainsi que les réponses des autres fondations.

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