Intervention de Alain Dejammet, Président du Conseil Scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « l’exception culturelle » du 14 octobre 2013.
Nous avons entendu évoquer l’exception culturelle lors de notre dernier colloque qui traitait de la grande négociation transatlantique destinée à créer, accélérer, approfondir, le marché, le libre-échange entre les deux rives de l’Atlantique, l’Union européenne et les États-Unis. On nous avait alors dit que la France, une fois de plus, avait atteint tous ses objectifs et réussi triomphalement à arracher, en juin 2013, que la fameuse exception culturelle française fût sauvegardée.
Ceci étant, il est bon d’en savoir un peu plus. Aucun d’entre nous ne considère que l’exception culturelle française signifierait que la culture française est exceptionnelle. Mais c’est ainsi que sont souvent présentées les choses chez nos amis anglo-saxons, prompts à railler la prétention française à vouloir défendre, telle une ligne Maginot, l’exception culturelle française.
Je citerai quelques phrases d’un journaliste britannique, correspondant du Financial Times, réputé très francophile et favorable à la culture française [qui vont faire plaisir à ceux d’entre vous qui avaient animé un colloque fort intéressant et mémorable de cette fondation sur le cinéma français [1] : « étant donnée la mort du Français comme grande langue mondiale et le désintérêt des étrangers pour une France qui soit autre chose qu’une destination touristique et gastronomique, les cinéphiles étrangers sont de plus en plus rares à suivre le 7ème Art hexagonal. Si Jean Renoir avait réalisé sa « Grande illusion » aujourd’hui et non en 1937, son public à l’étranger se serait résumé aux dix-sept cinéphiles d’une salle d’art et d’essai de Greenwich Village.»
Ceci exprime le sentiment assez couramment répandu chez nos amis américains et anglais quand on évoque la prétention française à préserver envers et contre tout l’exception culturelle. Nous ne prétendons pas que la culture française est exceptionnelle mais nous pensons que la culture doit échapper à la loi des marchands.
Mais qu’entend-on par culture ? Les biens culturels ? Les services culturels ? Les « œuvres de l’esprit » ? Comment doit se faire cette défense ?
Pour répondre à ces questions nous avons la chance et le grand honneur aujourd’hui d’avoir les meilleurs spécialistes :
Jérôme Clément nous éclairera sur les enjeux. Vous l’avez vu et entendu tout récemment à la télévision et à la radio lorsqu’il rendait un hommage émouvant à Patrice Chéreau. Vous le connaissez tous. Son nom est indissociablement lié à l’histoire de la culture française depuis une trentaine d’années. Ayant séjourné aux États-Unis et au Caire, il a eu l’occasion de connaître autre chose que la culture hexagonale ou européenne.
Il présida pendant des années la chaîne ARTE dont le seul nom faisait se tordre de rire l’excellent Chancelier Kohl, sous le regard interloqué du Président François Mitterrand, quand le sort de cette chaîne franco-allemande était mentionné à des sommets franco-allemands. Peut-être Jérôme Clément se souvient-il de ces épisodes.
Nous entendrons ensuite Bernard Miyet. Il fut directeur des opérations de Maintien de la paix des Nations Unies, ce qui lui donne tous les titres pour parler de l’exception culturelle ! Il occupa aussi les postes d’ambassadeur à Genève auprès des Nations Unies et de consul général à Los Angeles, où en digne successeur, lointain peut-être, de Romain Gary, il connut le monde des paillettes, le monde du cinéma. Sans doute a-t-il connu Barry Diller qui avait joyeusement renversé le duo français, Pierre Lescure et Jean-Marie Messier, venus pour essayer de négocier l’achat de MGM (Metro Goldwyn Mayer) [2]. Bernard Miyet a donc une expérience très concrète de ces sujets. Lorsqu’il s’était agi d’empêcher que les négociateurs de l’Accord de Marrakech, qui allait créer l’OMC, y incluent les biens culturels, Bernard Miyet, l’un des émissaires d’une exceptionnelle « union nationale française » (qui rassemblait le Président de la République, François Mitterrand, le Premier ministre, Edouard Balladur et le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé) avait parcouru le monde pour défendre l’exception culturelle universelle. Il pourra nous rappeler tous ces épisodes. Enfin et surtout, il fut longtemps le président de la Société des auteurs compositeurs de musique.
Jean-François Colosimo a la double vertu d’être l’ancien président du CNL et un écrivain, spécialiste des religions. Il a accompagné Régis Debray dans un voyage au Moyen-Orient qui nous a valu un des meilleurs livres de notre ami philosophe sur la Terre sainte [3]. Peut-être a-t-il une image un peu moins attristée de l’avenir du livre. Depuis 1993, nous avons assisté à l’irruption du numérique, véritable tsunami. Google, Apple, Amazon, tous ces personnages aux noms compliqués, ont certainement nui à l’idée de l’exception culturelle. Que reste-t-il de celle-ci ? Elle-même se cache parfois derrière des noms compliqués, telle Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet). Nous comptons sur les explications de Jean-François Colosimo pour clarifier tout ceci.
Professeur à l’école supérieure de commerce de Paris, chroniqueur, notamment au journal Le Monde, Jean-Marc Daniel est partout considéré comme un expert. À ce titre, il est invité à de nombreuses émissions de radio et de télévision où il est parfois amené à se faire le défenseur d’une conception du commerce incluant toutes sortes de biens, y compris les idées, y compris les œuvres de l’esprit, y compris, donc, les biens culturels. Il discutera les trois interventions qui auront précédé. Il recevra sans doute le soutien d’un ancien directeur de l’OMC, M. Ravier, présent dans la salle.
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[1] « La société française au miroir de son cinéma », colloque du 20 juin 2011 ; « Paradoxes du cinéma français » , colloque du 29 septembre 2008
[2] M. Dejammet fait allusion à la bataille ouverte en 2003 autour du rachat de la filiale de Vivendi Universal
[3] Régis Debray : « Un candide en Terre sainte », éd. Gallimard 2008.
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