Commission européenne : un cadre réglementaire ambitieux
Intervention de M. Olivier Guersent, chef de cabinet de Michel Barnier, Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, au colloque : « La réforme bancaire : pomme discorde ? » du 23 juin 2014.
Ces crises financières entraînent des faillites bancaires. Que faire dans ces circonstances ? Les contribuables viennent à la rescousse, c’est ce qu’on a vu, autant que je me souvienne, en 2008-2009, à l’initiative de M. Sarkozy dont je dois saluer la réactivité…
On s’est dit que ce n’est quand même pas l’idéal. On a donc introduit de nouvelles règles qui finalement ne vont pas à l’essentiel. Et on s’est tourné vers l’Europe dont on attendait des solutions. L’Europe nous a apporté l’Union bancaire et une réglementation dont M. Guersent va nous parler.
Au moment de l’affaire chypriote, apprenant qu’après les actionnaires et les financiers, mis à contribution, les déposants feraient les frais de cette faillite, j’avais demandé à M. Moscovici de confirmer les propos de M. Dijsselbloem (président de l’Eurogroup) qui, voyant là un cas d’école, envisageait de reprendre cette idée. Ceci avait de quoi inquiéter les déposants. Bien qu’on eût ensuite démenti que l’épisode chypriote fût « un cas d’école », je crois avoir compris que la réglementation de l’Union bancaire prévoit qu’après s’être tournés vers les créanciers et les actionnaires on se tournerait vers les déposants pour éviter les faillites bancaires. Et finalement l’État intervient très peu. Il y a bien un fonds où les banques cotisent mais, comme l’a rappelé Dominique Garabiol, son montant est limité à 55 milliards, ce qui représente à peu près le montant de la faillite de la Royal Bank of Scotland, autant dire pas grand-chose.
En cas de faillite de nos très grandes banques (too big to fail… too big to be punished… too big to be saved…) , que pourrions-nous faire pour ces mastodontes ?
BNP Paribas va recevoir une amende considérable du ministère de la justice américain (ses dirigeants auraient pu aller devant le juge mais ils se sont bornés à un accord [1] avec le département de la justice). Il se trouve que j’ai un compte à la BNP et, comme tous les clients de cette banque, je suis inquiet. Quelle sera la répercussion sur les déposants ? Ne vont-ils pas, d’une manière oblique, faire les frais de ce genre de comportement que l’on dit délictueux ? Est-ce d’ailleurs vraiment délictueux ? Au regard de quelle législation ?
Olivier Guersent
C’est parfaitement délictueux au regard de la législation américaine car toutes ces opérations ont été compensées à New York.
Jean-Pierre Chevènement
Si une sanction doit être prise, c’est en tout cas de renvoyer les responsables…
Je me tourne vers M. Guersent en espérant qu’il va nous éclairer sur le remède que peut représenter l’Union bancaire, sinon dans l’immédiat du moins à plus long terme.
Olivier Guersent
Merci, Monsieur le ministre.
Je voudrais commencer par vous rassurer quant à la BNP. L’amende envisagée représente à peu près deux années des profits de BNP Paribas, ce qui est considérable mais n’est pas en soi suffisamment important pour mettre en péril la banque. Il reviendra à la BNP de décider qui va payer. La dernière banque qui se soit vu infliger une amende très importante, le Crédit suisse, avait lancé pour la payer un emprunt obligataire qui fut couvert dans la journée à hauteur de 3 milliards ! Je n’ai donc aucun doute : la BNP n’aura pas de problème pour payer cette amende.
Parmi les nombreux mérites des deux interventions précédentes figure celui de replacer cette discussion sur les structures bancaires dans un contexte plus global. Ce débat, en effet, l’exige.
Depuis quatre ans, avec Michel Barnier, nous avons fait passer à la Commission européenne quarante et une législations de régulation financière alors que, depuis le début des années 80, un peu partout dans le monde, notamment aux États-Unis mais aussi en Europe, on n’avait cessé de déréguler…
Je reviens sur l’une des interrogations de M. Garabiol : Si les règles du jeu étaient parfois contradictoires (certains effets d’incitation se contredisent) elles étaient surtout inexistantes ou très faibles. Dans un contexte de politique monétaire extensive, et d’absence de réelle politique de stabilité financière, le laisser-faire, l’absence de règles et l’affaiblissement des superviseurs, ont prévalu. Cela se passait dans un contexte de libéralisation des mouvements de capitaux. C’est tout cela qui explique largement la crise et la rapidité de sa propagation.
Depuis quatre ans, nous avons voulu faire en sorte d’avoir au sein de l’Union Européenne des marchés financiers plus transparents, des institutions financières plus solides, des activités mieux encadrées, des superviseurs plus puissants et des mécanismes évitant au contribuable et aux finances publiques d’être en première ligne dans le sauvetage des institutions financières en général et des systèmes bancaires en particulier. Cela pour une raison simple : l’Union Européenne a consacré entre 13 % et 14 % de son PIB à sauver son système bancaire. Pour vous donner un élément de comparaison, jamais dans l’histoire économique, on n’a consacré plus de 0,5 % du PIB d’une zone économique au sauvetage d’une activité. Le dernier exemple en date était le sauvetage de la sidérurgie (d’ailleurs avec un succès mitigé) qui avait coûté 0,5 % du PIB dans les années 80.
Vous avez dit, M. Garabiol, que la crise financière avait entraîné la crise de la zone euro. La crise financière a eu un effet de fragilisation – et entrainé un risque de faillites en dominos – des banques européennes, d’où la nécessité de les sauver sur fonds publics (elles étaient effectivement trop grosses pour faire faillite) faute d’autre instrument disponible. Les conséquences furent une augmentation massive et très soudaine de l’endettement des États et la révélation des faiblesses de construction de la zone euro. Nous nous sommes donc retrouvés face à une crise de gouvernance de la zone euro puis à une crise de la zone euro.
Dans ce contexte (vous évoquiez la crise chypriote), l’une de nos actions, afin d’éviter de mettre le contribuable en première ligne lorsque les grandes institutions bancaires sont en difficulté, fut la mise en place d’un système de « résolution ordonnée » qui s’oppose à la faillite désordonnée.
La faillite d’une grande institution financière, comme la BNP ou la Société générale en France, aurait une série d’effets en cascade sur le reste du système financier et le coût de sa faillite serait infiniment supérieur au coût de son sauvetage. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas soumettre ces grandes banques au droit des faillites ordinaire. Jusqu’en 2007-2008, la seule alternative était de les sauver sur fonds publics. Nous ne voulons ni ne pouvons plus le faire dans la situation actuelle des finances publiques européennes.
Ce système de résolution demande aux banques de prévoir des plans de résolution ordonnée dans l’éventualité d’une crise. Ces plans doivent préciser les activités qui seraient vendues, celles qui seraient mises à part dans des structures de défaisance (comme on l’a fait pour Dexia) et comment seraient épongés les pertes et les coûts en liquidités associés.
Jusqu’ici, pour un épargnant, l’investissement dans l’activité bancaire était idéal : soit tout marchait bien et son investissement prospérait, soir la banque avait un problème et l’État la sauvait (alors que si une entreprise industrielle périclite ou fait faillite, les actionnaires subissent l’effondrement du prix des actions). Ce système est assez pervers parce qu’il n’incite pas les dirigeants de ces banques à une gestion prudente.
Dans le système que nous mettons en place on fait d’abord appel aux actionnaires. Si cela ne suffit pas – ce qui est vraisemblable parce qu’au moment où la banque s’apprête à faire faillite les actions ne valent déjà plus grand-chose – on fait appel aux créditeurs de ces banques, aux détenteurs d’obligations selon une cascade de subordinations. Les acquéreurs d’obligations de banque dites « subordonnées » savent que leur titre sera appelé en premier au cas où il y aurait des pertes à éponger. Cette subordination se reflète dans le prix touché sur le coupon. La cascade se poursuit jusqu’aux détenteurs d’obligations « senior » (obligations garanties) si nécessaire.
Ce n’est qu’à ce moment-là, si ce n’est toujours pas suffisant pour éponger les pertes, qu’on va se tourner vers les déposants. La régulation européenne garantit les dépôts jusqu’à 100 000 euros, non par le fonds de 55 milliards destiné à éponger les coûts de la résolution, mais par un « fonds national de garantie des dépôts ». Ce fonds existait déjà dans certains pays mais dans d’autres, comme la France, la garantie des dépôts était en fait assumée par l’État. D’ailleurs la France n’était pas extrêmement favorable au préfinancement de ce fonds par les banques. En effet, quand il était garanti par l’État, il justifiait un prélèvement récurrent qui alimentait le budget de l’État alors que la probabilité de devoir intervenir était faible, ce qui convenait assez bien au Trésor. Mais on a bien vu avec l’affaire de Chypre que la garantie de l’État ne vaut qu’aussi longtemps que celui-ci est capable d’y faire face. C’est pourquoi nous avons mis en place un système préfinancé par les banques. Les dépôts supérieurs à 100 000 euros (qui concernent très peu de gens) ne seront pas forcément mis à contribution. Selon la réglementation européenne, on doit à ce stade peser les avantages et les inconvénients en fonction des catégories de déposants concernés. On évitera par exemple de mettre à contribution les PME clientes de la banque afin de ne pas transmettre la crise d’un établissement financier à des entreprises industrielles. Mais si, comme dans le cas de Chypre, les déposants sont des oligarques russes, il y a peut-être moins d’inconvénients à les mettre à contribution. Les autorités de résolution devront donc effectuer une analyse plus qualitative.
C’est dans ce contexte que se pose la question de la réforme structurelle des banques.
Je veux d’abord clarifier un point : les règles dont je vous parle valent pour les 28 États membres. À l’intérieur de la zone euro, en raison du degré d’interdépendance et de la monnaie partagée, nous avons décidé de fédéraliser la mise en œuvre de ce système : une monnaie fédérale (l’euro) suppose une gestion fédérale du système bancaire. Les règles que les États membres mettent en place individuellement en dehors de la zone euro seront appliquées à l’intérieur de la zone euro dans le cadre de l’Union bancaire, avec des institutions communes.
Après avoir cartographié cet ensemble de réglementations, nous avons examiné les risques liés aux banques trop grosses pour faire faillite, trop compliquées, trop interconnectées pour qu’on puisse aisément résoudre leur crise de manière ordonnée et beaucoup trop chères à sauver sur fonds publics. En cas de problème grave, au moment de mettre en place le plan de démantèlement, ne risque-t-on pas des dégâts collatéraux sur l’ensemble de l’économie ? Michel Barnier a posé cette question à un groupe d’experts dirigé par le gouverneur de la Banque de Finlande, M. Liikanen. La réponse est oui. M. Liikanen préconisait même qu’au-dessus d’un certain seuil ces grosses banques soient séparées entre banques d’investissement et banques de dépôts.
Nous n’avons pas suivi le groupe de M. Liikanen sur ce terrain.
D’abord parce qu’il n’y a pas de preuve qu’un modèle d’organisation bancaire soit plus vertueux qu’un autre ou ait mieux résisté dans la crise qu’un autre : Royal Bank of Scotland était une banque universelle mais d’autres banques qui ont eu des problèmes, à commencer par Lehman Brothers, étaient des banques spécialisées, parfois même spécialisées dans le détail, comme les caisses d’épargne espagnoles. On observe que les pays les moins touchés par ces problèmes affectant les grosses banques – c’est notamment le cas de la France – sont ceux qui ont moins dérégulé que les autres, qui ont conservé des superviseurs forts et où les entreprises ont une culture d’aversion au risque. Plus qu’un modèle bancaire ou un autre, ce sont ces trois piliers qui ont garanti une certaine résistance du système.
La deuxième raison, M. Garabiol y a fait allusion, c’est qu’il est peu probable que les marchés aillent mal au moment même où une bulle immobilière éclate dans un État. Une banque universelle, qui diversifie ses activités (activités de marché et activités de dépôts), est donc moins vulnérable.
La troisième raison c’est qu’en Europe les activités de crédit sont très intermédiées et font donc beaucoup appel à l’intermédiation bancaire. Il en est de même pour les activités de financement de marché (la fameuse tenue de marché notamment).
Or, pour financer l’économie, trois moteurs agissent :
– l’investissement public, un moteur plutôt en berne pour les raisons qu’on sait,
– le crédit bancaire mais les règles imposées aux banques pour qu’elles soient plus solides ont un impact sur leur capacité de prêter (les effets de levier sont moins importants qu’ils ne l’étaient auparavant),
– enfin le financement de marché qui, en Europe, est beaucoup plus faible que dans d’autres régions du monde, notamment aux États-Unis. En outre, il est également fortement aux mains des banques.
Ce sont ces raisons qui nous ont motivés à ne pas décider une séparation pure et simple pour toutes les grosses banques universelles.
Les 30 plus grandes banques européennes sont trop grosses pour faire faillite car elles entraîneraient tout le système financier avec elles. Elles sont trop compliquées et trop interconnectées pour que nous soyons certains de pouvoir les démanteler sans conséquences collatérales sur le reste du système financier. Elles sont indéniablement trop chères pour qu’on puisse les sauver sur fonds publics. Que faire ?
C’est ce risque que la proposition de Michel Barnier vise à traiter au niveau européen.
Beaucoup de critiques se sont élevées en France : « Notre législation bancaire nous convient, pourquoi faire une loi européenne ? »
Il est difficilement envisageable de traiter par un patchwork de réglementations nationales un problème qui concerne les 30 plus grosses banques systémiques européennes : les disparités de traitement seraient inadmissibles. À notre sens, il y avait nécessité d’une action au niveau de l’Europe car toutes ces banques sont massivement transnationales et le choix d’un traitement national ou pas n’était pas une alternative viable.
Nous avons lancé en 2011 les travaux du groupe Liikanen. En 2012, lorsque François Hollande est arrivé au pouvoir, Michel Barnier lui a suggéré de différer la loi bancaire qu’il avait dans ses cartons en attendant l’aboutissement du processus communautaire en cours. Mais le Président de la République, conscient que les législations communautaires prennent beaucoup de temps, ne souhaitait pas attendre la fin de son mandat pour honorer ses promesses de campagne. C’est bien entendu légitime. Il a toutefois précisé que, le moment venu, la loi française s’adapterait si nécessaire, à la loi communautaire.
En ce sens-là, la loi bancaire française et notre proposition de règlement ne s’opposent pas : notre proposition de règlement ne s’appliquera qu’à une trentaine de très grandes banques européennes massivement systémiques (la faillite d’une seule d’entre elles aurait des conséquences similaires à la faillite de Lehman Brothers) et la loi française continuera de s’appliquer à toutes les autres banques en France.
Notre première proposition est l’interdiction du trading pour compte propre (quand la banque spécule pour son propre compte) que pratiquent les banques universelles avec l’argent des déposants parce que ça ne leur coûte rien. Nous l’interdisons parce que cette activité purement spéculative n’a aucun lien avec l’économie réelle. On nous objecte que ces activités sont très réduites. C’est vrai. Raison de plus pour l’interdire. Depuis la crise, ces activités représentent moins de 5 %, souvent moins de 2 %, de l’activité bancaire. Voire même plus rien dans certaines banques et de nombreuses banques ont démantelé le service chargé de spéculer pour la banque. Mais avant la crise, ces activités représentaient 10 % à 20 % du total de l’activité bancaire. Nous ne voulons pas que ces jours-là reviennent.
La banque spécule pour son propre compte de manière très ouverte dans le cadre d’un service bien identifié mais elle spécule aussi pour son propre compte en même temps qu’elle agit pour le compte de ses clients, notamment dans le cadre de la tenue de marché qui consiste à assurer l’émission de la dette du client et sa liquidité, que ce client soit l’État français, une grande entreprise ou même une entreprise de taille moyenne. Si quelqu’un veut acheter de la dette de cette entreprise à un moment où personne ne vend, la banque s’engage à vendre et à faire un prix. Inversement, si quelqu’un veut en vendre, la banque s’engage à acheter et à faire un prix.
De la même manière, la titrisation, les dérivés, sont des activités utiles à l’économie. Elles sont très souvent à l’origine des activités de couverture. En France, par exemple, Airbus a une très grosse activité de couverture parce qu’il produit en zone euro et vend en zone dollar. S’il ne se couvrait pas, son chiffre d’affaires subirait des fluctuations erratiques pour des raisons étrangères à son activité économique. Ses banques assurent cette activité de couverture en fabriquant des produits dérivés, en les échangeant etc.
La tentation est grande pour une banque, à l’occasion de ces activités parfaitement normales effectuées pour le compte de leurs clients, d’en « rajouter une petite louche » afin de faire un peu de profit personnel. À l’intérieur de ces activités de marché pour compte de clients se cache donc de la spéculation pour compte propre très difficile à identifier. Les Autorités Françaises nous disent qu’ils y parviennent… Les Américains ont entrepris de faire une règle (la règle Volcker) pour y parvenir. Au bout de quatre ans, ils ont réussi à sortir une « bible » d’un peu plus de cinq cents pages, agrémentée de plus de dix mille « foot notes », que j’ai pris la peine de lire. J’en ai retiré la conviction qu’ils n’arriveraient jamais à l’appliquer en temps réel.
Michel Barnier voulait un système effectif et efficace. Nous avons donc pris une position beaucoup plus simple. Pour cette trentaine de banques très grosses, très systémiques, donc très dangereuses pour l’économie, nous proposons de mettre sous surveillance particulière trois activités qui présentent le plus fort risque que des activités de négociation pour compte propre de la banque soient pratiquées de manière occulte : la tenue de marché, les activités d’investissements et de sponsors liées aux opérations de titrisation et la négociation de produits dérivés. Pour chacune de ces catégories d’activités, le projet européen prévoit de mettre en place une batterie d’indicateurs harmonisés qui définissent des zones de risque. Et lorsque ces grandes banques dépassent les zones de risque qui leur ont été fixées, leur superviseur (la Banque centrale européenne pour la zone euro) a la possibilité de les séparer, de filialiser les activités de marché.
La possibilité mais pas l’obligation. En fait le système que nous avons mis en place est un système de présomption réfragable : quand une très grande banque dépasse tous les critères de risque de manière substantielle et durable, le superviseur doit la séparer sinon il doit expliquer pourquoi il ne le fait pas. Cela fait reposer une énorme responsabilité sur les superviseurs car, s’ils décident de ne pas séparer, ils doivent présenter leurs raisons de manière claire et publique.
Ce projet de loi met donc chacun devant ses responsabilités.
Les grandes banques universelles ne sont en soi ni bonnes ni mauvaises mais si elles s’aventurent dans des domaines de risque excessif, elles font courir un risque à l’ensemble de l’économie. C’est pourquoi on les met sous surveillance particulière avec pour leurs superviseurs des pouvoirs particuliers, la sanction ultime étant de les filialiser.
Ce n’est pas le cas des banques plus petites car nous pensons être capables de résoudre leur crise (gérer leur faillite de manière ordonnée) sans conséquences pour le reste de l’économie.
C’est, grosso modo, l’économie du texte communautaire.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Guersent, pour cet exposé extrêmement clair. On comprend bien qu’il y a des zones de risque. Les actifs de la BNP, par exemple, s’élèvent à 1 900 milliards (90 % du PIB français !) pour un capital de 90 milliards. On voit que le capital pèse peu au regard de la totalité des actifs qui sont constitués, autant que je le sache, en partie notable par des produits dérivés et par des actifs de titrisation pas toujours très clairs…
Comment arrivez-vous à définir les zones de risque ?
Olivier Guersent
Cette question est compliquée et nous entraînerait dans des considérations très techniques. Dans la finance rien n’est mauvais ni bon par définition. Les banques françaises, comme toutes les autres, font de l’activité de marché spéculative. Mon but n’est pas de défendre les banques françaises (qui ne me tiennent d’ailleurs pas pour leur meilleur ami) mais il faut être juste : une grande partie des produits dérivés des banques françaises est constituée de dérivés de couverture qui sont la contrepartie de la forte prévalence des taux fixes dans le marché français de l’immobilier. Quand une banque consent aujourd’hui un prêt sur 20 ans à 2,5 %, rien ne garantit que ce taux de 2,5 % va être l’étiage pendant les 20 ans qui suivent, la banque doit donc se couvrir. L’autre solution, le passage au taux variable, a d’autres inconvénients, notamment pour le citoyen consommateur. Le fait que la banque prend à sa charge – et fait payer aux clients – le risque de taux sur la durée du crédit explique une partie importante de l’encours de dérivés des banques françaises (même si elles font d’autres choses moins avouables avec les dérivés).
Jean-Pierre Chevènement
Vous nous expliquez en quoi les dérivés peuvent être une bonne chose mais vous ne dites pas en quoi ils peuvent être une mauvaise chose, ce qu’on n’explique jamais !
Olivier Guersent
Je vais vous le dire à travers un exemple très simple : depuis une dizaine d’années les marchés de dérivés sur matières premières ont crû plus de 5 fois plus vite que les marchés de matières premières eux-mêmes. Cette évolution ne peut pas s’expliquer par une activité de couverture de risques. En effet, il y a 10 ans, les risques étaient couverts et dans un marché de couverture de risques pure, le marché dérivé croît à peu près au même rythme que le marché sous-jacent. Quand il croît beaucoup plus vite, c’est qu’il se passe autre chose. Dans ce cas, les banques, qui ne gagnaient plus suffisamment d’argent, notamment sur les marchés de dettes souveraines, se sont massivement reportées sur les marchés de dérivés de matières premières pour faire de la pure spéculation, avec quelques conséquences fâcheuses. Sachez par exemple que jusqu’à la revente de leur activité, Goldman Sachs était le premier trader de matières premières aux États-Unis. Cela fonctionne comme les roues d’un engrenage : quand on a un très gros marché de dérivés et un marché sous-jacent beaucoup plus petit, il est plus intéressant, pour manipuler le très gros marché de dérivés et faire des profits, d’aller prendre des positions sur le petit marché sous-jacent. C’est la raison pour laquelle Goldman Sachs est rentré sur le marché du trading des matières premières (ils avaient des entrepôts de blé aux États-Unis !). Une autre conséquence fut en 2010 une « pénurie » de riz en Asie alors que le riz ne manquait pas. Simplement, comme on spéculait sur les marchés des dérivés, il y avait un intérêt à retenir dans les entrepôts les sacs de riz.
Ceci répond à votre question sur les inconvénients des dérivés.
Jean-Pierre Chevènement
Selon Dominique Garabiol, « … le total des produits dérivés représentait 2 fois le PIB de la France en 1993 et 45 fois en 2012 »…
Dominique Garabiol
Il s’agit de la somme nominale des dérivés qui n’a pas de traduction directe parce que les flux ne sont jamais échangés. Seuls les intérêts sont échangés. Mais cela représente quand même la base de ces échanges et cela révèle l’explosion de ce marché des dérivés. Par exemple, le patrimoine immobilier des Français est évalué à environ 4 fois le PIB. Nous sommes loin des 45 fois le PIB ! 90 % des dérivés restent donc mystérieux…
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[1] BNP Paribas est accusée aux États-Unis d’avoir enfreint des embargos américains en réalisant des opérations en dollars avec des pays comme l’Iran, Cuba ou le Soudan entre 2002 et 2009. Un accord de plaider coupable pourrait aboutir au paiement d’une amende de huit à neuf milliards de dollars par la banque française.
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Le cahier imprimé du colloque « La réforme bancaire : pomme de discorde ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation
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