Débat final lors du colloque « La souveraineté européenne, qu’est-ce à dire ? » du mardi 16 avril 2019.

Marie-Françoise Bechtel

Je poserai une question à Christian Saint-Étienne dont j’ai suivi l’exposé avec beaucoup d’intérêt et même de passion dans sa partie « destructrice », critique.

Si le « noyau dur » qu’il préconise est un noyau intergouvernemental, il suppose un nouveau traité européen construit autour des nations qui le désirent.

Quel est alors l’intérêt de réaffirmer que l’Europe est un État de droit et qu’il faut donc évacuer des pays comme la Pologne, la Roumanie, la Hongrie ?

Christian Saint-Étienne

Effectivement, la construction que je propose dans mon livre est faite pour que ce noyau dur soit ouvert. Il est conditionnel mais tous les pays de l’Union européenne peuvent théoriquement y rentrer s’ils respectent les conditions.

Quelles sont ces conditions ?

L’euro ayant été conçu pour être la monnaie de tous, le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède avaient négocié un opting out. Mais c’était contraire à l’esprit de la construction européenne. D’ailleurs on aurait dû se rendre compte à Maastricht qu’en acceptant les opting out on faisait dérailler la construction européenne. Néanmoins les opting out ne sont pas définitifs. Des pays qui ont opté « out » peuvent à tout moment opter « in » et entrer dans la zone euro. Donc, si nous sommes demain à 27, ou encore 28, tout pays peut revenir dans la zone euro. Donc la première condition serait d’être dans la zone euro.

La deuxième condition serait d’accepter de mener une politique de puissance, c’est-à-dire de se doter d’un budget européen de deux ou trois points de PIB qui coordonnerait les politiques de défense, de spatial etc.

Sur la troisième condition, je retrouve Jean-Louis Bourlanges. On ne pourra plus aller vers l’harmonisation fiscale et sociale. D’abord il y un outlier, un pays qui est très au-dessus de tous les autres en termes de poids de la défense et de la fiscalité, c’est la France. Et absolument personne ne veut des impôts à la française (même pas les Français, ai-je cru comprendre). Il va donc falloir plutôt mettre en place des minima fiscaux. Je ne pense pas qu’on puisse aller vers un impôt sur les sociétés unique que les autres pays n’accepteraient pas. En revanche, il ne serait pas choquant que les entreprises payent un impôt sur les sociétés qui ne pourrait pas tomber en-dessous de 20 %. Si les Irlandais veulent maintenir leur IS à 12,5 %, comme ils le font depuis vingt ans, ils s’excluront d’eux-mêmes du noyau dur.

On n’exclut personne, on pose des conditions. Qui ne veut pas répondre aux conditions reste dans l’Union européenne mais ne peut pas rentrer dans le noyau dur. Ce n’est pas négociable.

Cela suppose un accord avec les Allemands qu’empêche aujourd’hui l’incroyable affaiblissement français. Comment convaincre les Allemands de signer un traité intergouvernemental pour lancer une politique de puissance à moyen terme avec un pays qui, depuis quarante ans, est incapable d’équilibrer ses finances publiques et s’est laissé désindustrialiser ?

Sur ce point, sachez qu’il y a une erreur d’interprétation sur les 35 heures. Elles ne sont pas à l’origine de la désindustrialisation. En réalité, dans les années 1990, les élites françaises ont renoncé à l’industrie. Les 35 heures sont donc la fille de ce renoncement. À partir du moment où on avait renoncé à l’industrie il fallait partager le travail. Le péché originel, qui nous pourrit la vie depuis vingt-cinq ans, est le renoncement à l’industrie.

Réindustrialiser ne consisterait pas à reconstruire une industrie de la seconde révolution industrielle mais à construire une industrie de la troisième.

On juge les gens sur les actes : quand on fait l’incrémentation de la mesure d’Emmanuel Macron sur la suppression de la taxe d’habitation, en prenant le coût cumulé sur l’ensemble du quinquennat, c’est 50 milliards d’euros une fois que la mesure aura été mise en place pour tout le monde. Cédric Villani a rendu un rapport il y a un an sur l’IA et généreusement le Président a annoncé 1,5 milliards sur cinq ans, la même période ! Si j’étais au pouvoir, dans le cadre de ce que je vous ai exposé, je mettrais 40 milliards sur l’intelligence artificielle, la robotisation de notre économie, le passage en 5G de tout notre système industriel, puis quelques milliards sur la taxe d’habitation parce qu’il faut être élu, et éventuellement réélu…

Dans la salle

Neuf ou dix listes se présentent aux élections européennes. Comment expliquer le silence assourdissant de toutes les têtes de liste sur les sujets stratégiques que vous avez énoncés : la puissance, le vote à l’unanimité… N’est-ce pas un peu dommage ? Ces élections européennes sont un moment perdu.

Jean-Pierre Chevènement

L’absence des grandes questions parmi les sujets de campagne est un exemple de la provincialisation de la France. Dans les 33 listes il est difficile de trouver chaussure à son pied.

Jean-Dominique Merchet

Je suis frappé par l’absence inédite de dirigeants politiques en tête des listes. Toutes les listes sont menées par des gens sympathiques, jeunes, parfois totalement inconnus… Cela montre bien que personne n’a envie d’y aller. Quand le patron des Républicains laisse sa place à François-Xavier Bellamy, c’est bien qu’il y a un problème, quelles que soient les qualités de ce jeune homme que j’apprécie beaucoup.

Dans la salle

Je fais partie de Volt Europa, un parti paneuropéen.

Sans être naïf je suis clairement dans le camp des optimistes. Je fais partie d’une génération qui se sent extrêmement européenne. J’ai entendu plusieurs fois dire qu’il n’y avait pas de peuple européen… Pensons au changement générationnel. Les jeunes se sentent extrêmement proeuropéens, pas seulement à cause du développement d’Erasmus et des mobilités.

On n’a pas parlé du rôle des partis politiques européens ni de la démocratisation de l’Europe. Je pense que cette démocratisation est la clé pour faire avancer l’Europe. Si on est intéressé par l’avenir de l’Europe il faut penser la démocratie au niveau européen, pas seulement au niveau national.

Donc deux choses sont nécessaires : la première est une réforme des traités et la deuxième est la création de partis européens. Peut-on aujourd’hui penser une démocratie européenne, un intérêt général européen sans de vrais partis européens dont la base ne serait pas exclusivement nationale mais véritablement paneuropéenne ?

Jean-Pierre Chevènement

On peut se poser la question de savoir pourquoi personne n’a essayé, à part vous.

Dans la salle

Nous sommes effectivement un parti très jeune, qui cherche à percer. Nous sommes présents dans trente-deux pays en Europe, au-delà des limites de l’Union européenne.

Jean-Louis Bourlanges

Je suis fasciné par la façon qu’a Christian Saint-Étienne d’envisager les perspectives d’avenir pour l’Union européenne. Je me méfie pour ma part de ce que j’appelle les « projets de baignoire ». Quand on prend son bain, on a le choix entre chanter La donna è mobile et… faire un projet pour l’Europe, très beau mais tout seul. Manifestement, Christian a choisi la seconde option. Il m’arrive aussi dans ma baignoire de faire des projets pour l’Europe… mais, hélas, il faut être plusieurs et travailler longtemps pour les mener à bien. La construction européenne est une transaction frustrante entre la beauté de l’utopie et la grisaille des compromis laborieux.

« L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle est capable de résoudre », disait en substance Marx. Or nous sommes là dans des schémas théoriques, très sympathiques mais qui n’engagent que ceux qui les dessinent. Je ne sais si « le pouvoir est triste », comme le disait mon maître Raymond Barre, mais les débats sur l’Europe sont tristes : un jeu relativement fermé, peu de possibilités, des difficultés considérables, des partenaires qui ne font pas ce que nous voulons et nous-mêmes qui ne savons pas très bien ce que nous désirons … Nous sommes vraiment pris dans un réseau serré de contraintes et c’est ce prosaïsme de la construction européenne qui est d’ailleurs à la base de l’euroscepticisme.

Sur le « peuple européen » et ses rapports à la démocratie européenne je voudrais que l’on bâtisse nos engagements sur du solide. Vous êtes partis, les uns et les autres, de l’idée qu’il n’y avait pas de démocratie sans un peuple. Moi je voudrais savoir ce qu’est un peuple. Je vois bien une formule décrivant un phénomène agrégatif rapprochant les citoyens mais je ne sais pas ce qu’est un peuple par rapport à un non-peuple. Je ne connais pas les critères, la nature des liens constitutifs d’un peuple ou d’une nation. Pas davantage je ne vois le degré d’enracinement dans l’histoire, de permanence et de solidité de ces liens, qui vaudrait à un groupement politique l’appellation à ce jour bien mal contrôlée de peuple ou de Nation.

Y a-t-il un peuple belge ? Apparemment il y en a eu un, aujourd’hui il y en a au moins deux. Peut-on parler d’un peuple allemand ? Au XIXème siècle il y avait une Prusse, une Bavière, une Autriche. La Bavière fait apparemment partie du peuple allemand. L’Autriche non, bien qu’elle y ait été intégrée sous le Troisième Reich, avant de ressortir comme d’un mauvais rêve. Le Royaume-Uni vous paraît-il être un État souverain ? Oui assurément. Il n’en comporte pas moins quatre peuples distincts. Suffit-il de parler la même langue pour former un seul peuple ? Non, répondent en chœur Serbes et Croates. Une communauté dont les membres parlent trois langues différentes peut-elle former un peuple ? Oui répondent les Suisses.

Loin de moi l’idée de dire que les nations n’existent pas mais ce sont des réalités historiques à la fois contingentes et spécifiques. Elles sont nées de l’histoire, de la géographie, de la culture ou de la politique selon des formules toujours singulières, inégalement contraignantes pour les populations concernées et tout aussi inégalement précaires. La nation n’est pas un concept universellement définissable. Je suis français, je crois profondément à la réalité historique de la France. Je sais aussi que la France est une nation qui s’est fondée sur des critères qui lui sont propres. Les critères allemands ne sont pas les mêmes. Selon les critères allemands l’Alsace est allemande. Chaque Nation est sans pareille.

Ce n’est pas le cas des États qui se définissent par un trait universel et permanent : la souveraineté, c’est à dire la détention d’un pouvoir qui n’est limité que par lui-même. L’État, c’est une entité de droit public qui dispose sur un territoire déterminé de « la compétence de la compétence ». Ce n’est pas le cas non plus des citoyens qui sont des êtres de raison, dotés de la capacité de comprendre et de juger ainsi que de la liberté de faire des choix. C’est donc des États souverains et des citoyens qu’il faut partir pour construire un exercice démocratique. Que ces citoyens soient amenés le plus souvent à exercer leur responsabilité politique dans le cadre d’un État souverain ne doit pas leur interdire de participer au jeu démocratique au sein d’une communauté plus large, associant plusieurs États souverains, dès lors qu’elle aurait reçu de ces États les délégations de compétence appropriées.

L’exercice de la démocratie suppose trois choses qui doivent concourir ensemble au loyalisme des citoyens concernés : une communauté dotée d’une identité partagée plus ou moins forte, des compétences plus ou moins limitées et contraignantes, des institutions et des procédures – majorité, majorité qualifiée, unanimité – plus ou moins respectueuses du droit des minorités. Ces trois éléments sont interdépendants. Ce n’est pas par hasard que l’Union européenne, qui est dotée d’une identité plutôt lâche, ne dispose que de compétences politiques limitées et les exerce dans un cadre institutionnel très protecteur des droits des États qui la composent.

L’identité européenne n’est sans doute pas comparable à l’identité nationale française mais elle n’en est pas moins fort réelle. Même si l’Union a été construite pour surmonter pacifiquement des altérités autant que pour exprimer une identité commune, cette dernière existe bel et bien. On peut parler par exemple de son identité sociale : l’Europe c’est 6 % de la population mondiale, 22 % de la production économique mondiale et plus de 40 % des dépenses de solidarité ! Je veux bien entendre que ce n’est pas la même solidarité à l’Ouest et à l’Est. Mais, en dépit des différences, c’est une réalité très profonde qui distingue l’Europe du reste du monde.

On peut également parler d’identité politico-culturelle. C’est à dire d’un héritage fait de respect pour la démocratie, les libertés et la laïcité, entendue au sens large du terme comme une reconnaissance de l’existence et de l’indépendance des trois ordres pascaliens : celui du pouvoir, celui du savoir et celui de la foi. Face au terrorisme, lors des attentats du Bataclan, l’ensemble des Européens ont chanté La Marseillaise, même les Britanniques. Les Turcs n’ont pas chanté La Marseillaise… J’appartiens à une famille politique qui a toujours été opposée à l’idée d’élargir l’Union européenne à la Turquie, simplement parce que la Turquie n’appartient pas à la même civilisation que nous. J’ai beaucoup de respect pour l’Empire ottoman et pour la Turquie kémaliste mais nous n’avons pas la même identité culturelle. Même sous Ataturk, La laïcité turque n’était pas la laïcité à la française. C’était une laïcité concordataire qui entendait soumettre l’Islam à l’État. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse mais la liberté de conscience n’y trouve toujours pas son compte. C’est le moins qu’on puisse en dire.

L’identité institutionnelle de l’Union devrait compléter le dispositif. Le modèle démocratique européen existe. Le modèle de Maastricht marche beaucoup mieux que vous ne le pensez. Nous construisons une démocratie de négociation qui repose sur la majorité qualifiée. La majorité qualifiée n’est ni la majorité simple, qui entraîne la confrontation, ni l’unanimité, qui crée le blocage, l’impossibilité de fonctionner. La majorité qualifiée permet de surmonter la contradiction et d’affirmer l’unité du corps social sans humilier personne. Elle répond à la devise d’Henri Michaux qui devrait être la grande devise européenne : « Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage ».

Je suis d’accord avec ce qui a été dit sur nos difficultés avec l’Allemagne. L’Allemagne ne s’éloigne pas de l’Europe mais elle est attachée à un statu quo qui lui a donné les quatre biens après lesquels elle s’évertuait à courir depuis des siècles : l’unité, la sécurité, la prospérité et la liberté. Elle répugne à aller plus avant et refuse toujours de franchir la porte sacrée de l’Union politique, et de transgresser ses tabous de l’après-guerre que sont « l’arbitraire » inhérent à toute décision politique et l’usage, fût-il encadré et contrôlé, de la force.

À la différence de Jean-Dominique Merchet, je ne pense pas que nous autres Français soyons habités par le fantasme de la puissance. Ce sont les Allemands qui ont un rapport difficile avec la force. Nous ne considérons pas que l’usage de la force dérive nécessairement vers la violence incontrôlée Nous ne considérons pas non plus que la politique soit réductible au respect de la règle de droit. C’est dans cette différence de perception entre nos voisins et nous que réside sans doute le principal obstacle au développement de l’union politique.

Au cours de la dernière décennie, la conscience de l’identité européenne a progressé, contrairement aux apparences de tumulte et de confusion données par les crises économique, migratoire et britannique mais le chemin est encore long avant qu’elle ne trouve sa place, toute sa place mais rien que sa place, dans l’échelle de Jacob de la distribution des responsabilités politiques entre les États souverains qui peinent à déléguer et une communauté mondiale qui se déchire chaque jour un peu plus.

Marie-Françoise Bechtel

La majorité qualifiée, c’est la Quatrième République. X petits États s’associent avec un ou deux grands États qui, en échange, leur accorderont quelque chose la prochaine fois. C’est la négociation permanente. Pour moi, c’est le système politique de la Quatrième République qui n’était quand même pas le meilleur à l’Assemblée.

Sur la notion de peuple, je crois percevoir des contradictions très profondes dans le plaidoyer par ailleurs vibrant de Jean-Louis Bourlanges.

D’abord il faudrait savoir pourquoi cette Europe qui semble lui convenir dans sa définition est elle-même fondée sur l’existence de peuples européens.

J’ai cité l’arrêt la Cour de Karlsruhe, qui a beaucoup frappé les esprits. Il faudrait savoir pourquoi c’est une cour allemande, issue d’un pays dont il vient d’être dit combien il était tardivement arrivé à une identité nationale, qui, faisant la leçon au Conseil constitutionnel français, vient dire qu’il n’existe pas de peuple européen !

Le peuple européen aurait une identité construite. Mais, justement, les peuples des nations européennes se sont construits sur une identité. Il me paraît complètement contradictoire de fonder le « peuple européen » sur une identité qu’il se construit et de nier l’idée selon laquelle les peuples auraient construit leur identité dans le cadre naturel qu’est le cadre national ! Qu’il y ait un sentiment national différemment construit en France et en Angleterre (le plus vieil État d’Europe est l’Angleterre, non le Royaume-Uni, avant la France) et qu’il soit plus ancien que le sentiment national allemand ou italien, c’est certain (ne parlons même pas de la Belgique). Mais c’est précisément le caractère récent de nations comme l’Allemagne ou l’Italie (je ne parle pas ici de l’Espagne) qui crée certaines difficultés dans le paysage européen. En effet nous aurions tout naturellement cette sorte d’union intergouvernementale que Christian Saint-Étienne appelle de ses vœux si les peuples résilients existant, qui ont construit leur identité sur une histoire – et quelle histoire ! – qui n’est pas purement métaphorique, se mettaient ensemble pour créer précisément une Union qui aurait un sens et, qui plus est, un sens démocratique, parce que fondé sur les peuples.

Jean-Pierre Chevènement

Je voudrais simplement rappeler qu’entre les deux conceptions de la nation, communauté de citoyens ou conception ethnoculturelle, l’histoire a tranché. Depuis la paix de Versailles et l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, les choses sont d’une clarté limpide.

Jean-Louis Bourlanges

La revanche de la nation ethnique éclate de tous côtés depuis quarante ans. La Tchécoslovaquie a éclaté, la Yougoslavie a éclaté, la Belgique a éclaté…

Marie-Françoise Bechtel

… non sans quelques raisons géopolitiques et les interventions de certaines puissances.

Jean-Louis Bourlanges

La revanche de l’ethnicité se voit encore en Catalogne, c’est évident !

Jean-Pierre Chevènement

La Belgique n’a pas encore éclaté. Et ce n’est pas simplement l’ethnicité qui a mis fin à la Yougoslavie, une création qui aurait mérité d’être sauvegardée. Conformément au traité de CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) signé deux ans auparavant, nous aurions dû défendre l’unité de la Yougoslavie. Il est vrai que les Yougoslaves ne l’ont pas défendue non plus…

Marie-Françoise Bechtel

Ce sont les puissances qui ont détruit la Yougoslavie. Ce n’est pas l’éclatement des peuples.

Jean-Pierre Chevènement

Une nation ne peut pas se passer du consensus de ses citoyens. Elle éclate si ce consensus n’existe pas.
Mais restons-en quand même à la définition de la nation qui doit être la nôtre, la définition française, celle que nous portons dans le monde depuis la Révolution de 1789, celle qui a triomphé en Amérique latine dès le début du XIXème siècle, en Europe avec les Traités de Versailles etc., et dans le reste du monde après la fin des empires coloniaux et de l’Union soviétique… avec des nations qui certes restent pour l’essentiel à construire (c’est ce qui va être difficile).

On doit faire l’Europe à partir des nations qui existent, qui se sentent telles. Les États sont des constructions purement juridiques, les nations c’est quelque chose de plus fort.

Christian Saint-Étienne

Je voudrais dire à Jean-Louis Bourlanges que je ne suis pas le seul à faire cette proposition de noyau dur. Le BDI (Bundesverband der Deutschen Industrie), le syndicat de la grande industrie allemande, fait la même proposition, tout comme M. Giscard d’Estaing, et d’autres.

Jean-Dominique Merchet

Pourquoi n’y a-t-il pas de parti européen ?

Il y a au niveau européen des fédérations plus ou moins souples, le PPE (Parti populaire européen), le PSE (Parti socialiste européen), les écologistes. Donc les partis européens existent et débattent (je pense aux débats au sein du PPE sur le maintien ou l’exclusion de Viktor Orban).

Le Président Macron a sur ce sujet une position très contradictoire. Il avait proposé des listes transnationales et, en même temps, il est contre l’idée des Spitzenkandidaten (les têtes de liste parmi lesquelles serait choisi le Président de la Commission européenne). C’est une position très française parce que nous ne sommes pas dans une logique parlementaire.

Je pense aussi aux polémiques suscitées par le voyage de Luigi Di Maio, vice-Premier ministre italien, venu en France rencontrer les « Gilets jaunes » … On ne peut pas souhaiter un espace européen et trouver que c’est une mauvaise manière que de venir soutenir l’opposition dans un pays de l’Union… alors que nous ne nous gênons pas pour condamner les gouvernements de Pologne ou de Hongrie.
On voit bien qu’apparaît un espace politique européen.

Jean-Pierre Chevènement

En conclusion, je demanderai une phrase à Jean-Louis Bourlanges et une phrase à Marie-Françoise Bechtel.

Jean-Louis Bourlanges

Je relèverai simplement ce que vient de dire Jean-Dominique Merchet. Je ne crois pas qu’il y ait contradiction. Emmanuel Macron était favorable, comme d’ailleurs une grande partie du Parlement européen, à ce qu’une partie de la liste soit supranationale. Il n’y a pas contradiction avec la critique du Spitzenkandidat. J’ai moi-même critiqué très fortement le Spitzenkandidat il y a cinq ans. L’élection du Président de la Commission dans un système multipartisan à un tour, c’est aléatoire. Soit on adopte un système bipartisan, avec deux candidats, soit on choisit un système multipartisan et, dans ce cas, deux tours sont nécessaires. Sinon on se retrouve dans une situation où M. Le Pen aurait pu être élu président en 2002 s’il avait devancé Chirac d’un point, ce qui était tout à fait possible, alors qu’au second tour il a fait 18 % et Chirac 82 %. Voilà pourquoi le Spitzenkandidat dans un système multipartisan à un tour, c’est la bouteille à l’encre.

Marie-Françoise Bechtel

Pourquoi, à la base, n’y a-t-il pas de partis transversaux qui présentent des candidats ?

La réponse est dans la question. Les partis ne tombent pas du ciel ! Il n’y a pas d’appétence pour créer des partis. Peut-être la transversalité entre les peuples n’est-elle pas suffisante, justement parce que les peuples sont différents.

Jean-Pierre Chevènement

Merci à toutes et à tous.
Merci à nos intervenants.

—–

Le cahier imprimé du colloque « La souveraineté européenne, qu’est-ce à dire ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.