La Pologne, pays-clé pour l’avenir de l’Europe

Intervention de Pierre Ménat, diplomate, ancien ambassadeur de France en Pologne (2004-2007), auteur de L'Union européenne et la guerre (L'Harmattan, 2023), lors du colloque "L'avenir de la relation franco-polonaise" du mercredi 24 janvier 2024.

Merci Madame la présidente,

Monsieur le ministre,

Monsieur l’ambassadeur de Pologne

Messieurs les ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très honoré de m’exprimer devant vous.

Avant d’aborder mon propos proprement dit, je reviendrai sur le sentiment national polonais, déjà évoqué, pour rappeler à quel point il a été nourri par l’histoire.

N’oublions pas que la Pologne a disparu de la carte pendant 123 ans, de 1795 à 1918. Elle a connu une parenthèse entre 1918 et 1939 (Deuxième République) avant de disparaître pour la quatrième fois de son histoire, partagée cette fois-ci entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Ce pays a traversé des périodes de malheur extraordinaires au sens propre du terme.

Le deuxième élément de ce sentiment national est religieux, c’est le christianisme qui a trouvé son apogée avec l’élection du pape Jean-Paul II. Je me trouvais en Pologne lors du décès du pape, je peux témoigner que ce fut une semaine d’émotion intense. Beaucoup de Polonais, dans le peuple et parmi les élites, considéraient que le pape devait être enterré en Pologne, ce qui n’était pas possible en raison de la tradition vaticane.

Notre débat d’aujourd’hui intervient à un moment marqué par deux événements déjà évoqués :

Voici près de deux ans, le 24 février 2022, le monde est entré dans une nouvelle phase, celle de l’affrontement. Dans ce nouvel ordre marqué par la guerre d’Ukraine, la Pologne est en première ligne.

Voici un peu plus de trois mois, le 15 octobre 2023, les Polonais ont choisi l’alternance en élisant une nouvelle majorité favorable à la construction européenne. Son chef, M. Tusk a été président du conseil européen pendant cinq ans. C’est quelqu’un qui connaît la mécanique européenne mieux que quiconque. Il était en contact avec toutes les institutions européennes qu’il connaît fort bien.

Je commencerai par quelques souvenirs de mon séjour en Pologne (2004-2007) qui vous fourniront des facteurs d’évolution entre la situation de ce pays il y a vingt ans et celle d’aujourd’hui

J’évoquerai ensuite notre relation bilatérale marquée par des atouts mais aussi quelques failles.

Enfin je m’interrogerai sur la manière dont nous pouvons aborder ensemble les défis européens qui sont devant nous.

Lorsque j’ai été nommé en Pologne, en septembre 2004, succédant à M. Patrick Gautrat, ici présent (succession agréable car il m’avait préparé le terrain), le pays venait d’entrer dans l’Union européenne depuis le 1er mai.

À mon arrivée, les relations franco-polonaises disposaient d’un formidable potentiel lié au fait que la Pologne devenait l’un des grands États de l’Union. Mais de lourds facteurs de désaccord existaient, notamment l’achat de F16 par la Pologne au détriment des Mirage, la référence aux valeurs chrétiennes dans le projet de constitution européenne et la position polonaise sur l’Irak. En effet la Pologne, comme les autres pays candidats de l’Est, s’était prononcée pour l’intervention américaine, ce qui avait conduit le président Chirac à faire sa fameuse déclaration : « Ils ont perdu une bonne occasion de se taire ». Cela avait été assez mal pris.

Lorsqu’il m’a reçu en tête à tête quelques jours avant mon départ pour la Pologne, le président s’est montré désireux d’améliorer cette relation.
Permettez-moi de vous révéler le contenu jusque-là secret de notre conversation. « En prononçant cette phrase (« Ils ont perdu une bonne occasion de se taire », j’ai tenu un propos excessif. Vous pouvez, en tant qu’ambassadeur, le dire aux Polonais. », me dit-il. « Je ne me permettrai pas, Monsieur le président », répondis-je. « Je ne vous demande pas de la clamer en public, précisa-t-il, mais quand vous verrez vos interlocuteurs vous pourrez leur dire que Chirac est très attaché à la relation avec la Pologne ». Il se plaisait d’ailleurs à répéter qu’il connaissait les Polonais depuis sa période en Algérie : «L’essentiel de mes hommes, qui étaient d’ailleurs extraordinairement sympathiques et attachants, venait du Nord de la France. Ils étaient en grande partie des mineurs, dont beaucoup d’origine polonaise. On avait avec eux, par la force des choses tout à fait spontanées et naturelles, une espèce de fraternité que l’on connaît dans toutes les petites unités humaines isolées, puisqu’on était sur un piton et uniquement entre nous [1]». Il en avait gardé un souvenir inoubliable.

C’est muni de ces instructions que je suis arrivé en Pologne.

C’est ainsi qu’a été institué le sommet franco-polonais annuel qui pour la première fois s’est tenu à Arras, en février 2005. Nous avons également relancé le triangle de Weimar, développé considérablement nos relations économiques et établi un partenariat solide au sein de l’Union européenne.

En septembre 2004, la Pologne était dirigée par l’Alliance libérale démocrate (SLD, Sojusz Lewicy Demokratycznej), sous la présidence de M. Aleksander Kwasniewski, le gouvernement de M. Marek Belka. Le « S » de SLD ne veut pas dire « socialiste » mais Sojusz, c’est-à-dire « alliance ». Personne ne s’est jamais dit « socialiste » en Pologne mais c’était quand même la gauche.

Puis, en 2005, se sont tenues les élections parlementaires et présidentielle. Celles-ci méritent que l’on s’y attarde car elles ont structuré la vie politique polonaise jusqu’à aujourd’hui. Dans ces élections la gauche était représentée par le SLD et face à cette gauche une coalition de droite s’était formée entre la plate-forme civique (PO) et le PIS (à l’époque un parti familial dont les débats essentiels avaient lieu à la table du dimanche des frères Kaczysnki et leurs parents). Les candidats de la PO étaient pour la présidence Donald Tusk et pour M. Rokita au poste de Premier ministre. En effet, la PO bénéficiait d’une large avance dans les sondages. Mais c’est le PIS qui est arrivé en avance lors des élections parlementaires et c’est M. Lech Kaczynski qui a remporté l’élection présidentielle. Le PiS ayant refusé de la laisser diriger comme le prévoyaient leurs accords de coalition, la PO a décidé de rester dans l’opposition. Je me souviens avoir vu Donald Tusk le soir de l’élection (j’étais allé le voir ainsi que le Président élu). On lui avait proposé le poste de président de la Diète (Sejm), « Je suis battu, je serai dans l’opposition », m’avait-il dit.

Cet épisode explique toute la vie politique polonaise ultérieure. En effet, au lieu d’avoir un pôle droite – gauche (et nous Français pouvons très bien le comprendre puisque nous avons connu, pour d’autres raisons, la même évolution), deux pôles vont structurer la vie politique polonaise : un pôle libéral, pro-européen, centriste, et un pôle beaucoup plus conservateur et plus social. Il y eut d’abord le gouvernement du PiS (2005-2007) qui, n’ayant pas la majorité, s’était appuyé sur quelques formations populistes : la « Ligue des familles polonaises », le PSL (Parti paysan polonais), qui existe toujours, et un mouvement un peu spécial de l’époque qui s’appelait « Autodéfense de la république de Pologne » (Samoobrona). Ces formations sont entrées au gouvernement en 2006, provoquant la démission du ministre des affaires étrangères, Stefan Meller qui, ayant passé sa jeunesse en France, ayant été ambassadeur à Paris et à Moscou, ne pouvait pas coexister avec un parti comme la « Ligue des familles polonaises », assez fortement fasciste et antisémite. Andrzej Lepper, Président du parti populiste « Autodéfense de la république de Pologne », était ministre de l’agriculture, je me souviens lui avoir rendu visite après avoir pris des instructions.

J’ai donc connu dans cette période deux présidents, MM. Kwasniewski et Kaczysnki. Lech Kaczysnki était un homme extrêmement cultivé. Il ne parlait pas du tout français ni anglais. Comme mon prédécesseur j’avais appris un peu le Polonais, donc je pouvais le comprendre mais quand il a reçu M. Giscard d’Estaing, j’ai découvert que Lech Kaczysnki connaissait tous les gouvernements de la France depuis la Libération. Il m’a interrogé sur qui était ministre de l’Intérieur en 1977 … J’avoue que je n’étais pas très sûr de moi.

J’ai connu trois Premiers ministres ; MM. Belka, Marcinkiewicz et Jaroslaw Kaczynski, nommé premier ministre par son frère. Entre juillet 2006 et octobre 2007 les frères Kaczynski seront simultanément président et premier ministre.

J’ai connu quatre ministres des affaires étrangères : MM. Cimoszewicz, Rotfeld, Stefan Meller et Mme Fotyga. Je rencontrais souvent aussi le ministre de la Défense M. Sikorski, aujourd’hui ministre des affaires étrangères, qui connaît extrêmement bien les questions européennes, notamment les questions de défense.

II La relation bilatérale, déjà évoquée par Mme Bechtel, est marquée par des points forts et par des failles.

Les points forts, vous l’avez dit, c’est le domaine économique. Il y a toujours des débats sur les chiffres et Monsieur l’ambassadeur nous donnera les derniers chiffres. Mais je peux vous dire que nous avons assuré une hausse continue de nos échanges commerciaux, hausse provisoirement freinée par le Covid. Ces échanges ont atteint un sommet de près de 30 milliards d’euros en 2022. La France est aujourd’hui le 3ème client de la Pologne, même si, en tant que fournisseur, elle est redescendue de la 5ème à la 8ème place.

En matière d’investissements directs étrangers, la France se situe au deuxième rang en 2022 avec un stock de 22 milliards d’euros. La présence française est particulièrement forte dans les secteurs du téléphone, de la banque et de la grande distribution.

Déjà fourni, le dialogue politique s’est renforcé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tant dans le cadre bilatéral que dans celui de Weimar (5 sommets se sont tenus depuis 2020).

Notre coopération scientifique, universitaire et culturelle est très nourrie grâce notamment au programme Polonium et au grand nombre de jeunes étudiants polonais se rendant en France dans le cadre d’Erasmus, sans oublier le rôle majeur du Collège européen de Natolin où chaque année des Français se rendent.

Les failles étaient d’abord les désaccords sur les valeurs et l’État de droit, qui appartiennent désormais au passé.

Divergences aussi sur le Pacte européen sur l’asile et l’immigration à l’égard duquel la Pologne a adopté jusqu’ici une attitude assez réservée et même négative, concernant notamment l’amélioration du règlement de Dublin qui veut qu’une seule demande d’asile peut être présentée dans tous les pays de cet ensemble. Ce système qui, aujourd’hui, repose sur le pays de première entrée, fait peser de très lourdes charges sur un petit nombre de pays, notamment l’Italie et la Grèce. Le pacte européen prévoyait un système de relocalisation obligatoire qui n’a pas été accepté. La Pologne avait d’ailleurs annoncé que même si ce système passait elle ne l’appliquerait pas. Nous verrons ce que sera la position du nouveau gouvernement.

On observe surtout des approches différentes sur la sécurité européenne. Même si les choses ont évolué et peuvent encore évoluer, la Pologne a privilégié une sécurité assurée par l’Alliance atlantique alors que la France insistait sur les efforts destinés à bâtir une autonomie stratégique européenne. Dans cette logique, les choix polonais en matière d’armement se sont tournés surtout vers les États-Unis et, plus récemment, la Corée du Sud. On peut comprendre ces choix liés à son destin européen. La Pologne a eu deux grands ennemis dans l’histoire : ses deux voisins, la Russie et l’Allemagne. Elle n’a pas fait confiance non plus à la France. C’est ce qu’on appelle les stéréotypes franco-polonais. Nous Français, qui étions entrés en guerre en 1939, considérons avoir fait notre devoir. Les Polonais considèrent que nous aurions pu faire davantage. Un autre facteur, l’importante communauté polonaise aux États-Unis, explique aussi l’attachement à l’Alliance atlantique.

Qu’en est-il pour l’avenir ?

Je le disais, la guerre d’Ukraine a brusquement changé l’ordre international.

– Par l’invasion inacceptable d’un pays souverain par la Russie

– Par la nouvelle légitimation du recours à la force, dont la réalité ou la menace se font jour partout dans le monde : en Europe centrale, au Proche-Orient, en Arménie, en Corée du Nord, à Taiwan.

– Par l’affrontement entre démocraties et régimes autoritaires ou totalitaires.

Donc un monde qui, aujourd’hui, a changé de nature.

On dit souvent qu’il y a eu 1945, et puis 2022. Si l’on reprend l’évolution du monde depuis 1945, on dénombre plutôt quatre phases :

– De 1945 à 1989, l’ordre de Yalta, qui plaçait la Pologne dans l’orbite soviétique ;

– De 1989 à 2001 ou 2003 (selon que l’on date du 11 septembre ou de l’affaire d’Irak), la domination américaine ;

– De cette date à 2022, un monde sans repère, où émergent plusieurs puissances moyennes.

– Et depuis 2022, l’ébauche d’un nouvel ordre international. D’un côté, l’Occident pris au sens politique, c’est-à-dire incluant le Japon et l’Australie, de l’autre une coalition de pays dont le point commun est justement la contestation de l’Occident. Ce deuxième pôle est incarné par les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, cinq pays très peuplés et au fort PNB que viennent de rejoindre six nouveaux États : l’Arabie Saoudite, l’Argentine, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Iran.

La question qui nous intéresse est de savoir quel sera le rôle de l’Europe dans ce panorama : simple appendice d’un monde occidental dirigé par les États-Unis ou puissance autonome assurant un certain équilibre, ? Et comment la France et la Pologne peuvent-elles coopérer dans ce cadre ?

Nous voyons bien qu’il y a un affrontement entre l’Occident et le « reste du monde », pour simplifier. L’Europe, plutôt considérée aujourd’hui comme une composante du monde occidental, peut-elle avoir sa place à part entière ? Je me suis penché sur cette question dans un livre intitulé L’Union européenne et la guerre[2], paru en février 2023. J’ai insisté sur les atouts de l’Union européenne, principale zone de prospérité dans le monde, contribution majeure au défi écologiste, rayonnement intellectuel et scientifique, instruments de puissance que sont le grand marché, la monnaie, le commerce et l’agriculture dont on voit ces jours-ci qu’elle a aussi ses revers[3].

Pour l’avenir, plusieurs chapitres sont ouverts. J’en citerai cinq pour lesquels la Pologne et la France peuvent jouer un rôle très important :

1/ L’énergie avec deux piliers indispensables, le nucléaire et les renouvelables. Merci à la Pologne de nous soutenir sur le nucléaire. Nous regrettons naturellement le choix qui semble s’être porté sur une offre américano-coréenne. Mais le dossier reste ouvert et il y en aura peut-être d’autres. Mais c’est un point sur lequel nous pouvons coopérer parce que nous avons en effet aujourd’hui au sein de l’Union européenne une offensive très forte dont il ne faut pas se cacher qu’elle est animée surtout par l’Allemagne, mais aussi par la Commission et par plusieurs États membres très clairement anti-nucléaires. Au sein des instances européennes un combat acharné se livre entre la France et l’Allemagne pour essayer de maintenir, non sans mal, la place du nucléaire dans les financements qui suppose que l’énergie nucléaire soit autorisée à bénéficier de financements européens et nationaux, ce qui aujourd’hui n’est pas totalement le cas.

2/ Le volet migratoire dont la Pologne est aujourd’hui une des principales victimes. Non pas comme pays de première entrée mais comme victime d’une guerre hybride menée par la Russie. Nous avons déjà eu deux épisodes impliquant la Biélorussie. La Pologne est en première ligne puisque ces migrations provenant du Proche-Orient ont été organisées par la Russie et la Biélorussie.

3/ Un élargissement maîtrisé. Nous avons face à nous un nouvel élargissement. Il était déjà ouvert depuis longtemps, notamment avec la candidature de la Turquie, la plus ancienne (2005), mais aussi celles de tous les pays des Balkans et aujourd’hui de l’Ukraine. Il était indispensable d’envoyer un signal à l’Ukraine. Fallait-il le faire sous cette forme ? Maintenant non seulement elle a le statut de candidat mais l’ouverture des négociations a été décidée. Naturellement la Pologne et la France la soutiennent mais, si on se réfère aux précédents élargissements il ne faut pas oublier à quel point cela a pesé sur les politiques européennes. Aujourd’hui la Pologne est le premier bénéficiaire (en valeur absolue et en pourcentage du PNB) des deux principaux fonds européens que sont la PAC et la politique régionale. Il est évident que si elle advient, l’entrée de l’Ukraine nécessitera un effort de solidarité et de redistribution. En effet, un certain nombre de pays, dont l’Allemagne, considèrent que cet élargissement
doit – comme ils le demandaient pour le grand élargissement – se faire à coût nul, par une simple redistribution. Ce qui ne pourra que renforcer les mouvements politiques anti-européens, en France notamment, et tous les partis qui trouvent déjà qu’on paye beaucoup trop. 

4/ La future relation avec la Russie qu’il faut penser maintenant même si l’exercice est un peu surréaliste en pleine guerre. Mais un jour ou l’autre il faudra définir cette relation avec la Russie. Nous ne voyons pas les choses comme les États-Unis. La Russie restera où elle est, elle restera notre voisin. Et c’est encore plus vrai pour la Pologne que pour la France. Même si certains considèrent que c’est aujourd’hui impossible, il faudra un jour y réfléchir. Je donne quelques pistes dans mon livre.

5/ « L’Europe de la défense » est souvent l’objet d’une confusion de vocabulaire ou de terminologie. En effet ce terme recouvre la politique de sécurité et de défense commune. Ce qu’on entend par Europe de la défense c’est donc une politique de défense, non une défense. Une politique de défense qui repose sur les missions de Petersberg (maintien de la paix et rétablissement de la paix), définies en 1992, qui visaient à doter l’Europe d’une capacité de gestion des crises sur les théâtres externes. Ces missions ont été élargies par le traité de Lisbonne notamment à l’assistance militaire et au conseil, lesquels sont utilisés pour l’aide à l’Ukraine. L’idée était que l’Union européenne puisse disposer d’une capacité de gestion des crises internationales. Le Brexit et l’élection de Trump en 2016 ont conduit à renforcer ces instruments notamment par le Fonds européen de défense (FED), censé aider les coopérations industrielles en matière d’armement (7,9 milliards sur 7 ans) et la Facilité européenne pour la paix (FEP) (5,9 milliards sur 7 ans) qui est utilisée pour aider l’Ukraine. Il s’agit d’un fonds de remboursement, non d’une politique commune : les États envoient la facture au service européen d’action extérieure (SEAE). Le dernier problème est la dilution des responsabilités, à Bruxelles, entre la mission et le volet externe. Donc ce n’est pas la défense commune.

Ce qui n’a pas progressé c’est la défense européenne. Malgré la présence dans le Traité sur l’Union européenne d’une clause de défense mutuelle (Titre V, chapitre II, section 2, article 42[4]), la guerre d’Ukraine a surtout conduit à réanimer, à renforcer l’OTAN. Or le débat aux États-Unis nous montre que l’Europe doit se doter des moyens d’une autonomie stratégique. On n’y parviendra pas du jour au lendemain. Cela suppose un plan de moyen terme – que nous ne réussirons pas sans la Pologne – reposant sur une stratégie commune, un niveau suffisant de dépenses militaires (de ce point de vue l’effort polonais est précieux), mais aussi une doctrine d’emploi des forces et bien sûr l’harmonisation et l’interopérabilité des matériels reposant sur la préférence européenne. C’est ainsi qu’a été bâti le marché américain.

Dans mon livre, je propose des solutions. Si ce projet voit le jour, sous une forme indéterminée, il faut évidemment se poser la question d’une nouvelle association avec le Royaume Uni. Aujourd’hui, le Royaume-Uni représente 25 % des dépenses militaires européennes, il est donc important de l’associer.

Faut-il maintenir le « couple franco-allemand » ? J’opterai pour une position intermédiaire entre celles de Marie-Françoise Bechtel et de Max-Erwann Gastineau : dans l’Union européenne à 27 – et bientôt à 30 ou 35 – le « couple franco-allemand » demeure nécessaire. Il est aujourd’hui dans une situation difficile, confronté peut-être plus que dans le passé à de nombreux désaccords, mais il reste nécessaire tout simplement parce que lorsque l’impulsion n’est pas donnée par Paris et Berlin elle manque. Mais il faut y associer la Pologne, incarnation de cette nouvelle Europe exposée à la menace. Nous avons un cadre, le Triangle de Weimar, il ne reste qu’à le revitaliser. Ce sera plus facile à dire qu’à réaliser mais c’est une nécessité, tant pour la Pologne que pour la France.

Je vous remercie.


[1] Ce passage est cité par l’enquête menée par deux journalistes du quotidien Le Monde, « Chirac l’Algérien », partis sur les traces du sous-lieutenant d’alors, dans les environs de Souk Larbaa, dans l’ouest algérien, où le sixième RCA était stationné.

[2] Pierre Ménat, L’Union européenne et la guerre, Paris, L’Harmattan, février 2023.

[3] Pierre Ménat fait allusion au mouvement déclenché par les agriculteurs français en janvier 2024.

[4] « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres.

Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. »

Le cahier imprimé du colloque « L’avenir de la relation franco-polonaise » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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