De l’importance politique de se comprendre entre citoyens

Intervention de Mickaël Vallet, sénateur de la Charente-Maritime, ancien maire de Marennes-Hiers-Brouage, lors du colloque "L'avenir de la langue française" du mardi 15 novembre 2022.

Intervention de Mickaël Vallet, sénateur de la Charente-Maritime, ancien maire de Marennes-Hiers-Brouage, lors du colloque “L’avenir de la langue française” du mardi 15 novembre 2022.

Merci Madame la présidente.

Bonsoir à toutes et à tous.

Merci de votre invitation.

Je suis très honoré d’intervenir devant vous ce soir, notamment devant vous, Monsieur le ministre.

Pour éviter les redites je passerai sur un certain nombre de sujets qui ont été développés par Alain Borer pour me concentrer sur le pourquoi du comment de l’intérêt législatif que je porte à ce sujet.

Je parlerai d’abord de la nécessité d’avoir une vision politique sur le sujet avant de m’interroger sur ce que l’on peut faire concrètement.

Le constat

La vision politique part d’un constat qui a été extrêmement bien fait : l’Académie française a publié en février dernier un rapport sur la place du français dans les institutions qui est révélateur d’une vraie difficulté.

Pas plus tard qu’il y a trois jours, l’Hôtel de ville de Paris a annoncé la forme que prendront les mascottes des JO de Paris avec un slogan en anglais ! Ceci s’ajoute à ce que j’ai pu citer dans une intervention récente au Sénat : Les Choose France, French Tech, Business France, France connect, Start up Nation, Bottom up, Cluster, etc., me limitant aux expressions employées par les représentants du Gouvernement car la proposition de loi dont je vais vous parler porte sur la question de l’administration d’État… et non pas des collectivités territoriales mais on pourrait ajouter Be Nice, Of Course Le Mans, Strasbourg Event, I love Lyon… qui, au-delà d’une soumission au maître, comme Alain Borer l’a exposé, témoignent d’une pauvreté dans la création de la part de publicitaires qui pourtant se font payer très cher par les collectivités territoriales. Je suis élu local et je peux en témoigner.

J’ai employé le terme de « globish » dans mon intervention au Sénat, j’ai bien entendu la nuance très intéressante – et que j’irai creuser – qu’a apportée Alain Borer. Je n’ai pas employé le terme de « franglais ».

Lorsqu’on dit : « On boycotte le week-end les matchs de football », tout le monde comprend ! L’essentiel n’est pas d’employer des mots dont nous avons la certification « origine pure langue française » ou « issus du latin », ce qui est un phantasme total mais c’est le fait de se comprendre.

Je vous rejoins quand vous parlez de la soumission au maître. Sur ce sujet, il me vient spontanément à l’esprit ce qu’a décrit Norbert Elias dans Sur le processus de civilisation.[1] En fait nous avons affaire à une espèce de bourgeoisie qui, pour ressembler à la noblesse, emploie les codes du maître, non tant pour montrer au maître de l’empire qu’on en est que pour signifier qu’on n’est pas du côté du bas peuple. Dans un petit ouvrage très amusant et très stimulant, L’Édit de Caracalla[2], Régis Debray se plaçait dans la position d’une personne qui voulait devenir citoyen de l’empire. Nous en sommes là aujourd’hui. Quand les publicitaires ou les responsables politique finissent par employer ces termes-là c’est pour montrer qu’ils ont tout compris à la marche du monde et qu’ils sont évidemment du bon côté.

C’est le constat initial.

Derrière le constat on essaye de tendre quand même vers une situation meilleure.

N’étant pas linguiste, ma porte d’entrée première est celle de l’indignation.

En termes de cohésion sociale, le premier lien qui unit les citoyens, le premier bien commun, comme l’a souligné Paul de Sinety, est d’abord que l’on puisse se comprendre. Quand l’étude du CREDOC que le Délégué général a évoquée pointe le fait que l’usage du français est jugé indispensable et qu’une particulière exemplarité est attendue de la part des services publics dans leurs relations avec les usagers c’est parce que les gens ont besoin de se comprendre les uns avec les autres.

Les divers enrichissements et autres « modifications » de la langue (dis-je pour ne pas employer le terme d’« évolution ») ne nécessitent pas de légiférer. Dans ma démarche la première des préoccupations est que les gens puissent continuer à se comprendre, à éprouver le sentiment du bien commun et aussi, pourquoi pas, une forme de fierté. Il n’est d’ailleurs pas de français pur, il peut y avoir plusieurs formes de français. Invité dans ma commune il y a quelques années, un poète du Nouveau-Brunswick, Herménégilde Chiasson, avait tenu des propos qui me marqueront à vie, nous expliquant à quel point le français qui est le sien n’est pas un français de seconde zone, comme on a pu essayer de lui faire sentir en certaines occasions. Il n’y a pas d’un côté un français de ploucs et de l’autre le français de l’élite, il y a une langue française dont les formes peuvent être diverses et variées mais qui reste une langue française dès lors que l’on peut se parler et se comprendre les uns les autres. Au Québec, il nous faut par moment tendre un peu l’oreille mais à la fin on se comprend d’une manière aisée.

Voilà pour l’approche initiale. Le but du combat est de faire en sorte que, au minimum dans la sphère politique, les gens se comprennent, cela en essayant de ne pas tomber dans ce qui me semble être des pièges. Je donne une illustration : nous avons eu au Sénat, il y a six ou huit mois, dans une niche parlementaire d’un groupe qui n’est pas le mien, un débat sans vote sur l’écriture inclusive. Autant vous dire que sur un tel sujet la discussion est partie dans tous les sens sur tous les bancs. À telle enseigne que dans mon groupe politique j’ai vu venir les choses et, avec un ou deux camarades, nous avons demandé à auditionner des linguistes pour pouvoir équilibrer un peu le propos. Le but étant de ne pas foncer tête baissée sur la seule question de la féminisation et d’expliquer que le législateur n’a pas à légiférer sur l’écriture inclusive autrement qu’en ce qui concerne le champ de l’État ou de l’administration. Si des gens, dans des interviews à Libération veulent dire « iel », on peut en penser tout le mal qu’on veut – et j’en pense du mal – mais on n’y pourra rien. La question du point médian est un vrai sujet qui relève du champ de l’État, du champ des programmes scolaires qui est fort heureusement du ressort de l’État. Comme Bernard Cerquiglini l’a très bien expliqué en diverses occasions, ce point médian est un obstacle à la fluidité de la pensée, une difficulté pour les enfants dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. De plus, il ne correspond absolument pas à l’aspect quasiment freudien ou psychanalytique de la langue française qu’Alain Borer a évoqué. En revanche le choix de mots épicènes (qui ont la même forme au féminin et au masculin) ou du redoublement ne pose pas de difficulté. Le premier Français à avoir utilisé l’écriture inclusive par redoublement est le général de Gaulle : son « Françaises, Français » est antérieur au « Travailleurs, travailleuses » d’Arlette Laguiller. Tout cela pour dire que j’évite les débats qui, à la rigueur, ne relèvent pas du champ législatif mais qui pour une certaine partie – je pense au point médian – peuvent relever de l’aspect réglementaire afin de ne pas me perdre dans des débats extrêmes.

/Quand la présidente du Conseil à l’égalité homme-femme nous explique en audition qu’elle n’a aucun problème pour écrire quatre-vingts pages de rapport avec des points médians, elle me fait doucement sourire parce qu’il est bien évident qu’à un moment elle va renoncer à ce qui n’est qu’un code, comme cela a été dit. De la même façon, la civilisation ne va pas s’effondrer parce que des gens échangent des textos avec des points médians.

Vous avez parlé, Madame la présidente, de mes fonctions de maire. Il se trouve que j’étais maire de la commune de naissance de Samuel Champlain (Citadelle de Brouage, qui fait partie de la commune de Marennes-Hiers-Brouage), ce qui nous a donné un merveilleux prétexte pour faire du combat culturel. Et nous avons décidé de faire de la francophonie le levier de développement de Marennes-Hiers-Brouage. Nous avons donc développé, de manière tout à fait modeste, un plan d’action pour intéresser la population, pour que nos administrés se sentent concernés par ce qui se passe à plusieurs milliers de kilomètres, à Caraquet, notre ville jumelle, capitale culturelle de l’Acadie (péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick). Quand, par exemple, le personnel de l’hôpital de Caraquet se met en grève, c’est pour les mêmes raisons, liées à la même logique néo-libérale qui menace l’hôpital de Marennes où l’on annonce fusions, mutualisations, directions communes… afin de mieux soigner avec moins de moyens ! L’espace commun de la langue permet de se comprendre.

Vous avez relevé une anecdote qui me fait plaisir et m’afflige à la fois. Douze années de développement culturel et de combat culturel autour des questions de francophonie n’avaient pas éveillé l’intérêt de la presse. Et voilà que le jour où j’écris au PDG d’Orange pour lui indiquer que je répondrai à sa demande d’occupation du domaine public pour venir vendre la fibre avec un « Orange Truck » s’il accepte de changer le nom du camion, la presse se déchaîne : « Un maire interdit à Orange de pénétrer sur sa commune ». La question de l’occupation du domaine public peut donc être utilisée pour alerter les consciences. En effet, le véhicule commercial, rebaptisé « camion fibre », a été le bienvenu sur le territoire de la commune. Mais notre pouvoir est limité : c’est en vain que, quelques semaines plus tard, je tentai d’alerter le PDG de La Poste sur les placards publicitaires « ma French Bank ». Il se trouve que je siégeais au comité départemental d’agences postales. « Qui sont les ploucs qui vous pondent ça au national. ? », avais-je demandé au représentant de La Poste. « Ce sont des publicitaires. », m’avait-il répondu, avouant son impuissance.

En tout cas, le constat que vous avez fait, que l’Académie française a fait, que nous faisons sur le terrain, ne doit pas nous laisser insensibles mais nous inciter à combattre. C’est pourquoi je continue à organiser tous les ans un petit festival sur le sujet. Je remercie de leur présence dans la salle les personnes qui, bénévolement, viennent soutenir la cause et utilisent leurs réseaux pour nous fournir des conférenciers.

Au Sénat je siège à la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Je considère que le sujet de la langue est hautement politique et géopolitique. Il s’agit en effet d’introduire de la complexité. Si tout se passe avec un vocabulaire réduit à quelques centaines de mots c’est la guerre. Si l’on renonce à introduire un peu de nuances et de complexité, à admettre que les civilisations, pour pouvoir se parler, doivent d’abord comprendre qu’elles sont différentes, tout est perdu !

C’était d’ailleurs la position de l’actuel PDG de La Poste qui, auditionné par la commission du Sénat, dite commission McKinsey, sur l’influence croissante des cabinets-conseil au sein de l’État, répondait en substance : je suis très précautionneux sur le recours aux cabinets extérieurs d’abord et avant tout parce que c’est un appauvrissement de la pensée. On nous impose des logiciels, des méthodes qui, expérimentés sur un autre continent que le nôtre, mènent à ce rétrécissement de la pensée. L’explication liminaire du PDG de La Poste était selon moi la bonne.

Pourquoi apprendre des langues ? Pourquoi faire du latin du grec ou toute autre langue ? Pour ajouter une couche de complexité. De même, dans L’Art du roman (1986), Milan Kundera affirme que « L’esprit du roman est l’esprit de complexité. Chaque roman dit au lecteur : les choses sont plus compliquées que tu ne le penses. » C’est la même idée. Quand on se confronte à l’autre langue ou quand on défend le fait de pouvoir continuer à s’exprimer, à travailler, à administrer, à diriger, à donner un discours politique dans sa langue, on se prémunit contre l’absence de complexité et contre le simplisme.

Il y a d’ailleurs derrière tout cela des aspects dont je ne sais pas si ce sont des aspects psychanalytiques mais je vous rejoins sur ce point. Je me souviens avoir lu, adolescent, La révolte contre le père[3] pour la simple et bonne raison que Jean-Pierre Chevènement avait évoqué cet ouvrage comme étant essentiel pour la compréhension de ce qui s’était passé en 1968. Mais je n’y avais rien compris à l’époque, il faudrait que je le relise. Donc les aspects psychanalytiques jouent toujours d’une manière ou d’une autre.

Je vis dans une collectivité territoriale où abondent les zones humides, les marais. Nous y traitons donc du matin au soir des questions de biodiversité. Aussi suis-je tenté de parler de « biodiversité » linguistique et culturelle. Le danger qui pèse sur la disparition des langues, donc des systèmes de pensée qui peuvent nourrir la réflexion, est un vrai sujet. M. de Sinety n’est d’ailleurs pas seulement délégué général à la langue française mais aussi « aux langues de France ». Moi qui suis plutôt jacobin je pense que nous ne devons laisser la question des langues régionales ni aux autonomistes, ni aux indépendantistes qui ont une vision du monde rétrécie. L’État et les politiques publiques doivent se donner les moyens d’agir pour ne pas laisser ce sujet à ceux qui veulent le récupérer pour en faire une cause identitaire et qui, ce faisant, retirent à la complexité du monde.

Le concept de francophonie gagnerait donc à intégrer cette acception de diversité culturelle, de biodiversité linguistique. Ce que Paul de Sinety a évoqué en disant que dans cette forme de guerre culturelle, il est nécessaire de trouver des alliés ailleurs : les langues latines les langues finno-ougriennes, le russe, l’apprentissage du japonais … Parmi les polémiques idiotes qui ont émaillé la campagne présidentielle on a vu certains s’indigner du fait que l’on enseigne l’arabe dans l’enseignement public français. Mais heureusement qu’on peut choisir l’arabe dans certains établissements d’enseignement public français ! Nous avons un besoin vital d’avoir des citoyens français locuteurs en arabe pour traiter des questions de diplomatie et de défense dans le monde.

La question de la diversité linguistique me semble donc être fondamentale. Si certains de nos dirigeants prennent aujourd’hui un plaisir immense à s’exprimer en anglais chez le maître (en massacrant d’ailleurs la langue anglaise) pour montrer qu’ils en sont, nous avons eu des hommes d’État qui prenaient soin, ne serait-ce que pour le symbole, de s’exprimer dans la langue de l’autre dès lors qu’ils n’étaient pas chez le maître mais chez des opprimés ou chez des alliés. En Allemagne, en Russie ou au Mexique, le général de Gaulle n’y manquait pas.

L’action législative

L’Organisation internationale de la Francophonie est un sujet en soi.

J’ai dit que je ne suis pas linguiste mais, sur la question de la langue française, je tiens que partout où l’État et les pouvoirs publics sont concernés, les législateurs doivent faire en sorte que nous nous montrions exemplaires pour les raisons que j’ai évoquées.

La question de la carte d’identité est quand même un exemple effarant, surtout si l’on imagine comment les choses se sont passées. Il échoit à un sous-directeur adjoint la mission de revoir le processus de formatage de la carte d’identité pour l’adapter aux standards internationaux de présentation, de sécurisation, etc. Il apporte le résultat de son travail à son chef de bureau qui l’apporte au sous-directeur, qui l’apporte au directeur et ainsi de suite jusqu’au cabinet du ministre. Ce qui est préoccupant c’est qu’à aucune des dix ou douze étapes il n’y ait eu qui que ce soit pour demander l’anglais avait été choisi comme langue de traduction. Cela en dit long sur l’absence de réaction spontanée des fonctionnaires français sur le sujet. Pourtant la directive européenne n’imposait pas l’anglais.

De la même façon, les programmes de l’éducation nationale prévoient en primaire un temps consacré à la découverte d’autres cultures. Or ce temps est systématiquement fléché sur le fait que l’enseignant va apprendre les rudiments de l’anglais. Ce qui en soi n’est pas mal. Mais le problème est le caractère systématique.  

La langue de l’Europe est la traduction, dit-on, ou le plurilinguisme. Sur la carte d’identité, il aurait été préférable de permettre aux habitants des départements frontaliers de l’Allemagne de traduire cette carte en allemand, aux membres de la diaspora portugaise ou espagnole de la traduire en portugais ou en espagnol. Marlène Schiappa semblait d’ailleurs un peu gênée quand elle est venue défendre la National card of identity. Et je n’ai jamais reçu de réponse à ma question écrite.

Il ne faut donc laisser passer aucune occasion.

Je faisais partie de la commission d’enquête sur la question de l’influence croissante des cabinets de conseil dans les administrations d’État. Nous avions dans ce cadre auditionné énormément de monde. Il n’était pas inintéressant de voir des gens qui ont l’habitude de travailler dans l’ombre et de vendre très cher leurs prestations parfois fort médiocres venir prêter serment et répondre aux questions. Le rapport a été rédigé avec l’aide des fonctionnaires du Sénat. Et les administrateurs du Sénat eux-mêmes ont perçu la nécessité d’établir à la fin du rapport un glossaire éclairant tous les termes en anglais qui avaient été utilisés (Benchmarking etc.) afin que le citoyen qui souhaiterait consulter l’intégralité du rapport puisse s’y retrouver. Consultant ce rapport avant publication, je constatais qu’il comportait 17 ou 18 recommandations. Je m’avisais alors que c’était le moment d’ajouter une recommandation selon laquelle l’État devrait exiger de ses prestataires de lui parler en français et de lui rendre des « livrables[4] » en bon français. Cette recommandation a été unanimement approuvée par les membres de cette commission pourtant transpartisane. Cela a été traduit dans la proposition de loi issue de cette commission d’enquête dont l’article 7 dit que l’État doit exiger des cabinets de conseil qui travaillent pour lui qu’il rende les livrables qui s’expriment en bon français. Le ministre qui était au banc l’a accepté de bonne grâce pour la simple et bonne raison que cela n’a rien de contraignant. Et dans mon intervention j’ai délibérément employé des mots issus du vocabulaire et de l’imaginaire du cabinet de conseil pour parler de la proposition de loi avant de les retraduire en français. Cette idée m’est venue en me souvenant que Jean-Pierre Brard, alors député, avait un jour apostrophé à l’Assemblée nationale Christine Lagarde en anglais pour lui poser une question au Gouvernement, ayant appris que Christine Lagarde menait certaines de ses réunions à Bercy en anglais. La proposition de loi a été adoptée. Elle doit maintenant aller à l’Assemblée nationale et, visiblement, cet article, qui n’était un sujet pour personne, est passé comme une lettre à la poste. Et on verra bien ce qu’il en adviendra. Voilà le trou de souris dans lequel je me suis glissé quand l’occasion a fait le larron.

Quid de la suite ?

Il est normal que la loi cadre l’État. De la même façon, quand le Premier ministre où le ministre de l’Éducation nationale signe une circulaire conditionnant l’usage de l’écriture inclusive, on reste dans le champ de ce que peut la loi.

En revanche nous rencontrons une difficulté, y compris d’appréciation, sur la marge de manœuvre qui existe, par rapport à la Constitution et au droit européen, sur la possibilité d’étendre ce combat – à la manière des Québécois – à la question des enseignes et de la publicité. Dans de nombreux domaines, dont celui de la publicité, des modes d’emploi, etc., la Loi Toubon fonctionne. Elle fonctionne d’ailleurs si bien que ses prescriptions sont devenues quasi-naturelles.

Il n’en est pas de même sur la question des médias privés. Je pense à CNews qui, après tout, a bénéficié de canaux mis en place par l’État dans le cadre de la TNT et qui ensuite a fait l’objet de « cahier des charges » pour attribuer les tuyaux, charge à eux de mettre le contenu dedans. Comment éviter les innombrables émissions dont les noms sacrifiant à l’anglais ont été énoncés ? Comment introduire dans le contrat d’objectifs et de moyens de France Inter une clause interdisant les émissions libellées en anglais ? Ce champ reste à défricher d’un point de vue législatif. Ce travail reste à faire.

Au moment de la Loi Toubon la saisine du Conseil constitutionnel a été en partie le fait de parlementaires de mon bord politique. Le Conseil constitutionnel n’a pas été insensible à l’argument de la liberté de la création publicitaire (Comprenne qui voudra !). On marche donc un peu sur des œufs. Il ne faut probablement pas y aller sabre au clair mais il faut continuer à traiter ces sujets-là, de manière si possible transpartisane en se gardant de réactions extrêmes et en restant sur cette ligne de crête qui veut qu’une langue n’est pas figée, qu’une langue pure n’existe pas mais que la langue porte un système de pensée qui lui est propre. Cette ligne de crête consiste, comme cela a été dit, à accepter le « tenez » du tennis et même à s’en nourrir, à accepter des formes d’évolution qui viennent des autres pays francophones.

Il est fondamental de se nourrir de la création des autres pays francophones et de l’ensemble des formes de français parlées dans le monde, pour retrouver la garantie que nous savons nous parler entre nous, que nous protégeons l’ensemble de la biodiversité linguistique, langues régionales comprises.

Mais ne lâchons pas une once de terrain sur l’exigence que les gens se comprennent entre eux.

Marie-Françoise Bechtel

Merci beaucoup.

Il est très réconfortant d’entendre un élu de la République expliquer les questions d’une manière aussi « proche du terrain » et remonter ensuite vers les principes et les possibilités qu’offre éventuellement la loi ou la pression parlementaire à travers des groupes et commissions d’enquête. Vous entendre était un réconfort et nous ne saurions trop vous encourager dans vos efforts.

Je vais me tourner vers Gérard Teulière.

Nous aimerions vous demander en quoi le rayonnement culturel de la Francophonie est affecté par les petits défauts de la francophonie que nous venons ici abondamment d’évoquer.


[1] Norbert Elias, Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes (Métamorphoses du comportement des classes sociales supérieures en Occident), traduit par Pierre Kamnitzer, publié en 1974 sous le titre La Civilisation des mœurs.

[2] Régis Debray, Xavier de C***, L’Édit de Caracalla ou Plaidoyer pour des États-Unis d’Occident, par Xavier de C***, Traduit de l’anglais (américain), et suivi d’une épitaphe par Régis Debray. éd. Fayard, 2002.

[3] Gérard Mendel, La révolte contre le père, éd. Payot, coll. Sciences de l’homme, 1990.

[4] Un livrable (deliverable en anglais), produit ou un service donné au client (achèvement d’un processus, d’une tâche, d’une partie du projet ou aboutissement de la totalité du projet), est généralement tangible, mesurable et spécifique et il possède une date butoir. Un livrable est le résultat d’un jalon (milestone en anglais) inscrit dans le planning du projet. Ce peut être un logiciel, un document de conception, un programme de formation ou tout autre élément, produit ou résultat requis dans le planning du projet.

Le cahier imprimé du séminaire “L’avenir de la langue française” est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.