« Jean-Pierre Chevènement, du défi au pari »

Note de lecture de l’ouvrage de Jean-Pierre Chevènement, Refaire la France (Bouquins, 2023), par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica.

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Le nouvel ouvrage de Jean-Pierre Chevènement, qui s’en étonnerait, s’inscrit dans la ligne d’une pensée et d’une action dont la conjonction fait précisément l’originalité. En maintenant et renforçant ce qui fait le lien entre les deux, une approche républicaine de la politique, les analyses qu’il nous livre font mieux que confirmer la pertinence de cette dernière appliquée aux crises nouvelles que nous affrontons : crise ukrainienne, mutations du projet européen partiellement liées à celle-ci, crise de l’autorité politique, crise interne de la citoyenneté, panne de notre politique étrangère.

Jean-Pierre Chevènement, questionneur du monde : une observation toujours renouvelée du réel

Ces analyses, qui demandent ainsi au fil des année à être mises si l’on peut dire au goût du jour, se fondent sur une exigence de précision et de rigueur aux antipodes du prêt à porter idéologique. Si Jean-Pierre Chevènement revisite ainsi à intervalles réguliers les grands défis qui se posent à nous n’est-ce pas pour une raison essentielle ? C’est que, toujours en alerte sur les évolutions du réel, il ne conçoit pas la politique que ce soit dans l’action ou dans la vigilance sans une connaissance précise – et souvent pointue – des évolutions réelles du monde réel. Ainsi loin de répéter une sorte de vulgate, invite-t-il à « repenser le monde » plutôt que « repenser la gauche » ; c’est là l’effet de cette volonté de comprendre le réel sans s’abandonner à la doxa dominante qui le caractérise : « Il faut d’abord essayer de comprendre la mutation du capitalisme et chercher à trouver des prises pour agir sur les réalités. » Tout est dit. Jean-Pierre Chevènement n’est pas un idéologue. Et ce n’est pas non plus un homme résigné. Il cherche un chemin, certain qu’il est de ne pas le trouver en tournant le dos au réel mais aussi qu’il ne le trouvera pas sans mettre une exigence élevée au service de ses analyses.

Du défi au pari

Cette exigence, on le sait, c’est la République, laquelle reste pour lui à l’articulation d’une vision de la souveraineté interne et de la souveraineté externe, qui est précisément ce qui fait une nation. Dès lors l’interrogation en forme de recherche sur les chemins permettant de renforcer voire reconstituer l’une et l’autre est le fil directeur d’une pensée toujours en alerte. Réindustrialiser le pays[i], relever l’Etat[ii] ne sont pas seulement deux défis majeurs, ils sont la condition d’un redressement républicain qui, faut-il oser le dire, relève peut-être aujourd’hui du pari plutôt que du défi. C’est que depuis les Défis républicains[iii]livrés en 2004 par un homme en pleine bataille politique puis Un défi de civilisation, bilan de nos difficultés et de nos perspectives établi en 2016, le Qui veut risquer sa vie la sauvera retraçant en 2020 l’ensemble du parcours de l’auteur nous fait changer de registre, du défi du combat politique au pari sous-jacent à celui-ci.  A la lecture de Refaire la France on ne peut s’empêcher de penser que nous restons dans ce dernier registre : si grandes sont les difficultés, si rude le chemin pour  « refaire des  citoyens »  et « redonner à la France une voix qui parle au monde entier », que l’interrogation sur le futur prend ainsi si ce n’est le ton de l’invocation[iv] du moins celui d’un appel : là où le défi est ce dont on maitrise les termes, même si par définition on n’est pas sûr de réussir, le pari est le saut dans l’inconnu, acte de foi tout autant que de raison.

Osera-t-on pour finir faire ce parallèle ? Le « pari pascalien de François Mitterrand » tel que Jean-Pierre Chevènement l’a analysé par le passé[v] ne trouve-t-il pas finalement son symétrique dans la construction inversée faite par ce dernier d’une assomption de la nation républicaine comme notre avenir ? Peut-être est-ce dans cet appel au futur que l’un et l’autre après s’être entendus puis opposés, se rejoignent dans leur différence car l’un et l’autre auront exprimé en toute clarté l’alternative qui se pose à nous.

Il reste un fait : le pari de la République souveraine, après tant d’années de difficultés, de renoncements et de « défis » toujours renouvelés, reste aujourd’hui un discours audible. Cette résilience qui doit beaucoup aux piqûres de rappel faites par un homme d’État aussi respecté que Jean-Pierre Chevènement est un encouragement que cet ouvrage renouvelle.


[i] Avec la contribution de Louis Gallois qui mesure le double écueil du rejet et du défaitisme, appelant l’État à élaborer un « récit industriel ».

[ii] Avec la contribution de Jean-Éric Schoettl montrant à quel point la souveraineté nationale est atteinte par l’emprise européenne et pourrait mobiliser des instruments à sa portée.

[iii] Défis républicains, paru en 2004, propose une lecture de la totalité des batailles et choix politiques de la France du gaullisme aux années 2000. Un défi de civilisation, paru en 2016 s’interroge sur les moyens de répondre par l’universalisme aux naufrages de l’échec de la gauche, au terrorisme et aux défaillances du projet européen de la France.

[iv] Encore que Jean-Pierre Chevènement n’hésite pas à se poser la question du paradigme républicain en appelant pour le reconstituer à « une révolution morale à la fois sociale, individuelle, intellectuelle et peut-être même – je m’y hasarde – spirituelle ».

[v] « La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir » dans La France est-elle finie ? (Fayard, 2011)

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