Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque "Le défi du redressement économique de la France" du mardi 31 janvier 2023.

Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque “Le défi du redressement économique de la France” du mardi 31 janvier 2023.

Monsieur le Président fondateur, Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Nous vous devons ce soir un double remerciement. En dépit de la situation des transports en ce jour de grève et de manifestations, vous êtes venus nombreux et nous en sommes heureux plus encore qu’à l’accoutumée. D’autant que nous allons tenir aujourd’hui un colloque sur un sujet tout à fait névralgique qui porte sur les conditions de notre redressement économique à la lueur des crises que nous vivons, de l’état de l’Union européenne et de la crise énergétique qui en est un facteur important.

À son grand regret, François Lenglet, retenu à Marseille, ne pourra pas nous rejoindre. Je vais tout de même tâcher de résumer l’ouvrage qu’il vient de publier : Rien ne va, mais …. L’année 2023 pourrait nous réserver de bonnes surprises [1], titre accrocheur et assertion que l’on pourrait qualifier de courageuse.

Avant cela, quelques mots sur la manière dont nous avons conçu le colloque. Nous sortons d’une crise à multiples visages … encore que la guerre d’Ukraine semble prouver que nous n’en sommes pas véritablement sortis. Cette crise révèle les faiblesses de notre pays et du continent européen. Tout d’abord vis-à-vis des États-Unis qui ont repris la main, on le sait, en matière énergétique, et qui, sur un plan économique plus global, ont déclenché, avec l’Inflation Reduction Act (IRA) un véritable déferlement d’aides aux industries américaines ou situées sur le sol américain, ce qui ne peut manquer d’attirer les industries européennes. D’autant plus que le coût de notre approvisionnement énergétique est directement pénalisant pour les productions. Comment redresser notre économie et notre appareil productif sans que la production soit de nouveau au rendez-vous ? Il y a à un cercle vicieux qui ne peut échapper à personne.

C’est dans cet esprit que nous avons convié les trois intervenants.

Le premier d’entre eux eût été François Lenglet. Voici donc ce que je crois pouvoir tirer de son ouvrage : Rien ne va, mais …. L’année 2023 pourrait nous réserver de bonnes surprises

Quels sont les principaux facteurs d’optimisme, manifeste dans l’intitulé, qui animent cet ouvrage ?

Selon François Lenglet, il n’y a plus lieu de craindre la récession, fantôme totalement révolu, s’il a jamais été actuel. D’ailleurs, ajoute-t-il, on n’a jamais vu de tension sur l’emploi en matière de recrutement en période de récession.

Deuxième facteur d’optimisme : tous les quatre-vingts ans le système économique craque, se reconstruit, se réinvente, fût-ce dans la douleur. Le marché ayant dominé depuis de longues années c’est le tour des États de revenir sur le devant de la scène. C’est selon lui une excellente nouvelle pour la France, pays où l’État peut agir, au moins dans la tradition qui est la sienne. Le monde libéral a servi le marché, le monde de demain sera plus politique.

Comment ?

Ce sera un monde sans maître, écartelé entre les grandes puissances, caractérisé par une forme probablement multipolaire marquée, le cas échéant, par des défis de bloc à bloc. Le G7 est devenu un club de pays occidentaux qui n’a plus grand-chose à dire et qui, en tout cas, n’est pas suffisamment large pour inclure ce qui pourrait être porté par les pays qui n’en sont pas partie. Quant au G20, dit-il, il est devenu complètement inutile. De quoi d’ailleurs, s’interroge François Lenglet, parlerait-on au G20 ?

Nous aurions beaucoup aimé interroger François Lenglet sur la manière dont il voit l’évolution européenne, point absolument fondamental incluant le marché de l’énergie tel que vu par l’Europe. J’espère que les deux intervenants diront quelques mots sur ce sujet.

La vengeance de la politique. Au fond, dit-il, l’épidémie du covid puis la guerre d’Ukraine ont réveillé les esprits, sans compter la crise climatique qui menace. On aborderait donc ainsi un nouveau cycle de quatre-vingts ans, avec un inconnu, l’Allemagne qui, selon lui, entrerait dans une période d’affaissement relatif.   J’ai   noté   avec    intérêt    cette    analyse    parce    qu’elle    rejoint celle – très brillante – de notre ami Jean-Michel Quatrepoint qui paraîtra le 7 mars prochain dans la revue « Politique étrangère » du premier trimestre 2023. Il étudie dans cet article les points sur lesquels l’Allemagne risque non pas l’effondrement mais d’être en proie à de graves difficultés, contrairement à ce qu’on lit parfois ici ou là. François Lenglet rejoint donc Jean-Michel Quatrepoint sur ce point.

En revanche, ce monde nouveau crée des atouts pour la France, ce monde plus politique devrait lui convenir davantage que le précédent, écrit-il. Par la place de choix faite à l’État, je l’ai dit, et aussi parce que, je le cite à nouveau, « la politique industrielle est de retour ». Avec cette assertion, qui reste à être prouvée, bien entendu, nous pourrons aborder un certain nombre de points essentiels du colloque.

Deuxième point marquant dans l’ouvrage de François Lenglet : « on reprend le contrôle et bienvenue à l’inflation ! » écrit-il dans un chapitre qui se veut provocateur. Et, en même temps, dit-il, on protège les frontières. Je vais tout de suite aller à une critique que je lui aurais faite : les moyens par lesquels on revient à une protection des frontières ne sont pas véritablement décrits, à moins que quelque chose ne m’ait échappé dans l’ouvrage.

En tout cas la France est face à une double prise de conscience. D’abord l’état du parc nucléaire et, plus largement, des investissements qui seront nécessaires dans le futur pour notre indépendance énergétique. Cette fois, on n’y échappera pas. On doit y aller. D’ailleurs un certain nombre de signes montreraient qu’on a tendance à y aller.

Même chose selon lui en matière de vaccins. Peut-être est-ce manque d’informations de ma part sur ce point, mais on peut se demander si des mesures aussi énergiques ont été prises. Il serait intéressant de le savoir et de l’analyser. Mais, en fait pour François Lenglet, c’est le même problème : nous nous réveillons.

L’énergie nucléaire et l’industrie pharmaceutique étaient les deux points forts de la France. Nous ne pouvons donc que réagir positivement en des deux domaines. Voilà la façon dont François Lenglet voit les choses.

Quant à l’inflation, elle serait sans doute durable parce que dans une économie mondialisée les entreprises s’approvisionnent au meilleur coût. Mais aussi à cause de la finitude des ressources qui nous conduit ou au rationnement ou au renchérissement des prix, c’est du bon sens. Enfin à cause de la transition énergétique qui fait que les productions coûtent naturellement plus cher. En tout cas François Lenglet met sa foi dans l’idée qu’il n’y a pas de récession visible. Il s’agirait d’une inflation sans récession. Il n’y aurait donc pas de stagflation, celle dont on a tant entendu parler dans les années 1980 : quand j’étais élève à l’ENA on ne parlait que de stagflation. C’était l’époque du barrisme…

Donc pas de stagflation mais une inflation sans récession. Inflation qui conduit selon lui à ce qu’il appelle, d’une manière un peu provocatrice, la revanche du salarié, notamment des jeunes salariés. Les premiers gagnants seront les « cols bleus ». Parce qu’ils sont hors télétravail et que l’on a besoin d’eux ils seraient les premiers salariés à être augmentés, ce qui est d’ailleurs déjà le cas aux États-Unis. Quant aux autres salariés, le travail substituable par télétravail qui, on le sait, prend des proportions importantes dans les pays développés, n’empêcherait pas des revendications et des négociations sur les salaires. Mais notre auteur m’a semblé un peu moins net sur cette question. Globalement il pense que le salaire va se relever du fait d’une situation inflationniste.

En conclusion François Lenglet prévoit deux ou trois grands tournants.

D’abord, il faut affronter la fin du cycle libéral. L’effondrement des cycles est toujours accompagné d’une grande purge des valeurs : valeurs idéologiques, politiques, morales. On peut penser que le wokisme fait partie de cette grande purge dont il parle. Valeur financière également. La déflagration monétaire telle qu’elle résulte de la crise de 2008-2009 ne lui semble pas terminée, pas purgée. Il ne croit pas que le phénomène de hausse des prix soit transitoire. L’inflation va durer et, pour cette raison, comme on l’a vu, il va falloir y adapter les salaires.

Le plus grand défi de cette nouvelle donne est la révolution de l’État qui reprendrait l’initiative sur les besoins stratégiques : énergie, santé et défense. François Lenglet souligne que la mobilisation de plus de 44 % de la richesse nationale en prélèvements obligatoires n’est plus tenable. On ne peut pas dire que ce soit la première fois qu’on entend cela, ce qui n’est pas pour autant dire que c’est faux. Il appelle donc de façon assez classique à revoir la dépense publique afin de réarmer la puissance publique. Au-delà de cette conclusion qui n’est pas non plus tout à fait neuve il pose un certain nombre de questions intéressantes.

J’aurais aimé l’interroger sur un point : comment la France pourra-t-elle se relever grâce à une puissance publique volontariste en matière industrielle sans se heurter aux règles européennes et plus précisément celles du marché unique ? Certes, avec un certain optimisme, François Lenglet nous dit que la BCE aura à choisir entre le Nord et le Sud, c’est-à-dire entre les austéritaires et les laxistes. Mais il ne va pas plus loin dans les solutions qu’il propose ni surtout dans la façon dont l’Europe devrait évoluer, y compris d’ailleurs dans le secteur énergétique, pour donner les moyens d’exister à cette nouvelle donne, cette transition vers un État puissance qui serait reconstitutif d’une industrie dans notre pays.

Je vais peut-être m’arrêter sur ce point, en ayant, maladroitement sans doute, résumé un ouvrage clair et rapide dont j’ai tenté de tirer ce qui pourrait nourrir le colloque de ce soir. Je vais maintenant passer la parole à Louis Gallois. Je ne vous le présente pas, vous le connaissez. Il nous fait régulièrement l’honneur et le plaisir d’intervenir dans nos colloques. Ancien dirigeant, notamment, de la SNCF et d’Airbus, co-président de la Fabrique de l’industrie, il a bien connu les problèmes industriels français pour avoir été directeur général de l’industrie dans les années 1980 au moment où le virage libéral et le marché s’installaient dans notre pays. Mais cela tout le monde le sait. Je vous laisse donc la parole, mon cher Louis Gallois, pour que vous nous disiez comment vous voyez dans notre pays le redressement productif à venir si nous en croyons François Lenglet.

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[1] François Lenglet, Rien ne va, mais … L’année 2023 pourrait nous réserver de bonnes surprises ?, Plon, collection Tribune libre, octobre 2022.

Le cahier imprimé du colloque “Le défi du redressement économique de la France” est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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