Climat, énergie, décarbonation : Quel plan de transformation de l’économie française ?
Note de lecture de l’ouvrage du Shift Project (avant-propos de Jean-Marc Jancovici) Climat, crises : Le Plan de transformation de l’économie française (Odile Jacob, 2022), par Erwan Le Brasidec.
Le Shift Project propose un plan de marche ambitieux pour transformer notre économie selon un double objectif de plein-emploi et de décarbonation effective de nos activités. Une réflexion stimulante à l’heure où la planification et le temps long retrouvent, à la faveur notamment de la crise sanitaire et des bouleversements induits par la guerre en Ukraine, leur légitimité.
Pour ce faire Jean-Marc Jancovici a rassemblé une équipe composée essentiellement d’entrepreneurs dans la perspective de dessiner une feuille de route pour guider l’action publique. Ces différents acteurs de la société civile se sont regroupés à partir de mars 2020, alors que l’économie allait s’arrêter du fait de la pandémie de coronavirus, afin de réfléchir aux nouvelles manières de produire, de penser notre consommation énergétique, de nous déplacer, etc., le tout dans le respect des engagements climatiques pris par la France. De ces travaux, relectures et concertations ont émergé quinze grandes orientations afin de transformer l’économie française, synthétisés dans l’ouvrage Climat, crises : le plan de transformation de l’économie française, publié en février 2022.
L’objectif initial était d’essayer de réfléchir à la manière dont l’économie pouvait orienter la reprise économique post-covid, sans pour autant penser que ce plan serait prêt dès la fin de la pandémie. L’échéance devait donc être la présidentielle, avec comme objectif de proposer un plan clair et précis sur les actions à mener pour le vainqueur de l’élection. Or, l’ouvrage est en cela original qu’il n’a pas comme clef de voûte de son raisonnement l’aspect monétaire et financier : les principales variables sont celles des compétences, de la production, des données mesurables en valeurs ajoutée, en travail et en capital, en individus et en quantités. C’est-à-dire qu’au-delà des sommes d’argent, les réflexions se font en ressources, en m2, en litres, en tonnes. La pensée sous-jacente est d’affirmer que ces données quantifiables représentent les seules variables réellement limitées, à la différence de la monnaie, notre planète étant dans l’incapacité de renouveler plus vite l’atmosphère, de renouveler plus vite les stocks halieutiques ou encore de faire acquérir des compétences plus vite aux individus. Ces limites physiques ont donc constitué les bases réflexives de ce plan de transformation, dans une perspective où, de toute manière, le surplus de CO2 déjà présent dans l’atmosphère ne pourra pas être réduit et où les mesures nécessaires ne peuvent qu’interrompre les dommages déjà causés.
La synthèse présentée se divise en quinze programmes thématiques, le premier offre une vision d’ensemble, c’est le « plan de navigation », puis quatorze sections, rédigées par différents intervenants, viennent le compléter :
• L’énergie ;
• L’industrie ;
• L’agriculture et l’alimentation ;
• Le fret ;
• La mobilité quotidienne ;
• La mobilité longue distance ;
• L’automobile ;
• Le logement ;
• L’emploi ;
• L’administration publique ;
• La santé ;
• La culture ;
• Villes et territoires ;
• Mobiliser les finances publiques et l’épargne.
L’analyse des thèmes s’effectue autour d’un état des lieux, des problématiques spécifiques au secteur, des grandes propositions et parfois d’une prospective après transformation du dit secteur. Clair et précis l’ouvrage s’accompagne d’illustrations, de graphiques et de schémas chiffrés. Les solutions développées ont pour vocation de répondre à certains objectifs, à savoir une baisse drastique de la consommation d’énergie fossiles, la limitation des matériaux – minéraux et autres matériaux de transition des énergies fossiles à une énergie plus électrique – et une limitation de la consommation de la biomasse, notamment les sols, soumis à une intense artificialisation, dans une perspective de maintien et de protection de la biodiversité. Cela se traduit par trois axes principaux que sont la sobriété, donc le « ralentissement des flux physiques qui irriguent notre économie », ce qui signifie une réduction globale des actions qui pressurisent la soutenabilité de l’environnement ; l’efficacité et la bonne utilisation des outils présents et l’électrification afin de réduire au maximum la dépendance aux énergies fossiles permettant de mettre en place les deux axes sus-cités. Cette électrification passe par une relance de l’industrie nucléaire – dont la contribution à la décarbonation est évidente, car tout miser sur les énergies renouvelables serait un pari risqué et très certainement perdant. L’ouvrage rappelle à juste titre que, plus que les limites physiques, ce sont aujourd’hui les limites humaines qui font défaut en matière nucléaire, tant les politiques de stop-and-go des deux dernières décennies ont nui à la formation et à l’accumulation des nécessaires compétences. L’auteur rappelle par ailleurs, à raison, que ce sont les pays les plus dirigistes et constants dans leurs efforts qui ont les meilleures perspectives du point de vue de la production d’électricité nucléaire : la Chine et la Russie aujourd’hui, mais aussi la France il y a plus d’un demi-siècle par exemple.
En ce qui concerne l’énergie, par exemple, la totalité des ménages devra progressivement, d’ici à 2050, renoncer au gaz et convertir sa consommation énergétique en électricité. Les entreprises dont l’activité dépend des énergies fossiles devront se transformer également et muter vers d’autres secteurs. Des fermetures de stations-services devront s’imposer pour réaliser de réels changements dans les habitudes des individus, les obligeant à se tourner vers l’électrique. De la même manière, les mobilités quotidiennes, professionnelles ou personnelles, devront s’adapter au triptyque cité plus haut et respecter sobriété, électrification et efficacité. Cela signifie notamment que les individus devront renoncer, à terme, encouragés par l’État, à travers la législation et des subventions incitatives et le développement des infrastructures collectives, à leurs moyens de locomotion en automobile ou en avion. Cela passera par la réduction du nombre de déplacements aériens, l’augmentation des dessertes ferroviaires, des transports en commun sur de courtes distances et un accroissement de l’utilisation des vélos, même dans des situations de livraison nous dit le PTEF. L’électrification, l’encouragement du localisme et la réduction des trajets doivent permettre de réaliser un certain nombre d’activité qui, aujourd’hui, sont impensables en dehors des véhicules motorisés.
L’ambition du PTEF est donc affichée. Chaque secteur concerné se voit être l’objet d’importants bouleversements, avec la nécessité de garantir ces transformations le plus rapidement possible. Le PTEF, pour fonctionner, se doit ainsi d’être considéré dans son intégralité et s’inscrire dans la durée. En effet, Jean-Marc Jancovici notait qu’il était impossible de « classer, hiérarchiser et ne pas comprendre ce qu’est un système et que dans un système le tout peut dépendre à la fois de plein de composants du système et qu’il faut s’occuper de tous les composants à la fois. » S’il est mis en place dès ce quinquennat les objectifs affichés sont ceux d’une réduction de 5% des émissions de gaz à effet de serre par an. Certains changements peuvent même parfois paraître foncièrement révolutionnaires, notamment dans le cadre de l’énergie et des transports puisque ces derniers doivent être fortement réduits et électrifiés afin de diminuer drastiquement la consommation des carburants liquides ou gazeux. Pour ce faire, plusieurs domaines doivent être modifiés pour que l’intrication de leurs évolutions puissent se réaliser sans intermittences.
Le PTEF se veut donc révolutionnaire en ce qu’il invite une refondation complète de nos systèmes de production et de consommation. Il a vocation à se comprendre dans son intégralité avec un objectif : entraîner le monde dans son sillage, que la France soit à la tête de ces transformations et qu’elle serve de modèle à d’autres pays par la suite. Cette ambition, portée par un auteur qui revendique sa qualité d’ingénieur et est peu suspect de sympathie pour l’univers technocratique et politique, trace-t-elle une voie sûre pour notre avenir ? On peut regretter que les déclinaisons affichées ne laissent que peu de place à la question des moyens de l’action publique : quid de l’organisation de la planification ? Quid de la définition des politiques de moyen et de long terme et de leurs instruments humains et financiers ? Par quels moyens les pouvoirs publics pourront-ils peser sur l’opinion et les grands acteurs de la transformation, en premier lieu les entreprises ? Le chapitre « Mobiliser les finances publiques et l’épargne » laisse aussi un peu sur sa faim. L’atout de cet ouvrage est dans la vision globale qu’il apporte dans des domaines dans lesquels il est nécessaire d’agir. Une suite sur les moyens effectifs de cette action reste nécessaire. Un nouveau défi pour celui qui se présente volontiers comme un intrus dans le débat public ?
S'inscire à notre lettre d'informations
Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.