L’autonomie des établissements scolaires, un remède à la crise de notre système éducatif ?

Note de lecture de l’ouvrage de Monique Canto-Sperber Une école qui peut mieux faire (Albin Michel, 2022), par Souâd Ayada, correspondante de l’Académie des sciences morales et politiques, ancienne présidente du Conseil supérieur des programmes.

Dans Une école qui peut mieux faire, Monique Canto-Sperber propose en plus de deux cents pages d’une argumentation serrée un « plaidoyer pour l’autonomie ». Partant de constats communément partagés – notre école a des résultats médiocres, elle n’assure plus la promotion des individus au sein de la société française et elle reproduit, voire renforce les inégalités – elle démontre que l’autonomie, tout à la fois un principe effectif d’organisation des écoles, des collèges et des lycées, et un défi culturel pour la France, peut

Des définitions et des clarifications sont nécessaires pour surmonter les confusions et les malentendus qui font de l’autonomie scolaire un tabou dans notre pays. La première partie du livre établit le type d’autonomie qui convient aux établissements scolaires publics dont le statut est déterminé par la loi : une autonomie de gestion des moyens alloués par l’État qui concerne aussi bien les ressources humaines que les ressources budgétaires ; une autonomie de choix s’agissant de la stratégie déployée et des méthodes pédagogiques utilisées. Un établissement scolaire autonome pourrait ainsi recruter ses employés et ses professeurs et il serait en mesure de les rémunérer. Il aurait, en outre, la liberté de décider du rythme des apprentissages, de la composition des classes ou des modes d’évaluation des acquis de ses élèves.

De toute évidence, les établissements scolaires français ne remplissent pas ces critères. Plus significatif encore est le destin de la notion d’autonomie, devenue en France un sujet polémique qui concentre des revendications idéologiques. Pourtant, une étude approfondie de notre histoire scolaire révèlerait la présence continue d’une aspiration à l’autonomie dès la fondation de l’école républicaine. Monique Canto-Sperber restitue le fil de cette exhortation constante à l’autonomie qui, selon elle, a pris une part considérable dans les transformations apportées à l’enseignement secondaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Pour que chaque lycée « reçoive une physionomie propre et pour que son personnel trouve des raisons de s’y intéresser et de s’y attacher [1] », il doit disposer d’une « autonomie suffisante », soutient-on au ministère de l’Instruction publique en 1902. Les fondateurs du républicanisme « vantaient les autonomies locales, les initiatives et adaptations », rappelle l’auteur (p.48). Leurs convictions libérales ont permis à l’école de faire face à l’accroissement du nombre d’élèves après 1945 et de faire droit aux nouvelles idées pédagogiques qui se sont imposées à la fin des années 1960. Elles animent encore, dans les dernières décennies du XXe siècle, des dispositions législatives et des modalités de l’action publique scolaire. Ainsi, la création en 1985, par le ministre Jean-Pierre Chevènement, du statut d’établissement public local d’enseignement (EPLE) pour tous les collèges et lycées serait la preuve de la compatibilité entre l’exigence républicaine et le souci de conférer une certaine autonomie à nos établissements d’enseignement secondaire.

Ce mouvement politique et législatif en faveur de l’autonomie scolaire est cependant resté insuffisant et il a été suivi de peu d’effets. Monique Canto-Sperber résume la situation en une formule éloquente : « Des belles paroles et des verrous partout » (p.78). C’est pourquoi elle s’efforce, dans la troisième partie, de démontrer les bienfaits de l’autonomie, meilleur moyen pour surmonter les résistances françaises en la matière. Trois raisons sont présentées pour justifier sa mise en œuvre effective : l’autonomie permet de remédier aux insuffisances du système scolaire, c’est-à-dire de lutter efficacement, d’une part, contre la baisse des résultats des élèves et l’augmentation des inégalités, de conjurer, d’autre part, le malaise des enseignants et des personnels de direction qui se sentent peu considérés au sein de la société ; l’autonomie garantit la pluralité de l’offre éducative et satisfait ainsi un désir des familles qui rejoint une aspiration démocratique ; l’autonomie favorise l’engagement des familles et de la société pour l’école et dans l’école.

S’inspirant, dans la quatrième partie, de « retours d’expérience » et des enseignements dispensés par les pays (notamment la Suède, les États-Unis et l’Angleterre) qui ont fait le choix de l’autonomie scolaire, Monique Canto-Sperber peut résumer son propos en un plaidoyer final, « Pour l’autonomie des écoles publiques françaises ». Trois aspects sont constitutifs de l’autonomie à l’école : le contrat, l’autonomie pédagogique et l’autonomie de gestion incluant la gestion des ressources humaines. Les dernières pages de la cinquième et dernière partie énoncent les principes qui doivent orienter la mise en œuvre de l’autonomie des établissements scolaires français. Un contrat d’établissement, agréé avec l’État et les collectivités territoriales compétentes, fixe le cadre de cette autonomie qui ne saurait être une indépendance. Ce contrat prend la forme d’un contrat d’objectifs, de stratégies pédagogiques, de moyens pédagogiques, de gestion et de ressources humaines. L’exercice de l’autonomie exige qu’un contrôle a posteriori soit effectué par l’État qui doit donc disposer des outils et des moyens pour une évaluation appropriée. Enfin, des « lignes rouges » – l’introduction de frais de scolarité, la contestation des valeurs républicaines ou la défense d’une orientation religieuse par exemple – ne doivent pas être franchies.

Dans Une école qui peut mieux faire, le principe de l’autonomie s’offre comme une solution, et non la solution, pour remédier à quelques maux, et non à tous les maux, du système scolaire français. Le premier mérite du livre dont les limites sont ainsi clairement fixées est de nous rappeler, chiffres à l’appui, l’état médiocre de notre école et de proposer des analyses originales qui éclairent notre incapacité à renouveler nos représentations et nos pratiques en matière éducative. Désarroi profond face à l’inéluctable massification, baisse continue des résultats des élèves français aux évaluations internationales, enseignants déprimés et désarmés devant l’échec et le décrochage scolaires sont quelques aspects d’un malaise général que des dispositions en faveur d’une plus grande autonomie pourraient atténuer, soutient Monique Canto-Sperber. Celle-ci souligne, à juste titre, la forme d’anarchie « que sécrète obligatoirement le centralisme bureaucratique » (p.60) et montre comment une marge d’initiative laissée à des acteurs qui, dès lors, se sentiraient plus responsables du destin de leurs élèves et de celui de leur établissement, permettrait sans doute à chacun de mieux accomplir les missions que lui confie la nation. Son propos présente par ailleurs l’intérêt de dévoiler au grand jour l’arrière-plan théorique qui guide bien des facettes de la politique éducative déployée en cette rentrée scolaire [2]. Monique Canto-Sperber ne cache pas le soubassement philosophique auquel s’arrime sa réflexion : un engagement libéral assumé se conjuguant avec les vues de la deuxième gauche.

À la fin de l’introduction, Monique Canto-Sperber adresse au lecteur de son livre une demande : qu’il « lise ce qui suit sans préjugés, les yeux ouverts sur la réalité » (p.23). C’est dans cette disposition d’esprit que je souhaite développer quelques réflexions nées d’une lecture fort stimulante.

Mon interrogation portera tout d’abord sur ce lieu commun du discours critique sur notre école que l’on présente trop souvent comme la description d’un état de fait : le système scolaire français est l’un des plus inégalitaires de tous les pays de l’OCDE. Monique Canto-Sperber n’échappe pas à cette tendance qui, transformant une perspective analytique en un miroir sans filtre de la réalité, fait des inégalités le mal scolaire français par excellence, celui qui doit concentrer tous les combats et tous les moyens. Elle reconduit les analyses communément produites après chaque évaluation internationale : si les élèves français obtiennent des résultats si décevants, c’est qu’ils sont les produits d’une école très inégalitaire. On attendrait sans doute, pour comprendre ces faibles résultats, une analyse poussée des contenus des enseignements, des pratiques des professeurs, des méthodes pédagogiques, des dispositions et du niveau des élèves. On voudrait surtout que soit clarifié un poncif peu intelligible et qui charrie de grandes confusions. C’est qu’une interprétation littérale porterait à croire que notre école traite de manière inégale les élèves en fonction de leur milieu social et que, loin de contenir les inégalités sociales de naissance, elle les reconduit, les installe et même les augmente. On ferait alors peu de cas des immenses efforts consentis par la nation, des moyens considérables alloués et des très nombreux dispositifs mis en place depuis des dizaines d’années pour soutenir les élèves défavorisés.

Que veut-on dire exactement en qualifiant l’école publique française d’inégalitaire ? S’il va de soi que le partage de l’égalité et de l’inégalité a toute sa pertinence dans la vie sociale et politique – des individus et des citoyens sont égaux et ils peuvent appartenir à des organisations ou subir des traitements qui introduisent de l’inégalité entre eux – est-il pertinent d’appliquer un tel partage pour analyser la réussite ou l’échec scolaires d’élèves ? Le prisme de l’égalité permet-il de saisir la mission fondamentale de l’école et d’appréhender les nombreux maux dont elle souffre ? On s’étonnera, à cet égard, du silence porté sur certains maux qui frappent notre école, non moins graves pour la France et qu’un discours convenu sur les inégalités ne saurait effacer. La maîtrise très insuffisante de la lecture, de l’expression écrite et du raisonnement mathématique élémentaire par un grand nombre d’élèves au terme de leur scolarité obligatoire, la crise du recrutement des professeurs, le déclin de l’enseignement du grec et du latin sont autant de failles du système scolaire français qui ne retiennent pas beaucoup l’intérêt de Monique Canto-Sperber.

La révélation que notre système scolaire est des plus inégalitaires nous est fournie par les évaluations et les comparaisons internationales. C’est là un autre totem que je voudrais analyser, non pour contester le fait que nos élèves se plient, comme les autres, à des évaluations, mais pour mettre en perspective les enseignements qu’il faudrait tirer des résultats des évaluations. Surmonterons-nous les difficultés de nos élèves en appliquant ce que font les pays dont les élèves réussissent ? La démarche s’apparenterait à l’utilisation de recettes abstraites qui n’aurait que peu d’effets. Nous prenions pour modèle il y a quelques années la Finlande, c’est aujourd’hui la Suède qui semble recueillir les faveurs de Monique Canto-Sperber. Mais qu’y a-t-il de comparable entre la France et la Suède ? Tout système scolaire a un présent et en ce sens il s’articule à un choix singulier de société, à une situation historique déterminée et à une politique particulière. Mais il a aussi un passé qui le façonne et qui façonne, dans le cas de la France, un imaginaire peu propice, en vérité, aux révolutions scolaires. C’est dire les limites des comparaisons quand elles servent à des transpositions qui, comme des greffes mal fabriquées, ne sauraient prendre, chaque pays faisant de son école le moyen de continuer son histoire, de s’adapter à son moment politique et géopolitique, et de viser une ambition nationale. C’est dire aussi leurs vertus quand elles nous poussent à faire preuve de volonté politique et à puiser dans les ressources propres de notre modèle scolaire et social les moyens de remédier à la baisse constante du niveau scolaire de nos élèves qu’elles nous révèlent de manière indiscutable.

Monique Canto-Sperber entrevoit dans l’uniformisation de l’enseignement l’une des causes du recul du système scolaire français et de son caractère inégalitaire. Sans que l’on sache ce qu’elle entend par uniformisation et uniformité – vise-t-elle les programmes scolaires, les méthodes pédagogiques, les pratiques de l’enseignement ? –, elle dresse un portrait sans nuance des établissements français et de ce que font les professeurs dans leurs classes. Il n’est pas exact d’affirmer que toutes nos écoles se ressemblent et que règne dans nos classes un morne ennui expliquant le désintérêt et l’échec de nos élèves. Quand bien même voudrait-on uniformiser nos établissements et nos élèves, la réalité scolaire se chargerait d’apporter un échec cuisant à ce désir sordide. Il suffit de mettre le pied dans un collège du 7e arrondissement de Paris et de se rendre ensuite par le métro dans un collège de Saint-Denis pour éprouver l’inexistence de cette prétendue uniformité. Celle-ci a les traits des lieux communs auxquels s’abreuvent les critiques faciles de l’école française. Sa condamnation évite de s’interroger sur les raisons de l’angoisse éprouvée par un grand nombre de parents, que leurs enfants ne reçoivent pas le même enseignement que ceux qui habitent dans des contrées plus favorisées, parce qu’ils vivent dans des régions périphériques, reculées ou déshéritées. Ce qui gît réellement dans le désir d’uniformité, c’est le désir d’égalité. Monique Canto-Sperber, pourtant si soucieuse de combattre les inégalités, prête une oreille très flottante à ce désir modeste d’égalité. Une désinvolture similaire la conduit à traiter avec un certain mépris ces bons élèves qui, en faisant effort pour assimiler des connaissances et réussir des examens, manifestent surtout « une aptitude au conformisme et au mimétisme » (p.21), écrit-elle.

Monique Canto-Sperber s’efforce d’inscrire l’autonomie dans le mouvement qui a configuré l’école en France. Elle propose une lecture intéressante de l’histoire française des idées scolaires qui appelle quelques commentaires. Des réserves tout d’abord sur la distance, voire la rupture qu’elle introduit entre le modèle scolaire qui se construit sous la IIIe République et l’origine napoléonienne de ce modèle tel que le porte l’Université impériale. On pourrait tout aussi bien soutenir que les tendances libérales de certains courants du républicanisme n’ont fait qu’accomplir et ajuster ce qui était en germe dans le projet napoléonien. Mais l’essentiel réside ailleurs, dans la confusion pure et simple qu’elle opère entre ce que des tenants de l’école républicaine pouvaient entendre sous le mot d’autonomie et ce qu’elle signifie aujourd’hui pour nous. Il y a là un effet d’homonymie qui prête à confusion et fait peu de cas des différences historiques. Le même effet d’homonymie obscurcit l’éloge de l’esprit libéral que prononce l’auteur dès lors qu’on tient compte des représentations que nous associons aujourd’hui à la notion de libéralisme. Il y a quelque chose de paradoxal à mettre en avant l’esprit libéral des fondateurs du républicanisme scolaire sans souligner d’abord leur effort acharné, par bien des aspects dirigiste et étatiste, pour faire de l’école la cause de la nation, partout sur le territoire français. Il est surtout étonnant que ne soient pas rappelées quelques données de fait : la France de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle se caractérisait par son homogénéité, homogénéité de son corps social et entre ses territoires qu’aucune disposition d’autonomie locale ne venait ébranler. On pouvait ainsi introduire des modulations à l’échelle de chaque établissement sans compromettre la cohésion de l’ensemble du système scolaire. Cette cohésion, qui n’est pas sans rapport avec l’uniformité si décriée par Monique Canto-Sperber, était la fin visée par l’école, et l’autonomie un moyen pour l’atteindre. Si nous nous méfions de l’autonomie, c’est parce que nous ne savons plus quelle est la destination de notre école. Et nous craignons, non sans raisons, qu’un moyen qui ne s’arrime plus à une fin ne finisse par faire office de fin. Si nous sommes réticents à voir fleurir ici et là des écoles libres, c’est que nous estimons, non sans arguments, que cela accentuera le devenir archipel de la France.

Monique Canto-Sperber veut concilier l’esprit libéral qui l’anime avec les principes qui fondent l’école en France. Ce faisant, elle se rend insensible à ce qui peut heurter un esprit républicain. C’est d’abord un vocabulaire qui le met mal à l’aise, quand des mots comme performances ou compétences viennent remplacer ceux de réussite et de progrès, ceux de connaissances et de culture, quand il va de soi qu’il faut répondre par une offre éducative variée au libre choix des parents, quand on conçoit la formation des élèves sur le modèle de l’acquisition de compétences professionnelles. C’est aussi la disparition de l’autorité du savoir et de la parole professorale qui le frappe. C’est enfin les contours d’une nouvelle école qu’il distingue où l’éducation et l’instruction d’un citoyen éclairé passe au second plan, après la préparation d’individus parfaitement adaptés à la société du travail. Assurément, notre école ne doit pas détourner les jeunes gens du monde tel qu’il va et elle doit donner le goût du travail et aiguiser la volonté de trouver sa place dans la société. Elle n’est cependant pas un instrument d’adaptation et de normalisation, sa vocation étant de renforcer, par l’exercice désintéressé du jugement, le sens humain de la liberté.

Pour Monique Canto-Sperber, l’autonomie constitue un levier privilégié pour changer en profondeur notre système scolaire. Elle est la cause ou elle s’accompagne de dispositions et de réformes qui sont explicitement exposées dans le livre : une rénovation de la formation des enseignants appelés à devenir un « personnel formé à l’autonomie et capable de s’adapter aux changements » (p.61) ; la capacité, dans chaque établissement, de « définir une bonne part du contenu de l’enseignement dans le cadre de lignes générales formulées au plan national » (p.61) ; une révision des missions des chefs d’établissement qui ne seront plus seulement des administrateurs, des pilotes pédagogiques, mais deviendront aussi des animateurs, des managers et des recruteurs. Ces orientations, loin d’être anodines, éclairent les réticences de tous ceux qui, bien que séduits par l’idée d’introduire une part d’autonomie dans les établissements scolaires, n’ont pas voulu de tous les concomitants de l’autonomie. La réserve française ne tient pas à une quelconque frilosité qui voudrait que l’on mette des verrous partout. Elle s’explique si l’on veut envisager sérieusement les modifications radicales qu’induit la mise en œuvre de l’autonomie, bouleversements que Monique Canto-Sperber se garde de présenter : une redéfinition complète des missions des professeurs qui posera la question de la pertinence du maintien des concours de recrutement, ou tout au moins de leur forme ; une modification considérable du métier des personnels de direction ; une transformation des programmes scolaires en curricula fixant des objectifs généraux et un cadre de compétences à acquérir ; une mise en question de la pertinence des examens nationaux ; une conception de la liberté pédagogique qui la confond avec l’utilisation de pédagogies alternatives.

On peut se demander si Monique Canto-Sperber prend toute la mesure des critiques que l’on est en droit de formuler à l’encontre de ces dispositions incontournables en régime d’autonomie scolaire. Il est hasardeux, en effet, de prêter une si faible attention à l’attachement qu’ont les Français pour des programmes scolaires exigeants que traitent tous les élèves d’un même niveau, guidés par des professeurs dont la maîtrise intellectuelle de ce qui fait la matière de leur enseignement est académiquement reconnue. Il n’est pas sûr que les pédagogies alternatives soient préférées aux pédagogies ordinaires mais qui ont fait la preuve de leur efficacité. À cet égard, l’adhésion de l’auteur aux propositions scolaires libertaires de Gabriel Cohn-Bendit et sa tendance à faire de ces vues pédagogiques très contestables une forme modélisatrice de l’école autonome de demain laissent le lecteur bien perplexe.

La mise en œuvre de l’autonomie dans les écoles exige des pouvoirs publics qu’ils puissent procéder à des évaluations, pour s’assurer que la mission de service public est bien remplie et pour vérifier que les termes du contrat sont respectés et les objectifs atteints, ou tout du moins visés. Monique Canto-Sperber n’envisage pas sérieusement les effets délétères de la machinerie technocratique qu’implique l’évaluation telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Elle n’interroge pas l’imaginaire scientiste qui se substitue progressivement à l’effort de compréhension seul à même d’expliquer des phénomènes humains. Elle ne s’attarde pas sur les difficultés immenses qui vont avec la conception et la conduite d’une évaluation. Tout se passe comme si l’autonomie des universités voulue par le législateur en 2007 devait maintenant régler le fonctionnement des établissements scolaires. Mais cette translation va-t-elle de soi ? S’est-on assuré des bienfaits de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ? A-t-on constaté une élévation du niveau des étudiants et une amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé ? La situation de nos universités depuis près de quinze ans suggère quelques réflexions : l’autonomie a introduit le modèle managérial et entrepreneurial dans une organisation qui voyait son personnel administratif s’accroître, et avec lui la bureaucratie ; des établissements autonomes qui revendiquent leur politique propre ne se reconnaîtront pas forcément dans la politique nationale que voudrait, peut-être, conduire un ministère chargé de l’enseignement supérieur.

Monique Canto-Sperber ne fait pas mystère de son engagement libéral au sein de GénérationLibre et de son implication dans les débats de la deuxième gauche organisés par la revue Esprit. Dans Une école qui peut mieux faire, elle présente avec sincérité une conviction : l’école française souffre d’un manque de liberté qui entrave ses possibilités, inhibe ses initiatives et la rend inégalitaire. Cette conviction est libérale et elle est de gauche par sa sensibilité à la question de l’égalité. Si elle n’est pas réfutable par principe, elle peut être ébranlée par l’épreuve de la réalité. Celle-ci nous donne à voir non pas une école bridée qui ramène tout à l’uniformité mortifère, mais une école décomposée qui n’éduque plus et n’instruit plus, une école où l’usage des libertés ne s’articule plus au souci de ce qui est commun. Les convictions qui m’animent et qui ne se réclament d’aucune étiquette politique me portent à penser que notre école souffre d’un manque de République, du manque de la chose publique, manque que le désir d’autonomie se condamne à rater.

Mais n’opposons pas des idées à des idées. Les vues libérales de Monique Canto-Sperber configurent une utopie scolaire qui se veut constructive [3]. Notre école a-t-elle besoin d’utopies ? Ne convient-il pas de partir des faits qui font aujourd’hui la réalité de notre école et, en bonne philosophie, de poser les termes nombreux d’un problème complexe ? La tâche est ingrate, assurément, et elle rend suspecte toute solution séduisante qui s’imposerait trop vite.

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[1] Ce passage est extrait de la lettre adressée par le ministre de l’Instruction publique au président de la Commission de l’enseignement de la Chambre des députés, en janvier 1902. Voir note 8, p. 242.
[2] Nous pensons au projet d’écoles du futur lancé à Marseille.
[3] S’agissant des réflexions sur l’école, Monique Canto-Sperber n’est pas indifférente à l’« utopie constructive » qui se forme au sein du mouvement de pensée libérale porté par Alain Madelin. Voir p. 64-67.

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