Note de la Fondation Res Publica, par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation, et Benjamin Morel, président de son Conseil scientifique, janvier 2022.
C’est pour tenter de répondre à ces questions que la Fondation Res Publica a organisé, le 22 septembre 2021, un colloque sur le thème « Quelles institutions pour demain ? ». Réunissant Jean-Pierre Chevènement, Marie-Françoise Bechtel, Bertrand Matthieu, Stéphane Rozès et Benjamin Morel, ces travaux ont conduit à dégager un certain nombre de propositions. Elles portent aussi bien sur le temps long qu’il est nécessaire de donner à l’exécutif que sur la revalorisation du Parlement, enfant pauvre de la Vème République. Ce qui guide les propositions qui suivent est la nécessité de permettre aux Français de réancrer leur imaginaire national dans des institutions qui ne soient pas la coquille vide de la souveraineté nationale, mais permettent à celle-ci de véritablement s’exprimer.
Trois grands sujets encadrent ce qui devrait être une rénovation de la Vème République.
Le quinquennat a, depuis 2002, eu pour conséquence de transformer les élections législatives en confirmation de la présidentielle. Le dispositif avait pour objectif de remédier au risque d’une cohabitation. Or non seulement nos institutions avaient parfaitement digéré la cohabitation, mais qui plus est ce n’est pas cette dernière qui a entraîné la désaffection des Français envers le monde politique. L’enchevêtrement des calendriers a en revanche eu des effets délétères. Pourquoi ? D’abord parce que le quinquennat a accéléré le temps politique et fait perdre au président son rôle de garant des intérêts du pays sur le temps long. Ensuite parce que simultanément le débat politique a perdu la boussole d’une alternance véritable : les partis totalement subordonnés au destin politique de leur chef sont devenus des bureaucraties pourvoyeuses à tour de rôle d’élus alignés sur le programme présidentiel. Qui plus est ce système fermé s’est installé au moment même où la subordination des intérêts nationaux aux impératifs de la mondialisation ont eu pour effet de rendre les grands partis de gouvernement plus proches qu’ils ne l’avaient jamais été. Disons les choses comme elles sont : le quinquennat accompagné de l’encadrement mondial des idéaux nationaux, sans débat véritable ni remise en cause possible ont tué l’espoir, normal en démocratie, d’une véritable alternative politique.
Le président de la République est devenu un super Premier ministre appelé sur tous les fronts, gérant le quotidien parfois au jour le jour, très loin de l’idée que se faisait de sa fonction le promoteur de la Vème République. C’est pourquoi d’ailleurs une « VIème République » ne répond aucunement au problème central qui est la défiguration de la Vème République. La prise en charge d’un projet pour la France, mobilisant l’imaginaire national et l’adaptant aux défis du temps ne peut être acquise par un retour au régime d’assemblée, encore moins par la désignation d’élus tirés au sort au mépris du véritable détenteur de la souveraineté nationale qui est le peuple.
Il est donc proposé de revenir au septennat ou d’instituer un sextennat avec un mandat de député de 5 ans ou de 4 ans, en tout cas déconnecté du mandat présidentiel, pour réintroduire une respiration démocratique avec une majorité confirmant ou infirmant, à son rythme propre, le programme présidentiel.
II- Revivifier le Parlement qui doit être un vrai lieu de débat et de contrôle de l’exécutif est la seconde mesure essentielle.
Si nous pensons que le retour à un régime d’assemblée substituerait le désordre à l’enrégimentement, la fonction parlementaire n’en doit pas moins à nos yeux retrouver sa dignité, sa force et sa crédibilité. Bien entendu la déconnexion du mandat parlementaire et du mandat présidentiel proposée ci-dessus est un facteur essentiel de libération du débat. Il faut y aider par les mesures suivantes :
A/ Revenir sur la fin du cumul des mandats pour les maires de communes à la population inférieure à 20 000 habitants
La fin du cumul des mandats a éloigné les parlementaires du terrain. Sans attache locale, ces derniers sont encore plus dépendants pour leur réélection de leur parti et, pour ceux issus de la majorité, du président de la République, limitant leur rôle et leur autonomie. Sans lien avec le tissu politique local, ils ne peuvent plus jouer un rôle d’intermédiaire entre le gouvernement et les collectivités. Mal informés de la situation dans leur circonscription, ils n’en comprennent pas toujours les maux et ne peuvent pas toujours jouer leur rôle de relais des problèmes du pays. S’il est évident qu’être président d’une région, d’un département ou maire d’une grande ville ne peut laisser le loisir d’un mandat parlementaire, il n’en va pas de même pour une commune de moins de 20 000 habitants. Il convient d’ailleurs et simultanément de limiter le nombre de mandats locaux à trois pour éviter le poids excessif, y compris dans la durée de véritables potentats locaux, surtout à l’heure des intercommunalités, fabriques de pouvoir centralisé tenant en lisière les élus.
B/ Revenir sur la session unique au profit de deux sessions annuelles
Pensée pour faciliter le travail des parlementaires, la session unique de septembre à juin ou juillet (en cas de session extraordinaire, en fait devenue la règle), instituée en 1995, n’a conduit qu’à étouffer le travail parlementaire. Le rôle du député dans sa circonscription, nécessaire pour prendre le pouls du pays et éclairer le législateur, s’en est vu, lui, fort affecté. Il est donc nécessaire de revenir à deux sessions annuelles de trois mois. Mais cette réforme suppose qu’il soit mis fin à l’inflation normative qui obère la quasi-totalité de l’activité du député – pour celui qui veut réellement participer au vote de la loi – et tient les autres écartés de l’hémicycle afin de ne pas se couper du territoire sur lequel ils ont été élus.
Or cette dernière réforme, indispensable, est également difficile.
Le nombre de textes votés au Parlement n’a cessé d’aller croissant. Les lois sont par ailleurs votées de plus en plus vite, ce qui ne favorise guère la qualité du droit. Il conviendrait donc de créer une commission composée de représentants de l’exécutif et du Parlement, ayant explicitement pour mission de réduire le nombre de dispositions législatives existantes. Une autre possibilité serait de donner mandat à la commission de codification de rédiger un projet soumis au Parlement et ayant pour fonction d’expurger les textes. Une mission certes difficile…
C/ Un Parlement contrôlant véritablement ce qui est de sa compétence
Si les mesures proposées ci-dessus sont de nature à rendre aux représentants élus de la nation un vrai rôle dans la définition des politiques publiques, il faut aussi qu’une confiance retrouvée dans la fonction parlementaire s’exerce dans tous les domaines où le Parlement est compétent.
Or le Parlement dispose aujourd’hui de pouvoirs non négligeables pour faire respecter l’articulation du droit national et du droit européen (principe de subsidiarité). Les dispositions de l’article 88-6 de la Constitution, lui permettent de saisir directement les institutions européennes pour manquement à ce principe. Toutefois les parlementaires font un usage très timoré, pour ne pas dire inexistant, de cette possibilité. Aussi, un débat obligatoire, suivi d’une saisine, devrait-il être organisé en cas de demande du gouvernement ou de 500 000 citoyens s’exprimant par voie de pétition.
D/ Augmenter les moyens de chaque député
Malgré une idée reçue tenace, le Parlement français n’est pas si richement doté en moyens. Le budget de l’Assemblée nationale représente à peu près l’équivalent de celui de la commune de Bordeaux. Il est donc nécessaire de donner plus de capacité d’action aux parlementaires à l’instar de ce que font les démocraties britannique et américaine pour assurer un meilleur travail législatif et une évaluation plus efficace des politiques publiques. Cela n’implique pas d’augmenter les indemnités des députés, mais de doubler le financement affecté au recrutement de collaborateurs (contrôlé par le bureau de l’assemblée). Une telle augmentation devrait leur permettre d’employer cinq assistants de qualité pour les aider dans leurs tâches au service de la démocratie.
E/ Renforcer le pouvoir du bureau des assemblées en cas de manquement des députés
Afin d’assurer un strict respect de la déontologie des parlementaires, il conviendrait de confier des pouvoirs étendus de contrôle en la matière au Bureau des chambres. La loi organique relative au fonctionnement des assemblées devrait être modifiée et précisée pour permettre à cet organe de saisir le Conseil constitutionnel en vue d’une démission d’office lorsqu’un élu, que ce soit à la suite d’une infraction constatée par la HATVP ou d’une investigation interne, n’a pas exercé son mandat de manière régulière. Une telle démarche serait bien entendu incompatible avec une procédure judiciaire, de la même manière qu’aucune commission d’enquête des assemblées parlementaires ne peut interférer avec une procédure judiciaire en cours. Une telle réforme serait susceptible de rendre confiance au citoyen sans conduire à des empiétements du juge contraire à la séparation des pouvoirs.
III/ Rendre ses couleurs à l’exercice de la souveraineté populaire :
– En distinguant clairement ce qui relève du politique de ce qui relève du juge
La Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont fondé la République en faisant du citoyen le détenteur de la souveraineté. Cela signifie que les décisions politiques et les décisions prises par des responsables politiques ne sont comptables que devant le citoyen par la voie des urnes et non devant le juge par la voie de saisine de groupes, associations ou personnes. Cela signifie aussi que lorsqu’une loi a été votée il ne devrait pas appartenir au juge d’en écarter l’application.
Le droit européen joue un rôle croissant dans notre ordre juridique. Cette multiplication des normes conduit à l’augmentation des contradictions entre les sources européennes et le droit national. Or la jurisprudence administrative et judiciaire ainsi que l’attitude générale du Conseil constitutionnel entraînent aujourd’hui la soumission de l’ordre juridique interne vis-à-vis de l’ordre juridique européen. Notre droit (contrairement au droit allemand) est donc sous tutelle. Sans nier la réalité d’un ordre juridique européen cohérent, un organe de résolution des conflits entre droit européen et droit interne gagnerait à être mis en place. Il pourrait être saisi par le gouvernement et par le Parlement.
Il convient en tout cas, de cette manière ou d’une autre, de redonner des instruments au politique face au juge pour mettre fin à une confusion des pouvoirs qui nuit à un vrai débat démocratique.
Au-delà, la notion d’identité constitutionnelle de la France dégagée par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle des directives a aujourd’hui un contenu bien timide. Elle est toutefois nécessaire pour que le droit européen s’applique dans le respect de la tradition constitutionnelle des États membres. Afin de pousser le Conseil à exercer en la matière un contrôle plus efficace, il convient de donner plus de substance à la notion d’identité constitutionnelle, notamment en l’inscrivant dans la Constitution et en lui insufflant du contenu. Il conviendrait ainsi de la lier à la notion de service public et de ses grands principes (égalité, continuité).
– En rendant portée et utilité au référendum
A/ Sur nos engagements européens
Après la victoire du « Non » au référendum sur le traité constitutionnel européen, suivi de sa ratification permise par une modification de la Constitution par les seuls parlementaires réunis en Congrès, quelque chose s’est brisé entre le peuple et ses représentants. Les traités européens engagent par ailleurs de plus en plus la France sur la voie d’un partage croissant de l’exercice de sa souveraineté. Un tel mouvement réduit le champ de la délibération démocratique. Si tant est que l’on considère ces évolutions comme légitimes, elles ne peuvent l’être qu’avec l’assentiment du peuple souverain. Ainsi, comme c’est déjà le cas en Irlande, toute ratification d’un traité européen devrait fait l’objet d’un referendum.
B/ En permettant l’initiative populaire :
Réforme qui appelle une vraie réflexion quant aux sujets et aux conditions de participation et qui doit être envisagée en évitant les écueils du lobbyisme et de la pression antiparlementaire. Elle devrait permettre un seuil de déclenchement de 500 000 signatures (comme en Italie) dans le cadre d’une initiative partagée avec le Parlement (un cinquième des parlementaires).
Synthèse des six propositions de la Fondation Res Publica pour une Vème République rénovée
1. Un septennat ou un sexennat présidentiel avec un mandat de cinq ou quatre ans pour l’Assemblée nationale
2. Deux sessions parlementaires annuelles de trois à quatre mois chacune, accompagnées d’une restriction drastique du flux législatif
3. Permettre le cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat de maire (jusqu’à 20.000 habitants dans la commune) et réduire le cumul des mandats locaux
4. Augmenter les moyens de travail des députés avec cinq collaborateurs pour chacun
5. Donner au bureau de chaque assemblée un meilleur pouvoir de contrôle en cas de manquement grave du parlementaire pouvant aller jusqu’à la démission d’office en cas d’inobservation grave des règles déontologiques
6. Un meilleur exercice de la souveraineté :
– par un véritable contrôle du Parlement sur la subsidiarité en matière européenne
– par la création d’un organe chargé des conflits entre loi nationale et norme européenne
– par l’obligation de passer par un referendum pour tout engagement européen par la possibilité d’un referendum d’initiative populaire sur de grandes questions intéressant la vie de la nation.
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