Le nucléaire civil, une industrie d’avenir

Note de lecture de l’ouvrage de Cédric Lewandowski, Le Nucléaire (Que sais-je ?, 2021), par Guillaume Servant.

Dans cet ouvrage synthétique et éclairant, Cédric Lewandowski, directeur exécutif d’EDF et directeur du Parc Nucléaire et Thermique, propose un panorama de la situation du nucléaire civil dans le monde. Du fait de ses atouts nombreux, l’énergie nucléaire est selon lui devenue une source d’énergie incontournable dans la lutte contre le changement climatique. C’est aussi un outil de souveraineté majeur qu’il importe de défendre par des décisions courageuses, en France mais aussi à l’échelle européenne.

Certains pays, à l’instar de la Belgique, de l’Allemagne ou encore de la Suisse, ont fait le choix, pour des raisons idéologiques et politiques, de sortir du nucléaire. Il existe néanmoins un essor régulier du parc nucléaire mondial comme l’explique C. Lewandowski. En 2019, on dénombrait ainsi 443 réacteurs nucléaires opérationnels répartis dans 31 pays, un nombre en hausse constante au cours des trente dernières années. Ce sont en moyenne cinq nouveaux réacteurs par an qui sont raccordés au réseau. Aujourd’hui, 28 pays étudient la possibilité de s’engager dans la voie du nucléaire civil. La production nucléaire mondiale a quant à elle augmenté de 15 depuis 2012, et représente 10,4 de la production totale d’énergie (soit 2 657 TWh). Au sein de l’UE, 27 de la production d’électricité est d’origine nucléaire, ce qui en fait la première technologie de production d’électricité.

L’ampleur des programmes adoptés par plusieurs grandes puissances en matière de nucléaire civil ne fait que confirmer le rôle central que va être appelée à jouer cette technologie de production d’énergie. La Russie prévoit ainsi une hausse de la part du nucléaire dans sa production d’électricité. Celle-ci devrait atteindre 45-50 d’ici 2050 et 70-80 d’ici la fin du siècle. Premier parc nucléaire au monde, les États-Unis ont quant à eux engagé un programme de baisse des coûts pour résister à l’essor du gaz et réaffirment l’importance du nucléaire dans leur mix énergétique. Du côté de la Chine, l’élaboration d’un programme de nucléaire civil s’est opérée plus tardivement, dans les années 1980. Depuis, l’Empire du Milieu a considérablement rattrapé son retard. Avec 48 réacteurs en exploitation aujourd’hui, et 11 en construction, le parc chinois occupe désormais la troisième place du classement mondial et devrait passer en deuxième position d’ici 2030.

Si la maîtrise de l’énergie nucléaire est essentielle pour les grandes puissances mondiales, elle l’est également pour les pays primo-accédants. La Pologne a par exemple décidé de s’engager dans le nucléaire pour accélérer sa transformation énergétique. Alors que 70 de l’énergie qu’elle produit provient du charbon, elle a en effet choisi de construire d’ici 2033 ses premières grandes centrales nucléaires dont la puissance pourra aller jusqu’à 9 gigawatts.

L’énergie nucléaire, un outil de souveraineté

Dans un contexte d’épuisement des énergies fossiles, le nucléaire est par ailleurs un outil de souveraineté indispensable aux Etats pour assurer leur indépendance énergétique, notamment en matière de production d’électricité. Ce constat est d’autant plus évident à l’aune des prévisions de l’AIE selon lesquelles la demande mondiale d’énergie devrait doubler d’ici 2030, et la consommation d’électricité croître deux fois plus vite que la consommation d’énergie. Il faut ajouter à cela l’épuisement à vitesse grand V des énergies fossiles, qui représentent encore aujourd’hui plus de 80 de la production totale d’énergie.

C. Lewandowski insiste également sur les efforts fournis par les États-Unis, la Chine et la Russie pour le développement de nouvelles technologies de nucléaire civil. Ces trois puissances soutiennent avec vigueur leur industrie nucléaire nationale, et ne cachent pas leurs fortes ambitions internationales, qui passent par une intense stratégie partenariale. L’auteur alerte dans ces circonstances sur le renforcement de la « tripolarisation » du marché international nucléaire. Il décèle dans ces stratégies de coopérations technologiques, le moyen de développer un nouveau « territoire géopolitique », et de faire naître une nouvelle dépendance – énergétique et technologique – dans la dizaine d’années à venir. « Dans cet environnement rapidement évolutif, le risque est aujourd’hui significatif pour l’Europe, et tout particulièrement pour la France, de perdre une position historique », écrit-il. La France dispose en effet du deuxième parc nucléaire mondial et du premier exploitant mondial, grâce à EDF. Framatome, en outre, est un acteur incontournable de l’industrie nucléaire sur la scène internationale. Les perspectives d’une décroissance du nombre de réacteurs en exploitation en Europe de l’Ouest, gage l’auteur, risquent d’affaiblir considérablement notre capacité à peser dans la gouvernance mondiale de ce secteur éminemment stratégique. À ses yeux, « disposer d’une industrie nucléaire civile dynamique et active, soutenue par une vision industrielle étatique permettant la maîtrise nationale d’une technologie bas-carbone de production d’électricité, est essentiel pour la compétitivité de nos entreprises et notre influence internationale. » Notons par ailleurs que l’uranium, principal combustible utilisé dans la production d’énergie nucléaire, est un métal abondant et équitablement réparti dans le sous-sol de la Terre. Si la totalité de l’uranium français est aujourd’hui importé, nos sources d’approvisionnement sont multiples et l’on trouve également ce métal au sein de l’Hexagone, notamment en Vendée et dans le Limousin, éléments que les principaux détracteurs du nucléaire oublient de prendre en compte.

Outre son apport en matière d’indépendance énergétique, l’énergie nucléaire est enfin un levier économique essentiel à notre prospérité. Comme le rappelle C. Lewandowski, la filière nucléaire française représente aujourd’hui plus de 6,7 % de l’emploi industriel nationale, 220 000 salariés travaillant dans près de 3 000 entreprises et un chiffre d’affaires avoisinant les 47,5 milliards d’euros. Les exportations d’électricité contribuent par ailleurs positivement et significativement à la balance des paiements de la France.

La nécessité de l’énergie nucléaire dans la décarbonation de notre économie

Au-delà des enjeux de souveraineté, il est devenu inconcevable d’organiser la lutte contre le réchauffement climatique sans l’appui de l’énergie nucléaire, considère l’auteur. Les différents scénarios du GIEC [1] comme de l’AIE [2] misent quasiment tous sur un mix énergétique dans lequel le nucléaire occupe une part plus que significative. C’est également en ce sens qu’abonde le récent rapport publié par RTE [3]. C. Lewandowski rappelle dans son ouvrage que le niveau d’émissions de CO2 pour produire un kWh d’électricité nucléaire est comparable à celui de l’électricité d’origine éolienne. Il est en revanche deux fois et demie plus faible que pour l’électricité solaire photovoltaïque, et respectivement 40 et 70 fois plus faible que pour l’électricité produite par des centrales thermiques à gaz et des centrales à charbon.

À l’inverse des énergies renouvelables qui induisent nombre de dépendances, notamment en métaux rares, l’énergie nucléaire est en outre économe en matières premières. L’empreinte au sol du nucléaire ramenée au kWh produit est, enfin, 100 à 500 fois plus faible que celle de l’éolien ou du solaire PV. Au regard de ces données, on mesure la nécessité d’investissements conséquents dans l’énergie nucléaire pour tenir les engagements de l’accord de Paris d’avril 2016. L’énergie nucléaire présente enfin un autre avantage lié à son coût limité, stable et prévisible. C’est cette compétitivité qui, d’après l’auteur, « permet à l’électricité française d’être bon marché en Europe : en comparaison un ménage allemand paye son électricité 70 % plus cher qu’un ménage français. »

Les défis des années à venir

Deux défis ressortent particulièrement de la lecture de l’ouvrage : la prévention des accidents nucléaire et la gestion des déchets.

L’idée selon laquelle le nucléaire serait une technologie dangereuse et incertaine est tout d’abord solidement ancrée dans les esprits. Parmi les accidents nucléaires survenus jusqu’à présent, ceux de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011 ont particulièrement fait date. L’auteur rappelle cependant que ces deux accidents ont des causes très différentes. Dans le cas de Tchernobyl, des erreurs humaines et des défaillances dans l’organisation sont à l’origine de l’incident. L’accident de Fukushima est, quant à lui, la conséquence d’une catastrophe naturelle d’une violence inouïe : un tremblement de terre d’une magnitude de 9 sur l’échelle de Richter, suivi d’un tsunami. Selon l’UNSCEAR, le bilan humain direct de l’accident paraît, aujourd’hui, limité, à l’inverse des conséquences autrement plus dramatiques de l’accident de Tchernobyl. Ces évènements, tragiques, contribuent donc à entretenir une crainte robuste à l’égard d’une technologie qui fait pourtant l’objet d’un contrôle accru et permanent. En effet, des leçons ont été tirées de ces accidents, et une sûreté nucléaire internationale s’est développée et renforcée. Dans l’Hexagone, l’ASN assure le contrôle de la sûreté nucléaire. Au titre de sa mission de contrôle, l’autorité de sûreté française a ainsi réalisé en 2019 plus de 1800 inspections. Elle dispose en outre d’un pouvoir de coercition et de sanction. Aujourd’hui, les moindres anomalies font systématiquement l’objet d’un contrôle, favorisant de la sorte la sécurité des populations et de leur environnement.

Sur la question de la gestion des déchets radioactifs, l’auteur fournit plusieurs informations particulièrement éclairantes. Rappelant dans un premier temps que toutes les industries produisent leurs déchets, il précise que 60 % des déchets radioactifs proviennent de l’industrie électronucléaire, ce qui représente environ 1 % de la production annuelle de déchets industriels dangereux. En France, les déchets sont classés en fonction de leur radioactivité et de leur durée de vie sur une échelle qui comprend cinq niveaux. 90 % des stocks de déchets radioactifs appartiennent aux deux premiers niveaux de cette échelle, et sont ainsi constitués de déchets de « très faible activité » ou de « faible et moyenne activité à vie courte ». Ces déchets représentent cependant 0,03% du niveau total de radioactivité. La gestion des déchets à haute activité est beaucoup plus délicate. S’ils constituent seulement 0,2 % du volume total de la production de déchets nucléaires, ils représentent cependant près de 95 % du niveau de radioactivité. Ces derniers sont conditionnés de manière hermétique et entreposés dans trois centres de surface. Si l’on peut légitiment se poser la question des capacités de stockage de ces déchets, l’auteur précise que le volume de ces déchets équivaut, depuis le début du nucléaire civil français, à un volume de 3 740 m3, soit l’équivalent d’une piscine olympique. Par ailleurs, la France fournit un effort significatif de recyclage des déchets radioactifs : 96 % du combustible usé est recyclable et peut servir à la fabrication de nouveaux combustibles, ce qui permet de diviser par 4 à 5 le volume des déchets les plus radioactifs. Si les déchets radioactifs font donc l’objet d’une attention particulière, leur gestion, qui s’inscrit dans un cadre réglementaire strict, n’est pas une problématique insoluble. Bien au contraire, à mesure que des efforts seront fournis par les Etats pour développer et perfectionner la technologie électronucléaire, la gestion des déchets radioactifs posera de moins en moins de problèmes.

En résumé, cet ouvrage constitue à la fois un plaidoyer énergique en faveur du nucléaire et une mise en garde particulièrement actuelle sur les risques que font peser les injonctions européennes et l’idéologie anti-nucléaire sur le programme nucléaire civil français. Dans son allocution du 9 novembre 2021, le président de la République a annoncé sa décision de relancer la construction de nouveaux réacteurs, tout en continuant à investir dans les énergies renouvelables. Si ce revirement de situation de l’exécutif français va dans le bon sens, il ne faut pas pour autant perdre de vue les défis immenses qui pèsent sur le nucléaire civil français et européen. Alors que la quasi-totalité des réacteurs français vont arriver en fin de vie en même temps, il est plus qu’urgent d’investir massivement dans la filière. Son développement est en effet le moyen le plus sûr de contrecarrer l’« effet falaise », qui fait craindre à la France une brutale diminution de son parc nucléaire. À cet égard, la décision prochaine de la Commission d’inclure ou non le nucléaire dans le projet de taxonomie européenne est cruciale. Le nucléaire, filière d’avenir essentielle aussi bien à notre indépendance énergétique qu’à la lutte contre le réchauffement climatique, ne saurait être qualifié d’énergie de transition.

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[1] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Réchauffement planétaire de 1,5 °C », 2018 (GIEC, 2018).
[2] Agence internationale de l’énergie, World Energy Model Documentation, 2020, (AIE, 2020).
[3] Gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité, « Futurs énergétiques 2050 Principaux résultats », octobre 2021 (RTE, 2021).

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