Comment les pays de l’OCDE forment-ils leurs professeurs ?
Intervention de Éric Charbonnier, analyste, direction de l’Éducation et des Compétences de l’OCDE, lors du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » du mercredi 19 mai 2021
À l’OCDE, nous sommes très impliqués dans cette réflexion. De nombreuses études qui regardent comment sont formés les enseignants dans les différents pays nous permettent de voir que la réussite éducative, grâce à des systèmes performants, équitables, se mesure finalement à la qualité des enseignants. Tous les pays qui aujourd’hui ont amélioré leur système d’éducation ou qui ont réussi à être plus équitables – ou qui l’étaient déjà – sont des pays qui ont mis en avant le métier d’enseignant et ont réformé en profondeur.
Ma présentation, qui commence par un rappel, s’attache à situer notre système d’éducation, montrant que, comme vous l’avez déploré, la France n’est pas au niveau qu’on pourrait espérer.
Les résultats des études internationales au niveau du primaire sont très inquiétants sur les fondamentaux, le français et les mathématiques. Toutefois la performance à 15 ans, selon nos études Pisa est un peu moins catastrophique que ce que l’on peut entendre régulièrement.
La France n’a pas le pire système d’éducation. Elle se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE mais le véritable problème est le niveau très élevé des inégalités scolaires.
Les études Pisa existant depuis 2000, on a cherché les raisons qui font qu’un pays arrive à être plus performant et plus équitable. Or dans ce « carré magique » se retrouvent des pays de continents très différents, dont les systèmes d’éducation sont très différents : l’Estonie, le Canada, la Finlande, l’Australie… réussissent à associer performance et équité sociale et présentent des points communs que l’on retrouve dans les politiques éducatives qui sont menées en France depuis quelques années avec un investissement dans la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités dès le plus jeune âge, un investissement visant à rendre le métier d’enseignant plus attractif, à le valoriser, et promouvant une formation initiale et continue de qualité. Ce graphique est donc un message d’espoir. Il n’y a pas de raison pour que la France, à un moment ou l’autre, ne réduise pas les inégalités scolaires dont nous avons pris conscience. On observe aussi qu’un nombre grandissant de pays se retrouvent dans ce « carré magique ».
Il est toujours intéressant de se comparer aux autres. J’ai essayé de faire ressortir les points faibles mais aussi parfois les points forts de la France par rapport aux autres pays pour comprendre quelles seraient les réformes à mener – ou en train d’être menées – qui pourraient aider à améliorer la formation des enseignants afin de permettre aux enfants, quel que soit le milieu d’où ils viennent, quelles que soient leurs difficultés scolaires, de rattraper leur retard.
On a fait cette comparaison entre les jeunes enseignants par types d’établissements (défavorisés et favorisés). Sans surprise on voit que la perte de temps d’enseignement est plus marquée pour les professeurs débutants et dans les établissements défavorisés.
La réflexion doit donc porter sur les méthodes à mettre en œuvre pour mieux former les enseignants et faire en sorte que les enseignants qui débutent soient mieux outillés et mieux aidés dans les premières années d’apprentissage.
Cela a été l’objet de nombreuses réformes dans les pays de l’OCDE. On peut citer l’Allemagne, souvent citée pour avoir subi en 2000 un Pisa choc car la situation y était plus critique qu’en France, les performances éducatives plus faibles, des inégalités scolaires plus grandes. Par la suite une réforme du métier d’enseignant a permis notamment la mise en place d’un tutorat de dix-huit mois dans les premières années de carrière pour permettre justement aux jeunes enseignants d’être mieux préparés.
Les mesures de soutien des enseignants débutants sont moins développées en France.
Ce qui me semble être la plus grande faiblesse du système pédagogique français est l’absence de pratiques coopératives, tout comme l’inexistence de l’innovation pédagogique.
Une autre faiblesse – qui est en train de se corriger – est l’insuffisante utilisation des outils numériques en France.
Je voudrais insister sur l’importance de donner confiance aux enseignants, d’éveiller leur enthousiasme. Quelle que soit la pédagogie, quand on maîtrise sa discipline, bien sûr, quand on est enthousiaste, quand on partage ses connaissances avec les élèves avec empathie les résultats n’en sont que meilleurs.
Enfin la formation continue des enseignants n’est pas non plus toujours ciblée sur les besoins des enseignants.
Le système d’éducation français est très inégalitaire. Des enseignants déclarent eux-mêmes ne pas être préparés à gérer la difficulté scolaire.
C’est aujourd’hui l’enjeu et c’est aussi ce qui explique la réussite des pays qui prennent en compte cette dimension importante de la formation dans leurs réformes éducatives (Suède, Allemagne, Finlande, Singapour, etc.).
En France 45 % des chefs d’établissement déclarent que la résistance au changement des enseignants et du personnel des établissements est un frein à l’innovation pédagogique et peut entraver l’apprentissage. C’est l’une des proportions les plus élevées des pays de l’OCDE. Cette spécificité française doit nous inciter à réfléchir à la manière de convaincre les enseignants, les établissements, de prendre la direction du changement, au bénéfice de tous. Cela explique aussi la nécessité d’être pédagogique dans la réflexion sur les enseignants.
Quelques leviers et bonnes pratiques internationales.
À l’époque où on avait encore la chance de voyager on a pu constater que les pays performants dans Pisa ont en général mis la formation des enseignants au cœur de leur réforme, et souvent avec les mêmes leviers :
Attirer, former, accompagner, retenir.
Attirer les meilleurs étudiants vers cette profession (c’est le cas au Brésil, en Corée, en Israël, au Royaume Uni). Créer des incitations pour amener des enseignants expérimentés à travailler dans les établissements défavorisés. En Estonie un enseignant qui va dans une zone rurale désaffectée gagne 30 % de plus en termes de salaire qu’un enseignant qui reste dans une grande ville.
Avoir une formation de qualité, comme en Finlande, très observée, qui mêle apprentissage des savoirs et du savoir-faire et où le métier d’enseignant est en constante évolution avec, aussi, une tendance à essayer de faire entrer la recherche dans les instituts de formation des enseignants. M. Chevènement a déploré qu’en France on n’utilise pas assez la recherche. Nous avons souvent oublié que nous avons besoin de la recherche pour innover de façon pédagogique. La Finlande est un exemple de réussite sur ce point. On y prépare les enseignants à cibler les problèmes spécifiques des élèves, à établir des diagnostics et à utiliser des méthodes différenciées pour y remédier. On en voit d’autres exemples en Allemagne, en Pologne et au Portugal.
Accompagner les jeunes enseignants avec des programmes de tutorat, comme en Angleterre ou à Singapour. Donner aux jeunes enseignants en début de carrière la possibilité de retourner à l’université pour parfaire leurs connaissances sur des cas pratiques comme cela se fait en Finlande.
Et puis les retenir en développant la formation professionnelle continue qui a autant d’importance, si ce n’est plus parfois, que la formation initiale (Exemples : Brésil, Canada, Mexique, Singapour) car elle leur permet d’évoluer dans leur carrière (Québec, Singapour). On parle beaucoup de mobilité internationale et de la possibilité d’exercer différentes professions dans une vie. Il serait dommage que les enseignants soient limités à enseigner. Leur formation doit leur permettre d’évoluer et d’avoir une facilité plus grande à aller dans le secteur privé et revenir dans le monde de l’éducation, afin de créer des passerelles entre ces deux mondes.
Je suggérerai quelques réformes :
Renforcer le contenu de la formation initiale : pédagogie, gestion de la classe, prise en charge de certaines catégories d’élèves, etc.
En Finlande, tous les enseignants sont formés au diagnostic des élèves ayant des difficultés d’apprentissage et à l’adaptation de leur l’enseignement aux différents besoins et styles d’apprentissage de leurs élèves.
Au Québec, les enseignants expérimentés peuvent travailler comme mentors pour les élèves-enseignants. Ils suivent une formation spécifique. Ils reçoivent soit une rémunération supplémentaire, soit une réduction de leurs responsabilités d’enseignement en classe.
La formation des enseignants en Suède comprend une préparation spécifique pour les enseignants afin qu’ils puissent enseigner à des élèves d’origines diverses.
En Allemagne, l’une des faiblesses mise en avant au moment du PISA choc en 2000 était que les enseignants étaient mal équipés pour enseigner à des élèves issus de l’immigration. Des réformes ont été menées depuis.
Favoriser la diversité dans le profil des enseignants
Un certain nombre de programmes ont été créés (comme en France depuis peu) pour attirer et retenir les enseignants des minorités dans les pays de l’OCDE.
Au Royaume-Uni, par exemple, le programme « Aspiring to Lead » s’adresse par exemple aux enseignants noirs et issus de minorités ethniques qui sont dans leur deuxième ou cinquième année d’enseignement.
On trouve des programmes similaires au Canada, aux États-Unis. Ils visent à tirer parti des forces de divers enseignants et à fournir des modèles pour attirer des étudiants issus de populations minoritaires vers la profession d’enseignant.
Attirer des enseignants de qualité dans les établissements défavorisés :
En Corée, les élèves les plus défavorisés sont plus susceptibles que les autres élèves d’avoir des professeurs de qualité et ayant au moins trois ans d’expérience. De nombreuses incitations (avancées de carrière, primes substantielles) sont offertes aux enseignants qui travaillent dans des établissements en grande difficulté. Ces incitations incluent des suppléments de revenus, des classes à effectif réduit, moins d’heures d’enseignement, l’obtention d’un crédit supplémentaire permettant d’accéder par la suite à des postes administratifs, et la possibilité de choisir le prochain établissement dans lequel l’enseignant travaillera.
Des mesures relativement similaires existent en Angleterre, au Canada et au Japon.
Enfin, dernier levier, le développement professionnel et la coopération.
La Suède a amélioré la formation continue des enseignants en la structurant comme un apprentissage collaboratif basé sur la recherche.
Le programme « Boost », destiné aux enseignants de mathématiques, de lecture et de sciences, a été lancé en 2012. Les directeurs d’école y participent également. Objectifs : aider les enseignants à se préparer de manière autonome, en utilisant les supports qui leur sont fournis, à rencontrer des collègues pour discuter de ce qu’ils ont lu et planifier ensemble une leçon, à enseigner les leçons dans leur propre classe et à se réunir à nouveau pour évaluer et discuter de leurs expériences.
Un rapport d’évaluation final (2016) de l’Agence nationale suédoise pour l’éducation a constaté que ce modèle de formation collégiale a eu un impact positif : les participants ont déclaré se sentir plus confiants et plus en sécurité dans leur classe, et leur enseignement était plus varié et plus centré sur l’élève.
En 2017, le coût total du programme a été estimé à 56 millions d’euros.
Aujourd’hui il est anormal que nos enseignants, notamment dans le second degré, soient aussi livrés à eux-mêmes et ne soient pas incités à coopérer avec leurs collègues. Je pense qu’il y a beaucoup de bonne volonté, beaucoup d’enseignants aimeraient partager des travaux, coopérer. Pourtant ils ne le font pas. C’est un des leviers qui aidera vraiment à redresser notre système d’éducation.
Je vous remercie.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Charbonnier.
N’est-il pas quand même très facile de réduire le temps des enseignants qui sont dans la phase de démarrage de leur carrière ? Il n’est pas très difficile de réduire le temps de travail, à quelque niveau que ce soit d’ailleurs.
Je m’interroge sur des expressions comme « apprentissage collaboratif ».
Plus généralement j’aimerais poser une question à tous les intervenants : Qu’est-ce qui ne marche pas ? Il y a quand même un niveau de critique qui serait peut-être le préalable des propositions que nous allons faire. Qu’est-ce qui fait que nous avons une transmission aussi difficile, des inégalités aussi choquantes ? Comment faudrait-il y remédier ?
Je sais que certains pensent que c’est le rôle des universités de former les enseignants. D’autres pensent que l’apprentissage doit se faire aussi près que possible de la discipline, de la pratique et préconiseraient plutôt un rattachement de la formation des enseignants à l’Éducation nationale elle-même, sous des formes à envisager car cela reste encore très général.
Quelle est la meilleure forme d’organisation de la formation des enseignants ? À qui faut-il la rattacher ? Qui en est le responsable ? En effet, même quand on dit que c’est le rôle de l’université, la liberté des universités fait que, pratiquement, on ne peut pas faire grand-chose. Y a-t-il des masters ciblés par discipline ? On me dit qu’en France 70 % des licences sont des licences de sciences de l’éducation, les autres étant souvent des licences de psychologie ou de Lettres. Il y a très peu de licences de mathématiques. C’est ce qui fait le déclin des mathématiques, le fait que la familiarité avec la culture du chiffre a tendance à s’effacer. Ce sont des questions que je vous pose comme je les pose à Mme Campion, à M. Torossian et à M. Kerrero.
Je cède la parole à Mme Campion qui va nous parler de la formation initiale.
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Le cahier imprimé du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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