Débat final

Débat final lors du séminaire « Le retour de l’État, pour quoi faire ? » du mardi 06 octobre 2020.

Stéphane Rozès

Chacun est intervenu à partir de sa logique, de sa cohérence, de sorte qu’il faudrait presque une discussion avec chacun.

En tout cas, pour reprendre ce que dit Jean-Pierre Chevènement, le point d’accord est le constat d’une attente d’État.

La question est bien : quel État ?

Le néolibéralisme a déconnecté le sommet de l’État de ce que sont les nations. Comme, chez nous, l’État a précédé la nation, notre malheur est durable et compliqué à dénouer. C’est le politique qui a la charge de le faire, de retrouver ses prérogatives.

Écoutant le juste propos de David Djaïz, je pensais à la phrase de Hobbes : « Le souverain interprète le spectacle du peuple. »

Le président est élu par la nation et se retrouve au sommet d’un État devenu néolibéral indexé sur Bercy, Bruxelles et Berlin.

L’imaginaire de notre nation pour s’approprier le réel et s’assembler est projectif dans le temps et l’espace au travers d’un projet politique, alors que l’État néolibéral, au contraire, lui demande d’intérioriser des normes économiques extérieures. Cette contradiction qui éclate politiquement dès la première année du mandat présidentiel fait notre dépression.

Thomas Branthôme n’a pas tort de voir dans une fraction de la jeunesse la défiance à l’égard de l’État tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Benjamin Morel l’a dit aussi à sa façon à propos de la relation aux territoires.

La République pour tenir ensemble doit donner à chacun de nos jeunes un avenir. Or l’État ne semble plus être au service de la nation et de ses territoires mais accompagner des procédures comptables et régressions économiques et sociales extérieures. L’autorité politique se transforme alors en autoritarisme bureaucratique, technocratique.

La question du bon État ne dépend pas tellement de la question de sa nature politique d’un point de vue de domination, de compromis de classes ou d’intérêts sociaux mais des dimensions culturelles qui nous relient.

La crise du coronavirus nous rappelle que les communautés humaines sont guidées d’abord par la question de la maîtrise de leurs destins collectifs face aux périls contingents, même minimes, avant même la survie ou la prospérité économique. Elle nous rappelle également la diversité des moyens avec lesquels les États mènent la guerre sanitaire et ce pour des raisons historiques et culturelles.
Le néolibéralisme connaît ses derniers moments. Avant la Covid déjà, les peuples se repliaient et, avec la pandémie, le politique revient aux postes de commande.

Cela pèse fortement sur les États amenés à revenir aux fondamentaux nationaux et à redéfinir la nature de leurs interventions.
Comment éviter les nationalismes et les guerres auxquels nous inclinerait le réflexe premier des peuples de se renfermer et de se construire contre les autres ?

Il faut reciviliser la mondialisation en faisant que la globalisation économique, financière et numérique rentre dans le lit de la mondialisation mosaïque de peuples divers.

Il faut réparer les imaginaires nationaux en remettant les États au service des nations, de leurs arbitrages politiques entre le bon, le juste et l’efficace.

Cela nécessite de revenir au génie européen qui est de faire de la diversité de ses peuples du commun, et non l’inverse comme aujourd’hui, d’où le fait que notre continent quitte l’Histoire et la géographie.

Les dimensions culturelles sont décisives pour penser le retour de l’État.

Alain Dejammet

L’État pour quoi faire ? L’État en 2030…

J’ai écouté avec ravissement ce que suggéraient Marie-Françoise Bechtel et Jean-Éric Schoettl. J’y ai trouvé une feuille de route répondant tout à fait à mes questions.

En même temps, j’ai pris conscience des dangers qui pèsent sur la notion même d’État, remarquablement exposés par les trois intervenants suivants.

On n’a pas beaucoup parlé de l’État sur le plan international. Jean-Pierre Chevènement y a fait allusion en évoquant la garantie que la puissance nucléaire nous apporte en matière de sécurité. C’est évidemment capital. On a aussi fait allusion à la « gendarmerie internationale ». Les critiques contre l’État qui ont été exposées avec beaucoup de lucidité portent essentiellement sur les sentiments émis par les populations sur le plan national. Mais on trouve également cette entreprise de déconstruction de l’État sur le plan international avec le renforcement du rôle des entités non étatiques. Si l’on feuillette les résolutions des Nations Unies on y voit la place croissante des entités non étatiques à qui l’on confie des tâches, que l’on reconnaît comme des acteurs importants… dont on se méfie toutefois lorsqu’elles ambitionnent d’acquérir l’arme nucléaire.

Il y a aussi un large courant qui conteste la légitimité des Nations Unies ellesmêmes, préconisant un parlement élu par l’humanité tout entière ! Il s’agit évidemment de se débarrasser de ces diplomates qui prétendent représenter les nations. La critique de l’État existe donc aussi au plan international, émanant d’une part des ONG, d’autre part de ces entités non étatiques qui malmènent la notion d’État : attaque donc par le bas (ONG) et par le haut (GAFAM et autres monstres économiques multinationaux).

Toutefois, sur le plan international, c’est l’État qui continue à jouer.

Il existe une « gendarmerie internationale » qu’aux Nations Unies on appelle banalement « opérations de maintien de la paix ». On critique leur inefficacité mais ce sont des gens qui essaient quand même de régler les choses. Au HautKarabakh, ce ne sont ni les ONG ni les GAFAM qui ont agi. C’est un État, la Russie, qui intervient, de manière d’ailleurs plutôt indépendante. Un peu partout sur terre, il y a des milliers de gens qui ne s’égorgent pas grâce à la présence de ces gens coiffés d’un casque – de moins en moins – bleu, mandatés par des organisations internationales composées d’États. Il y a donc eu un retour de l’État sur le plan international.

On le voit se manifester dans l’attitude de nos amis allemands qui veulent partager avec nous le siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Mais cela ne se fera pas.

L’État pour quoi faire ? Qu’en sera-t-il en 2030 ?

Sur le plan international c’est bel et bien l’État qui continuera. Ce ne seront pas les ONG dont M. Olivier Giscard d’Estaing souhaitait qu’elles remplacent l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce ne seront pas les entités non étatiques dont Ben Laden souhaitait qu’elles acquièrent l’arme nucléaire qui régleront le sort du monde. Ce sera encore l’État.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Alain Dejammet, d’avoir attiré notre attention sur les pays qui n’ont pas d’État. Si la crise de l’État est grande dans les pays qui, comme le nôtre, ont un État, elle est beaucoup plus grave dans les pays où il y a des coups d’État … mais pas d’État !

Anne-Marie le Pourhiet

Je voudrais aller dans le sens de mes deux jeunes collègues pour vous dire que parler de l’État à la jeunesse contemporaine n’est plus chose aisée.

J’enseigne le droit constitutionnel en première année de licence. Lorsqu’après avoir rappelé que la Constitution est le statut d’un État, je commence à énumérer les trois éléments constitutifs de celui-ci, c’est-à-dire la nation, le territoire limité par des frontières et enfin une autorité politique souveraine, je vois les visages des étudiants s’allonger derrière les masques ! Nation, frontières, souveraineté, j’ai dit trois gros mots ! Et quand j’énumère les conditions de mise en œuvre de l’article 16 (« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire … sont menacés d’une manière grave et immédiate… »), je lis dans les yeux l’incompréhension suscitée par l’évocation de notions qui leur paraissent dépassées. Pourtant, comme Benjamin Morel, je n’enseigne pas dans une université réputée fréquentée par des olibrius incultes.

La vérité c’est qu’il existe un « État profond » qui véhicule une statophobie dont on ne mesure pas l’influence sur les esprits, notamment sur la jeunesse. Beaucoup de mes collègues enseignent que l’État-nation est un problème, que c’est l’adversaire irréductible des droits de l’homme, que les frontières sont la source des malheurs du monde, etc. Les collègues internationalistes, en particulier, dénigrent les États et n’ont que l’ingérence des ONG à la bouche, surtout ceux qui enseignent « le droit international des droits de l’homme ». Mais certains constitutionnalistes aussi. L’un d’eux va même jusqu’à proposer dans tous les colloques la suppression de la juridiction du Conseil d’État, non parce qu’elle serait coûteuse ou inutile, mais seulement au motif que le Conseil parlerait, selon lui, « la langue de l’État » et qu’il y a le mot « État » dans son nom !

Je dois me rendre au Mans vendredi pour un colloque portant sur le thème « démocratie participative et démocratie délibérative ». Chargée du rapport de synthèse je suis destinataire des premières contributions. À la lecture de certaines d’entre elles, j’ai presque un ulcère à l’estomac en imaginant ce que je vais devoir dire en réaction à des propos qui affirment que la démocratie n’est pas ce que l’on croit (le peuple, la nation, le suffrage universel), mais que c’est la convention citoyenne sur le climat, c’est-à-dire le diktat d’une poignée de militants « tirés au sort » et issus de cette « société civile » sacralisée par le macronisme. La démocratie serait en réalité la captation aristocratique du pouvoir par des groupes sectoriels.

Il y a bien un problème avec la notion même d’État, avec sa définition. Et la jeunesse a du mal à revenir aux fondamentaux pour restituer leur sens aux notions.

Jean-Pierre Chevènement

Tout ceci devrait nous inciter à réfléchir à la manière de changer l’État, de faire un État républicain, de faire comprendre ce qu’est l’État républicain émancipateur et comment dans le monde compliqué, difficile où nous vivons notre seule ressource c’est l’ennemi ! C’est-à-dire l’État.

Merci.

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