Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Islamisme (islam politique) et démocratie dans le monde musulman : quelle(s) grille(s) de lecture ? » du mercredi 4 mars 2020.

Nous nous intéressons ce soir à un sujet que nous avons intitulé « Islamisme (ou Islam politique) et démocratie dans le monde musulman : quelle(s) grille(s) de lecture ? ». Ce colloque ne concerne donc pas la société française – non qu’il n’y ait pas d’interrelations entre les deux sujets – mais la question que nous allons traiter ce soir concerne l’Islamisme, mot vague qu’on essaiera peut-être de définir.

On cite généralement deux dates : 1928, qui vit la création des Frères musulmans, peu après la conquête de La Mecque par les Wahhabites (1924), et 1979, date de l’arrivée de Khomeyni au pouvoir à Téhéran. À la même époque naît le jihad afghan (moudjahidine) qui donnera Al-Qaïda dans le monde sunnite.

Nous sommes aujourd’hui en présence de soulèvements qui ne sont pas sans rappeler ce qu’on appelait en 2011 les « printemps arabes » dont on connaît l’évolution, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. Les nouveaux soulèvements tourneront-ils de la même manière ? Peut-on, à partir d’une analyse de ce qui s’est passé dans le monde musulman depuis un certain nombre d’années, penser que les choses pourraient se passer cette fois-ci ou plus tard d’une autre manière ? C’est une question que je pose, je ne prétends pas y répondre.

Nous assistons actuellement au retrait américain du Moyen-Orient et même d’Afghanistan. Il y a vingt ans George Bush fils avait déclaré « la guerre au terrorisme », concept mal défini car le terrorisme est un procédé, ce n’est pas un adversaire. Cette guerre sans fin est fatigante pour les États-Unis, à n’en pas douter. D’autre part, la découverte du pétrole et du gaz de schiste a relativisé l’importance du Moyen-Orient riche de pétrole et de gaz. Ces changements peuvent expliquer le retrait américain et la montée d’acteurs régionaux et de la Russie qui pourrait être aussi un arbitre.

Il faut avoir présente à l’esprit la longue fresque historique que je ne fais qu’aborder par un tout petit bout, depuis une date assez récente.

Pour en traiter, nous avons demandé aux meilleurs esprits de nous aider à y voir clair :

Nous entendrons pour commencer M. Gabriel Martinez-Gros, professeur émérite d’histoire de l’Islam médiéval à l’Université de Paris-Nanterre, ancien co-directeur de l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, que vous connaissez peut-être par certains de ses livres. Je pense à Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (Seuil, 2014), mais aussi Fascination du djihad [1] et bien d’autres ouvrages. Spécialiste d’Ibn Khaldûn (1332-1406), penseur du monde de l’Afrique du Nord et de l’Andalousie, dont il montre la modernité, le professeur Martinez-Gros nous donnera la vision historique.

Ensuite nous avions prévu de donner la parole à Georges Corm, historien, économiste, ancien ministre des Finances du Liban. Cet intellectuel républicain et laïque – il n’y en a pas beaucoup dans le monde arabe – est déjà intervenu dans l’un de nos colloques [2]. Malheureusement un peu souffrant il est resté à Beyrouth d’où il nous a envoyé une communication qui sera lue par Mme Marie-Françoise Bechtel.

Le troisième orateur sera M. Yves Aubin de la Messuzière qui fut notamment ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005. Il a fait une brillante carrière de diplomate qu’il relate dans Profession diplomate (Plon, 2019). Spécialiste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, il est aussi l’auteur de Monde arabe, le grand chambardement (Plon, 2016). Il nous parlera des mutations internes des sociétés du monde musulman et nous donnera un éclairage sur les soulèvements auxquels nous assistons en Irak, en Algérie, en Iran, au Liban… dont on pressent qu’ils ont une composante intellectuelle et sociologique. Ils sont en effet le fait d’une jeunesse mieux formée qui se trouve confrontée à une absence de débouchés. On ne peut non plus ignorer le rôle des réseaux sociaux, le mouvement des esprits… Comment tout cela peut-il se traduire concrètement ?

Enfin nous entendrons M. Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques, auteur de Géopolitique des mondes arabes (Eyrolles, 2018), spécialiste reconnu de la Turquie, qui anime à l’INALCO un séminaire sur la géopolitique de la Turquie. Peut-être nous parlera-t-il de la manière dont se situe la Turquie qui joue un rôle extrêmement important.

Nous ne pourrons pas éviter de parler de ce qui se passe aujourd’hui du côté d’Idlib et du rôle de la Turquie, de l’Iran, de la Russie et des autres… et peut-être aussi de la France.

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[1] Fascination du Jihad : Fureurs islamistes et défaite de la paix, Gabriel Martinez-Gros, éd. PUF, 2016.
[2] « Quelles perspectives pour la France en Méditerranée ? » colloque organisé par la Fondation Res Publica le 17 janvier 2011, avec la participation de Jean-Yves Autexier, Georges Corm, Alain Dejammet, Hubert Védrine, Henri Guaino et Jean-Pierre Chevènement.

Le cahier imprimé du colloque « Islamisme (islam politique) et démocratie dans le monde musulman : quelle(s) grille(s) de lecture ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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