Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Iran, Etats-Unis, où la crise au Moyen-Orient nous conduit-elle ? » du mercredi 5 février 2020.

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

J’ouvre nos travaux en remerciant les participants qui ont répondu à notre invitation : M. Cousseran, ancien directeur général de la Sécurité extérieure de l’État ; M. Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005, dont j’apprécie les analyses toujours très aiguës et pertinentes ; M. Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, auteur de plusieurs essais brillants [1] et par ailleurs membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica ; M. Renaud Girard, grand reporter au service international au Figaro, dont chacun connaît la chronique hebdomadaire (le mardi).

« Iran, États-Unis, où la crise au Moyen-Orient nous conduit-elle ? », tel est notre sujet.

La crise actuelle pourrait nous conduire à un accord. C’est ce qu’avait affirmé le Président Trump en mars 2018 quand il avait rompu le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) conclu en 2015 par la précédente administration Obama pour encadrer le développement du nucléaire iranien. Un nouvel accord est-il envisageable ? Cela semble peu probable dans l’immédiat, d’abord parce que l’Iran se refuse à toute négociation tant que les sanctions rétablies par les États-Unis resteront en vigueur, ensuite en raison du rejet suscité par le plan Jared Kushner – concernant la coexistence d’Israël et de la Palestine – même chez les membres de la Ligue arabe pourtant divisés sur beaucoup de questions. Ce rejet, qui est celui des opinions publiques dans le monde musulman en général, vient encore compliquer la donne.

Cela pourrait-il aboutir à un changement de régime ? Certaines expressions américaines le laissent penser. Mais les forces existent-elles pour cela ? D’autre part, c’est évidemment contraire aux principes de la Charte des Nations Unies.

La troisième hypothèse est l’embrasement du Golfe, avec les conséquences que cela pourrait avoir, notamment les conséquences économiques sur le plan mondial à travers le prix du pétrole.

L’enlisement, jusqu’où ? Les élections qui auront lieu aux États-Unis au mois de novembre permettront peut-être d’y voir plus clair. En tout cas elles pèsent d’ores et déjà sur une situation de crise qui n’est pas conjoncturelle mais structurelle et remonte très loin. On peut en voir les racines dans le coup d’État qui avait conduit à l’éviction de M. Mossadegh en 1953, dans le renversement du Shah et l’arrivée au pouvoir en 1979 de l’ayatollah Khomeini et de l’idéologie de la République islamique d’Iran. Tout cela méritera d’être examiné.

M. Cousseran nous aidera à mieux cerner la société iranienne, le système politique, la réalité de l’Iran. Quand je présidais la Fondation de l’islam de France, j’avais retenu une thèse consacrée par une jeune femme, Youna Eskandari, aux racines intellectuelles de l’idéologie khomeiniste [2]… un objet que nous n’identifions pas facilement.

Ensuite M. Nicoullaud nous parlera particulièrement du problème nucléaire iranien qui est au cœur de l’accord de 2015, même s’il n’est pas la seule motivation de la dénonciation de 2018.

Puis nous aborderons les problèmes plus liés à la géopolitique. M. Conesa traitera de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, de leur antagonisme, de la guerre qui sévit au Yémen autour des rebelles Houthis et de l’intervention saoudienne qui dure depuis déjà trois ans.

Naturellement, nous élargirons la vision parce que l’Iran est présent en Syrie et en Irak. Un des résultats des deux guerres du Golfe est que l’Irak est devenu un enjeu entre les États-Unis et l’Iran. Les partis proscrits au temps de Saddam Hussein, le parti islamique Dawa et le parti CSII (Conseil suprême islamique irakien) qui, à l’époque, étaient plus ou moins réfugiés en Iran, et en tout cas ne se montraient pas trop, sont revenus aux commandes parce que les États-Unis ont défini pour l’Irak une constitution à base communautariste accordant une part majoritaire aux chiites, les sunnites arabes n’étant plus qu’un petit quart de la population (les Kurdes sont également des sunnites). Il faut préciser toutefois qu’il n’y a jamais d’accord sur les pourcentages, les sunnites prétendant être majoritaires tandis que les chiites se disent largement majoritaires… Quelle entente peut-il y avoir entre les États-Unis et l’Irak pour que les gens de Dawa et du CSII, ces partis plus ou moins inféodés à Téhéran, soient revenus au pouvoir ? Je m’intéresse à ce qui se passe dans cette région depuis très longtemps mais je comprends mal la raison pour laquelle les premiers ministres irakiens en exercice depuis 2006 sont tous d’anciens membres de Dawa, à l’exception du dernier qui était proche du CSII actuel que la rue récuse. Cela fait partie des choses qui restent pour moi un peu mystérieuses.

J’ai évoqué le Yémen.

En Syrie, les milices chiites iraniennes, en particulier la force Al-Qods, ont joué un rôle important pour permettre au régime de Bachar el-Assad de survivre de 2013 à 2015. C’est à ce moment-là que l’intervention russe a fait, semble-t-il, pencher la balance. Mais la présence de milices chiites d’origine iranienne ou afghane a joué un rôle important.

Il y a également le Hezbollah au Liban.

À Gaza le Hamas, qui n’est pas chiite, bénéficie quand même d’un certain soutien de la part de l’Iran.

Tout ceci dessine un paysage assez complexe. Sur le plan régional, il y a plusieurs enjeux. On a parlé du nucléaire, on parle de l’environnement régional et, si on essaye de réfléchir de manière aussi cartésienne que possible, on se pose la question de savoir quelle est la priorité de la politique étrangère américaine. La priorité des États-Unis est-elle la Chine, dont ils se sont aperçus qu’elle montait très haut à l’horizon du XXIème siècle ? Ou bien est-ce l’Iran qui n’est quand même pas une puissance négligeable ? Ce grand pays, cette grande civilisation, à mi-chemin entre l’Europe et l’Inde, n’est pas, avec ses 83 millions d’habitants, un défi majeur pour les États-Unis. C’est une puissance qui a une influence régionale incontestable et même peut-être prépondérante aujourd’hui, résultat d’ailleurs des guerres du Golfe au Moyen-Orient, mais ce n’est pas la Chine, dont le PIB dépasse aujourd’hui celui des États-Unis. Quelle est la réelle priorité américaine ? On a l’impression que les dirigeants américains sont eux-mêmes assez divisés sur cette question.

Essayons d’y voir clair sur un sujet aussi compliqué.

Je donne la parole à M. Cousseran.

—–

[1] Citons notamment Dr. Saoud et Mr Jihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016) et la Note de lecture de cet ouvrage par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica.
[2] L’utopie métaphysique de la Révolution islamique d’Iran. Lectures croisées de Platon et René Guénon dans les écrits de Morteza Motahhari et Ruhollah Khomeini, Youna Eskandari, EHESS, 2019. Sous la direction de Sabrina Mervin. Christian Jambet présent au jury.

Le cahier imprimé du colloque « Iran, Etats-Unis, où la crise au Moyen-Orient nous conduit-elle ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.