Reconquérir l’autonomie de décision dans l’intérêt du consommateur particulier et industriel. Le sens de l’intérêt général et l’utilité d’une vision à long terme.

Intervention d’Henri Proglio, ancien Président-directeur général d’EDF, lors du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » du mardi 18 juin 2019.

Je crois, Monsieur le ministre, qu’il y a un croisement de politiques qui non seulement ne sont pas cohérentes mais se contredisent. On ne peut pas dire qu’on en sorte pleinement convaincu.

Je n’ai pas pour habitude de tenir des discours très diplomatiques. Vous me pardonnerez d’être parfois un peu brutal.

Des politiques nationales de l’énergie, il en a existé, notamment en France.

Il y a soixante-dix ans le constat avait été fait que la France, ne bénéficiant pas de ressources énergétiques, était totalement dépendante de ses importations et qu’il était nécessaire de construire son indépendance énergétique, d’assurer la qualité des services et l’accès permanent de tous à l’énergie à un prix compétitif. C’est ce qui a guidé la France dans ses choix énergétiques de l’époque.

Ces choix ont été initialement marqués par l’hydraulique qui représente encore 12,5 % de la production d’électricité en France. Ce fut ensuite la grande aventure nucléaire qui a donné à ce pays un outil (le parc nucléaire français : cinquante-huit réacteurs, plusieurs en « construction éternelle ») et, à travers un opérateur initié et construit pour cela (EDF), l’électricité la plus compétitive d’Europe qui arrive au même prix dans tous les foyers, quelle que soit leur situation géographique, y compris dans les DOM-TOM. La France avait conquis son indépendance énergétique, un atout dont ne disposait aucun autre pays industriel, a fortiori européen.

Il y avait alors une politique, il y avait même un ministre de l’Energie. Aujourd’hui, il n’y a plus de politique énergétique mais une politique de la « transition ». On mute, on transite, on essaye de détruire ce qui existe pour aller vers… quelque chose dont ni l’objectif ni même les grandes caractéristiques n’ont été définis. On a donc confié la « transition » à des ministres qui ne sont pas chargés de l’énergie.

Dans le même temps, un pays voisin qui, bien que n’ayant pas eu cette consistance, avait réussi sa politique industrielle, donc sa compétitivité mondiale à travers son industrie, a identifié un grand risque : son énergie électrique coûtait à peu près deux fois plus cher que l’énergie française. Or, dans la compétitivité des territoires, l’énergie allait jouer un rôle déterminant. Par conséquent, à défaut de résoudre son problème, il lui fallait a minima détruire la compétitivité du voisin. J’avais rencontré Mme Merkel en 2011 au moment de la décision sur l’Energiewende et de l’arrêt du nucléaire. Elle avait eu ces paroles dont je me souviendrai toute ma vie : « Allemande de l’Est, je suis totalement convaincue par le nucléaire. Mais j’ai besoin des Verts pour gagner les élections régionales et demain les élections nationales. Je sacrifie les industriels de l’énergie allemande à l’intérêt supérieur du Reich qui est d’avoir la CDU à la tête du pays ». On pouvait comprendre et j’ai parfaitement intégré la variable de la politique allemande.

Malheureusement, il n’y avait pas de politique française en face ! Pourtant, de temps en temps, on ajoute une disposition qui permet de continuer à détruire ce qui existe… « Oblige-t-on EDF à vendre son énergie à ses concurrents ? », demandiez-vous, Monsieur le ministre. Oui, bien sûr. Chaque jour on promeut un fournisseur d’énergie (Engie ou autre) qui vend de l’énergie 10 % moins cher présentée comme « verte » ! En réalité, ces fournisseurs vendent avec bénéfice l’énergie qu’ils achètent à EDF, en prétendant qu’elle est « verte » ! Il s’agit donc d’une subvention à la concurrence. En effet, le seul principe qui guide l’Europe : la concurrence fait le bonheur des peuples, balaie l’argument selon lequel nous avons un système qui est peut-être monopolistique mais qui est efficace !

Les barrages eux-mêmes doivent être mis en concurrence. Or les barrages ne servent pas à produire mais à stocker. Ils sont un élément d’optimisation du système électrique, une grande pile à combustible. L’énergie stockée est utilisée quand on en a besoin, quand les centrales nucléaires sont à l’arrêt, lors des pointes de consommation etc. Pourtant, l’Europe imposant la concurrence, nous sommes sommés de mettre les barrages en appel d’offres. J’ai résisté pendant cinq ans… Désormais soumis à concurrence les barrages vont nous être achetés pour la valeur de production et non pour la valeur d’utilité qui serait incommensurablement plus importante. On va donc désoptimiser le système électrique, augmenter le coût de revient… au détriment du consommateur qui, in fine, va payer.

Mais ce n’est pas tout. Parce que le monde regorge de liquidités, une surenchère folle sur les infrastructures aboutit à des taux d’intérêt négatifs. D’énormes liquidités ne savent pas où s’investir parce que les placements bancaires traditionnels ne sont pas rémunérés. Or ces liquidités appartiennent à des actionnaires qu’il faut rémunérer. Quoi de mieux que de les investir dans des infrastructures vitales qui s’amortissent sur des durées très longues et permettent des investissements massifs ? Les réseaux durent très longtemps, ils sont utilisables, comme les barrages, pendant cent ans. À condition de bien l’entretenir, un réseau peut s’amortir sur une durée très longue. Formidable opportunité de placement des fonds mondiaux d’infrastructures qui appartiennent à la finance mondiale, à des liquidités, à des trésoreries qui fluctuent etc. On va vendre des réseaux !
En vendant les réseaux, on coupe la production du consommateur et on désoptimise une nouvelle fois le système. Avec la vente aux concurrents des barrages, des réseaux, on est en train de détruire ce qu’on a construit pendant soixante-dix ans.

Je n’ai jamais rencontré de politique européenne. Je l’ai vainement cherchée dans les tiroirs, à Bruxelles et un peu partout en Europe.

Les Espagnols ont une politique, les Italiens ont la leur.

Les Polonais, qui ont du charbon, qui veulent du gaz – et surtout éviter les Russes honnis – sont tombés dans les bras des Américains, lesquels rêvaient d’établir leur domination sur un pays européen. La Pologne est devenue américaine. Des terminaux GNL de gaz de schiste américain sont construits en Pologne. Vive l’environnement ! (J’ai passé ma vie dans l’environnement avant de venir à EDF [1]).

On a déjà parlé des Allemands.

Les Belges font ce qu’ils peuvent. Leurs sociétés, Électrabel [2] et Tractebel [3], ont été rachetées par Engie, qui n’existe pas. Les Belges sont donc au milieu de nulle part. Leurs deux centrales nucléaires étant fréquemment arrêtées ils se demandent à qui ils vont acheter une électricité qu’ils ne sont plus capables de produire.

La France faisait donc figure de havre de paix et surtout de réservoir électrique européen. Tous les pays européens comptaient, en cas de « trou noir », avoir accès à l’électricité française à un coût compétitif. Cela a été – et sera – le cas de l’Allemagne.

Que sera l’électricité française demain ? Je ne le sais pas.

De quoi parle-t-on quand on parle de politique énergétique ?

Je rappellerai quelques principes :

L’énergie est un secteur très différent des autres secteurs industriels parce qu’il est d’une nécessité vitale qui touche à la sécurité nationale. Plus capitalistique que n’importe quel autre secteur industriel, il nécessite un horizon à très long terme. Une centrale nucléaire dure soixante ans, un réseau ou un barrage cent ans. Les investissements, très massifs et à très long terme, doivent être réalisés en amont de la production et a fortiori de la distribution. Toute politique énergétique doit donc avoir une vision longue, avec une politique claire et sur le long terme. Or aujourd’hui, en raison de la financiarisation du monde et de la mondialisation, le long terme c’est trois à cinq ans ! Pour une société cotée, la dictature c’est le trimestre, le moyen terme trois ans, le long terme cinq ans. Il se trouve que cela correspond aux mandats politiques. Quel politique réfléchit à horizon de cent, cinquante ou même trente ans ? Lorsqu’on nous annonce des mesures à trente ans, nous comprenons qu’il s’agit de reporter les échéances pour ne pas les réaliser. C’est regrettable parce que dans l’énergie la vision longue devrait être le cas de figure normal.
Ce fut le cas en France pendant des décennies. Aujourd’hui, au plan national et plus encore au plan européen, le long terme est battu en brèche par la dictature de l’orthodoxie budgétaire à court terme et des contingences court-termistes.

L’énergie est aussi l’objet d’assauts de démagogie et d’injonctions contradictoires en termes de priorités.

La priorité d’aujourd’hui porte sur les gaz à effet de serre et le climat. Or la France est exemplaire en matière d’émission de CO2 grâce à l’électricité d’origine nucléaire et hydraulique. C’est ce qui fait que la France se démarque des autres pays européens. On s’empresse donc de revenir aussi là-dessus ! Au plan européen il n’existe pas de volonté de promotion d’un modèle politique et les stratégies diffèrent d’un pays à l’autre. Aucune vision européenne.

À propos d’injonctions contradictoires, il nous faut constater qu’au plan national, faute de vision politique, de décisions politiques claires, nous ne sommes pas dans un débat rationnel. Quelles sont les priorités ? Le climat ? La sécurité d’approvisionnement ? La compétitivité industrielle ? Le coût pour le consommateur ?

Aujourd’hui on parle beaucoup de CO2 mais sans aller au bout de cette logique. En effet le marché du CO2 fonctionne très mal et, compte tenu de notre exemplarité en matière de CO2, il faudrait surtout préserver ce qui existe.

De même, en matière d’indépendance énergétique, Olivier Appert a parlé des incertitudes et des tensions géopolitiques sur l’énergie. Il a très bien résumé la situation : elle est aujourd’hui beaucoup plus explosive qu’elle ne l’a jamais été.

Le seul pays qui ait une politique énergétique est la Chine. Parce qu’elle n’a pas de ressources, elle se retrouve, à son échelle, dans la situation qui était celle de la France vers 1950. Et, comme le fit alors la France, la Chine choisit de faire du nucléaire (neuf réacteurs chaque année), de l’hydraulique (le barrage des Trois-Gorges est la première centrale hydraulique du monde) … et un peu de renouvelables, autant que faire se peut. C’est certainement le plus grand chantier renouvelable du monde mais il est totalement marginal par rapport à la production chinoise qui est encore essentiellement charbonnière. La politique chinoise consiste à tendre la main à son voisin russe. L’énorme contrat gazier signé entre la Chine et la Russie n’est que la traduction de cette volonté politique chinoise. Accessoirement, la Chine vient grappiller les infrastructures existantes en Europe (au Portugal, en Grèce…), non pas pour s’intégrer dans le système mais pour en prendre le contrôle. En effet, prendre le contrôle des réseaux, c’est prendre le contrôle du système énergétique. C’est ce qui a été fait il y a trois ou quatre ans en Grèce sans que personne n’y voie rien à redire.

Le débat énergétique est par ailleurs biaisé par de fausses affirmations quotidiennes. J’ai cité l’Allemagne, archétype surréaliste du mensonge ! En effet, avec son Energiewende et sa volonté affichée de développer les EnR, l’Allemagne a doublé ses émissions de CO2 tandis que la France est restée exemplaire à cet égard. Avec 85 GW de solaire et d’éolien, l’Allemagne produit 120 TWh d’énergie électrique intermittente là où le parc nucléaire français en produit 400. On voit les divergences et l’énorme différentiel entre la France et l’Allemagne en matière de politique énergétique. D’où les remises en cause. Depuis 2012, l’Allemagne a mis en route chaque année l’équivalent d’un Fessenheim en énergies renouvelables pour un résultat ruineux qui ne lui sert pas à grand-chose et peu d’efficacité. Aujourd’hui elle ne sait comment faire face aux besoins sans importer massivement une énergie française évidemment nucléaire.

On oublie – ou on occulte – beaucoup de choses.

On oublie d’abord que les énergies renouvelables sont intermittentes, sauf l’hydro-électricité, mais que les besoins sont essentiellement des besoins de base.

On oublie assez facilement les spécificités géographiques. Il est absurde de construire du solaire en Scandinavie où il fait nuit six mois par an. Les pointes de consommation, dans les pays européens, ont lieu l’hiver et la nuit… le solaire est très utile mais c’est une réponse assez limitée. En France on a trouvé la réponse, on donne des subventions beaucoup plus importantes au kW, au GW ou au TW produit là où il n’y a pas de soleil pour compenser le manque de soleil. Selon cette logique sidérante, il vaut mieux faire du solaire à Maubeuge qu’à Nice, c’est plus rentable !

On oublie aussi le coût et les problèmes du stockage. Les énergies renouvelables auront toute leur force dès lors qu’on saura stocker l’énergie. Mais on est très loin de la compétitivité du stockage. On a fait beaucoup de progrès mais, d’après les chercheurs du secteur électrique et notamment d’EDF, il faudra encore trente ans pour envisager la possibilité de stocker l’énergie de manière compétitive. Aujourd’hui, la batterie représente le tiers du coût d’une Tesla. Ce qui peut être accessible en coût pour un véhicule automobile ne l’est absolument pas pour la commodité qu’est le besoin électrique du citoyen pour sa consommation quotidienne.

Quelles priorités ? Sécurité énergétique, coût pour le consommateur, qualité environnementale, compétitivité industrielle, climat ? Si on prend ces priorités, on répond nucléaire ou hydraulique, à l’évidence… Encore une fois, j’ai passé ma vie dans l’environnement et je n’ai rejoint EDF que tard dans ma vie professionnelle. Je n’étais pas a priori fanatique de telle ou telle énergie mais je reconnais la puissance et l’efficacité du nucléaire. Nous avions la meilleure filière industrielle nucléaire du monde qui faisait de la France l’exemple à suivre. C’est du passé.

À la question des défis que nous devons remporter, j’ai presque envie de répondre que nous avions remporté tous les défis. Il eût suffi de continuer ce que nous faisions, de le faire un peu mieux : améliorer l’efficacité des réseaux, mettre la valeur ajoutée par les nouvelles technologies au service de l’optimisation énergétique, exporter notre savoir-faire et développer la science française dans le monde. Bref, aller à la conquête du monde entier qui a besoin d’énergie.

On n’a pas parlé du continent africain et de ses 1,2 milliard d’habitants qui seront 2,5 milliards dans trente ans. Aujourd’hui 16 % des Africains ont accès à l’électricité (70 % ont un téléphone portable). Comment peuvent-ils vivre sur ce continent sans eau et sans électricité, y compris dans des villes multimillionnaires en habitants ? L’enjeu du monde, la bombe à retardement du monde, c’est l’Afrique ! On peut s’attendre à un déferlement migratoire. En effet, ce continent ne peut pas satisfaire les besoins de ses 1,2 milliard d’habitants actuels. Comment pourrait-il en accueillir 1,3 milliard de plus sans faire des investissements massifs en matière d’accès à ces sujets vitaux que sont notamment l’énergie et l’eau ? Cela nécessiterait des investissements en milliers de milliards de dollars, ne serait-ce que sur les infrastructures essentielles que sont les réseaux. Je ne parle même pas de la production. S’il y avait un défi énergétique je dirais que celui-là est prioritaire sur tout ce dont on parle en permanence mais qui n’est pas important. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on l’oublie.

Nous Français avons conçu, construit, à l’échelle d’un pays de taille moyenne mais très évolué, un outil remarquable qui a certes quelques défauts mineurs (un peu d’inertie, des problèmes de surcoûts en matière de frais de structures…). Pourquoi ne tirons-nous pas de cette compétence une certaine fierté ? Pourquoi ne ressentons-nous pas la nécessité de défendre ces acquis ? Si on raisonnait à l’échelle européenne et si possible mondiale de la même manière qu’a raisonné la France de 1950, le défi qui est devant nous serait en voie d’être remporté. Mais je crains que, pour des raisons souvent incompréhensibles, nous nous soyons éparpillés et que nous prenions beaucoup de retard par rapport à ces enjeux.

Je constate qu’au cours des dix dernières années on a régressé de manière considérable en matière de politique énergétique sur le continent européen.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur le président.

Si on se place du point de vue du gouvernement, faudrait-il relancer un nouveau programme électronucléaire après que Flamanville aura fait ses preuves (ce qui n’est pas encore tout à fait le cas) ? Un nouveau programme nucléaire ne sera-t-il pas rendu nécessaire par le fait que nos centrales, mises en service de 1977 à 1999, arriveront à péremption dans les années 2040 si on les prolonge à soixante ans ? Il y a donc un effet falaise. L’atout nucléaire qui existe depuis les années 1970-1980 va brusquement disparaître. Comme vous l’avez dit il faut savoir raisonner à long terme. 2040, c’est dans à peine vingt ans.

Faut-il prendre cette décision de principe de relancer un programme électronucléaire en France ? Si c’est le cas, quand faudrait-il la prendre pour qu’elle soit opératoire ?

Henri Proglio

Oui, il faut le faire. En termes économiques, industriels, l’optimum serait de prolonger la durée de vie des centrales. C’est par ailleurs nécessaire, pour la raison qu’on a beaucoup perdu en compétence nucléaire au cours des quinze dernières années. Les conséquences de cette évaporation de compétence et des pertes gigantesques de ce qu’a été Areva sont dramatiques pour l’industrie française. Je me suis fait couvrir d’injures pour avoir dit il y a quinze ans qu’Areva allait dans le mur. Les résultats sont là… Il se trouve que le mur n’a pas bougé et qu’on s’est fracassé. De la troisième filière industrielle du pays après l’aéronautique et l’automobile il ne reste que les traces.

Il faut reconstruire cette filière nucléaire. Nous n’avons pas aujourd’hui de réacteur compétitif à mettre en route (je ne reviendrai pas sur le sujet de l’EPR), nous devons donc concevoir un nouveau réacteur compétitif qui puisse rivaliser avec les Chinois et les Russes. Or, en supposant que l’on prenne la décision aujourd’hui, il faudrait quinze ans pour concevoir et construire un nouveau réacteur. J’avais initialement prévu ou proposé que l’on construise une coopération avec les deux nucléaristes puissants que sont aujourd’hui les Chinois et les Russes de manière à passer cette période de transition avec un système de partenariat industriel qui nous permettrait de concevoir et de construire un nouveau modèle français. J’ai été suivi de très loin… et ensuite contredit de très près. Rien n’a été fait. Et chaque année, chaque mois, chaque jour nous fait perdre du temps. L’intérêt de la France est de reconstruire son potentiel nucléaire à terme. Par ailleurs son intérêt serait de participer au développement du nucléaire mondial. Or aujourd’hui, malgré le déficit de notoriété du nucléaire – avec notamment l’accident de Fukushima et les conséquences qui s’en sont suivies – on constate un retour vers le nucléaire de beaucoup de pays, à commencer par la Suède qui, la semaine dernière, a fait savoir que le nucléaire était une industrie d’avenir. C’est le cas de nombreux pays, notamment les pays les plus peuplés à forte intensité de besoins énergétiques, la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Égypte et tous les pays pétroliers qui craignent de voir leur rente pétrolière s’évanouir. L’Arabie saoudite, il y a encore cinq ans, autoconsommait pour ses besoins en électricité 26 % de sa production de pétrole. Et quand on extrapolait les besoins de l’Arabie saoudite sur les trente ans qui suivaient, on prévoyait qu’elle en viendrait à importer du pétrole. Ce qui signifiait retourner au sable pour ce pays qui ne peut pas survivre sans son pétrole. D’où l’urgence des programmes énergétiques de ces pays, à commencer par les Émirats qui ont construit quatre réacteurs nucléaires, conscients de la nécessité qu’il y a à prendre le relais du pétrole par une autre énergie, pour leurs propres besoins et pour réserver leur outil pétrolier à la géopolitique dont parlait Olivier Appert.

Oui, la réponse logique d’une France lucide devrait être celle-là. Mais – conséquence ou hasard ? – nous n’avons plus de ministère de l’Industrie ni de ministère de l’Energie. Donc le problème n’existe pas.

Jean-Pierre Chevènement

Mais nous avions un ministère du Temps libre !

Je m’inquiète – et vos propos ne m’ont pas rassuré – sur le fait qu’il faut au moins quinze ans pour élaborer un nouveau réacteur. Cela demande en effet des études très compliquées. Nous disposons d’un EPR qui n’est pas au point par rapport à un certain nombre d’exigences, qui peut-être le sera d’ici quelques années. En 2040 se produira l’effet-falaise que j’ai décrit tout à l’heure, c’est-à-dire la chute brutale de la production du nucléaire qui en l’espace de quelques années va passer de 50 % à 30 % puis à 20 % de notre production d’électricité. Cela me paraît gravissime. Aucun homme politique ne s’est exprimé sur ce sujet. Un projet de loi relatif à l’énergie et au climat, qui va être voté en procédure accélérée à la fin du mois de juin, programme la fermeture de quatorze tranches nucléaires. Où est le sens de l’avenir ? Peut-on espérer un réveil de l’esprit de service public, d’un réflexe patriotique élémentaire ? C’est d’autant plus urgent que ces décisions se prennent longtemps à l’avance.

À l’arrière-plan de tout ce qui s’est dit, nous sommes confrontés à l’effet massif de l’idéologie irrationnelle des Verts. Je préfère parler d’« idéologie des Verts » que d’ « écologie » parce qu’il existe sûrement une bonne manière de traiter les problèmes écologiques. Je ne suis pas du tout hostile aux exigences de l’environnement, pas plus que M. Proglio qui a été longtemps à la tête de Véolia. Selon un effet idéologique consécutif à la Deuxième Guerre mondiale, à l’horizon de l’histoire humaine le progrès a été remplacé par la catastrophe. Cet effet a beaucoup à voir avec les camps d’extermination et avec les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. La psyché collective fait que peu à peu cette psychologie s’est emparée de l’opinion à travers les médias et que, sous la pression médiatique, nous avançons vers le vide, un peu comme, dans le conte transcrit par les frères Grimm, les rats sont entraînés vers la Weser par le joueur de flûte de la ville de Hamelin. Nous sommes dans cette situation pour des raisons profondément idéologiques et accessoirement politiciennes. On a tiré du résultat des dernières élections européennes des conséquences indues. En effet, un certain nombre de gens ont voté pour les Verts parce qu’ils ne voulaient plus voter pour la gauche, pour des raisons que l’on peut comprendre. Mais ceci ne justifie pas cela.

Le problème des verrous technologiques se pose quand même. Nous sommes confrontés au problème massif de l’intermittence des énergies renouvelables qui ne pourra être surmonté que s’il est possible de stocker l’électricité. Il y a sans doute beaucoup d’autres verrous technologiques à faire sauter. Je fais confiance à Pierre Papon, éminent expert de la question, pour nous les décrire.

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[1] M. Proglio a longtemps dirigé Veolia Environnement.

[2] Électrabel est une société anonyme de droit belge fondée statutairement en 1905. Son nom actuel date de 1990, à l’issue de la fusion des sociétés Intercom, Ebes et Unerg. L’entreprise fait partie de Engie – actionnaire à 100 %. Electrabel est active au Benelux où elle domine le marché.

[3] Tractebel est une société internationale, d’origine belge, ayant une activité dans l’ingénierie, l’énergie, l’industrie et les infrastructures. Fondée en 1986, Tractebel appartient au groupe Engie.

Le cahier imprimé du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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