Introduction

Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » du mardi 18 juin 2019.

Je vous remercie d’être venus nombreux et vous souhaite une amicale bienvenue ainsi qu’à nos intervenants :

Mme Du Castel, géopoliticienne, a publié un certain nombre d’ouvrages sur les questions d’approvisionnement énergétique.

M. Papon, ancien Directeur général du CNRS, membre du Conseil d’administration de la Fondation Res Publica, traitera des verrous technologiques. À quel horizon peut-on espérer les faire tomber (si tant est qu’on puisse les faire tomber) ? Comment ce sujet s’intègre-t-il dans une vision d’ensemble ? Une vision d’ensemble qui manque souvent cruellement.

Je n’ai pas besoin de présenter M. Henri Proglio. Ancien PDG d’EDF et riche d’une longue expérience industrielle, il sait de quoi il parle !

Ce n’est pas la première fois que M. Olivier Appert, conseiller au Centre Énergie de l’Ifri, président du Conseil Français de l’Energie, nous fait l’honneur de répondre à notre invitation. Nous l’avions écouté avec beaucoup d’intérêt lors d’un précédent colloque que nous avions tenu en 2013 (La France et l’Europe dans le nouveau contexte énergétique mondial). Nous avions d’ailleurs organisé plusieurs colloques sur le sujet de l’énergie en 2004 (Approvisionnement énergétique de l’Europe et politique de grand voisinage), en 2006 (Le nucléaire et le principe de précaution) et en 2008 (Quelle politique européenne de l’énergie ?). À la relecture de ces colloques, j’ai été frappé par la pertinence des propos tenus et par la difficulté qu’il y a d’apprécier les retombées concrètes qu’ont pu avoir les inflexions données à la politique de l’énergie en France et en Europe.

« Défis énergétiques et politique européenne », tel est l’intitulé du colloque qui nous réunit ce soir. La politique européenne consiste à fixer des objectifs, quelquefois chiffrés. Chiffrés en fonction de quoi ? L’exigence se resserre, on voit qu’une pression s’exerce, mais l’exposé rationnel manque. On fixe des objectifs à l’horizon 2020 ou 2030 en matière d’émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique, mais il est difficile d’en comprendre la cohérence globale. Bien entendu, il y a des objectifs que personne ne conteste et que nous n’allons pas contester, telle l’efficacité énergétique. Obtenir le même produit avec moins d’énergie est évidemment souhaitable. Les économies d’énergie sont souhaitables en tous domaines. Nous ne le contestons pas. De même, l’objectif bas carbone, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 (nous ne rejetterons pas plus de gaz carbonique que nos forêts et nos sols ne sont capables d’en absorber) n’est pas choquant si on rapporte le réchauffement climatique à « l’anthropocène » (l’effet que peut produire la multiplication des hommes et de leurs activités). Encore faudrait-il isoler tous les facteurs. Je remarque, pour autant que je puisse être informé, que la réflexion sur des phénomènes qui relèvent plutôt de l’astrophysique, telles les éruptions solaires, et un certain nombre de facteurs qui influent sur le climat est rarement évoquée et jamais discutée.

Notre fondation, reconnue d’utilité publique, a le souci d’exercer le doute méthodique sur ces sujets difficiles (climat, énergie). Elle ne conteste pas un certain nombre d’objectifs très valables, encore qu’on pourrait quelquefois s’interroger : Pourquoi, bien que l’objectif de neutralité carbone soit fixé à l’horizon 2050, l’Allemagne a-t-elle programmé la sortie du charbon seulement en 2038 alors qu’on a vu des pays comme la Grande-Bretagne réduire dans des proportions tout à fait considérables leur consommation de charbon en l’espace de quatre ans ? Quelques questions mériteraient d’être posées.

Questions que, exerçant l’esprit de doute méthodique, je m’efforcerai de poser avant de donner la parole aux intervenants que vous êtes venus écouter.

J’ai parlé de l’objectif de décarbonation (bas carbone ou neutralité carbone) à l’horizon 2050. La promotion des énergies renouvelables a été l’axe majeur du tournant énergétique qui a été pris dans la foulée de Fukushima, notamment en Allemagne par Mme Merkel. Cette promotion des énergies renouvelables a représenté un investissement considérable. Le paysage allemand lui-même a changé. En Allemagne de l’Ouest et du Nord on est frappé par la prolifération des éoliennes, la construction de réseaux a modifié le paysage de certaines régions.

Quelles sont les conséquences de ces énergies dites « renouvelables » en termes de compétitivité ? Chacun sait que la facture d’électricité des ménages allemands est deux fois plus élevée que celle des ménages français. Il y a évidemment en France une contribution au service public de l’énergie mais en Allemagne une fiscalité beaucoup plus forte encore renchérit le coût de l’électricité. Si le prix de l’électricité est resté constant pour les industriels, c’est probablement au prix d’un certain nombre de manipulations dont je ne veux pas connaître. Le renchérissement du coût de l’électricité a marqué dans un premier temps la promotion des énergies renouvelables mais aujourd’hui une information contraire est véhiculée : sous le titre « Les énergies renouvelables stagnent, une mauvaise nouvelle pour le climat », Le Monde d’aujourd’hui publie notamment une courbe montrant la baisse du coût de production des énergies renouvelables, le coût du solaire passant en dix ans de 359 à 43 dollars/MWh tandis que l’éolien passerait de 135 à 42 dollars/ MWh. Si le coût des énergies renouvelables a beaucoup chuté, la croissance de leur installation stagne, d’où le signal d’alerte lancé par Le Monde.

J’aimerais quand même poser un certain nombre de questions à ce sujet.

On confond souvent le coût du MWh installé et le coût du MWh produit [1], ce qui diffère sensiblement lorsqu’on parle d’énergies intermittentes. En effet, les éoliennes ne tournant qu’un tiers du temps, il faut multiplier par trois le coût du MW installé pour obtenir le coût du MWh produit. À la question de la compétitivité s’ajoute la question de la compensation de l’intermittence des énergies renouvelables. Le nucléaire étant proscrit (Mme Merkel a décidé en 2011 de sortir du nucléaire à l’horizon 2022), la compensation ne peut se faire qu’à travers des énergies fossiles (charbon, lignite, gaz). En Allemagne le charbon et le lignite représentent encore 38 % de la production d’électricité, ce qui est considérable. Pour des raisons internes faciles à comprendre, l’Allemagne prévoit d’étaler la sortie du charbon jusqu’en 2038, c’est-à-dire pendant dix-neuf ans, beaucoup plus longtemps que la Grande-Bretagne ne l’a fait. Pourquoi cette lenteur ?

Se pose aussi une question de sécurité d’approvisionnement, du moins si l’on en croit les textes très difficiles à déchiffrer de la Commission européenne. On pense bien entendu à la dépendance au gaz russe. Mais si on ne dépend pas du gaz russe, on dépend du gaz iranien ou du gaz Qatari ! Est-ce tellement plus sûr ? Cela mérite discussion. J’ajoute que la dépendance s’exerce dans les deux sens. L’économie russe est dépendante de ses débouchés autant que l’Europe est dépendante de ses fournisseurs. Il y a donc une dépendance de la Russie par rapport au marché européen qui est encore, et de loin, le principal débouché de la production de gaz russe.

Selon le Spiegel, Mme Merkel aurait déclaré que l’Energiewende [2] était une erreur car cette politique contrevient aux exigences d’une économie industrielle développée. En effet la compensation de l’intermittence des énergies renouvelables exige la construction de réseaux à haute tension. Si elle ne remet pas en cause le bien-fondé de la sortie du nucléaire, la Chancelière s’interroge sur la promotion des énergies renouvelables. Peu après les élections allemandes des décisions ont été prises pour diminuer considérablement le montant des subventions qui étaient accordées à ces énergies renouvelables. L’Energiewende a été décidée en 2011, huit ans ont passé, on se rend compte que c’était un choix précipité. Je fais observer en tant que citoyen que ce choix s’est fait sous la pression médiatique énorme qui a résulté de l’accident de Fukushima. Bien que l’origine en fût un tsunami, cela a rendu le nucléaire peu fréquentable et un certain nombre de conséquences ont été tirées à ce jour par l’Allemagne. Certains pays comme la Belgique ou l’Espagne s’interrogent. En tout cas, s’agissant de la politique européenne, le cadre général fixé en 2008 a été fortement resserré en 2014-2015. Les objectifs d’émission de gaz à effet de serre ont été durcis. Mais cette politique est définie en termes suffisamment vagues pour que l’on puisse dire qu’aujourd’hui encore la politique européenne juxtapose des politiques nationales. Je ne parlerai pas de « modèles » car ceux-ci ont perdu beaucoup de leur cohérence. Par exemple, le projet de loi sur l’énergie dont l’examen commence aujourd’hui en commission [3] à l’Assemblée nationale et qui sera sans doute adopté au mois de juin a un objectif que je juge plutôt raisonnable qui est d’étaler la fermeture de quatorze tranches nucléaires jusqu’en 2035 (« réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035 ») mais sans justifier cette fermeture autrement que par la pression des écologistes dont l’influence s’est trouvée accrue par le résultat des dernières élections européennes où ils ont obtenu 13,48 % des suffrages exprimés. Cela ne représente que 7 % des électeurs inscrits mais cela pèse dans le discours public.

Peut-être M. Proglio nous expliquera-t-il ce que signifie « l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique ». Il s’agit d’amener EDF à revendre une part (20 % ou 25 %) de ce qu’elle produit à des fournisseurs d’électricité qui en tirent sans doute quelque bénéfice.

Parce que sa rationalité globale est très mal définie, la politique de l’énergie ne peut être comprise par les citoyens. Nous n’acceptons pas de nous soumettre à la pression médiatique ou idéologique de quelque groupe de pression que ce soit, c’est pourquoi je pose ces questions inspirées par le seul souci de l’intérêt public.

Je vais maintenant laisser la parole aux intervenants. M. Appert et Mme Du Castel aborderont les questions stratégiques. Puis M. Proglio, en qualité de grand praticien du sujet, pourra intégrer d’autres variables, notamment économiques et financières. Enfin nous passerons la parole à la Recherche : M. Papon nous parlera des verrous technologiques qu’il faudrait faire sauter pour arriver à rationaliser un peu le sujet de la production d’énergie.

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[1] On installe des MW et on produit des MWh en « mobilisant » la puissance (les MW) pendant une durée pour avoir de l’énergie (les MWh). Dans la mesure où il n’y a pas de combustible dans les éoliennes, le coût du MWh produit dépend effectivement de la durée d’utilisation de la machine par comparaison avec un hypothétique coût du MWh si elle fonctionnait sans interruption toute l’année. Mais le vrai sujet est l’intermittence : par quoi compenser la non production quand il n’y a pas de vent ou de soleil ? Du réseau, des batteries, des centrales à gaz ou à charbon, du nucléaire ? Il faudra bien que le consommateur paie ! (cf. Sylvain Hercberg : Sur le système électrique en France, éd. L’Harmattan, 2019, note de bas de page 98)

[2] En Allemagne, l’Energiewende (tournant énergétique) s’est imposée pour désigner à la fois l’abandon accéléré de la production nucléaire et le maintien d’objectifs ambitieux pour la réduction des émissions de CO2 grâce, d’une part, à l’amélioration de l’efficacité énergétique, et d’autre part, à l’essor des EnR.

[3] Le texte du projet de loi relatif à l’énergie et au climat a été renvoyé à la commission des affaires économiques qui a rendu son rapport le 20 juin 2019. Ces documents peuvent être consultés sur le site de l’Assemblée nationale.

Le cahier imprimé du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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