Débat final lors du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » du mardi 18 juin 2019.
Je voudrais revenir un instant sur la politique énergétique américaine. Les États-Unis ont, comme la Chine, une politique énergétique, cela depuis Barack Obama. Cette politique énergétique est basée sur l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste.
Cela explique la géopolitique américaine. Aujourd’hui, les points de tension dans le monde concernent le Venezuela, l’Iran et la Russie.
Selon une carte très intéressante présentée par Olivier Appert, le Venezuela dispose de très importantes réserves de schiste bitumineux non exploitées. Le pétrole vénézuélien était acheté en partie par les Américains. Si l’industrie pétrolière du Venezuela est en chute libre, c’est en partie en raison de l’embargo imposé par les États-Unis. Il est clair que l’objectif des Américains est de remettre la main sur les réserves vénézuéliennes et notamment sur les schistes bitumineux. Et forts de l’expérience acquise dans l’exploitation des gaz de schiste sur leur territoire, qui ne sont pas inépuisables, ils auront ainsi une réserve de schiste bitumineux pour les décennies suivantes.
L’Iran est le deuxième pays mondial en ce qui concerne les réserves gazières. L’objectif de mettre à bas le régime des mollahs – car c’est bien l’objectif poursuivi aussi par l’Arabie saoudite – est de refaire le coup qui avait été fait avec Mohammad Mossadegh, c’est-à-dire de reprendre le contrôle des réserves gazières iraniennes.
Et derrière cela, c’est la Russie qui est visée !
C’est là qu’on retrouve la politique énergétique américaine. La production de gaz naturel liquéfié a créé énormément d’emplois aux États-Unis et continue d’en créer. Ce GNL est envoyé par mer en Europe où on installe des ports méthaniers, d’abord dans les Pays baltes puis en Pologne. Aujourd’hui Donald Trump explique aux Allemands que s’ils ne veulent pas voir leur industrie automobile taxée ils seraient bien inspirés d’acheter du gaz liquéfié américain – un gaz un peu plus cher mais un gaz « libre » ! – pour éviter de dépendre des méchants russes.
C’est la véritable stratégie des Américains. Nous Européens n’avons pas compris que la stratégie mise en place, non par Donald Trump mais par Barack Obama et Hillary Clinton dès 2010, entre en action aujourd’hui. La géopolitique américaine, l’Iran, le Venezuela, les sanctions contre la Russie, la volonté d’empêcher Nord Stream 2 d’être construit, vise à pouvoir approvisionner le marché européen avec leur gaz naturel liquéfié. Les Américains font de la morale mais ils font aussi du business. Il ne faut jamais oublier que derrière la géopolitique il y a du business.
Les besoins énergétiques concernent aujourd’hui essentiellement l’électricité. Ce sera encore plus vrai demain parce que le numérique est un gigantesque consommateur d’électricité. Face à ce besoin croissant d’électricité se repose la question du nucléaire et du gaz. Le gaz nous fournira de l’électricité. Et nous retrouvons la géopolitique américaine.
Stéphane Rozès
On entend dire que l’architecture et la gouvernance d’EDF se dirigeraient vers une maison mère « bleue » dans laquelle entreraient le parc nucléaire, le nouveau nucléaire, l’hydraulique, le thermique, et d’autre part, une maison « verte » dans laquelle on retrouverait les réseaux Enedis, RTE, Dalkia, la partie commerce d’EDF et les énergies renouvelables. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. J’ai en tête à ce sujet un article très intéressant paru dans Le Débat [1] où l’ancien directeur de la stratégie d’EDF, Jean-Paul Bouttes, et le directeur de la prospective, François Dassa, montraient que chaque modèle énergétique dépendait non seulement des ressources énergétiques mais aussi et surtout de l’histoire et de la culture de chaque pays qui donnaient une sorte de design et de cohérence à chaque modèle.
Ma seconde question est de nature plus technique. Il me semble que pour atteindre les objectifs du mix énergétique on prévoit la multiplication par deux des éoliennes et par cinq des panneaux solaires (ce qui représenterait la superficie des Landes). Or, l’énergie éolienne pose dès maintenant un problème d’acceptabilité. C’est une difficulté.
D’autre part j’aimerais avoir votre avis concernant les déchets nucléaires. J’ai entendu dire qu’un Nobel français avançait sur la possibilité de réduire considérablement la question des déchets nucléaires par une sorte de traitement au laser.
Dans le prolongement de l’EPR, d’autres pays semblent s’orienter vers un nucléaire plus petit. Cette option ne semble pas retenue prioritairement en France. Pourquoi ? Est-ce en raison de conceptions d’ingénieurs sur les économies d’échelle ou de questions techniques ou de savoir-faire ?
Enfin, Henri Proglio vous avez rappelé que pendant au moins une décennie – correspondant au moment où le politique n’était plus clair sur l’avenir du nucléaire – nous avions perdu en savoir et en savoir-faire. Je voudrais avoir votre précision sur cette question.
Merci.
Henri Proglio
La première question est d’une actualité immédiate ou future puisqu’elle évoque un projet (sur lequel mon avis n’a pas été sollicité bien sûr). Je ne peux pas dire que je bondisse d’enthousiasme devant ce projet, pour plusieurs raisons.
La désintégration du système me surprend et m’afflige. Découper en tranches un système optimisé pour faire en sorte qu’on puisse le désoptimiser me paraît une démarche un peu déconcertante. Dont acte.
De plus, ce projet suit un chemin essentiellement financier et nullement technique. Ce schéma optimise théoriquement la situation financière de l’ensemble en ouvrant le capital de ce qui est facilement vendable, à la mode, et en renationalisant ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire le nucléaire. On ne sait trop que faire de l’hydraulique, censé être soumis à appel d’offres. Cela pose plusieurs questions, à commencer par la faisabilité technique. Je sais que des banquiers très experts se sont penchés sur le sujet mais le fait de renationaliser son entreprise en rachetant les minoritaires pour ensuite revendre des morceaux me semble devoir provoquer d’inévitables frottements. Ma grande surprise vient surtout du fait que la valorisation du nouvel ensemble qui va être coté, ouvert, vient essentiellement des réseaux. En dépit des grands discours sur le renouvelable on sait que c’est marginal et que ce n’est pas là que va se situer l’essentiel de la valeur. Quant aux réseaux… J’avais cru comprendre autrefois que les réseaux devaient impérativement rester sous contrôle français, d’où le fait que, perdant le contrôle du transporteur (RTE), nous étions obligés de le vendre à la Caisse des dépôts, seul investisseur public susceptible de l’acquérir. EDF conserve 51 % du transporteur (un outil qui vaut 10 milliards) mais n’a plus aucun droit de regard sur sa gestion ! C’est surprenant dans un monde capitaliste… Beaucoup de choses surprennent dans cette nouvelle vision du monde !
Je crois savoir que le réseau de distribution est évalué pour un montant tout à fait conséquent mais EDF n’en est pas propriétaire. Il s’agit d’une délégation de service. Le réseau appartient aux collectivités territoriales. Il est donné en gestion à EDF pour une durée déterminée, sachant que les collectivités territoriales peuvent en reprendre la gestion. Cela ne s’est jamais fait. On avait tellement l’habitude de l’opérateur unique – qui gérait d’ailleurs très bien le réseau – qu’on ne voyait pas pourquoi changer ce qui fonctionnait bien. Avec l’émergence des collectivités territoriales que sont les communautés de communes, les métropoles etc., tentation est forte auprès de certaines d’entre elles de reprendre en main la gestion des réseaux. Que vend-on ? Un contrat ? Je crains que cela ne déséquilibre tout le système.
Comme vous, initié de loin par la presse, je me pose des questions à propos de ces nouveaux sujets dont je ne vois pas vraiment la rationalité, si ce n’est d’acter le fait qu’EDF devient une simple entreprise de production et s’interdit désormais de gérer le service intégré. J’y vois une désoptimisation, d’autant que l’électricité de demain ce sera le système électrique, c’est-à-dire d’abord les réseaux. L’optimisation viendra d’abord des réseaux. Toute la technologie avancée, toute la valeur ajoutée et intellectuelle résideront dans les réseaux et le producteur sera asservi à la contrainte des réseaux. C’est une drôle d’ambiance pour une grande entreprise comme EDF de se voir désormais reléguée au rang de producteur indépendant « sous contrôle étatique ».
Ce changement de mode de pensée et de gestion aura des conséquences dramatiquement importantes. Quid de la science, de la recherche ? Où va se situer la recherche ? Qui va continuer à chercher ? Qui va continuer à nourrir toute la recherche non nucléaire du groupe ? Les réseaux ? L’investisseur ? Je ne sais pas. Avons-nous ou non l’ambition d’être l’opérateur mondial des systèmes électriques ? Si c’est le cas, ces projets ne doivent pas voir le jour.
Sous prétexte d’un système qui ferait une pseudo-optimisation de l’équation financière à court terme de la dette d’EDF on en arrive à changer complètement le modèle. Ce n’est pas grave de changer de modèle à condition d’avoir le modèle alternatif auquel on a réfléchi et qui finalement l’emporte par la conviction, par une vision.
Ne voyez pas d’amertume dans ma réaction. Je ne regarde pas le passé dans un rétroviseur avec admiration. Non. J’ai trop de conscience de ce qu’est la mission de ce qu’a été le service public de l’électricité et cette formidable aventure d’avoir construit le premier EPR mondial. Je vois dans mon ancienne maison des interrogations se faire jour chez des gens d’une grande qualité (vous citiez l’un d’entre eux). EDF était probablement la plus belle entreprise de France en termes de compétences. A quel avenir les destine-t-on ? Quelle est la feuille de route ?
Je suis là aujourd’hui pour poser des questions. Je n’ai pas vocation à y répondre, encore moins à critiquer. Les acteurs du paysage médiatique présentent la France comme un pays attractif où les bonnes décisions sont prises. J’aimerais que l’un d’entre eux se penche sur le sujet, y réfléchisse et nous dise si vraiment il y a une vision. Je ne demande qu’à être convaincu.
Sur le nucléaire, je constate que la France prend du retard en regardant ce qui se passe ailleurs.
La Chine a un marché intérieur tel que les producteurs d’énergie chinois n’ont pas besoin du marché international, au moins pendant les vingt ans qui viennent. Toutes leurs ressources doivent être mobilisées pour satisfaire aux besoins du marché chinois. Ils construisent neuf réacteurs par an et sont en surcharge permanente.
Avec Rosatom, la Russie a construit un énorme outil nucléaire qui ne peut pas se satisfaire du marché russe et qui, obligé d’aller de l’avant, doit se confronter au marché mondial et inventer des solutions adaptables à ce marché mondial. D’où l’avance considérable des Russes dans les nouvelles applications, tels les microréacteurs. J’étais au salon, à Moscou il y a quelques semaines. Les stands Rosatom étaient impressionnants en termes technologiques. Je pense aussi aux surgénérateurs à neutrons rapides qu’ils construisent, et qui fonctionnent, eux !
Je dis que nous sommes en train de perdre des talents parce que je le vois. J’aimerais dire le contraire mais je sens, je vois, je constate que la France prend un retard considérable dans un système industriel, une ambition industrielle. En effet le nucléaire, au-delà d’être un producteur d’énergie, est d’abord une industrie qui implique énormément de science et de valeur ajoutée technologique. Or nous sommes en train de perdre pied, nous ne sommes plus la référence.
Pierre Papon
Je réponds à la question sur l’off-shore. Six projets ont été attribués par l’État pour six parcs dont la construction n’a pas encore commencé à cause des recours devant les tribunaux administratifs de personnes qui ne veulent pas voir une éolienne à l’horizon. Le gouvernement s’est engagé sur un nouveau contrat pour un parc off-shore au large de Saint-Nazaire. La plupart de ces procès sont réglés. Le Conseil d’État a rendu un arrêt par rapport à un certain nombre de ces recours. Là se situait le principal frein.
L’éolien off-shore français rencontre aussi un problème technique car la côte française tombe assez vite à pic. Ce problème côtier, qui ne se pose pas au Danemark ni au Nord de l’Allemagne, est soluble.
Vous avez posé aussi une question sur les déchets nucléaires. Effectivement des travaux de recherche sont en cours sur le stockage ou l’élimination des déchets nucléaires, notamment au laboratoire de recherche souterrain de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) à Bure en Meuse/Haute-Marne.
Pour l’instant, le site est conçu pour être réversible jusqu’en 2150. Des travaux de recherche portent sur la possibilité de casser les déchets nucléaires à vie longue, par transmutation, notamment dans le cadre d’un projet européen, financé par l’Euratom, au centre nucléaire de Mol, en Belgique, avec la participation du CEA et du CNRS. Le principe est assez ancien : à l’aide d’un accélérateur de particules, on envoie des neutrons sur le cœur d’un réacteur fonctionnant avec un combustible composé d’uranium, de plutonium et de déchets nucléaires à vie longue que l’on veut casser. L’idée est de faire d’une pierre deux coups : faire fonctionner un réacteur avec un accélérateur et, en même temps, casser les déchets par transmutation (en cas d’accident, on coupe le courant et cela arrête la réaction). Il n’est pas évident qu’on y parvienne. Le prix Nobel français Gérard Mourou propose d’utiliser un laser de puissance pour casser les radionucléides. Il n’est pas évident que cela fonctionne. Comme l’a dit Henri Proglio, il y a des projets de petits réacteurs modulaires (100 à 200 MW). Une étude du MIT en partie financée par EDF préconise ce genre de solution qui serait plus économique parce qu’on ne ferait pas seulement de la réaction en chaîne mais de la production « en chaîne » de réacteurs.
Olivier Appert
J’ai été administrateur d’EDF pendant six ans. On parle avec cette réorganisation d’une sanctuarisation du nucléaire mais je considère qu’il y a un risque de fragilisation du nucléaire dans la mesure où l’idée serait de mettre le nucléaire à 100 % sous le contrôle de l’État. Il sera donc très facile de décider de limiter à 50 % la part du nucléaire en 2025 car l’État, pour des raisons politiques, peut décider de gaspiller l’argent et accepter des pertes de valeur considérables. Ces derniers mois, la fermeture de Fessenheim a subi des contraintes dues au fait qu’EDF étant coté en bourse, l’État ne pouvait pas faire n’importe quoi. Ce que l’on présente comme une sanctuarisation risque de se révéler une fragilisation du nucléaire.
En ce qui concerne les déchets nucléaires la transmutation est connue depuis très longtemps mais, comme le disait excellemment Turgot : « Moins on sait moins on doute ». Donc on n’en sait rien et on ne doute absolument pas des bénéfices. Il est clair que le problème aujourd’hui est de se lancer dans le stockage des déchets radioactifs tel qu’il est envisagé à Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) et dans le contexte de la consultation en cours.
Gérard Pierre [2]
Jean-Pierre Chevènement se posait des questions sur le fonctionnement de l’EPR. Parviendrons-nous à faire cet EPR en France ? Je n’en doute pas une seconde. Deux EPR fonctionnent déjà en Chine et produisent de l’électricité. Nous rencontrons un problème de soudure assez complexe mais qui devrait être résolu sans trop de difficultés.
Ma deuxième remarque s’adresse à M. Papon. J’ai cru comprendre qu’Astrid n’était plus financé et que le CEA n’allait plus s’y intéresser. On murmure même que le CEA pourrait ne plus s’intéresser à tout ce qui est nucléaire…
Je viens de lire un article sur une concentration accrue de gaz méthane dans l’atmosphère. Pour l’instant on n’en connaît pas l’origine. Quelques hypothèses ont été faites. On utilise de plus en plus de gaz, on peut donc penser à des fuites. Et les gaz de schiste sont peut-être à l’origine de fuites beaucoup plus importantes. C’est un sujet extrêmement important pour le climat.
Pierre Papon
Il est vrai que l’on constate depuis quelques années une augmentation de la concentration de méthane dans l’atmosphère. L’explication des fuites sur les gisements n’est pas suffisante. On parle d’une dégazéification liée au dégel du permafrost.
Le projet Astrid à Cadarache est financé en partie par le programme « Investissements d’avenir ».
Dans la salle
En début de séance, M. Chevènement a parlé du problème de l’ARENH [3].
L’AEN (Agence pour l’Energie Nucléaire) a des effets particuliers sur le système. La CRE (Commission de Régulation de l’Energie) fixe désormais le prix du « tarif bleu » dont la dernière augmentation ne correspond à rien. Ces évolutions sont-elles dues au hasard ou à des choix politiques non éclairés ? N’est-ce pas plutôt le résultat d’une stratégie anti-nucléaire ? Pour diminuer le nucléaire en France, il fallait détruire EDF. Les écologistes français, qui ont une formation d’extrême gauche classique, ont selon moi une stratégie structurée pour casser EDF afin de mettre fin au nucléaire.
Jean-Pierre Chevènement
Mais le système dit d’« accès régulé à l’énergie nucléaire historique » (expression un peu ampoulée) a bien une origine !
Henri Proglio
Une directive européenne de plus que nous nous sommes empressés de traduire !
Évitons la théorie du complot. L’ARENH est liée à l’inconséquence de la traduction en France d’une directive européenne initiée par les anti-nucléaires, allemands en particulier. On pouvait y survivre… Je me suis battu sans trêve pour essayer de défendre un prix acceptable de l’ARENH, au nom du bon sens : puisqu’on nous oblige à vendre une partie de notre électricité nucléaire, que ce soit au moins au prix de revient, sans marge. Mais ce n’était pas du tout l’ambition du législateur. Il a fallu des années de combat pour que je parvienne à arracher un chiffre à 42 euros le MWh, ce qui est encore inférieur au coût de revient, mais pour un volume limité. Aujourd’hui, sans autre directive européenne, mais avec la bonne conscience d’un système qui n’a plus de vision, on va peut-être augmenter le prix mais on va augmenter beaucoup plus le volume – ce qui est encore plus grave – sans que personne ne réagisse ! Je croyais de mon devoir de défendre la maison que je dirigeais mais aujourd’hui je n’entends aucune voix s’élever pour s’interroger sur la vision de l’entreprise.
Pourquoi laisse-t-on une publicité mensongère, délirante, se déverser tous les jours sur nos écrans de télé pour promouvoir une énergie « verte » qui est en réalité achetée à EDF ! C’est de l’escroquerie. Autrefois un bureau de vérification de la publicité interdisait de faire de la publicité mensongère. Aujourd’hui c’est le CSA qui en est chargé, autant dire personne… On laisse faire. Où cela va-t-il s’arrêter ?
Jean-Pierre Chevènement
Nous sommes en présence d’un symptôme supplémentaire de dégradation de l’État et de la démocratie puisque ces directives sont émises par une autorité qui n’a pas de comptes à rendre. Des transpositions se font par voie législative mais aussi de plus en plus – je le note à travers la lecture de la loi sur l’énergie – par voie d’ordonnances. Le circuit est complètement bouclé.
Dans la salle
Je suis une victime de l’éolien terrestre et côtier. On a parlé de l’acceptabilité de l’éolien sur le terrain. Il faut le vivre pour le comprendre. Cela défigure le paysage français et c’est très bruyant. L’éolien off-shore détruit les espèces marines, sans parler des oiseaux, et se substitue aux activités comme la pêche côtière. Même implantées à dix ou quinze kilomètres des côtes ces éoliennes de 210 mètres de haut seront visibles. Et leur taux de charge ne dépassera pas 30 %. Ne parlons pas de leur coût !
Pierre Papon
Les éoliennes produisent en effet des nuisances.
S’agissant de la politique européenne de l’énergie, je me demande si la France n’a pas manqué des occasions dans les années 1980. L’Allemagne nous avait proposé de coconstruire un surgénérateur, nous ne l’avons pas fait. Selon plusieurs témoignages, non seulement de dirigeants de l’Euratom mais d’anciens responsables, y compris au niveau ministériel, le CEA a contribué à saboter l’Euratom dans les années 1960-1970. Il y avait à cela quelques raisons. En effet, la France craignait, à l’époque, un contrôle du combustible nucléaire, notamment le plutonium, alors qu’elle construisait sa force de dissuasion nucléaire. Mais nous n’avons pas essayé de jouer la carte européenne alors qu’il en était encore temps. Je pense que nous avons une responsabilité dans un certain nombre d’échecs de la politique européenne de l’énergie.
Jean-Pierre Chevènement
Merci à nos intervenants pour leurs contributions très éclairantes.
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[1] « Électricité : les erreurs de l’Europe et comment en sortir ? » par Jean-Paul Bouttes et François Dassa, dans la revue Le Débat n° 197, 2017/5, p. 167-181.
[2] Gérard Pierre est professeur émérite de Physique à l’Université de Bourgogne, vice-président de « Sauvons le Climat », une organisation observatrice dans le processus UNFCCC, admise par la Conférence of the Parties (COP) le 19 janvier 2016.
[3] Le dispositif de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) a été créé en 2010 par la loi Nome. Cette loi sur la Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité avait pour but la création d’un marché régulé qui permettrait une concurrence « équitable » entre les fournisseurs. Il s’agissait de permettre aux fournisseurs concurrents d’EDF de se développer en mettant fin à la situation de quasi-monopole d’EDF sur la production d’électricité française grâce notamment à son parc nucléaire. Pour répondre aux exigences européennes, la loi Nome a donc conduit à la mise en place d’un dispositif contraignant EDF à vendre une partie de son électricité nucléaire à des prix régulés. L’ARENH est entrée en vigueur le 1er juillet 2010 par les articles L 336-1 à L 336-10 du code de l’énergie.
Le cahier imprimé du colloque « Défis énergétiques et politique européenne » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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