Souveraineté européenne, déni ou défi ?

Intervention de Marie-Françoise Bechtel, ancienne députée de l’Aisne, conseiller d’Etat (h), vice-présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque « La souveraineté européenne, qu’est-ce à dire ? » du mardi 16 avril 2019.

Ma tâche sera difficile puisque je succède à un orateur brillant, convaincant parce que convaincu, très imprégné de son sujet, appuyant un discours auquel j’ai moi-même parfois été sensible sur de nombreuses références historiques et un véritable vécu.

Succédant à ce plaidoyer vibrant, je crains, en disséquant au scalpel une matière froide, que mon propos soit beaucoup moins plaisant à écouter.

Vous nous dites que l’expression « souveraineté européenne », parfois « partagée », parfois « limitée », telle que l’emploie le Président de la République, ne doit pas être entendue littéralement. Il l’utiliserait pour signifier autre chose … Qu’est-ce à dire ?

D’aucuns l’ont accusé d’inventer un oxymore. Je discerne d’ailleurs chez lui une tendance à l’innovation sémantique que j’interprète comme une sorte de fuite en avant. De même avait-il déclaré au début de la crise des « Gilets jaunes » : la mondialisation aborde maintenant une nouvelle phase, elle ne sera plus ce qu’elle était… Avec la « souveraineté européenne », le Président de la République s’engage dans une fuite en avant parce que l’objet européen est devenu hypersensible. En effet, comme Jean-Michel Quatrepoint et Jean-Louis Bourlanges l’ont très bien dit, l’Europe d’aujourd’hui affronte d’énormes défis. Elle se trouve confrontée au maintien de la puissance américaine, qui, si elle n’est plus « l’hyperpuissance » reste une puissance très dominante, et à la montée du géant chinois dont personne, sauf des esprits particulièrement lucides, n’avait soupçonné la rapidité.

Il y a donc une sensibilité objective à la question : que peut faire l’Europe ?

Mais il y a aussi des données subjectives parce qu’on ne peut plus ignorer aujourd’hui la crise du ressenti européen dans la population, en France comme dans la plupart des autres pays de l’UE.

Et sur ce point, je ne crois pas à la thèse que vient de développer Jean-Louis Bourlanges de l’abandon de l’idée européenne dans les années 1990. C’est bien d’ailleurs Jacques Chirac qui a voulu imposer l’idée d’une Constitution européenne à tout prix, y compris par la voie d’un référendum (qu’il perdra en 2005). Dans les années 1990, je me trouvais auprès du Garde des sceaux chargé de faire voter la réforme constitutionnelle imposée par le traité de Maastricht. Au Parlement j’ai vu Jacques Chirac littéralement osciller, d’un jour à l’autre, d’une nuit à l’autre. Je crois qu’il a attendu très longtemps avant de savoir ce qu’il allait voter et faire voter. Il balançait : d’un côté il ne voulait pas aider François Mitterrand mais d’un autre côté on était dans la phase de la grande rencontre entre une gauche socialiste qui s’est résignée au marché par ferveur européenne et une droite qui, sortant du gaullisme, a accepté l’Europe pour avoir le marché. C’est cette grande alliance, non dite, qui marque selon moi le tournant des années 1990.

Comme par hasard, c’est à partir de ces années-là que l’euroscepticisme monte tout particulièrement en France. Et, phénomène extrêmement intéressant, ce sont les jeunes qui ont massivement voté non au référendum de 2005. Leurs aînés se laissaient bercer par les discours sur le mode « l’Europe c’est la paix », une vision des choses qui me paraît un peu légère car l’Europe n’est pas mère de la paix, mais en est plutôt la fille. L’élargissement à l’Est venait d’avoir lieu. Les jeunes voyaient leurs parents au chômage et constataient que l’Europe n’était pas du tout ce qu’on avait « vendu » à la génération précédente. Je l’ai fortement ressenti en militant (pour le non, je m’en excuse auprès de Jean-Louis Bourlanges !) au moment du référendum. Cet état d’esprit n’a d’ailleurs pas tellement changé, les sondages le montrent.

C’est donc peut -être à cause de tout ce non-dit que le propos du Président de la République intervient un peu comme un « objet non identifié » dans le champ de la sémantique politique. Pour autant, nous sommes un pays où on aime bien appeler un chat un chat. C’est sans doute pour cela que le Président ne parle pas de fédéralisme. Il a donc adopté, dans le champ de l’expression publique, l’expression « souveraineté européenne », qu’il présente parfois comme une souveraineté partagée, notamment devant le Parlement de Strasbourg il y a tout juste un an, et, à d’autres moments, comme une souveraineté limitée.

Que penser alors de cet objet sémantique ?

Le droit n’est pas plus fondé qu’une autre discipline à interroger la parole politique. Aussi n’utiliserai-je pas l’argument selon lequel ce qui n’est pas fondé en droit n’a pas de sens politique. Mais je pense quand même que lorsqu’on met sur la table un concept aussi fort que la « souveraineté », qui désigne le fondement même de notre démocratie, le fondement de la nation, le fondement d’un État puissance qui exerce la compétence de la compétence, on ne peut pas s’en exonérer en prétendant avoir simplement voulu dire par là que l’Europe devait être plus puissante et que les citoyens européens devraient se sentir mieux protégés.

Il y a un an donc devant le Parlement de Strasbourg, Emmanuel Macron disait : « Je ne veux pas appartenir à une génération de somnambules ». Et en liaison avec cela il exprimait la nécessité de fournir à la France une sorte de solution « clés en main », une solution nouvelle.

Première équivoque dans ce discours présidentiel : de laquelle des deux faces de la souveraineté européenne Emmanuel Macron parle-t-il, la face interne ou la face externe de la souveraineté ?

La face interne de la souveraineté est le fonctionnement en principe démocratique d’institutions qui sont fondées sur un dêmos, un peuple. Du côté de sa face externe nous trouvons la question de l’État en tant qu’il exerce une puissance indépendante et inconditionnée.

Face à ces deux apories j’ai pour ma part plus d’indulgence pour l’idée d’une Europe puissance que pour celle d’une démocratie européenne. Car, si on appelle un chat un chat, il y a déni lorsqu’on dit qu’une souveraineté européenne peut exister aujourd’hui, rebus sic stantibus, sur la base des traités actuels. En revanche on peut penser que la volonté de faire une Europe puissance est un défi qui mérite quelque considération.

I/ La souveraineté européenne, un déni de démocratie

On peut inventer une souveraineté européenne mais il faut alors y mettre le prix institutionnel. À l’évidence on peut créer une souveraineté européenne si l’on considère que l’ensemble des prérogatives de la souveraineté et des attributions régaliennes peuvent être conférées à un État nouveau qui serait l’État européen, qu’il soit fédéral ou confédéral.

Un État fédéral supposerait la délégation permanente de compétences nationales ; un État confédéral serait au contraire constitué par les nations elles-mêmes s’obligeant – forcément par la voie de l’unanimité – à des politiques communes.

Il est toujours possible en théorie de créer un État confédéral européen souverain. Ce n’est pas celui qui existe, embryon de fédéralisme qui ne dit pas son nom. Si l’on excepte la monnaie et la négociation des traités commerciaux, les autres pouvoirs régaliens, sécurité, justice, diplomatie, budget – quoique grignotés mais c’est un autre sujet – restent, en théorie du moins, aux mains des États nationaux. Et ce sont les questions de moindre importance qui, toujours en théorie, remontent au niveau de la Commission. C’est donc en réalité, malgré la subsidiarité, un fédéralisme inversé. Mais pas totalement. En effet, et malheureusement, la souveraineté monétaire est du côté de l’Union européenne. Et surtout la justice européenne, par un grignotage rampant, joue un rôle véritablement fédéral et tient en lisière la loi et les règlements nationaux.

On peut donc parler d’un système mixte.

Or Emmanuel Macron ne veut pas toucher à l’Union européenne sur le plan institutionnel. C’est pourquoi il fuit en avant en promouvant sous le nom de « souveraineté européenne » ce qui est plutôt une accentuation d’un fédéralisme qui ne dirait pas son nom.

Qu’est-ce en effet que l’Union européenne aujourd’hui ?

Pour le Conseil constitutionnel français, c’est une organisation internationale d’une nature particulière. Franchissons le Rhin et examinons comment son homologue allemand, la Cour de Karlsruhe, voit les choses. Un arrêt bien connu du 30 juin 2009, intervenu à l’occasion de la ratification du traité de Lisbonne, pose d’une manière lumineuse l’analyse de la cour constitutionnelle allemande quant à la nature-même de l’Europe [1]. La Cour constate d’abord l’absence d’un peuple européen qui fonderait la souveraineté. Dès lors, dit-elle, l’Europe ne peut créer un ordre souverain, ni même un transfert irréversible des compétences. La souveraineté primordiale, ajoute-t-elle, demeure donc dans les mains des parlements nationaux (« dans les mains » signifiant qu’ils ne sont pas les détenteurs primaires).

Le point important, dans ce raisonnement, est l’enchaînement selon lequel il faut un peuple pour créer un ordre souverain, ainsi qu’un transfert irréversible de compétences. Cette dernière formulation renvoie à la théorie juridique allemande reprise par une certaine tradition constitutionnelle française, celle de Carré de Malberg, selon lequel l’État souverain dispose de la compétence de la compétence, c’est-à-dire qu’il peut toujours revenir sur un traité.

Et peu importe que le traité de Lisbonne ait aménagé dans un article 50 la procédure de retrait d’un État. En effet un État souverain peut toujours dénoncer un traité, même si ce n’est pas à n’importe quel prix ni sans un certain nombre d’effets. C’est le sens-même de la souveraineté.

Il y a donc dans ce raisonnement d’une parfaite clarté l’idée que tout dépend de l’existence d’un peuple, seul détenteur de la souveraineté. Celui-ci doit préexister avant toute création d’un État souverain et, comme le dit aussi à sa façon Régis Debray, il n’existe pas de peuple européen, même si, mettant la charrue avant les bœufs, on a institué un Parlement, comme si celui-ci pouvait engendrer un peuple (ce qui, pour un esprit cartésien, est quand même assez étrange).

Par ailleurs, et dès lors qu’il s’agit d’exister dans l’ordre international, il ne suffit pas qu’il y ait un peuple, il faut aussi qu’il y ait un État. Nous avons maints exemples dans le monde actuel de peuples démocratiques qui ne disposent pas de la puissance souveraine… et, soit dit en passant, d’États souverains qui ne sont pas démocratiques.

Quelles sont les conclusions à tirer de ce qui précède ?

Tout d’abord, appliquer à l’Union telle qu’elle existe la notion de « souveraineté européenne », c’est finalement faire l’économie d’une réforme d’institutions qui, en réalité, ne fonctionnent pas d’une façon démocratique : le Parlement n’est pas un parlement à part entière, le Conseil des ministres est la seule institution démocratique puisqu’elle procède, indirectement mais nécessairement, des peuples, et surtout la Commission européenne joue à moitié le rôle de l’exécutif et partiellement le rôle d’un législatif (bien que le traité de Lisbonne ait un peu rebattu les cartes), en même temps que d’une administration d’État ! On n’a jamais vu une démocratie fonctionner de cette manière. Il n’est pas étonnant que les « citoyens européens » n’y comprennent pas grand-chose et se détournent de plus en plus lorsqu’en outre ils voient cette mécanique européenne, très boiteuse sur le plan des principes qu’on leur avait enseignés, procéder à une déferlante de lois, règlements et autres directives qui viennent dans les domaines les plus divers impacter leur vie quotidienne.

Une interprétation plus favorable est-elle possible ? Dans la volonté du Président de « sortir du somnambulisme [2], faut-il penser comme l’un des directeurs des études de la Fondation Schuman commentant les desseins d’Emmanuel Macron tels qu’exprimés devant le Parlement européen qu’: « il s’agit non de porter un projet d’intégration fédérale mais de renforcer la coopération des pays européens sur ces sujets qui tiennent à la souveraineté des États » ? Ces sujets sont la sécurité, la croissance, la protection commerciale et le développement durable et numérique, précisément ceux qu’Emmanuel Macron avait énumérés devant le Parlement de Strasbourg. Or rien n’empêche aujourd’hui le Conseil européen, organe démocratique, de rechercher un consensus sur ces questions. Le partage de souveraineté serait alors une entente entre les États, rien de plus. Mais pourquoi baptiser « souveraineté européenne » – fût-elle partagée – cette éventuelle entente, si ce n’est pour marquer une sorte d’emplacement possible pour un projet fédéral plus abouti qu’il ne l’est aujourd’hui et surtout pour ne pas entrer dans l’idée d’un projet confédéral qui consisterait à renforcer le pouvoir du Conseil des ministres, seule instance démocratique de l’Union européenne (sur ce point je suis en radical désaccord avec Jean-Louis Bourlanges) ?

Le déni des principes démocratiques les mieux affirmés me conduit donc à penser que, effectivement, la souveraineté européenne dans sa face interne, c’est-à-dire dans le fonctionnement-même de l’Union, est bien un oxymore.

II/ La puissance européenne comme défi

Reste la seconde approche, celle du pari sur une Europe dans laquelle le mot « souveraineté » exprimerait la puissance d’une entité apte à gérer les affaires la concernant face aux autres puissances. Qui pourrait dire que ce point ne nous touche pas, nous, citoyens français, membres de l’Union européenne et que nous ne jugions pas nécessaire de relever ce défi, comme l’a dit Jean-Michel Quatrepoint ?

On pourrait ainsi imaginer une sorte de transposition de l’ordre westphalien à un niveau où l’Europe tiendrait la place qui fut celle des États-nations. On le voit bien, l’hypothèse d’une « souveraineté européenne » formulée par le Président de la République est visiblement inspirée par la « trumpisation » de la relation occidentale et la montée de la Chine. Or ce ne sont pas de minces défis. Si la sortie du somnambulisme signifie que c’est une occasion que l’Europe ne doit pas laisser passer, je dois dire que c’est à mes yeux une idée forte. Justifie-t-elle le vocabulaire employé ? C’est un point que je trouve plus délicat.

En l’absence d’un État qu’il soit fédéral ou confédéral, les deux, on l’a vu, étant théoriquement possibles, la souveraineté européenne dans sa dimension externe est a priori un concept aussi fragile que l’est dans sa dimension interne, faute d’un peuple, la souveraineté européenne dans le fonctionnement de ses institutions.

De même en effet que la souveraineté dans sa traduction interne ne saurait s’accommoder de l’absence d’un peuple, de même l’indépendance nationale suppose-t-elle deux conditions fondamentales : elle ne peut être qu’inconditionnelle et elle doit reposer sur des intérêts communs.

Or où sont ces deux paramètres absolument nécessaires au développement d’une souveraineté européenne comme puissance de projection vers l’extérieur ?

J’exprimerai cette difficulté sous forme de trois questions interrogeant le défi, ou le pari qu’a peut-être voulu lancer le Président de la République.

S’agit-il d’abord d’affirmer ou d’améliorer l’indépendance de l’entité que constitue l’Union et plus précisément son indépendance vis-à-vis des autres grands pôles mondiaux, le grand allié américain et la Chine montante ?

Je vois deux failles importantes dans le dispositif :

La première est ce que je nommerai le « feuilleté », il s’agit d’exercer une souveraineté européenne seulement dans certains domaines (la sécurité, le numérique, la croissance, le développement durable). Certes si nous arrivions à l’exercer en ces domaines, nous serions tous extrêmement heureux de voir que l’Europe décolle. Mais ce « feuilletage » de la souveraineté va contre l’idée que la souveraineté est un bloc : elle est ou elle n’est pas. Ce sont des sujets qui pourraient parfaitement se partager dans le cadre des coopérations renforcées. Mais celles-ci sont tellement complexes dans la rédaction actuelle des traités qu’il vaudrait mieux faire une bonne révision de ces traités, chose en elle-même toujours possible comme l’a montré le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance). On se retrouverait avec un partage de pouvoirs (et non de souveraineté) dans un certain nombre de domaines où les États qui le voudraient pourraient avancer ensemble. Cela me paraît une option raisonnable.

Mais plus grave que le « feuilletage » de la souveraineté dans son champ d’action est sa limitation dans ses capacités mêmes d’exercice. La souveraineté européenne peut-elle s’accommoder d’une dépendance maintenue, fût-elle amoindrie, envers l’allié américain, qu’il s’agisse de l’extraterritorialité du droit, dont a parlé Jean-Michel Quatrepoint ou de la domination des États-Unis dans l’OTAN ?

En matière de défense, le Président a eu cette formule extraordinaire : « la souveraineté se nomme l’autonomie stratégique qui est une variante de l’amitié ». Il n’est plus question de juridique ni même de politique, nous sommes dans le pur affect littéraire ! Cela m’a rappelé, a contrario, les propos tenus par Immanuel Wallerstein lors d’un colloque en 2006 : « L’Europe n’est pas une puissance, c’est une presque puissance ». Il ajoutait : « S’il n’y a pas d’Europe plus politique, plus militaire, indépendante de l’OTAN, il n’y aura jamais d’Europe puissance et on n’instituera pas de multipolarisation du monde ». Je crois que la chose est assez bien dite.

Deuxième question : elle porte sur les conditions de réalisation des grands projets que pourrait porter une Europe à la souveraineté réinventée quoique limitée et en tout cas partagée. Peut-être faut-il considérer que l’avancée de notre continent vers une forme d’autonomie – je ne parle même pas d’indépendance – est la première marche vers une indépendance future.

Les choses vont si mal dans le monde actuel, notamment pour l’Europe, qu’un certain nombre de personnes qui, comme moi, sont plutôt classées dans les eurosceptiques seraient prêtes à de grands sacrifices si au moins l’Europe, par des marches successives, finissait par arriver à l’indépendance.
Mais faudra-t-il que la France achète cette autonomisation progressive de l’Europe par un abandon de prérogatives nationales qui la distinguent ? Je pense évidemment au siège permanent français au Conseil de sécurité de l’ONU. L’Allemagne, notamment Annegret Kramp-Karrenbauer, la future chancelière, pousse actuellement cette idée que François Hollande avait fort imprudemment voulu mettre dans son programme présidentiel avant de se raviser.

On voit bien se dessiner une tendance à vendre un peu vite nos prérogatives nationales pour obtenir une alliance européenne autour d’une autonomie limitée dans laquelle les avancées sont sans garantie aucune.

Enfin, troisième question, quels seraient les projets d’intérêt commun qui permettraient à l’Union européenne d’agir comme puissance souveraine ?

On ne saurait oublier qu’une puissance souveraine dans l’action extérieure repose sur deux conditions fondamentales, outre l’inconditionnalité de son indépendance : un leadership et des intérêts partagés.
Je n’aborderai pas la question du leadership qui pourtant se pose. Peut-être est-ce à cette lumière qu’il faut relire la saga du soi-disant « couple franco-allemand » depuis 1963.

Je finirai plutôt sur l’idée de communauté d’intérêts. Il me semble qu’il n’y a pas assez de commun en Europe pour fonder une fédération, ni même pour poursuivre, à travers des velléités d’indépendance plus ou moins réussies, un intérêt général européen qui permettrait de définir un projet partagé autre que celui de survivre. Mais n’y a-t-il pas au moins des projets d’intérêt commun qui permettraient à l’Europe d’agir comme puissance souveraine dans le futur ? Nous avons vu que le « feuilleté » de la souveraineté partagée pouvait parfaitement trouver sa place dans une autre mécanique. Mais avec ces intérêts communs du moins nous rapprochons-nous de la notion d’intérêt général européen qui pourrait peut-être un jour fonder et soutenir une « souveraineté européenne ». Il serait déjà très beau que l’Union trouve des positions communes sur certains grands sujets comme sa relation aux États-Unis, au moins en matière commerciale, mais aussi sa relation avec la Russie qui reste un trou noir.

On voit bien aujourd’hui quelle place béante est laissée à l’Europe comme le montre tout dernièrement encore l’initiative d’une opposition à la politique désastreuse des États-Unis vis-à-vis d’Israël qui fait l’objet aujourd’hui d’une démarche commune d’anciens ministres des Affaires étrangères de certains États européens … Il y a là une place que l’Europe serait bienvenue de prendre, y compris si elle pense à sa sécurité future.

Pour conclure, je dirai qu’il ne faut pas insulter l’avenir ni se montrer ultra-sceptique envers les petits progrès que l’Europe peut-être pourrait faire. Le défi est honorable si les conditions de sa réussite sont loin d’être acquises. Mais il serait infiniment préférable de ne pas donner un nom trompeur à d’éventuelles avancées d’une Union dont ni les institutions internes ni la force de projection à l’extérieur n’ont grand-chose à voir avec la souveraineté.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Marie-Françoise Bechtel. Vous avez évoqué en citant Immanuel Wallerstein les problèmes de la défense.

Je me souviens avoir entendu Robert Marjolin dire que le fait pour Jean Monnet d’avoir accepté de faire une Europe réduite au marché, en faisant l’impasse sur la défense dont l’Europe se défaussait sur les États-Unis, avait été absolument décisif parce que tout le reste en avait découlé.

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[1] On trouvera un commentaire de cet arrêt sur le site de la fondation Res publica.
[2] Le Président de la République faisait référence à l’ouvrage Les somnambules : Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre de Christopher Clark, éd. Flammarion, Coll. Champs Histoire, 2015.

Le cahier imprimé du colloque « La souveraineté européenne, qu’est-ce à dire ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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