E pluribus plures : l’impact électoral des recompositions démographiques aux États-Unis

Intervention de Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin, auteur de La Fin du rêve américain (Odile Jacob, 2017), et Histoire religieuse des Etats-Unis (Flammarion, 2012), au colloque « Où vont les Etats-Unis ? » du 29 janvier 2019.

Merci infiniment de cette invitation.

Les élections de mi-mandat de novembre 2018 ont produit des résultats complexes et les deux grands partis ont déclaré avoir emporté un succès incontestable. Pour les Démocrates, une nette supériorité dans le vote populaire justifiait le récit d’une « vague bleue ». Cependant, la traduction en sièges de ce vote populaire était amoindrie sinon neutralisée par une « digue rouge » mise en place dans les États par les Républicains, notamment sous la forme de charcutages de circonscription à leur bénéfice (« Gerrymandering »). Cette pratique, dont le nom remonte à 1812, est évidemment antérieure à l’élection de Donald Trump. En outre, elle est décidée au niveau de chaque État, donc en-dessous du niveau fédéral. Par ailleurs, c’est au niveau des États qu’elle peut être invalidée : ainsi, la Cour suprême de l’État de Pennsylvanie a ordonné un redécoupage en urgence des circonscriptions de l’État au début 2018 et certains États, lors de la consultation de novembre, ont confié ces découpages à des commissions indépendantes.

Les résultats des élections de mi-mandat sont d’autant plus complexes à analyser que le même jour dans le même État de l’Ohio, des électeurs ont pu se prononcer à la fois en faveur du sénateur démocrate sortant (Sherrod Brown) et pour le candidat républicain au poste de gouverneur (Mike DeWine). Au Texas, les hommes ont voté majoritairement pour les candidats républicains, mais les femmes ont voté tantôt pour le Démocrate Beto O’Rourke pour le Sénat, tantôt pour le Républicain Greg Abbott pour le gouverneur. Ces subtilités invitent donc à la prudence quant aux conclusions que l’on voudrait tirer des résultats du scrutin.

Penchons-nous dans un premier temps sur quelques enseignements de la géographie du vote de 2018, tout d’abord au niveau régional, avec les États de la Rust Belt (Ceinture de la Rouille, les États désindustrialisés de la région des Grands Lacs). En 2016, Hillary Clinton n’a pas jugé bon d’y faire campagne : comment ces bastions démocrates historiques pouvaient-ils faire défaut ? Et pourtant, la victoire de Donald Trump est notamment due à sa victoire pour quelques dizaines de milliers de voix dans ces États. Nombre des électeurs de Donald Trump, vite qualifiés de « racistes », avaient pourtant soutenu Barack Obama en 2008 voire en 2012. En 2018, les Sénateurs démocrates en lice dans le Wisconsin, Michigan, Ohio et Pennsylvanie ont tous été reconduits, alors que le Michigan et le Wisconsin ont élu des gouverneurs démocrates à la place des sortants républicains. Ces résultats démentent un ancrage durable des Républicains dans la région, ce qui pourrait porter un préjudice décisif à la réélection de Donald Trump en 2020 – sauf à considérer qu’une élection de mi-mandat n’est pas un indicateur très fiable de la présidentielle à suivre, ce qui est parfois vrai (voir les précédents de 1994 et 2010).

À un niveau plus local, les observateurs ont porté une attention toute particulière aux circonscriptions qui, en 2016, avaient voté pour Hillary Clinton à la présidentielle tout en élisant un représentant républicain le même jour. En 2018, la tendance à une « libéralisation » de ces circonscriptions s’est confirmée : les sortants républicains ont été massivement sortis par des Démocrates, notamment dans des bastions républicains historiques comme le comté d’Orange, Californie, entre Los Angeles et San Diego. Bien sûr, la Californie est nettement ancrée du côté des Démocrates pour la présidentielle, donc cette évolution n’a aucune conséquence au niveau de l’État. En revanche, d’autres banlieues résidentielles aisées, sur le même modèle sociologique que le comté d’Orange, se trouvent dans des États « rouges », qui pourraient basculer du côté des Démocrates dès 2020. C’est le cas des banlieues tentaculaires d’Atlanta (Géorgie) ou Houston (Texas).

Le réalignement qui semble à l’œuvre dans les banlieues résidentielles permet d’articuler la géographie et la sociologie du vote et d’essayer d’en tirer des enseignements à moyen terme, c’est-à-dire au-delà des scrutins qui pourraient être déterminés davantage par l’anti-trumpisme primaire que par les mutations démographiques plus profondes. Depuis le début du siècle, des observateurs avisés (plutôt démocrates par ailleurs) prédisent l’émergence à plus ou moins court terme d’une majorité démocrate permanente car structurelle, reposant sur l’essor des minorités et la sécularisation d’un côté, et de manière corrélative du déclin de la population donc de l’électorat blanc et chrétien. Cette thèse séduisante en apparence se heurte pourtant à l’obstacle d’une réalité cruelle : les électorats décisifs pour l’établissement de cette majorité démocrate permanente peuvent être comparés à des « géants endormis ». À l’origine, le terme s’applique aux Hispaniques, car leur poids démographique sans cesse croissant n’est pas reflété dans les urnes. Le géant démographique n’est donc pas (encore ?) un géant électoral. Dans La fin du rêve américain ? (Odile Jacob, 2017), j’ai proposé d’étendre le concept de « géant endormi » à deux autres populations montrant des caractéristiques similaires : les « sans Église », ou « non affiliés » (Nones en anglais) et les jeunes (Millennials / Post-Millennials, nés à partir de 1982).

La catégorie « sans Église » est peu satisfaisante mais largement usitée par les sondeurs et centres de recherches, nous devons donc nous en contenter, mais non sans souligner son extraordinaire hétérogénéité. En effet, leur seule caractéristique commune est de n’appartenir, de ne se revendiquer d’aucune Église (presbytérienne, baptiste, mormone, catholique etc.). Ils incluent mais ne sont en aucun cas réductibles aux athées, voire aux agnostiques : la majorité sont en effet croyants, un bon quart se dit pratiquant (prie tous les jours).

Comme les Hispaniques, pourtant, leur poids démographique croissant (25 % de la population adulte et jusqu’à 40 % des 18-29 ans) peine à se traduire dans les urnes. Au contraire, les évangéliques blancs sont en déclin constant, sur tout le territoire, mais ils parviennent à être systématiquement surreprésentés dans les urnes. En Floride, ils représentent 14 % de la population mais 29 % des électeurs en novembre 2018. Quand on sait que les scrutins en Floride se décident à quelques milliers de voix près, c’est un appoint absolument vital pour les Républicains. Au Texas, ils sont 27 % des électeurs pour 16 % de la population, dans le Tennessee, 48 % des électeurs pour 33 % de la population.

Pour schématiser, les évangéliques sont très fidèles à Donald Trump et réceptifs à sa ligne dure en matière de politique migratoire, ce qui tranche avec le reste de l’opinion publique, assez largement favorable à une forme d’amnistie en faveur des clandestins arrivés enfants et intégrés, par exemple. Autre signe des temps : dans les années 1990, deux tiers des Américains estimaient que les immigrés étaient un fardeau économique, alors qu’un tiers pensaient que par leur travail, ils constituaient un apport bénéfique à l’économie du pays. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Le point d’inversion se situe autour de 2012, mais l’effet Trump se traduit par un très net accroissement de l’écart entre les deux positions, si bien que la tendance actuelle est l’exact opposé de celle de 1994 : deux tiers des sondés pensent que les immigrés sont une chance, un quart qu’ils sont un fardeau. Quant au « mur » à la frontière américano-mexicaine (dont une partie existe déjà), seuls les Blancs y sont favorables, et encore, pas les diplômés du supérieur. Les évangéliques y sont les plus favorables, les « sans Église » y sont les plus défavorables, dans des proportions équivalentes (70 % – 25 %).

Sur ces questions les médias tendent un miroir déformant à l’opinion. En effet, le sujet immigration se réduit souvent au mur et aux caravanes de migrants originaires d’Amérique centrale (Honduras etc.). Or, les Hispaniques ne représentent plus la majorité des arrivées depuis une décennie : ils ont été supplantés par les Asiatiques, autre catégorie particulièrement disparate, qui inclut l’Inde aussi bien que l’Indonésie, le Japon et évidemment la Chine. En 2016, les Asiatiques représentaient 37,1 % des immigrés de l’année contre 31 % pour les Hispaniques. Les niveaux d’éducation et de revenus entre ces groupes et au sein de ces groupes peuvent être particulièrement marquées. La géographie de l’accroissement de la population asiatique peut s’avérer très utile car elle articule démographie, sociologie, géographie et conjoncture électorale. Les recensements de 2000 et 2010 montrent ainsi qu’à Houston (Texas), les Asiatiques s’installent de préférence dans les banlieues du Sud-Ouest de l’agglomération. Cette concentration d’Asiatiques recouvre deux circonscriptions : l’une très nettement démocrate, l’autre qui vient de tomber dans l’escarcelle démocrate.

Le dernier enseignement des élections de mi-mandat de novembre 2018 est en réalité une mise en garde méthodologique quant à l’analyse un peu rapide qui a été faite du « vote des femmes » et du « gender gap ». Certes, globalement, les femmes ont assez nettement plébiscité les candidats démocrates, mais ce basculement n’est décisif que si, dans le même temps, les hommes ne plébiscitent pas leurs rivaux républicains dans des marges supérieures. En effet, dans ces cas-là, des phénomènes de surcompensation peuvent simplement annuler l’avantage en faveur des Démocrates que constitue cet afflux de suffrages féminins.

Par ailleurs, le « vote des femmes » est une catégorie très vaste et imprécise. On parle en réalité des femmes blanches : les femmes noires et hispaniques votent démocrate dans des proportions très élevées, de l’ordre de 90 % pour les femmes noires. La question à ce moment-là est le poids de l’effectif des femmes noires dans l’électorat : si elles ne représentent « que » 8 % de l’électorat, comme en Floride, alors que les femmes blanches représentent 35 % de l’électorat, le vote noir ne sera pas décisif. Chez les femmes blanches, il faut ensuite distinguer les femmes mariées, qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre, des femmes non-mariées, généralement assez largement démocrates, mais moins nombreuses que les mariées. Même ligne de fracture au niveau de l’éducation : les femmes sans diplôme votent généralement républicain et sont plus nombreuses que les femmes diplômées du supérieur, qui semblent de plus en plus acquises aux Démocrates. Cependant, comme elles sont moins nombreuses (14 % de l’électorat du Michigan contre 24 % de femmes non diplômées, 15 % contre 26 % dans le Wisconsin), il faut que la marge en faveur des Démocrates chez les diplômées soit très nettement supérieure à la marge en faveur des Républicains chez les non-diplômées, sans quoi l’avantage apparent sera surcompensé et annulé.

Enfin, la clé des scrutins est rarement dans les mains des électeurs se revendiquant démocrates ou républicains – il est tout de même indispensable qu’ils se mobilisent pour leur camp, bien sûr. Les électeurs qui se disent indépendants (et donc explicitement pas démocrates et pas républicains) sont ceux qui vont faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Le défi des deux camps est donc à la fois de conforter la base et de parler aux centristes. De même les « modérés » (par opposition aux « conservateurs » et aux « progressistes ») pèsent 40 % de l’électorat dans des États comme le Michigan et le Wisconsin : en général, ils votent démocrate, mais s’ils votent plus nettement pour les Démocrates, ils déterminent l’issue du scrutin. L’opinion américaine est polarisée, certes, mais pas forcément autant qu’on le croit, et pas autant que son personnel politique : les Démocrates et Républicains modérés, centristes, sont en effet de moins en moins nombreux, mais il subsiste au moins un bon tiers d’électeurs indépendants et/ou modérés qui détiennent les clés des scrutins au niveau des États et au niveau fédéral. Les équipes de campagne des deux camps ne doivent pas les négliger au risque de les faire fuir chez la concurrence. Si c’est un défi commun aux deux grands partis, il est particulièrement évident pour Donald Trump, qui a pris grand soin de conforter sa base depuis le début de son mandat, mais au risque de pousser les indépendants et les modérés dans les bras de ses adversaires démocrates, qui leur semblent « moins pire ».

Pour les Démocrates, bien sûr, il s’agira de dépasser l’anti-trumpisme, qui ne constitue pas un programme politique satisfaisant. De même qu’il s’agira d’être autre chose que le vote « moins pire ». La clé du succès démocrate est à la fois dans la mobilisation des géants endormis mais également dans la mobilisation de son électorat de base, dont font partie les Noirs. La participation des Noirs est particulièrement élevée, preuve que la participation n’est pas forcément corrélée au niveau d’éducation et de revenu. En 2012, la participation des Noirs à la présidentielle était d’ailleurs légèrement supérieure à celle des Blancs, pour la première fois. Or, le succès de Donald Trump en 2016 s’explique notamment par le spectaculaire décrochage de la participation des Noirs au niveau national mais également au niveau d’États-clés comme la Pennsylvanie ou, de manière très marquée, dans le Wisconsin. Ce déficit de voix conjugué à une très légère surmobilisation des Blancs a permis à Donald Trump de coiffer Hillary Clinton au poteau dans suffisamment d’États pour emporter le collège électoral.

Une partie du cahier des charges du ou de la candidat(e) démocrate en 2020 sera donc de (re)mobiliser les Noirs, mais également les « géants endormis ».

Comment faire ? Les jeunes semblent réceptifs à des propositions concrètes en matière de régulation de l’accès aux armes à feu, mais peut-être au risque de perdre les Blancs du Midwest. Un système de santé national pourrait plaire aux revenus les plus bas, mais pas forcément aux centristes qui redoutent l’endettement massif que cela impliquerait. La question des infrastructures et du financement de leur modernisation pourrait être assez consensuelle, de même que le problème de plus en plus universel de la dégradation de la santé des Américains. En effet, malgré le dynamisme apparent de la démographie (une population croissante), on assiste depuis 2015 à un phénomène rare dans les pays industrialisés, à savoir la baisse de l’espérance de vie à la naissance. Les États-Unis ont toujours été légèrement à la traîne de la France en la matière, mais l’écart se creuse, notamment depuis les années 1980 (donc bien avant Donald Trump) et les États-Unis sont désormais nettement derrière les pays du G7. Cette baisse de l’espérance de vie s’explique par une surmortalité liée à une augmentation continue du nombre d’obèses et de personnes en surpoids (et les conséquences cardiovasculaires que cela entraîne), le nombre de diabétiques, mais aussi et surtout la hausse spectaculaire des « décès de désespoir » (deaths of despair) causées par les suicides, l’alcoolisme et les surdoses de drogue, en particulier les opioïdes (fentanyl). La croissance de cette morbidité et de cette mortalité est assez générale sur le territoire mais elle est particulièrement aiguë dans certaines poches : la « Black Belt » du Vieux Sud (Alabama, Mississippi), une partie du Midwest-Sud (Oklahoma), l’Ouest (Nouveau-Mexique, Nevada, Californie du Nord) et les Appalaches (Virginie-Occidentale) ainsi que tout le grand Nord-Est de manière plus diffuse.

L’opinion américaine est clairement divisée, peut-être plus que polarisée et la dégradation des infrastructures comme de l’état de santé des Américains est un double sujet d’inquiétude dans la mesure où elle est un signe du déclin des États-Unis. « Restaurer la grandeur de l’Amérique » (Make America Great Again), c’est après tout suffisamment vague pour s’appliquer aux Républicains comme aux Démocrates. La difficulté sera de présenter des projets (et non simplement des invectives) qui soient suffisamment ambitieux pour prendre à bras le corps ces problèmes très bien identifiés, tout en étant suffisamment modérés dans leur financement (et dans le rôle de l’État fédéral dans celui-ci) pour ne pas faire fuir les centristes. Si le « socialisme » n’est plus le tabou qu’il fut, au moins dans l’électorat démocrate, aucune victoire n’est possible en se contentant de flatter sa base.

À moyen terme, une certaine forme de démocratisation de l’électorat semble inéluctable. Elle s’explique par la conjonction de mutations démographiques (déclin des Blancs, essor des minorités), sociologiques (déclin des évangéliques, essor des sans Église, vote des diplômés) et géographiques (banlieues résidentielles qui penchent côté démocrate). Cependant, ce grand basculement peine à se concrétiser car il est retardé par une autre conjonction de facteurs : la sous mobilisation des « géants endormis » indispensables aux Démocrates, la surcompensation des certains groupes pro-républicains (évangéliques, hommes, non diplômés) et la « digue rouge » mise en place par les États républicains (gerrymandering en particulier). Le grand défi de la démocratisation des États-Unis joue sur le double sens du mot : pour que les Démocrates puissent espérer l’emporter, ils doivent s’employer à renforcer le processus démocratique : faire en sorte que les découpages de circonscriptions soient plus neutres, mobiliser les différentes composantes de leur coalition électorale, mais aussi et peut-être surtout s’efforcer de proposer des idées qui soient suffisamment bien pensées pour réunir à la fois la base militante et les indispensables centristes (modérés et indépendants). Pour l’instant, ils peuvent capitaliser en partie sur l’anti-trumpisme, mais celui-ci ne sera pas éternel.

Je vous remercie de votre attention.

Jean-Pierre Chevènement
Merci M. Henneton pour ces analyses très affinées.
Si je juxtapose ce que vous venez de nous dire et ce que nous a dit le professeur Kaspi aux analyses économiques qu’a développées Mme Pisani, on voit quand même qu’il y a une panne du progrès social qui se traduit également dans les statistiques que vous donnez. Et on se demande pourquoi les Démocrates ne sont pas capables d’exploiter une situation qui devrait en principe leur être favorable.
N’est-ce pas essentiellement du fait que les Démocrates ne prennent pas à bras-le-corps la question sociale et pensent pouvoir régler la question électorale à travers une série d’additions de catégories sans faire appel finalement à une vision mobilisatrice, à une vision politique ?

Lauric Henneton
Il y a deux aspects. Le premier est l’aspect (trop ?) rationnel des Démocrates qui comptent de manière sociologique, par petits groupes. C’est la « stratégie Terra Nova » qui vient d’ailleurs directement des États-Unis. Je ne vous cache pas que le fait que les États-Unis disposent de statistiques ethniques est particulièrement utile pour le chercheur. Mais la France est beaucoup plus rétive à cette catégorisation des gens dans des petits boîtes… qui sont d’ailleurs très compliquées : qu’est-ce qu’un Hispanique ? Les Hispaniques sont-ils blancs ou non-blancs ? Ces questions suscitent maintes discussions méthodologiques. C’est clairement un choix du côté des Démocrates. Il y a un certain nombre de grandes politiques comme l’Obamacare, ou le Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez.

Mais il y a également un aspect moins rationnel bien rendu par le titre d’un livre fameux qui a mis du temps à être traduit en français par Pourquoi les pauvres votent à droite ? [1]. Le titre original de ce livre paru en 2006 était What’s the Matter With Kansas ?. Pourquoi les Blancs du Kansas, qui sont pauvres, qui devraient voter pour plus d’État, dont l’intérêt économique est de voter pour les Démocrates, pourquoi diable ces gens continuent-ils à voter pour des gens qui leur prennent leur argent et s’enrichissent sur leur dos ? C’est que le calcul n’est pas seulement un calcul économique mais un choix qui se fait sur les valeurs, notamment des valeurs morales. Ces gens, conservateurs, préfèrent sacrifier leur progrès économique pour défendre leurs valeurs morales. Une lecture un peu cynique de ces questions consisterait à se demander : comment faire pour obtenir le vote de ces braves gens ? On va leur vendre de l’anti-avortement et pendant ce temps-là, on va leur faire une réforme fiscale à notre avantage. Mais les Démocrates ont du mal à comprendre que des gens soient capables de sacrifier leur bénéfice économique sur l’autel de questions de principes. Qu’on se moque d’eux ou pas, le geste électoral est là. Et les Démocrates ont du mal à concevoir que l’on puisse faire ce calcul-là. Pourtant de nombreux éditorialistes ont averti les Démocrates, élection après élection, défaite après défaite : il va falloir prendre en considération le vote des évangéliques, le vote des gens qui sont contre l’avortement.

On a un Président Trump…

Jean-Pierre Chevènement
Merci beaucoup.

On peut dire également que Donald Trump exploite mieux les malaises qui se font jour dans cette société américaine, bloquée à beaucoup d’égards, que n’ont su le faire les Démocrates et en particulier Hillary Clinton. C’est en effet plutôt la marque de fabrique d’Hillary Clinton qui évidemment ne visait pas cet électorat.

Lauric Henneton
Bernie Sanders était bien meilleur là-dessus, comme vous l’avez souligné, il était de ce point de vue-là un peu le pendant de Donald Trump, collant beaucoup plus à cet électorat. On a vu dans certains États des meetings de Donald Trump succéder à des meetings de Sanders avec les mêmes participants. Ils parlaient aux mêmes gens. Fait marquant : Hillary Clinton a refusé d’aller dans la Rust Belt : « Ce sont des bastions démocrates, qu’irais-je faire là ? ». « Tu devrais y aller », lui avait dit Bill Clinton. Et Donald Trump a multiplié les déplacements là-bas.

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[1] Pourquoi les pauvres votent à droite ? (What’s the Matter With Kansas? How Conservatives Won the Heart of America) (éd. Agone, coll. « Éléments », 2013).

Le cahier imprimé du colloque « Où vont le Etats-Unis ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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