Sur la proposition de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information

Intervention de Naïma Moutchou, députée LREM du Val d’Oise, rapporteure de la loi visant à lutter contre la diffusion de fausses informations, au colloque « Fake news, fabrique des opinions et démocratie » du 20 juin 2018.

Jean-Pierre Chevènement
Comme cette affaire va être traitée dans nos débats, nous avons pensé à inviter Madame Naïma Moutchou, députée LREM du Val d’Oise et rapporteuse au nom de la commission des Lois de la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations [1].

Nous allons vous écouter, Madame, avec beaucoup d’intérêt.

Naïma Moutchou
Sur la proposition de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information

Je suis effectivement rapporteure d’une proposition de loi qui vise à lutter contre la manipulation de l’information, loi que je considère être fondatrice en la matière.

C’est une loi adaptée à notre temps et c’est une loi nécessaire.

Depuis le temps de l’imprimerie, depuis la grande loi sur la liberté de la presse de 1881, le monde a beaucoup changé. Aujourd’hui, des millions d’internautes à travers le monde peuvent, en quelques clics, répondre, diffuser, critiquer, transmettre des photos ou des articles. L’essor des nouvelles technologies, en particulier des réseaux sociaux, a amplifié le phénomène. Même si la rumeur est « le plus vieux média du monde » [2], les fausses informations et leur diffusion ont aujourd’hui un tout nouveau sens. On les observe sous un tout nouveau jour et c’est cette propagation exponentielle, virale, contre laquelle nous souhaitons aujourd’hui agir.

L’actualité nous a démontré, tant au moment des élections présidentielles américaines que pendant le Brexit et lors de nos propres élections, qu’un certain nombre de fausses informations étaient susceptibles d’influencer le score de l’élection, en tout cas de malmener le débat. Le droit à une information claire et transparente pour tous les électeurs est un droit fondamental. Dans un pays comme le nôtre, dans un État de droit, dans une grande démocratie, on ne peut pas supporter des intrusions, notamment extérieures, qui viendraient déstabiliser le processus démocratique qu’on a mis des siècles à mettre en place.

Voilà l’objectif, l’esprit, de cette proposition de loi.

C’est la première du genre. La France est un peu à l’avant-garde dans ce combat.

La lutte contre la diffusion des fausses informations est un enjeu extrêmement vaste. Cette proposition de loi est une première pierre à l’édifice. Elle fournit les premiers outils. En effet, nous en avons fait l’analyse, le droit aujourd’hui ne couvre pas tous les angles morts. Nous disposons de ce que l’on appelle l’action en diffamation et de la « procédure de fausse nouvelle » [3] qui date de 1881. Mais ces deux systèmes ne permettent pas de couvrir toutes les situations. C’est pourquoi, avec cette proposition de loi, nous avons pensé notamment à la création d’un nouveau mécanisme : un nouveau juge des référés qui interviendrait dans un délai de 48 heures, en période électorale, uniquement dans les élections à enjeu national, pour stopper la diffusion de fausses informations. Il ne s’agit pas de bloquer toutes les fausses informations car la liberté de la presse, celle des journalistes en la matière, sont des principes constitutionnels. Avocate en droit de la presse ayant exercé pendant neuf ans au barreau de Paris, je sais la valeur de ces grands principes. D’ailleurs tout mon fil rouge pendant l’examen de cette proposition de loi a consisté à mettre en balance le droit pour les citoyens d’avoir une information honnête et la liberté d’expression. Le cadre du juge des référés serait donc délimité, très circonscrit. Il n’interviendrait qu’en cas de diffusion massive et artificielle de fausses informations. En effet, nous voulons lutter contre les systèmes robotisés. Nous avons constaté l’intrusion de personnes extérieures par ces nouveaux systèmes qu’utilisent beaucoup les réseaux sociaux, les « fermes à clics » (« click farms ») [4] et les « bots » [5] par exemple.

Selon cette proposition de loi, le juge des référés n’intervient que pendant la période électorale et uniquement si la fausse information est de nature à altérer le scrutin. Enfin, il n’intervient que si la fausse information est diffusée de manière intentionnelle, c’est-à-dire avec la conscience, au moment où on la diffuse, qu’il s’agit d’une fausse information. Ce sont donc ceux qui diffusent avec une intention de nuire que nous visons.

Je vous parle du juge des référés parce que c’est ce dont les médias ont le plus parlé. On parle aussi du risque de censure, qui n’existe pas, je suis là pour en parler avec vous. Mais cette proposition de loi prévoit d’autres dispositions, la plus importante étant la nécessaire coopération avec les plates-formes qui aujourd’hui jouent un rôle essentiel, déterminant, dans la diffusion des fausses informations. Cette proposition de loi les contraint à être plus transparentes.

Pendant les périodes électorales, elles devront donner l’identité des annonceurs qui les payent pour avoir des publicités et annoncer combien ces annonceurs les payent.

Elles devront aussi, de manière permanente, avoir un représentant légal basé en France. En effet, ces plates-formes sont fuyantes et refusent de coopérer. Soit elles ne répondent pas au téléphone, soit elles se cachent derrière des entreprises basées au Lichtenstein, aux Bahamas ou ailleurs. Il est donc impossible d’entrer en communication avec elles. On les obligera demain à avoir un représentant légal, un contact basé en France. C’est une énorme avancée.

Un vrai devoir de coopération avec les hébergeurs, les fournisseurs d’accès à Internet, est aussi à mettre en place. La proposition de loi prévoit de développer les chartes pour introduire, même en matière virtuelle, un comportement honnête sur les réseaux sociaux.

Nous insistons beaucoup sur le volet éducatif parce que le comportement humain est au centre de la fausse information. Je crois nécessaire aujourd’hui d’introduire dans les programmes scolaires un apprentissage permettant aux plus jeunes de reconnaître une fausse information, d’appréhender les réseaux sociaux et leur fonctionnement, de développer un sens de l’autocritique. Nous sommes en train de faire ce travail avec Monsieur Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Je crois que cela doit être intégré durablement. Des ateliers sont expérimentés dans quelques établissements. J’ai participé à un atelier de ce type vendredi dernier dans ma circonscription. C’est extrêmement instructif. 90 % des enfants de 9 ou 10 ans ont aujourd’hui un téléphone portable en accès libre sans contrôle parental, y compris parfois la nuit. Ils s’informent beaucoup sur Internet, ils échangent constamment entre eux, en dehors de tout contrôle, contrôle des parents ou contrôle des instituteurs. C’est donc une vraie question.

Voilà globalement le sens, la portée de cette proposition de loi, qui est un premier outil dont on s’arme. Il y a d’autres débats à avoir à l’échelle européenne sur une vraie gouvernance, une autorégulation des plates-formes et sur l’éducation aux médias, qui me semble primordiale.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Madame Moutchou, de cet exposé clair et précis.

—–

[1] Le document peut être consulté sur le site de l’Assemblée nationale.
[2] Rumeurs : le plus vieux média du monde, titre d’un ouvrage publié en 1987 par Jean Noël Kapferer aux éditions du Seuil.
[3] Article 27 de la Loi du 29 juillet 1881 : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de …
Les mêmes faits seront punis de … d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation. »
[4] Ces « fermes à clics » (souvent sises dans les pays en voie de développement) sont des lieux secrets où les travailleurs, payés une misère, sont chargés de liker, de rédiger de faux avis positifs ou de cliquer sur une application pour lui permettre de remonter dans les classements de l’Apple Store ou du Google Play.
[5] On appelle « bots » des interlocuteurs qui sont en réalité des robots.

Le cahier imprimé du colloque « Fake news, fabrique des opinions et démocratie » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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