Désertification et réanimation des territoires

Introduction de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Désertification et réanimation des territoires » du 27 février 2018.

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Nous allons ouvrir ce colloque dont l’initiative revient à Marie-Françoise Bechtel. Elle a eu l’expérience du territoire à travers le département de l’Aisne, dont elle était l’élue, et cette question l’a toujours préoccupée.

J’accueille à cette tribune Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de rencontrer au groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) du Sénat auquel j’étais moi-même affilié. Il en a été le président estimé, toujours actif, travailleur, homme de terrain et, n’ai-je pas besoin d’ajouter, d’une intégrité sans faille, bref un républicain pour lequel j’ai beaucoup d’estime, beaucoup de considération, je tiens à le dire ce soir devant vous. Il a une tâche extrêmement difficile comme ministre de la Cohésion des territoires. Ce n’était pas sa destination initiale, puisqu’il avait été nommé ministre de l’Agriculture [1]… On ne fait pas toujours ce qu’on veut quand on est au gouvernement…
Monsieur le ministre conclura la première volée d’échanges.

Nous entendrons avant cela Monsieur Jean-Pierre Duport, qui fut lui-même délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) de 1989 à 1993, avant d’être préfet de la Seine-Saint-Denis. Il fut aussi préfet de Paris et préfet de la région Île-de-France. C’est dire que les problèmes de la politique de la ville et de la politique d’intégration sont présents à son esprit.

Monsieur le professeur Gérard-François Dumont n’est pas un inconnu à la Fondation Res Publica. Professeur à l’université Paris-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, il est l’auteur d’un livre que je vous conseille Les territoires français : diagnostic et gouvernance (Armand Colin, 2018).
Nous entendrons ensuite Madame Bechtel, députée de l’Aisne et vice-présidente de la commission des Lois lors de la dernière législature. Dans une vie antérieure, elle dirigea l’ENA (École nationale d’administration). Agrégée de philosophie, elle était chargée à mon cabinet de suivre les questions des établissements d’enseignement privés. Elle a rempli un grand nombre de responsabilités nationales et internationales.

Ensuite, Monsieur Claude Rochet, professeur des universités à l’Institut de Management public d’Aix-en-Provence, viendra nous parler de ce que peuvent apporter les technologies nouvelles dans le cadre de l’aménagement des territoires. Il est l’auteur de Des villes intelligentes, vraiment ? (à paraître prochainement).

Enfin, la parole sera à Monsieur le ministre qui nous confiera ses réflexions et les difficultés de sa tâche, que nous mesurons pleinement.
Le débat sera ensuite ouvert avec la salle.

Je ne vais pas préempter le colloque en faisant une intervention liminaire qui serait désobligeante à l’égard des intervenants qui en savent beaucoup plus que moi sur ces questions bien que je ne sois pas totalement ignorant. J’ai été moi-même un décentralisateur non pas farouche mais déterminé. J’ai décentralisé les collèges et les lycées au niveau des départements et des régions. J’ai essayé de mettre un peu de bon sens dans l’intercommunalité… et il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet.

Bref, le sujet de l’aménagement du territoire, grand mythe de la période des « Trente Glorieuses », m’intéresse. La DATAR, créée en 1963 sous l’impulsion d’Olivier Guichard, a permis de rompre avec l’idée qu’il y avait Paris d’un côté et le désert français de l’autre. La Bretagne, par exemple, a fait l’objet d’une politique vigoureuse d’aménagement du territoire.

Cependant, le rôle de la DATAR s’est progressivement effacé avec la montée en puissance des collectivités décentralisées : départements, régions et surtout grandes régions, métropoles et pôles métropolitains. On a vu le thème des politiques territoriales se substituer à l’idée d’un aménagement national du territoire.

L’effacement de la DATAR a été facilité par le retrait de l’État, malgré les CPER (contrats de plan État-région, loi du 29 juillet 1982), une très bonne idée que nous devons à Michel Rocard, au moment où il a été malicieusement nommé ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire par François Mitterrand (1981-1983). Les CPER faisaient travailler ensemble les acteurs de la décentralisation. À un certain moment, les fonds européens, gérés d’abord par les préfets, virent leur gestion confiée aux préfets et aux présidents de région. C’était à l’époque du gouvernement Jospin. Alors ministre de l’Intérieur, j’avais vigoureusement pesé pour que l’arbitrage ne soit pas en faveur de la gestion de tous les fonds européens par les présidents de région. Mais il y a des mouvements qu’on ne peut que retarder, ils finissent par s’accomplir et, en 2012, la gestion des fonds européens (FEDER-FSE) a été transférée aux seules régions. L’État, en tant que gardien d’une certaine vue d’ensemble, s’est effacé.

Enfin, le primat de la concurrence et la non-sélectivité des aides, imposés par les traités européens, ont entraîné la désuétude des politiques industrielles. Je pourrais parler de tous les plans qui vivaient, même mal, à l’époque où j’étais ministre de l’Industrie et qui ont disparu. Sous la recommandation de Louis Gallois, l’État a voulu mettre en œuvre une aide aux entreprises. Celle-ci a pris la forme – qui n’était pas préconisée par Louis Gallois – du CICE, une avance et non pas une détaxation de charges sociales. Et même dans ce cas-là, nous avons dû respecter la règle de la non-sélectivité, ce qui fait que toutes les entreprises ont bénéficié de ce CICE au prorata de ce qu’elles représentent dans l’économie, y compris les entreprises de la grande distribution, y compris les banques, et pas seulement les entreprises industrielles (qui représentent aujourd’hui à peine 14 % de la valeur ajoutée).

Cela aussi a entraîné un retrait de l’État et la désindustrialisation que connaît notre pays a évidemment accru les fractures entre, d’une part, la poussée des aires métropolitaines et, d’autre part, ce quart Nord/Nord-Est de la France de plus en plus désindustrialisé sur lequel j’insiste parce que je le connais bien, parce que je sais combien il a souffert. Ces régions qui furent extrêmement dynamiques sont aujourd’hui des régions qui souffrent, de la Franche-Comté à la Lorraine, en passant par Champagne-Ardenne, la Picardie, le Nord-Pas-de-Calais. C’est une réalité que les Pouvoirs publics sont obligés de prendre en compte. La fracture territoriale s’est également aggravée vis-à-vis d’une zone qu’on a l’habitude de désigner comme étant la « diagonale du vide », prenant la France en écharpe de la Meuse aux Landes, et en particulier le Massif Central, une grande zone, moins densément peuplée, moins active sur le plan industriel et où les services publics sont moins présents que dans les grandes aires métropolitaines.

Face à ces tendances lourdes, l’État n’a pas su renouveler sa politique d’aménagement du territoire. Sans doute des investissements structurants (TGV, autoroutes) ont-ils été faits depuis 1981 mais ils entrent en concurrence avec d’autres impératifs (budgétaires ou autres). J’ai inauguré le TGV Paris-Lyon, d’autres ont suivi. Deux autres lignes ont été inaugurées il y a peu : Paris-Rennes, prolongement de la ligne Paris-Le Mans, et Paris-Bordeaux, prolongement de la ligne Paris-Tours, mais ce sont les dernières, si j’en crois les conclusions de la Commission Duron [2]. De la même manière, la construction des autoroutes est pratiquement stoppée, si j’en juge par l’autoroute Langres-Vesoul (quand je dis Vesoul, c’est Belfort) qu’on nous faisait encore miroiter il y a quelques années. Tout cela est passé de mode, ces politiques ont été ralenties ou stoppées. Chacun sait que la péréquation assurée par l’État à travers la DSR (Dotation de solidarité rurale) et la DSU (Dotation de solidarité urbaine), même si elle n’est pas négligeable, n’opère que des corrections à la marge.

J’aurais aimé vous parler des politiques de redressement possibles à court et moyen termes. Je voudrais montrer qu’il y a encore place pour une politique qui ouvrirait la France sur le monde, sur l’Europe et surtout sur elle-même. Mais c’est un autre sujet. J’aurais pu évoquer des politiques d’intégration qui impliquent de la part de l’État une certaine dose de volonté politique. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir. Sans développer ce sujet, que nous pourrons peut-être aborder par la suite, je dirai que, outre les nécessaires politiques de rénovation urbaine, que je ne suis pas du tout porté à condamner mais qui, à elles seules, sont insuffisantes, il y a les politiques d’implantations économiques et d’équipements. Il y a aussi une volonté politique face à l’idéologie salafiste. Y a-t-il une mobilisation républicaine des agents publics sur ce thème ? Le rôle de l’Éducation nationale est évidemment majeur. Nous aurons sans doute l’occasion d’aborder tous ces sujets.

Je donne tout de suite la parole à Jean-Pierre Duport pour qu’il nous dise comment il voit les choses, lui qui de nous tous a la plus grande expérience puisqu’il était DATAR de 1989 à 1993.

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[1] Nommé le 17 mai 2017 ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation dans le gouvernement de Monsieur Édouard Philippe, Monsieur Jacques Mézard est nommé ministre de la Cohésion des territoires, succédant à Monsieur Richard Ferrand.
[2] Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, a reçu le 1er février le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron, intitulé « Mobilités du quotidien : répondre aux urgences et préparer l’avenir ».

Le cahier imprimé du colloque « Désertification et réanimation des territoires » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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