Les “nouvelles routes de la soie” et les ambitions mondiales de la Chine

Note de lecture du livre « La Chine dans le monde » (CNRS éditions, 2018 ; sous la direction d’Alice Ekman), par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica.
Si la préoccupation du rééquilibrage économique intérieur a motivé le lancement du projet des « nouvelles routes de la soie », ce grand programme d’investissements et d’infrastructures reflète également l’omniprésence de la Chine en Asie et dans le monde. Mais derrière une politique étrangère devenue à la fois audacieuse et entreprenante, quelles sont les ambitions de la Chine sur le plan international ?

La Chine affiche une ambition de leadership depuis la fin des années 2000, et surtout depuis le début du mandat présidentiel de Xi Jinping en 2013. En effet, ce dernier apparait bien plus ambitieux que son prédécesseur, Hu Jintao (2002-2012) quant au rôle et à la place de la Chine dans le monde. Alice Ekman, dans son introduction, identifie cinq évolutions récentes qui soulignent cette ambition nouvelle (page 13) : la volonté d’être à l’avant-garde de la restructuration de la gouvernance mondiale ; l’investissement chinois dans la multilatéralisme ; la promotion d’un modèle de développement alternatif à celui mis en avant par le consensus de Washington et les démocraties libérales ; la diffusion et la pénétration de nouveaux standards et normes internationaux ; et enfin la promotion d’une vision post-occidentale du monde. Le projet chinois dit des « nouvelles routes de la soie », inspiré par des facteurs intérieurs et extérieurs, s’inscrit dans le cadre de ces évolutions.

Lancé à l’automne 2013, c’est à Xi Jinping que l’on doit le projet alors nommé OBOR (pour ‘One Belt, One Road’). Il comprend une ‘ceinture’ terrestre, via l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Europe orientale, et une ‘route’ maritime passant par l’Asie du Sud-Est et l’océan Indien, qui ont pour but d’approfondir et de « renforcer la connectivité entre la Chine d’une part et l’Eurasie et l’Afrique d’autre part » (Jean-Pierre Cabestan [1], page 103). Ce grand projet d’infrastructures, prévoyant initialement la construction de routes, ports, lignes de chemin de fers et parcs industriels dans plus de 65 pays (les autorités chinoises évoquent désormais une centaine de pays potentiellement concernés), pour un montant total d’investissements annoncé de plus de 1 000 milliards de dollars, pourrait se convertir en assise géostratégique à long terme.

Les « nouvelles routes de la soie » au cœur de la stratégie de rééquilibrage économique intérieure
La Chine est devenue en 2010 la deuxième puissance économique mondiale, derrière les Etats-Unis et devant le Japon. L’Empire du Milieu, doté de capacités financières colossales (la Chine possède encore d’impressionnantes réserves en devises : 3 000 milliards de dollars contre près de 4 000 au début 2015) « va pouvoir afficher de plus grandes ambitions et abandonner progressivement sa posture de ‘profil bas’ [2]. Les initiatives se multiplient de la part de Pékin, qui mêlent préoccupations économiques et objectifs géopolitiques » (Françoise Nicolas [3], pages 51-52).

Comme le rappelle Alice Ekman, « le ralentissement relatif de la croissance (autour de 6,7% du PIB pour l’année 2017, selon les précisions de juin du FMI) et les difficultés économiques et financières de ces dernières années (crise de la bourse de Shanghai de juin 2015, notamment) n’ont pas entrainé d’ajustement des ambitions de la Chine dans le monde, ni de baisse du nombre de ses initiatives économiques, diplomatiques ou institutionnelles » (page 31). Bien au contraire, le déploiement des routes de la soie domine depuis maintenant cinq années la diplomatie économique chinoise, et cette initiative est « clairement [guidée] par des préoccupations économiques intérieures » (Françoise Nicolas, page 58).

L’objectif principal est en effet de soutenir la dynamique de croissance de la Chine. Il s’agit tout d’abord d’aider au rééquilibrage de son économie par le désenclavement des provinces les plus pauvres du pays de l’ouest et du centre du pays. Alice Ekman rappelle que la politique d’intégration économique régionale des provinces existait déjà sous Hu Jintao, mais elle précise que Xi Jinping « semble vouloir la consolider à grande vitesse, par l’établissement de nouveaux ‘couloirs’ ou ‘routes commerciales’ dans quasiment toutes les directions possibles au-delà des frontières de la Chine » ([4], page 130). Ensuite, le projet a vocation à contribuer à la réorientation de son modèle de croissance, encore trop appuyée à ce jour sur la demande extérieure et les exportations, vers la consommation intérieure. Ainsi, OBOR s’inscrit dans la lignée de la politique d’internationalisation des entreprises chinoises et de stimulation de l’innovation, à un moment où les coûts de production augmentent en Chine, et où le marché intérieur fait face à des problèmes de surcapacité dans certains secteurs (tels que l’acier, le ciment, le BTP…).

Les nouvelles routes de la soie, un « outil influent de stratégie géoéconomique » (Alice Ekman, page 25).
Le projet OBOR, traduit aussi une ‘nouvelle phase d’ouverture du pays’, expression utilisée par les analystes chinois et par Xi Jinping lui-même, et qui demeure sujet à débat alors que de nombreuses entreprises étrangères rencontrent des difficultés pour s’implanter et se développer sur le territoire chinois.

La diplomatie économique affirmée par la Chine lui permet, en plus de peser considérablement sur ses relations bilatérales, d’afficher de nouvelles ambitions en matière de gouvernance mondiale. Françoise Nicolas évoque le sommet du G20 qui s’est tenu à Hangzhou en septembre 2016 et qui témoigne de « cette volonté des autorités chinoises d’utiliser la force économique du pays pour s’affirmer comme une puissance responsable, voire comme un leader » (page 62). Avec la réactivation et surtout l’approfondissement de la ‘politique de voisinage’, particulièrement guidée par des considérations de diversification de l’approvisionnement économique de la Chine, Xi Jinping pose « les bases d’une stratégie régionale à formation lente » (Alice Ekman, page 148), dont le ‘renouveau de la nation chinoise’ est un horizon revendiqué d’ici à 2050, date du 100ème anniversaire de la création de la RPC (1949) et qui correspond en fait à la constitution d’une sphère d’influence élargie. Cette stratégie comporte un volet ‘développement’, terme mentionné plus de quarante fois dans le discours de Xi Jinping lors du sommet sur les routes de la soie à Pékin en mai 2017. La Chine se positionne en effet en tant que « puissance responsable » (Françoise Nicolas, page 52), premier défenseur des pays pauvres et émergents grâce à la multiplication de ses initiatives économiques régionales, telles que le projet des nouvelles routes de la soie. Alice Ekman nuance cette appréciation, en rappelant que « cette approche ne s’accompagne en aucun cas d’une volonté de Pékin d’être plus conciliant sur certains différends maritimes ou frontaliers » dans la région (page 122).

Cependant, et « plus fondamentalement, la stratégie des ‘nouvelles routes de la soie’ reflète la volonté de Pékin d’occuper le terrain et de structurer les relations internationales selon ses propres termes » (Françoise Nicolas, page 56) et au service de ses ‘intérêts fondamentaux’, liés à la préservation du système politique chinois, à l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale. Ainsi fait-on le constat de « l’activisme institutionnel » (Françoise Nicolas, page 58) de la Chine sur le plan international, avec par exemple la création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) lancée officiellement en octobre 2014 parallèlement au projet OBOR. Sur le plan interne, ce tournant dans le dynamisme de la Chine à l’international s’accompagne de la « réorganisation des institutions en charge de la politique internationale du pays avec une plus grande centralisation des pouvoirs, la création de nouveaux organismes et une meilleure coordination des compétences […]. Mais ces évolutions reflètent aussi la priorité donnée tant par Xi que l’ensemble de la direction du Parti à la stabilité et la sécurité du régime politique » (Jean-Pierre Cabestan, page 95).

Le renforcement des rivalités Chine-Etats-Unis
La logique géoéconomique qui préside à cet activisme diplomatique chinois pourrait bien renforcer les tensions du G2 sino-américain, déjà attisées par les considérations commerciales qui fondent nombre de déclarations tonitruantes de Donald Trump largement relayées par les médias. Comme le rappelle Jean-Pierre Cabestan, Xi Jinping « a proposé aux Etats-Unis d’établir avec son pays ‘un nouveau type de relations entre grandes puissances’ », formule devenue officielle en juin 2013 lors de la rencontre avec Barack Obama à Sunnylands, et qui, sans avoir été nommément reprise lors de la première rencontre du président chinois avec Donald Trump en avril 2017 à Mar-a-Lago, « reste le fondement de la politique américaine du Président chinois » (Jean-Pierre Cabestan, page 103). Conditionnée par un désir de reconnaissance internationale et le ressentiment envers l’Occident, elle sous-entend une relation d’égal à égal avec les Etats-Unis et fait référence à une structure des relations internationales qui ne serait plus dominée par les pays occidentaux, et particulièrement par la puissance américaine (Alice Ekman, page 19).

En pratique, la Chine cherche à pousser les Etats-Unis hors de l’Asie orientale en défiant leur influence politique et économique et en limitant leur présence militaire et institutionnelle dans la région. La rivalité est notable jusque dans les mots, ainsi OBOR peut être perçu comme une récupération du terme de ‘silk road’ déjà employé par la diplomatie américaine et proposé par Hillary Clinton dès 2011 pour l’Afghanistan d’après-guerre, et par lequel les Etats-Unis entendaient encourager les investissements privés dans les infrastructures (transports et énergie essentiellement) dans l’ensemble de la région (Alice Ekman, page 139). De même que le « rêve chinois » promu par Xi Jinping fait écho au « rêve américain »…

Les initiatives de la Chine telles que le projet de nouvelles routes de la soie ont pour ambition, à long terme, d’affirmer sa stature internationale et de réorganiser dans une perspective post-occidentale une région non plus structurée par un système d’alliances, mais plutôt par un système de partenariats au sein duquel la Chine occuperait une place économique et politique centrale.

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[1] Jean-Pierre Cabestan, professeur et directeur du Département de science politique de l’Université baptiste de Hong-Kong, chercheur associé à l’Asia Centre et à Sciences Po Paris, « L’activisme diplomatique de Xi Jinping », pages 95 à 123
[2] La posture de ‘profil bas’ a été promue par Deng Xiaoping après Tiananmen et qui consistait à éviter les conflits et à attendre que la Chine soit plus forte avant d’adopter une posture plus offensive
[3] Françoise Nicolas, chercheur-économiste à l’Ifri, directrice du Centre Asie de l’Ifri, enseignante à Sciences Po Paris, « Le développement économique, moteur de l’engagement international », pages 39 à 63
[4] Alice Ekman, responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et chargée d’enseignement à Sciences Po Paris, « Défense des ‘intérêts fondamentaux’ et rivalités Chine-Etats-Unis renforcées en Asie-Pacifique », pages 127 à 151

Pour se procurer le livre > « La Chine dans le monde », (CNRS Editions, 2018), sous la direction d’Alice Ekman

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